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1372 - La bataille navale de La Rochelle - Chronique de Froissart

Un trésor dort-il près des côtes d’Aunis ?

mardi 20 octobre 2009, par Christian, 2845 visites.

La bataille navale de la Rochelle (1372)
Enluminure de la Bibliothèque Nationale - Des représentations de batailles navales très standardisées.

1372 (22-23 juin) : bataille navale de La Rochelle : effaçant le désastre de l’Ecluse (1340), elle sonne pour les Français l’heure de la reconquête – du Poitou, de l’Aunis, de la Saintonge et de l’Angoumois. Pour les Anglais, c’est la fin de leur suprématie navale et l’interruption de liaisons faciles avec leurs possessions de Guyenne.

Les lauriers, toutefois, ne sont pas français : la flotte victorieuse est celle du roi de Castille, Henri de Trastamare, qui paie ainsi sa dette à Du Guesclin mais, surtout, qui pare à la menace que fait peser sur son trône un compétiteur anglais. Quant à l’amiral, Ambrogio Boccanegra, neveu du fameux doge Simon, il est de cette lignée de marins génois qui produira Christophe Colomb et Andrea Doria.

A lire le premier récit, de Froissart, on a le sentiment que les Anglais du comte de Pembroke ont été victimes de leur infériorité numérique et technique, malgré toute leur bravoure chevaleresque. En fait, il semble que Boccanegra n’ait engagé que 14 galères sur une vingtaine, contre 36 navires anglais (dont, il est vrai, 14 barges et seulement trois navires de guerre avec tours). Mais les barons poitevins n’avaient demandé à Edouard III, et obtenu, qu’un gouverneur, lieutenant royal destiné à remplacer le Prince Noir malade (Pembroke, le gendre du roi, à défaut de ses fils occupés à la préparation d’un débarquement à Calais) et un an de solde pour 3 000 hommes. L’effectif embarqué n’aurait été que de 160 hommes : 25 chevaliers, 55 écuyers et 80 archers, selon Sherbone & Tuck (War, politics and culture in fourteenth-century England, p. 41-49). Et, surtout, les Castillans l’ont emporté grâce à la science navale d’une flotte aguerrie par les combats contre les Maures et d’un amiral qui sait jouer de la marée pour emprisonner ses adversaires sur un haut-fond. Contre des chevaliers qui ne connaissent que le combat terrestre, il use non seulement de ses arbalétriers, mais aussi de brûlots. On prétend même que cette bataille navale serait la première dans laquelle aurait figuré l’artillerie, même si Boccanegra ne semble pas l’avoir employée. Et le récit du chroniqueur anonyme « des quatre premiers Valois » donne probablement une image plus juste de ces combats en laissant deviner l’effroi des hommes, contraints de choisir entre le feu et la noyade, et l’affolement des chevaux dont les ruades font éclater les coques.

Quant au trésor… Edouard III avait donné 12 000 livres afin de payer pendant un an 500 chevaliers, 1 500 écuyers et 1 000 archers (ibid.). Les deux chroniqueurs français indiquent que cette « finance » aurait coulé avec le navire qui la transportait. On n’incitera toutefois pas à plonger pour la retrouver : selon l’Anglais Walsingham et, surtout, le Castillan Lopez de Ayala, qui devait savoir de quoi il retournait en tant que chancelier, les Espagnols seraient repartis avec tous ces nobles et florins, probablement sans s’en vanter.

FROISSART, Chroniques, édition Kervyn de Lettenhove, t. VIII.

Chroniques de Froissart
Une autre scène de bataille navale - Source : BNF Gallica

Quant messires Guichars d’Angle et li sires de Puiane et messires Aimeris de Tarse qui tout le temps s’estoient tenu en Engleterre, veirent et entendirent le certain arest dou consseil le roy et de ses barons, et que li doy (deux) fils le roy seroient chief et souverain de ceste armée et que nul il n’en aroient pour remenner en Poito avoecq yaux (avec eux), si se adrechièrent deviers le roy englès, et li fissent (lui firent) une prière et requeste qui s’estendoit en telle mannière : « Chiers sires et nobles roys, nous veons et entendons que vous devés envoyer en ceste saison une grant armée et chevaucie des vôtres ens ou royaumme de Franche pour gueryer les marches de Pikardie, de France, de Bourgoingne et d’Auviergne, de laquelle grosse armée vo doi fil seront gouverneur et souverain (et ce soit à l’onneur de Dieu et d’iaux (d’eux)), si vous prions et requérons, chiers sires, ou kas que nous ne les poons avoir, ne l’un d’iaux par lui, que vous nous voeilliés baillier et délivrer le conte de Pennebrucq (Pembroke) à gouverneur et cappittainne, et que il vous plaise que il s’en viègne avoecq nous ens ès marces de Poito. » Adont s’aresta li roys sour monseigneur Guichart d’Angle plus que sus les autres, et dist : « Messires Guichars, se je ordonne le conte de Pennebrucq mon fil à aller avoecq vous ens ou pays de Saintonge, vous faura-il grant carge de gens pour aidier à garder et à défendre le pays contre nos ennemis ? » — « Monseigneur, respondi messires Guichars, nennil, mais que (pourvu que) nous ayons CC hommes d’armes et otant d’archiers pour les rencontres dessus mer et le finanche pour gagier (payer) IIIm combatans. Nous en recouvrerons bien par de delà ; car encorres y sont grant fuison (foison) de gens des compaingnes et des gens d’autres nations, qui vous serviront vollentiers, mès qu’il aient bons gaiges et que on lor paie ce avant le main (d’avance) pour V ou pour VI mois. » Adont respondi li roys englès : « Messires Guichars, jà pour or, ne pour argent ne demourra (retarder, faire obstacle) que je n’aie gens assés et que chils voiages ne se fache (fasse) ; car j’ay bonne vollenté de deffendre et garder mon pays de Poito. Or soyés de ce costé tous recomfortés et asségurés, car j’en ordonneray temprement (bientôt), et vous cargeray, avec le mise que vous emporterés, tel gens et telle cappitainne qu’il vous devera bien souffire. » Adont respondirent tout li troy chevalier, et li dissent : « Monseigneur, grant merchy. »

Depuis ne demoura guaires de temps que li roys englès ordonna et pria au conte de Pennebrucq d’aller avoecq les dessus dist chevaliers ens ou pays de Poito et de Saintonge pour garder les frontières contre les Franchois, liquels contes à l’ordonnanche dou roy obéi et descendi vollentiers et emprist liement (entreprit joyeusement) le voiaige à faire. Avoecq le dit conte furent nommet chil qui iroient : premièrement messires Othes de Grantson, banerès et riche home durement (homme très puissant), messires Robers Tinfort, messires Jehans Tourson, messires Jehan de Gruières, messires Thummas de Saint-Aubin, messires Simons Housagre, messires Jehans de Mortain, messires Jehans Touchet et pluisseurs (plusieurs) autres bons chevaliers et escuiers, tant qu’il furent bien CC hommes d’armes et otant d’archiers, et fissent leurs pourvéanches (provisions, approvisionnement) tout tellement et à grant loisir de tout ce qu’il leur besongnoit (ce dont ils avaient besoin), et leur fist li roys délivrer une grande somme de florins pour gagier et payer un an tout entier IIIm combatans, puis se départirent dou roy li dessus dist seigneur quant il eurent pris congiet à lui, et se missent au chemin et s’en vinrent à Hantonne (Southampton). Là séjournèrent-il en ordonnant et regardant à lors pourvéances et en cargant leurs vaissiaux et en atendant le vent plus de trois sepmaines. Et quant il eurent tout cargiet et ordonnet et le vent pour yaux, il entrèrent en leurs vaissiaux, et puis se désancrèrent : si se partirent des mettes (limites) d’Engleterre et singlèrent par deviers Poito et le Rocelle.

En ce tamps avoit li roys Henris d’Espaigne, à le pryère et requeste dou roy de France, mis sus mer une grosse armée d’Espagnols et de Castelains, liquel estoient droites gens d’armes sus le mer de grant fait et de hardie emprise (prouesses), et estoient li dist Espagnol pourveu de XIII grosses gallées (galères) touttes armées et fretées, et gisoient à l’ancre devant le Rocelle et avoient jà jeu (participe passé de « gésir ») plus d’un mois, fors tant que assés de fois il waucroient (vau-errer : aller à l’aventure) sour les frontières de Poito pour veoir et savoir s’il trouveroit nulles aventures ; mès de touttes les marées il revenoient par droite ordonnanche gésir devant le Rocelle, et se tenoient là à l’entente que pour (à dessein de) atendre et combattre les gens d’armes que messires Guichars d’Angle devoit amener ou pays. Si estoient patron de ceste navie (flotte) Ambrose Boukenègre, Cavesse de le Vake, dant Ferant de Pion et Radigo de la Rosele. En tout le royaume d’Espaigne, de Séville, de Galisce et de Portingal ne peuist-on recouvrer de IIII milleurs amiraux, ne patrons, pour gouverner une grosse navie sus mer, et estaient chil (ceux-là) bien pourveu de grant fuisson de bons combatans et de droite gent d’eslite. Bien les veoient chil de le ville de le Rocelle et messires Jehans Harpedane, qui estoit pour le tamps sénescaux de le Rocelle, mès point ne les aloient combattre. Et avint que li contes de Pennebruc dessus nommés et messires Guichars d’Angle et leur navie nagièrent (naviguèrent) tant par mer en costiant Normendie et Bretaingne et yaux adrechant (se dirigeant) pour venir en le Rocelle, qu’il aprochièrent les mettes (frontières, limites) dou pays et trouvèrent à leur encontre celle grosse navie d’Espaingne. Adont seurent-il bien qu’il les convenoit combattre : che fu le vegille de le nuit Saint-Jehan-Baptiste l’an mil CCC.LXXII.

Quant li contes de Pennebrucq et li chevalier qui là estoient en se compaignie, perchurent le navie des Espagnols qui estoient en leur chemin, et ne pooient (pouvaient) nullement venir, ne ariver en le Rocele, ne passer, fors que parmy yaux, et le virent si grande et si grosse et pourveue de si gros vaissiaux enviers les leurs (en comparaison des leurs), si ne furent mies bien asséguret (assurés). Nonpourquant (néanmoins), comme bonnes gens, il s’armèrent tost et appertement, et fissent sonner leurs trompettes et mettre leurs bannières et leurs pennons hors avoecq ceux de Saint-Jorge, et monstrèrent bon visage, et requeillièrent et missent enssamble tous leurs vaissiaux, petis et grans, et aroutèrent (rassemblèrent) leurs archiers tout devant, et pooient estre XIIII nefs parmy leurs pourvéanches. D’autre part, li Espagnol qui moult les désiroient à combattre, si trestos comme il les virent nestre (aistre : apparaître), ne approcier, il s’armèrent et ordonnèrent, et missent leurs bannières et leurs pennons de Castille hors, et fissent sonner lors trompettes et aller touttes mannières de gens à leurs gardes, et monter amont as crétiaux (créneaux) et as garittes (sortes de fortins, guérites) de leurs vaissiaux qui estoient bien breteskiés (bretèche = château en bois), et targièrent et paveschièrent tous leurs rimeurs (abritèrent leurs rameurs derrière des targes et des pavois), dont en chacune gallée avoient grant fuison, et s’entendirent tout au lonch (se rangèrent de front, en ligne) affin que li Englès ne les peuissent fuir, ne eslongier (s’éloigner). Et quant il se furent enssi ordonné comme gens de bon et grant convenant, li IIII patron dessus nommet, dont chacuns estoit en une gallée par soi et entre ses gens, se missent en frontière tout dentre (en bataille tout dedans ?) et approchèrent les Englès vistement et radement (vite et rapidement). D’autre part, li Englès qui estoient tout comforté de le bataille (car combattre les convenoit, et atendre l’aventure, ne il ne pooient fuir dentre yaux, ne reculler, ne ossi il n’euissent daigniet), aprochièrent moult bellement et moult ordonnéement. Si trestost que il furent li un devant l’autre, comme gens de guerre et ennemy, sans noyent (nullement) parlementer, il se commencièrent à envaïr, à atraire et à lanchier (attaquer, tirer et jouer de la lance) vistement et fortement. Là s’aquitoient li archier d’Englelerre souffisamment au traire, et estoient sour les bors de lors nefs, et traioient si roidement et si ouniement (ensemble/ continûment) c’à painnes se pooit, ne osoit nuls amonstrer. D’autre part Espagnol et Casteloing qui estoient bien pavesciet et à le couverte en leurs vaissiaux, lanchoient dars et archigaies (traits et javelots) si trenchans, que qui en estoit à plain cop consieuwis (atteint), c’estoit sans remède : il estoit mors ou trop vilainnement navrés. Che premier jour tournièrent-il enssi en lanchant et escarmuchant, en jettant pierres et en traiant, dont il en y eut des uns et des autres pluisseurs ochis et navrés (occis et blessés), tant que li marée dura et que li aige (l’eau) ne leur falli, car li mers seloncq son usage se retraioit. Si convint retraire les Englès, mais à ce premier estour (combat) il perdirent IIII nefs de leurs pourvéanches, que li Espagnol conquissent sus yaux et encloïrent au département dou hustin entre yaux (enfermèrent au début du combat, de la mêlée entre eux), et furent mort et noyet et jettè a bort (par-dessus bord) le plus grant partie de ceux qui dedens estoient : tout che veoient leur mestre et leur seigneur qui devant yaux estoient, mès amender ne le pooient (n’en pouvaient mais).

Enssi sus heure de vespres au retrait dou flos et que li wèbes (marée, vagues) leur falli, se départi li bataille, et retournèrent à l’ancre li Englès tous courouchiés, c’estoit bien raison ; car il avoient jà perdu grossement jusques à IIII vaissiaux de lors pourvéanches et les gens qui dedens avoient estet trouvé, et d’autre part li Espagnol se missent à l’ancre tout joyant (joyeux), qui se tenoient tout comforté que à l’endemain il aroient le demorant (auraient le reste). Moult estoit li tamps et li airs quoi et seris (tranquille et serein), et ne faisoit point de vent. Si eurent che soir et le nuit enssuiwant li seigneur d’Engleterre tamainte (plusieurs) ymagination comment il se poroient maintenir et déduire contre ces Espagnols, car point ne se veoient en jeu parti contre yaux (à égalité avec eux), dont il n’estoient mies à leur aise. D’autre part, nullement il ne pooient venir, ne ariver à le Rocelle car leurs nefs estoient trop grandes, et li aige trop basse ; car c’estoit sus le décours de le lune, si n’avoit li mers point de force. Bien avoient des batiaux en leurs nefs et qui les sieuwoient (suivaient), ens ès quels li chevalier se peuissent bien estre mis, se il volsissent (s’ils avaient voulu), et venir a rimes (rames) jusques au kay de le Rocelle, mès il doubtoient (redoutaient) le péril ; car il ne pooient passer fors parmy leurs ennemis qui avoient ossi otelle pourvéance de barges et de batiaux, et estoient tout enfourmé de ce fait ; et au passer devant ou dalés (à coté de) lors ghalées, chil qui seroient d’amont, leur jetteroient pierres et barriaux de fer et leur effonderoient leurs batiaux : si seroient perdu d’avantaige. Dont à yaux mettre en ce parti il n’estoient point d’accort ; ossi dou retourner, ne de prendre le parfont (la haute mer), il n’y veoient ne prouffit, ne honneur pour yaux, car sitost que li Espagnol les veroient fuir, yaux qui ont leurs gallées armées et pourveues de grant fuisson de rimeurs, leur seroient moult tost au devant, et les aroient à vollenté avoecq le blamme et le reproce qu’il aroient du fuir. De quoy, tout considéret et peset le bien contre le mal, il dissent que il atenderoient l’aventure de Dieu et se combateroient à l’endemain, tant qu’il poroient durer, et se venderoient plus chier que oncques gens ne fissent, siques sus ces proupos et avis il s’arestèrent, et passèrent le nuit au plus biel (du mieux) qu’il peurent.
Celle meysme nuit et tout le soir estoit en grant prière et pourcach (préoccupation ?) messires Jehans de Harpedanne, un chevalier englès et sénescaux de le Rocelle pour le temps, enviers chiaux de le ditte ville, et leur disoit et monstroit comment leurs gens se combatoient as Espagnols, et qu’il ne s’aquitoient mies biens quant il ne les aloient aidier ; mès, quoyque li chevaliers les sermonast, ne amonestast, il n’en faisoient nul compte, et montrèrent bien li pluisseur par samblant qu’il avoient plus chier le dammaige des Englès que l’avantaige. A ce dont estoient en le Rocelle doy gentil chevalier de Poito, li sires de Tannaibouton et messires Jaquèmes de Surgières, liquel pour yaux acquitter dissent qu’il se meteroient en barges et en batiaux et venroient dallés leurs gens, et prièrent estroitement et fortement à ciaux de le ville qu’il volsissent aller avoecq yaux, mès oncques nus ne dist : « Vollentiers, » ne ne s’avancha de l’aller (s’avança d’y aller). Quant ce vint à lendemain qui fu la nuit Saint-Jehan-Baptiste l’an mil CCC.LXXII, et que li flos de le mer fu revenus, li chevalier qui en le Rocelle se tenoient, ne veurent (voulurent) mies estre là trouvé séjournant, et il veyssent leurs gens combattre, mès s’armèrent au plus tost et dou mieux qu’il peurent, et entrèrent et se fissent menner et navyer à esploit de rimmes (à force de rames) à l’endroit de leurs gens qui jà se combatoient, et tant alèrent tourniant les gallées et les Espagnols qui entendoient au combattre, qu’il vinrent jusques à yaux, et entrèrent ens ès nefs dou conte de Pennebrucq et de mon seigneur Guichart d’Angle, qui leur seurent moult grant gret de leur secours et de leur venue. Jà estoit li estours et li hustins commenchiet très le point dou jour, qui fu ossi fors et ossi bien combattus que on vey oncques gens sus mer combattre ; car li assallant estoient droite gens de mer, fort et rade, et bien durant et esploitant en tel besoingne, et li Englès très-bien deffendant ossi vassamment (bravement) que on vey oncques gens, et ne l’avoient mies li Espagnol d’avantaige, car li chevalier englès, gascons et poitevins, qui là estoient, se combatoient et deffendoient leurs corps et leur navie de très-grant vollenté et moult durement, comment que la parchon (partage – la balance n’était pas égale) n’estoit mies juste pour yaux ; car li Espagnol estoient grant fuisson, et se n’y avoit si petit varlet entre yaux, qui ne fesist otant que uns homs d’armes en lors gallées, car il jettoient d’amont pierres de fais (en quantité), plommées (massues de plomb) et gros barriaux de fier, dont il débrissoient et deffroissoient tous les vaissiaux des Englès. Là fu li jones (jeune) contes de Pennebrucq très-bons chevaliers, et fist merveilles d’armes de se main, et ossi furent messires Othes de Grantson, messires Guicars d’Angle, messires Aimeris de Tarse, li sires de Tannaibouton, li sires de Puiane, messires Jakèmes de Surgières, messires Jehans Harpedane, messires Jehans Tinfort, messires Jehans de Gruières, messires Jehans Toursès, messires Jehans de Lantonne, messires Simons Housagre, messires Jehans de Mortain, messires Jehans Touchet et li autre chevalier et escuier, et estoient par ordonnanche espars par leurs vaissiaux pour mieux entendre à leurs gens et rencoragier les lassés et les esbahis (effrayés).

A ceste bataille, qui fu, devant le Rocelle, des Espagnols as Englès, eut ce jour fait maintes belles appertisses (prouesses) d’armes, car là s’esprouvoient li hardit et li bien combatant ; mais au voir dire (à vrai dire) li Espagnol avoient moult grant avantaige de bien assaillir et de requerre (attaquer) leurs ennemis, car il estoient en grans et gros vaissiaux, c’on dist gallées, toultes frettées et armées, qui se remonstroient deseure (dépassaient en hauteur) tous les vaissiaux des Englès, et pooient veoir li Espagnol par dedens leurs vaissiaux, et point li Englès en chiaux des Espagnols. Et estoient li jet et li cop lanchiet et ruet des vaissiaux des Espagnols en chiaux des Englès de plus grant force et de plus grant vertu sans comparisson, pour ce qu’il descendoient de plus haut que ne fuissent chil des Englès. Si traioient (tiraient) li archier d’Engleterre moult fortement et très-ouniement, mès li Espagnol estoient bien paveschiet contre ce, et ne leur fist li très mies trop grant dammaige. Ensi en che hustin et en celle rihotte (désordre, mêlée) se tinrent li Englès tout ce jour, et quidoient toudis (croyaient toujours) que chil de le Rocelle les deuissent comforter et secourir, mès il n’en avoient nul talent (volonté, désir), enssi qu’il apparu ; car oncques plus nuls ne s’en partirent, fors li III chevaliers dessus nommet, qui se veurent acquiter de leur honneur, ensi que tout loyal chevalier par droit et raison doient faire en tels besoingnes.

Là estoient li IIII patrons et cappitainnes des Espagnols, chiacuns en une gallée et entre ses gens en bon convenant (en bon ordre), et monstroient bien chière (apparence) et fait de hardit homme, et resbaudissoient grandement leurs gens, et disoient en leur langage : « My enfans, esploitiés-vous (hâtez-vous) et ne vous esbahissiés de cose que vous voyés ; car ceux-chy sont nôtre, et apriès venront tout li autre. » De ces parolles avoient li chevalier englès et gascons, qui les entendoient, grant indination, mès amender ne le pooient ; si en faisoient leur pooir et leur devoir à leur milleur entente, et s’abandonnoient de grant vollenté et chacun pour rencoragier l’un l’autre. Enssi continuèrent-il et persévérèrent le plus grant partie dou jour, et tant furent li Englès et chil de leur costé fort requis, combattus et apresset (pressés), qu’il furent durement lasset et foullé, et ne se peurent plus tenir, et en furent li Espagnol mestre et les conquissent par force d’armes, mès moult leur cousta de leurs gens, car là avoient ossi bonne chevalerie tant pour tant que on peuist point recouvrer, et bien le monstrèrent, car point ne se vorrent (voulurent) rendre jusques a tant que force leur fist faire et que autrement leurs nefs euissent estet touttes effondrées et yaux perdus sans merchy. Là furent mort de leur costé messires Aimeris de Tarse, gascons, bons chevaliers et preux durement et qui estoit yssus de tamainte dure besoingne (qui avait survécu à mainte chaude affaire ?), et avoecq lui messires Jehans de Lantonne, messires Simons Housagre et messires Jehans de Mortain, messires Toucet et pluisseurs autres, et pris li contes de Pennebrucq, messires Guichars d’Angle, messires Othes de Grantson, li sires de Puiane, li sires de Tannaibouton, messires Jehans de Harpedane, messires Robers Tinfort, messires Jehans de Gruières, messires Jaquèmes de Surgières, messires Jehans Toursès, messires Thummas de Saint-Aubin et bien XVII chevaliers, tous de nom : oncques nuls n’escappa de ceste armée, que ne fuissent tout mort ou tout pris. Et fu li vaissiaux péris et effondrés, où li finanche estoit, que li roys englès envoyoit en Poito pour gagier IIIm combatans et payer, se il besoingnoit, un an. Si poés bien croire qu’il y avoit grant somme de florins, et oncques ne fist aise, ne prouffit à nullui, dont ce fu dammaiges qu’il en eschéi (advint) enssi ; et en furent li Espagnol meysmement courèciés (courroucés), quant il le sceurent ; mès ce fu si tart qu’il n’y peurent pourveir de remède.

Qui se treuve en tel parti d’armes que li dessus dist, il convient qu’il prende en gré l’aventure que fortunne li envoie. Che jour l’eurent moult dur li Englès pour yaux et par le coupe de monseigneur Guichart d’Angle et de monseigneur Aimmeri de Tarse qui là demoura, et dou seigneur de Puiane, qui avoient emfourmé le roy englès qu’il estoient gens assés pour arriver en Poito, de CCC ou de CCCC, siques li roys sour leur requeste se fourma et leur acompli leur demande, dont il leur mesvint (mésarriva) ; et, au voir dire, il s’estoient trop foiblement parti d’Engleterre, seloncq le grant fuison d’ennemis qu’il avoient par mer et par terre.

Apriès celle desconfiture et que li Espagnol eurent quis et cherchié touttes les nefs des Englès et pris les barons et les chevaliers et fait entrer en leurs gallées, et qu’il se furent tout saisi de leurs armures et les eurent fianchiés (fiancer : laisser libre un prisonnier sur parole), il se tinrent tout quoy à l’ancre devant le Rocelle en atendant le marée et le flos de le mer qui devoit revenir, en menant grant joie et grant reviel (fête, tapage). Bien virent et congneurent tantost chil de le Rocelle que leurs gens estoient desconfi, dont li pluisseur en requoy (en secret) furent tout joyant, et ne volsissent mies que la besoingne fuist autrement allée pour nul avoir, et espécialemeni li plus grant maistre de le ville, car il leur estoit segnefiet et dit pour certain que on devait prendre XII de leurs bourgeois à élection, sus lesquels li roys englès et ses conssaux estoient mal enfourmet, et mener comme prisonniers en Engleterre. Pour celle cause et celle doubte il s’en portèrent et passèrent plus bellement. Nonpourquant il se faindirent adont pour apaisier les ennemis, et cloïrent leurs portes moult estroitement, et s’armèrent touttes manières de gens, et alèrent as cretiaux et as portes, as tours, as gharites par connestablies, et ne laissièrent nullui entrer, ne yssir ; car il disoient enssi qu’il ne savoient que li Espagnol penssoient et se il les venroient assaillir : pour tant se tenoient-il sour leur garde, mès li Espagnol n’en avoient nul tallent fors de partir au flos revenu et de tourner vers Espaingne et là mener leur concquest et leurs prisonniers à sauveté. Che soir escéi trop bien à monseigneur Jame de Surgières, un chevalier de Poito, qui là estoit pris ; car il parla si bellement et si sagement à son mestre qu’il fu quittes parmy CCC frans franchois qu’il paya tous appareilliés, et fu renvoyés arrierre en le Rocelle, delivres sicomme vous avés oy. Et pour l’onneur de chevalerie on mist tout les chevaliers qui là avoient estet mort, en une barge, et les envoyèrent li Espagnol en le Rocelle. Là furent-il recheu et ensepveli en sainte terre.

Quant li flos de le mer fu revenus et que li mestre patron et souverain des Espagnols, loist assavoir : Ambroise Boukenègre, Cabesse de Vake, dan Ferrant de Pyon et Radigo de la Roselle, eurent ordonné leur besoingnes et mis gens et maronniers (matelots) ens ès nefs englèces qu’il avoient concquis, pour gouvernner et amener avoecq yaux, il sachièrent les singles (littéralement : tirèrent les voiles) amont et se désancrèrent, et se partirent trompant et cornemusant et faisant grant feste, et entrèrent ou parfont pour prendre le mer d’Espaingne.

Chronique des quatre premiers Valois, publiée par Siméon Luce (1862, p. 232-234)

Vous aves ouy comme le roy Henry fut fait roy d’Espaingne par la puissance du roy de France et par les gens d’armes que Bertran de Clacquin (du Guesclin) et le Besgue de Villaines menerent en Espaingne. Cestui roy Henry d’Espaingne fist une armée de vingt galées et y mist à cappitaine son amiral, lequel estoit moult vaillant preudomme. Il parti d’Espaingne et failli à trouver le navire (la flotte) de France et singla vers La Rochelle et Poitou. Et lors le conte de Penembroc à tout grant (avec) armée d’Angloiz venant d’Angleterre estoit venu à La Rochelle et avoit mandéz les haulz hommes de la terre comme monseigneur Richart d’Angle et autres. Alors aparut le navire d’Espaingne. Et les virent les Anglois qui à merveilles en furent liéz, car ilz ne prisoient riens les Espaingnolz. Et entrerent les Anglois en leur navire. Le conte de Penembroc, qui estoit bon chevalier, se mist es plus grans vaisseaulx et les meillieurs de ses gens, et se mist en mer pour combatre les Espaingnolz. L’amiral d’Espaingne, qui estoit tres sages du fait de la mer, vint à ses galées pour hardoier (pourchasser) les Angloiz et fît paleter (tirer) à eulx et traire. Et se tenoient au large de la mer. Puis fit l’amiral d’Espaingne retraire galées. Et lors les Angloiz les pristrent à huer et crier. « Endallez (allez-vous en !), Endallez, failli Espaingnol, mauvais recreant (couard) ! » Adonc leur dit le conte de Penembroc : « Ne nous remuons. Demain les Espaingnolz vendront à la plaine mer, et lors nous les forcloron et nous combatrons. Car à nous n’auront point de durée, se vient à la bataille. » Ainsi le firent les Angloiz comme le conte de Penembroc avoit dit, et les Espaingnolz se retrairent. Adonc leur dit leur amiral : « Beaus seigneurs , se vous me crees, je vous rendroy demain les Angloiz desconfiz. Ilz nous attendent à la plaine mer. Qui me croira, de la première marée nous leur courrons seure (courrons sus). Et vecy raison. Nos galées sont legieres, et leurs grans nefz et leurs grans barges sont pesantes et fort chargées. Et ne se pourront remuer de basse eaue, et nous les assauldron et de feu et de trait. Se vous estes bonnes gens, nous les desconfiron. » Ainsi comme l’amiral d’Espaingne le devisa il fut fait. L’andemain, au point du jour et au commencement de la marée, la mer encorres si petite que les nefz d’Angleterre ne flotoient point, les Espaingnolz les vindrent ressaillir fort et roide et prindrent fort à traire feu et gresse (à feu et à huile) aux nefz des Anglois. Là oult une trop dure bataille et pesant. Moult viguereusement se deffendirent les Angloiz, maiz ilz ne se donnèrent de garde qu’ilz virent leurs nefz toutes esprises de feu. Là fut horrible chose à ouir le bruit et la noise tant du feu comme le bruit des chevaulx qui ardoient (brûlaient) es fons des vaisseaulx. Le dit amiral d’Espaingne et jusques à six galées se adrecerent à la nef de monseigneur le conte de Penembroc et monseigneur Guiffart de l’Angle, ung bon chevalier de Poitou. Et là oult trop grant bataille et trop forte. Et moult vassaument se combatirent les Angloiz et traioient fort contre les Espaingnolz. Maiz getterent et trairent tant efforciement feu et cresse en la nef du conte de Penembroc qu’elle fut toute esprise. Et quant les chevaulx qui estaient en fons de la nef sentirent le feu, faisoient les nefs toutes froisier et rompre. Lors quant le conte de Penembroc vist qu’il ne povoit plus durer pour le feu, il se rendi et monseigneur Guiffart de l’Angle. Là fut grant destruction et occision de gens et de chevaulx, tant d’ars (brûlés), de noiéz et d’occiz du trait. Car plusieurs saillirent en la mer de la rage du feu qu’ilz sentaient. De ceulx de La Rochelle en y oult il moult de mors et noyez qui s’estoient mis en bateaulx petiz pour secourir les Anglois. Lors apres ce que les Espaingnolz ourent desconfiz les Angloiz et prins des plus suffisant (des plus importants), ilz ardirent la plus grant partie du navire des Angloiz, puis eurent conseil qu’ilz retournerent en Espaingne.

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