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1576 - 05 Recueil en forme d’histoire - Les Taillefer par François de Corlieu

dimanche 27 mai 2007, par Pierre, 5105 visites.

SECOND LIVRE,
TRAICTANT DES COMTES HEREDITAIRES D’ENGOMOIS,
QUI COMMENCERENT SOUBS LE ROY CHARLES, SURNOMMÉ LE CHAUUE.

Livre II - 1ère partie - Les TAILLEFER
De Vulgrin, premier comte héréditaire d’Angoumois en 866 à Isabelle d’Angoulême, mariée en 1202 à Jean Sans Terre, roi d’Angleterre, toute la dynastie des Taillefer par François de Corlieu, historien angoumoisin du XVIème siècle.

- ch. 1 - De Vulgrin, premier comte héréditaire d’Angoumois (comte en 866)
- ch. 2 - Aldoin, deuxième comte héréditaire d’Angoumois
- ch. 3 - Guillaume, surnommé Taillefer (+ en 956)
- ch. 4 - Arnault Taillefer (de 956 à 991)
- ch. 5 - Guillaume Taillefer (de 991 à 1027)
- ch. 6 - Aldouin Taillefer (de 1027 à 1028)
- ch. 7 - Geoffré Taillefer, septième comte d’Angoulême (de 1028 à 1048)
- ch. 8 - Foulques Taillefer, huitième comte d’Angoulême (de 1048 à 1087)
- ch. 9 - Guillaume Taillefer, troisième de ce nom, neuvième comte d’Angoulême (de 1087 à 1120)
- ch. 10 - Vulgrin Taillefer, deuxième de ce nom, dixième comte d’Angoulême (de 1120 à 1140)
- ch. 11 - Guillaume Taillefer, quatrième de ce nom, onzième comte d’Angoulême (de 1140 à 1177)
- ch. 12 - Vulgrin Taillefer, troisième de ce nom, douzième comte d’Angoulême, et Guillaume, cinquième de ce nom, treizième comte d’Angoulême (de 1177 à 1178)
- ch. 13 - Aymar Taillefer, quatorzième comte d’angoulême (de 1178 à 1217)
- ch. 14 - Isabelle Taillefer, reine d’Angleterre et Hugues de Lusignan, de par elle quinzième comte d’Angoulême (de 1217 à la mort d’Isabelle, le 31 mai 1246)

Suite du Livre II : Les Lusignan

 CHAPITRE PREMIER - DE VULGRIN, PREMIER COMTE HEREDITAIRE D’ENGOMOIS.

Emenon comte précdent decedé, affin que le pays ne demeurast sans gouuernement, Charles roy de France , surnommé le Chauue, qui lors viuoit, y enuoya pour commander, vn sage et preux cheualier de son lignage nommé Vulgrin, frère de Aldoin, abbé de Sainct Denis, l’an de salut huict cens soixante et six, et le fit aussi comte, ou gouuerneur de Perigord.

Emenon auait bien laissé vn fils qui fut nommé Aymar : mais il ne luy succéda point au gouuernement d’Engomoys à cause de son bas âge. Le chroniqueur Aymar et la pancarte de Charroux, asseurent que cet Aymar despuis fut comte de Poictou et qu’il espousa Sanche, fille de Guillaume fils de Vulgrin, ce que i’ay bien voulu laisser par escript, pour ce que maistre Iean Bouchet, autheur des annales d’Aquitaine, ne fait point mention de ce comte Aymar. Les mots de la pancarte sont :
« Odone Francorum Rege regnante, Ramnulphus comes Pictauorum in aula eius veneno periit filiumque suum, Eubolum paruulum ad tuendum Vuilielmo Comiti Aluernensi reliquit. Interim vero quidam Ademarus filius Emenonis Comitis Engolismensis, qui frater Turpionis aeque comitis Engolismensis fuit, comes Pictauorum a supradicto Odone promotus est. Huic coniux nomine Sancia fuit quae prole sterilis extans ex suis praediis ecclesiam Christi sibi fecit haeredem. Haec ergo Voartam Karrofo dédit, Multonem Sancto Martiali, Goruillam Sancto Eparchio, Nerciacum Sancii Ioanni et Corcolinum Sancto Hylario, etc. »

Adiouste Aymar chroniqueur, que le comte Aymar fut enterré en la ville de Poictiers près l’église Sainct Hylaire et qu’après sa mort, Ebles fils de Raoul reprint le gouuernement de Poictou que son père auoit tenu. Bouchet appelle le pere d’Ebles, Girard.

Pour reprendre le propos de Vulgrin, ie n’ay peu autrement sçauoir qui il estoit, le temps iniurieux et la nonchalence de nos pères nous ont enuié cette cognoissance. Tant y a qu’on tire d’vn passage de Platin en la vie des Papes qu’il estoit parent du roy, comme il sera dit cy après. I’ay trouué seulement en quelques vieilles peinctures le blason de ses armoryes, qui estoyent lozenges d’or et de gueules.

Aymar raconte que auecques Vulgrin, le roy enuoya à Engolesme vn euesque nommé Oliba, pour succéder à Gombaud qui estoit mort, et que de leur temps vn euesque du pays de France qu’il appelle Fredeberthus vint en voyage à Sainct Cybart, ou il fit bastir vne église (ie croy que c’est celle qui estoit nagueres) et après voulant retourner en son pays fut preuenu de mort et là enterré.

Vulgrin espousa la fille de Guillaume premier de ce nom, comte de Toloze, laquelle luy porta en dot la vicomté d’Agen, et de ce mariage vindrent deux enfans Aldoin et Guillaume.

Ie n’ay leu autre chose de luy, fors ce qu’en. dit Aymar que tant qu’il vesquit il eut guerre aux Normans, contre les incursions desquels il fit bastir les chasteaux de Marcillac et de Mastas (et leur ayant vaillamment résisté par lespace de trente quatre ans qu’il fut comte) deceda plain de iours et d’honneur : fut enterré à Sainct Cybart, ou il esleut sa sepulture et de ses successeurs. De son temps il y eut deux euesques à Engolesme, Oliba dont nous auons parlé, et Godalberthus duquel ie ne sçay que le nom.

 CHAPITRE II - ALDOIN, Devxiesme comte hereditaire d’Engomois.

L’an que Vulgrin deceda, Charles le Simple fut fait roy de France, et pour son ieune âge luy fut donné tuteur Eude maire du palais, fils de Robert comte d’Angers, lequel Eude vsurpa la totale auctorité du royaume, et pretendoit vn temps se faire roy : mais il mourut allant son mineur et ce qu’il ne peut executer le fut en fin par Hugues Capet, petit fils de Robert son frère, et deslors la puissance des roys de France commença à affoiblir, tant pour le peu de valeur de ce roy et de quelques autres ses successeurs qui dégénérèrent de la vertu de leurs ancestres, que pour les affaires des Normans qui continuoient de trauailler la France, et sur tout par les dissentions qui estoyent entre les princes pour le gouuernement. Au moyen de quoy le duc et les comtes de Guyenne, lesquels auparauant estoyent destituables à la volonté des roys, s’approprièrent de leurs gouuernements et les firent héréditaires, estant les roys possédés par les maires du palais, les maires assés occupés pour droisser leur partie, et contens de laisser en paix les autres affin d’y demeurer aussi. Et voila comme le gasteau fut party. Ce fut la cause pour laquelle les enfants de Vulgrin incontinent après sa mort s’emparèrent, scauoir Aldoin du comté d’Engolesme, et Guillaume de celuy de Perigord, esquels ils se maintindrent contre les incursions des Normans, auecques grande réputation et honneur.

Aldoin fait comte d’Engolesme, voyant sa ville qui autrefoys auoit esté démantelée par Pepin, pere de Charlemaigne, et nagueres prinse et ruynée par les Normans rester presque inhabitée, se print à la rebastir et releuer les murailles d’icelle, tant que, à l’aide des gents du pais, il paruint en peu de temps à ce qu’il desiroit et la rendit si forte que ce fut deslors le propugnacle et seur refuge de tous les peuples de par-deça, ainsi qu’il est dit en la pancarte de Charroux, de laquelle, parce qu’elle parle aussi d’Aldoin et d’vn cas mémorable qui lui aduint, i’ay bien voulu icy transcrire les propres mots.

« Nam mortuo rege Karolo et quibusdam regibus qui ei in regno successerant vita exemptis : Odone autem qui con-silio Francorum cum esset dux Aquitaniae, rex eleuatus fuerat, principatum obtinente : Normani gens non mediocriter perfida à natiuo solo more formicarum ebullientes fines galliarum et precipue Aquitaniam continuis improuisisque discursibus depopulabantur. Quorum metu accolae regionis compulsi ad munitiora superioris Aquitaniae se cum suis contulere loca. Karrofenses etiam Monelij sua queque optima ad castrum sancri Iuonij, quod ei Eufrasia comitis Rogerij vxor dederat, deportauere, dominicam virtutem praetiosioraque reliquiarum pignora penes se retinentes. Sed cum vis persecutionis Normanorum magis magisque per regionem desaeuiret, tandem ipsi cum dominica virtute et his quae secum retinuerant vrbem Engolismam , quae tunc temporis inter Aquitaniae vrbes tum murorum ambitu tum naturali loci situ munitior habebatur, petiuere, ibique donec persecutio miseratione diuina refriguit in simul habitauere. Cessante autem infestatione Normanica et reddita Ecclesijs pace, cum ad sua redire disponerent, Alduinus filius Vulgrini comes ciuitatis Engolismae, prauo suorum deceptus consilio, dominicam virtutem fratribus abstulit penesque se retinere voluit. Iussit itaque oratorium quod in capite Ecclesiae Sancti Eparchij erat et adhuc superest quibus ornamentis valuit honestissime adornari, ibique incomparabilem thesaurum deponi diligenterque obseruari. Quod quantum diuina virtuti displicuit subsequens indicium declarauit, nam idem comes graui corporis languore per septennium percussus compulsus est credere, quanta esset insolentia mortalem hominem immortali Deo iniuriam facere. Populus etiam ciuitatis ab vltione tantae insolentiae non fuit extorris ; tanta enim fames per vniuersam pene regionem dicitur subintrasse vt vnusquisque vicinum suum ad deuorandum perquireret inuentumque sine vllo miserationis respectu deuoraret. Qua cornes perterritus vltione quod prius rogatus facere noluerat postea longe aliter quam aliquis opinari potuisset fecit. Componi enim capsulam et eam inaurari gemmisque decorari iussit, compositaque sicut voluerat dominicam virtutem in ea posuit et per filium suum Vvilelmum cognomine Ferri incisorem, Karrofensi ecclesiae magna cum veneratione remisit ; moxque plaga cessauit ; pro satisfactione quoque quam sanctae virtuti intulerat, villam quandam Lubiliacum nomine iuri eiusdem Ecclesiœ mancipauit, atque vno tantum postea superniuens anno, commune omnibus mortis debitum soluit. » C’est à, dire : Après la mort de Charles le Chauue et d’aucuns roys ses successeurs, au temps d’Eude roy de France auparauant duc d’Aquitaine. Les Normans gens cruels et desloiaux descendus sans nombre de leur païs couroyent comme formis et ribloyent toutes les Gaules, et mesmement l’Aquitaine. A la venue desquels le peuple se retira auecques ce qu’il peut de ses biens es lieux plus forts de la haute Aquitaine. Entre autres les moines de Charroux sauuerent tout leur meilleur au chasteau de Sainct Igony (que iadis Eufraze femme à Roger comte de Limoges leur auoit donné) reserué la saincte vertu (c’estait vn reliquaire que leur auoit donné Charlemaigne ) qu’ils retindrent par deuers eux. Toute-fois s’enflammant d’auantage la fureur de cette persécution normanique, ils furent contraincts se retirer en la ville d’Engolesme, laquelle pour lors estoit estimée la plus forte de toute l’Aquitaine, tant pour la situation du lieu que force des murailles, là demeurèrent auecques leur reliquaire iusques à ce que la persécution eust pris fin : après laquelle, comme les moynes pensoient retourner en leur conuent, Aldoin fils de Vulgrin comte d’Engolesme leur osta ledit reliquaire et le mit en vne chappelle qui estoit et encores est à Sainct Cybart, laquelle pour cet effect il fit décemment préparer et le reliquaire garder soigneusement, ce que Dieu print à desdaisir, car Aldoin frappé d’vne griesue langueur par l’espace de sept ans fut contrainct de recognoistre sa faute, le peuple mesme du pais puny pour le péché de son seigneur fut affligé d’vne si cruelle faim gale qu’ils se mangeoient les vns les autres sans pitié. Parquoy Aldoin fit faire vne chasse enrichie d’or et de pierries, et en icelle fit mettre le reliquaire, lequel il renuoya honorablement au lieu de Charroux. par son fils Guillaume surnommé Taillefer, et si bailla à l’abbaye pour réparation de son forfait la seigneurie de Lubillé. Ainsi print fin cette playe faimgaliere ; toute-fois le comte mourut dedans l’an par après.

Voila vne histoire que plusieurs estimeront fabuleuse et sentir sa marmite : mais qu’ils entendent vn autheur approuué ancien et estranger qui la confirme, comptant toute-fois la chose quelque peu autrement et attribuant au fils ce que la pancarte dit du père. C’est Platin en la vie du pape Théodore second qui dit ainsi :
« Agebantur haec in Italia cum Vuilelmus cognomento Sector ferri Engolismae comes a Carolo caluo originem ducens monasterio Karrofensi Reliquias sanctorum quae incursionis Normanicae tempore inde ablatae fuerant restitui mandauit. Videbat enim seditionem inter populos orituram quiescentibus Normanis nisi in loco pristino reliquiae collocarentur. »

De l’histoire suscripte nous aprenons la façon de la mort d’Aldoin et qu’il eut vn fils nommé Guillaume ce qu’aussi a escript le chroniqueur Aimar, lequel dit d’auantage que Aldoin fut comte vingt et neuf ans et enterré à Sainct-Cybart ioignant son père.

Quant à Guillaume comte de Perigord, il eut vn fils nommé Bernard qui luy succéda, et eut vne fille appellée Sanche, dont nous auons parlé, et c’est tout ce que iay trouué d’Aldoin , au temps duquel deceda l’euesque Godebert, auquel succéda Fulcadus, duquel ie ne sçay autre chose.

 CHAPITRE III - GVILLAVME , surnommé TAILLE-FER

Premier de ce nom, troisiesme comte d’Engolesme.
Aymar de Chabanoys en son histoire des Françoys dit que le surnom de Taille-fer fut donné à ce comte pour vn coup d’espée qu’il donna en vne bataille qu’eut son père contre les Normans, duquel coup il fendit leur capitaine nommé Stonius, corps et cuirasse iusques à la poictrine. Ce que dit Plutarque auoir esté fait auparauant par Pyrrhus roy des Epyrotes en vne rencontre auecques les Mammertins, et les histoires de la guerre Saincte depuis, par Conrad empereur des Romains au siège de Damas. Pour ce beau coup d’espée Guillaume transmit le surnom de Taille-fer à toute sa postérité.

Aucuns ont voulu dire que le comte Guillaume n’estoit que nepueu d’Aldoin comte precedent : mais cela est prouué faux par la pancarte de Charroux et par Aymar.

II fut des plus vaillans et hardis seigneurs de son temps qui mit fin de pardeça à la guerre des Normans, et mourut après auoir esté comte vingt et sept ans, l’an neuf cens cinquante et six, fut enterré à Sainct-Cybart, laissa vn fils nommé Arnault ou Hernault.

Au temps de Guillaume viuoient Aymar, comte de Poictiers, Sanche fille de Guillaume comte de Perigord sa femme dont nous auons parlé cy-dessus, lesquels n’ayans point d’enfans donnèrent tous leurs biens aux églises. Sanche suruesquit son mary et fut enterrée à Sainct Cybart auecques son ayeul.

Aymar raconte que Vulgrin auoit donné Mastas [1] et Marcillac à vn sien parent nommé Raoul, les enfans duquel, Lambert, Arnault et Odolric furent accusez d’auoir voulu empoisonner Sanche, et furent Lambert et Arnault faits mourir par Girard comte de Perigord pour ce fait ; Odolric fit son appoinctement et luy donna d’abondant le comte Guillaume la seigneurie de Montignac.

Furent aussi de mesme temps deux euesques à Engolesme successeurs de Foucault, Ebles et Raoul.

 CHAPITRE IV - ARNAVLT TAILLE-FER, Qvatriesme comte d’Engoulesme,

Arnault que la pancarte de Sainct Aimand apelle Hernault succéda au comte Guillaume son pere l’an neuf cens cinquante et six. Aucuns ont dit qu’il estoit frère vterin de Guillaume : mais Aimar asseure le contraire et dit que cet Arnault fut laissé fort ieune par son père, au moyen de quoy ses cousins de Perigord enfans de Girard et les seigneurs du pays entre lesquels il nomme Guillaume Tallerand et Raoul Bompar, soubz ombre de gouuerner l’enfant, s’emparèrent du comté d’Engomois et le possédèrent par force l’espace de trente ans. Toutefois à la fin Arnault, à l’aide de ses barons recouura son héritage et despuis ne vesquit que six ans, qui sont en tout trente six ans qu’il fut comte, sa femme estoit nommée Rainguarde, de laquelle il eut un fils appelé Guillaume qui luy succéda. Durant la poursuitte qu’il fit au recouurement de sa terre, il voua de fonder vne abbaye au lieu ou sainct Amand hermite, iadis disciple de Sainct Cybard, estoit mort à trois lieues d’Engolesme en la forest de Boixe, laquelle abbaye il commença : mais il ne la peut paracheuer pour le peu de temps qu’il vesquit après ledit recouurement, toute-fois la fondation luy est attribuée. Mourant il ordonna estre enterré en habit de moine, et le fut à Sainct Cybart auecques ses prédécesseurs.

De son temps viuoyent les enfans de Girard comte de Perigord, Helie qui succéda au comte, Audebert et Boson, desquels Aymar raconte que Helie fut blasmé d’auoir fait creuer les yeux à vn sien ennemy suffragant de l’euesque de Lymoges, et affin d’auoir absolution de ce cruel acte voulut aller à Rome : mais il mourut par les chemins, et luy succéda Audebert.

Du mesme temps fut bastie et fondée vne autre Abbaye par vn seigneur de Marthon, au lieu despuis appelle Gros-bost, pour lors estant euesque d’Engolesme Hugues successeur de Raoul.

 CHAPITRE V - GVILLAVME TAILLE-FER, Devxiesme de ce nom, cinquiesme comte d’Engolesme.

Gvillaume fils de Arnault succéda à son père, l’an neuf cens quatre vingts et vnze, et fut comte d’Engolesme trente et six ans. Il illustra grandement par sa vertu et prouesse le nom et la maison des Taille-fers. Sa femme nommée Girbergue estoit fille à Geoffré Grise-gonnelle, grand maistre de France et comte d’Anjou, tante de Constance, femme de Robert roy de France, de laquelle Gibergue il eut le vicomté de Blaye sur Gironde en dot, et de leur mariage vindrent quatre enfans, Aldoin ou Hyldoin et Geoffré qui luy succédèrent, Arnault et Guillaume qui moururent auant luy.

Il fut homme non moins religieux que vaillant et généreux, ce que tesmoignent ses gestes tant d’une part que d’autre, car en premier lieu son père decedé, il n’eut rien plus cher que de pa-racheuer l’œuure de l’abbaye Sainct Amand, acquittant par la le vœu que son dit père auoit fait, laquelle abbaye il dotta richement. D’auantage il fut deux fois en pelerinage, l’vne et la première à Rome, durant le jubile de l’an mil deux, auecques Guillaume duc de Guienne, et comte de Poictiers, Sans ou Sancius, duc de Gascogne, Gilbert euesque de Poictiers, Gri-moard d’Engolesme et Islo de Xainctes. La seconde fut en Ierusalem (encores pour lors possedée par les infideles) et fut son chemin par les Allemaignes tant à l’aller qu’au retour, où Estienne premier roy chrestien de Hongrie luy fit grand accueil, et plusieurs beaux présens de reliquaires, croix, chappes, et autres ornements d’eglise qu’il donna à l’abbaye de Sainct Cybard et quand à sa vaillance, les guerres qu’il eut en son temps en font assez de preuue. La première desquelles fut contre aucuns parents de sa femme qui s’estoient emparez du chasteau de Blaye. La seconde, contre Aimery de Rançon prince de Taille-bourg pour les frontières de leurs pays, en laquelle guerre Aimery fut tué par Geoffré fils du comte : la tierce fut à son retour de Rome contre les enfans de Odolric vicomte de Marcillac, desquels, Guillaume et Odolric auoient pendant son absence fait creuer les yeux à Aldoin leur puisné, pour lequel fait confisca le comte Guillaume leur fief, et d’autant qu’ils tenoient fort en leur chasteau de Marcillac les y assiégea, print le chasteau et réunit à son domaine auec la terre de Montignac : mais il bailla la terre de Ruffec à Aldoin pour recompense de son droict.

Aymar dit que Guillaume Teste-d’Estouppe duc de Guyenne et comte de Poictiers lui assista en personne en la première et dernière de ces guerres, pour l’amitié qui estoit entr’eux, et que le duc l’auoit en telle réputation qu’il ne faisoit aucune chose sans son conseil, mesmes luy donna en fief les vicomtes d’Aulnay, Melle et Roche-chouart, et les seigneuries de Ruffec, Confolent, et Chabanois.

Ayant surmonté ses ennemis et pacifié son païs il appliqua son esprit aux exercices de paix, sçauoir à faire des mariages, et à bastir. Il maria Aldoin son fils aisné auecques Alauzie fille de Sans duc de Gascogne, qui luy porta en dot le chasteau de Fronsac, et Geoffré son puis-nay auecques Péronnelle, fille héritière de Maynard seigneur de Boutheuille et d’Archiac. Et quant à ses édifices, il fit faire en la ville vn palais pour sa demeure, près l’église Sainct André, duquel on voit encores quelques restes pour le iourd’huy, et bastit le chasteau de Montignac des pierres et matière du chasteau d’Anzone, qui estoit là près, lequel il ruyna.

A son partement pour aller en laTerre Saincte, qui fut en sa dernière viellesse, il donna la charge de ses affaires à Aldoin son fils, duquel la femme ennuyée de la trop longue vie de son beau père, et d’ailleurs ayant gousté pendant cette absence des honneurs et proffits du gouuernement qui deuoit estre osté à son mary par le retour du bon homme, machina de le faire mourir à l’ayde d’vne vieille damoiselle de sa maison qui se mesloit de sorcelerye, et de fait le comte ne fut plustost de retour qu’il acoucha au lit d’vne langueur, laquelle luy dura sept ou huict mois, et en fin le mit en l’autre monde.

Pendant qu’il trainoit de cette maladie, cette sorcière fut souspeçonnée et accusée : et d’autant qu’il y auoit quelques preuues à l’encontre d’elle, non toutefois suffisantes, elle fut condemnée fournir vn cheualier qui en duel maintint le faict de son innocence contre vn autre que le comte fourniroit (car telle estoit la coustume de ce temps là, à deffaut de preuue, et adiugeoit on gain de cause à celuy qui estoit supérieur par les armes). Le combat fut fait en l’isle de Sainct Pierre, qui est la plus proche de la fontaine duPallet, soubz la muraille de la ville, regardant tout le peuple des murailles en hors. Et Dieu qui ne vouloit que telle meschancetté demeurast impunye donna victoire au champion du comte, tellement que la sorcière fut condamnée à mort, comme conuaincue du crime, qu’elle confessa despuis, et fut sçeu qu’elle auoit ensorcelle le comte en vne image d’argille faite à sa semblance, et que Alauzye femme d’Aldoin lui auoit fait faire.

Non pourtant retourna le comte à conualescence, car la poison qu’il auoit trop supportée luy auoit desia saisy le cœur : mais après auoir longuement trainé et languy rendit l’esprit à Dieu entre les bras de Roho son euesque, le iour de Pasques fleuries, l’an mil vingt et huict, au grand regret de tous ses subjects, et le mesme iour son,corps fut porté en l’église cathedralle où il demeura iusques au lendemain qu’il fut conduict en grande assemblée de peuple au Moustier de Sainct Cybart, et là enterré par les euesques d’Engolesmes et Perigueux Roho et Arnault deuant le grand autel, ou encores ces iours passez on voyoit sa sépulture auecques cette inscription :
« Hic iacet dominus Amabilis Guilielmus comes Engolismae qui ipso anno quo redijt de Ierusalem obijt in pace Octauo idus Aprilis vigilia Osannœ, Milesimo vigesimo octauo anno ab incarnatione. Et tota eius progenies iacet in loco Sancti Eparchij. v
Du viuant du comte Guillaume furent à En-golesme deux euesques, Grimoard et Roho, Grimoard le fut l’an neuf cens nonante et deux, et mourut l’an mil dix-huict. Il fut aussi abbé de Sainct Cybart, dont il mesnagea asses mal le temporel et non guerres mieux le spirituel (de ce temps là il y auoit de mauuais euesques aussi bien que maintenant). Il eut différent auecque Guy vicomte de Lymoges et fut par luy mis en prison, de laquelle ayant trouué moyen d’eschapper s’en alla de ce pas à Rome, où le vicomte fut appelle et condamné pour auoir mis les mains sur vn euesque, à mourir desmembré par quatre cheuaulx : mais ils s’accordèrent et au retour de Rome Grimoard sacra à Engolesme auecques l’archeuesques de Bourdeaux, Aldoin frère du viccomte, euesque de Lymoges, auquel sacre se trouuerent le comte Guillaume, et les ducs de Guyenne et de Gascoigne. Quant à Roho il fut homme de bien.

Du mesme temps viuoit Boson comte de Perigord qui s’estoit emparé du comté sur Bernard fils de Audebert son nepueu (car Audebert estoit mort incontinent après son frère Helyes) et fut Boson à la fin enpoisonné, laissé vn fils nommé Helye duquel Guillaume duc d’Aquitaine fut curateur, qui accorda les enfans des deux frères, baillant à Bernard le comté de la Marche, qui leur estoit escheu de par leur ayeuile, et à Helye celuy de Perigord.

Aussi furent basties et fondées en Engomois deux abbayes, celle de Bassac par Vuardrade, seigneur de Iarnac, et Rixendis sa femme, et celle des Chastes qu’on appelle Chastres en la terre de Merpin, par vn seigneur de Bourg-charante, duquel ie n’ay peu sçauoir le nom.

Dit plus Aymar de Chabanois qui finist icy son histoire, que les Normans descendirent derechef en Guyenne et bruslerent la ville de Xainctes : mais il ne cothe point l’année.

 CHAPITRE VI - ALDOIN TAILLE-FER, Devxiesme de ce nom, sixiesme comte d’Engolesme

Ie m’estois oublié d’escrire que le comte Guillaume après la descouuerture du poison que luy auoit fait donner sa nore Alauzie, fit son testament, par lequel il ordonna que Aldoin son fils aisné luy succederoit.au comté, et après Aldoin Geoffre son ieune fils et les descenduz de luy : ne voulans que les enfans de Alauzie héritassent en aucune- chose de ses biens. Suyuant ceste ordonnance Aldoin se porta comte d’Engolesme après la mort de son père, et des le lendemain de son enterrement, aduerty que Geoffré s’estoit emparé du chasteau de Blaye, monta à cheual auecque tant de gens qu’il peut finer, et fit telle diligence qu’il surprint son frère, et reprint le chasteau : mais il ne fut plustost de retour qu’il entendit que Geoffré à l’ayde des parents de sa femme auoit recouuert sa perte, toute-fois a la fin Geoffré fut contrainct de soy humilier et contenter des trois quartes parties du vicomté de Blaye pour son partage, demeurant l’autre quarte partie et le chasteau à Aldoin pour sa part du bien maternel.

Comme plus grands differens se brassoient entre eulx, Aldoin mourut vn an seulement
après son père, laissant deux enfans nommez Guillaume et Arnauld, et fut enterré à Sainct Cybart par l’euesque Roho.

 CHAPITRE VII - GEOFFRE TAILLE-FER, Septiesme comte d’Engolesme.

Apres le décès d’Aldoin, Geoffré ne faillit pas de se saisir du comté suyuant le testament de son père, reprint le vicomte de Blaye à sa main, et-pour la part que y auoient ses nepueuz, leur donna le vicomte de Mathas. Ce faict, appliqua son esprit à deuotion et à faire administrer iustice à ses subjectz, n’ayant aucune guerre ne autres affaires à quoy s’employer soit qu’il fust de naturel paisible et aymait le repos, ou que Dieu voulust bénir ses iours d’vne heureuse paix. Il n’y eut abbaye, monastère ne église de marque en son pays ausquels il ne fist quelque bien. Il donna à l’abbaye Sainct Amant de Boixe la paroisse de Vindelle en tout droict de iurisdiction, à celle de Sainct Cybart ce qu’il auoit es paroisses de Saincte Arede, Champmillon et Mont-liard, et fit plusieurs biens au prieuré de Boutheuille que Ildegarde mère de sa femme auoit fondé et fait bastir, comme du tout i’ay esté informé par les Chartes qu’il en fit expédier, signées de luy et de ses enfans.

Il adiousta au domaine des comtes d’Engomois ces deux belles terres de Boutheuille et Archiac, qu’il eut de sa femme, situées au plus beau et riche pays de toutes les contrées de pardeça. Et pour sa bonté et puissance fut aymé et redoublé de tous ses voisins. Il eut cinq enfans, Foulques qui luy succéda, Geoffré surnommé Rudel, Arnault dit de Montauzier, Guillaume et Aymar. Il fit vn voyage outre mer comme auoit fait son père, et après auoir esté comte vingt ans mourut n’ayant encores ateint l’aage de cinquante ans : fut enterré à Sainct Cybart.

Péronnelle sa femme, après le decez de son mary, se retira, et vesquit longuement vefue en son chasteau de Boutheuille, s’emploiant d’vne religieuse affection à paracheuer l’œuure du prieuré, en commançé par sa mère : où en fin elle ordonna estre inhumée non en l’église : car de ce temps la aucun n y estoit enterre (s’estimans noz pères en estre indignes) mais à la porte d’icelle, et se voit encores ceste inscription contre vne pierre au deuant du lieu ou estoit sa sépulture : Hic iacet ancilla Christi Domini Petronilla,, Epitaphe vrayement chrestien.

Du temps de ce comte furent deux euesques à Engolesme : Roho duquel nous auons parlé, qui mourut l’an mil quarante, et Girard premier de ce nom son successeur, duquel ie n’ay leu autre chose, fors qu’il vesquit vingt ans en ceste charge.

Du mesme temps fut fondée l’abbaye des nonnains de Xainctes, par Geoffré Martel, comte d’Anjou, et de Xainctonge et Agnès sa femme auparauant mariée auecque Guillaume Teste-d’Estoupe, duc d’Aquitaine et comte de Poictiers, et fut présent nostre comte à l’acte qui en fut fait.

 CHAPITRE VIII - FOVLQUES TAILLE-FER, Huictiesme comte d’Engolesme.

Les cinq frères partagèrent les biens de leur maison comme s’ensuit : Geoffré eut le vicomte de Blaye, Arnauld la seigneurie de Montauzier (membre pour lors du comté d’Engomois), Guillaume et Aymar furent d’église, euesques d’Engolesme l’vn après l’autre, d’ailleurs petitement appanés, à Foulques comme aisné demeura le reste des biens, sçauoir les terres de Boutheuille, Archiac, Marcillac, Montignac, et ce qui estoit de l’ancien domaine de la maison d’Engolesme, auecque le tiltre de comte : et si luy escheurent encores depuis, par succession de ses frères qui moururent sans enfans, les terres de Blaye et Montauzier.

Foulques fut comte trente et neuf ans, et fut vn temps mal conduisant ses affaires, pour quelques querelles qu’il print assez de gayeté de cœur auecques les siens et ses voisins, car venant l’euesché à vacquer par la mort de Girard, il s’empara des fruicts dudict euesché, prétendant que ceux de la première année luy appartenoient par forme d’annate, à quoy s’opposa son frère Guillaume esleu euesque, et eurent de grandes guerres et differens la dessus : mais à la fin ils s’accordèrent. Autre guerre eut il, et qui estoit de plus grande conséquence, auecques Guillaume Geoffré, duc d’Aquitaine, et comte de Poitiers, (ie n’ay peu sçauoir pour raison de quoy) de laquelle aussi il appointa par l’interuention de l’euesque son frère que le duc aymoit bien fort et auquel il auoit donné la thezaurerie de Sainct Hilayre de Poitiers, (comme disent nos mémoires :) sa femme se nommait Condoha : mais ie n’ay leu de quelle maison elle estoit. Il eut d’elle trois enfans, Guillaume, Geoffré, et Foulques : mourut l’an mil quatre vingts et sept, et gist à Sainct Cybart.

L’euesque Guillaume estoit mort longtemps deuant, sçauoir l’an mil soixante et quatorze. I’ay trouué au trésor de son église qu’il auoit fait bastir le château qui est sur le gouffre de la riuiere de Touure.

A l’euesque Guillaume succéda Aymar son frère, homme doulx et débonnaire, qui aussi eut bonne part auecques le duc Geoffré, lequel il accompaigna allant en Espaigne pour guerroyer les Sarrasins comme i’ay leu, et fut euesque vingt et sept ans ; sa sépulture se voit en son église, contre la muraille à costé du cœur neuf sur la main senestre.

Du viuant de ce comte, à son exemple, presque par tout l’Engomois, les gentils-hommes s’emparèrent des biens et reuenus des églises chacun endroict soy, comme i’ay veu par la chartre de la fondation de l’église de Chasteauneuf sur Charente, de laquelle chartre on tire encores que anciennement le lieu de Chasteauneuf, n’estoit qu’vn petit bourg, appellé Berdeuille, ou y auoit vn vieux chasteau, qui par accident fut bruslé en l’an mil quatre vingts et vn, et d’autant que ce chasteau fut rebasty à neuf, le lieu perdit son premier nom, et fut deslors appelle Chasteau-neuf.

 CHAPITRE IX - GVILLAVME TAILLE-FER, troisiesme de ce nom, neufiesme comte d’Engolesme.

Ce Guillaume aisné fils de Foulques et son successeur au comté, fut homme de petite stature, mais apert et adroict aux armes, au faict desquelles il passa le meilleur de son âage. La première guerre qu’il eut, fut auec vn Aymar qui pretendoit part en Archiac. Bardon seigneur de Coignac, et Aldoin seigneur de Barbezieux portoient son party, à l’aide desquels Aymar trouua moyen d’entrer en la place, et la tint longuement par force : mais enfin Guillaume recouura sa perte. Sorty de là eut différent auecque le duc de Guyenne pour le chasteau de Beauuoys sus Mastas qui appartenoit à sa femme : le duc auoit mis le siège deuant le chasteau de Marcillac, mais le comte le leua et contraignit son ennemy de se retirer. Non content des guerres qu’il auoit en son pais pour la deffence de sa terre, il en fut cercher au loing, car le comte de Lezignam Hugues, pretendoit quelque droict au comté de la Marche, et en guerroyoit le comte qui estoit parent de Guillaume descendu des comtes de Perigord. Guillaume fit son propre de la querelle de son parent, et empescha les desseings de Hugues qui auoit pour luy toute la noblesse de Poictou. Ces guerres que nos pères n’ont daigné autrement mettre par escript, durèrent plus de vingt ans, et après, Guillaume qui eut remors de sa vie passée, pensa de se retirer du monde. Il auoit trois beaux enfans, Vulgrin, Raymond et Foulques, establit Vulgrin son aisné, son successeur et principal héritier, se deschargeant sur luy du gouuernement du pais, à Raymond, donna la vicomte de Fronsac, (ie ne sçay comme il estoit retombé en la maison d’Engolesme) et à Foulques la Chastelenie de Montauzier : de ce Foulques sont descendus les sieurs de Montauzier, qui à présent sont. Ayant ainsi disposé ses biens, se retira au Moustier de Sainct-Cybart, où il passa le reste de son âage, viuant solitairement : mais approchant sa mort. Dieu luy mit au cœur d’aller en voyage outremer, auquel voyage l’accompagnèrent plusieurs de ses barons, et au retour trauersant les Allemaignes, deceda en vne Abbaye que nos mémoires appellent Ducense, où il fut enterré l’an mil cent et vingt, trente et trois ans après qu’il eut succédé à son père : on lit de luy qu’il estoit en son temps si adroict à cheual qu’il ne fut jamais désarçonné, et si puissant qu’il perçoit d’vn coup de lance vn homme armé ; c’est tout ce que i’en ay trouué.

Maintenant pour traitter des hommes illustres qui furent de son temps en Engomois, nous auons premièrement cet Aldoin ou Ardoin sieur de Barbezieux et Bardon fils d’Ilgere sieur de Coignac, desquels nous auons parlé. Guy seigneur de la Roche-Foucault et Emery son frère. Helie Bauderant, seigneur de Iarnac, et Boson son frère qui espousa la fille de cet Emery : Iourdain seigneur de Chabanois, et autre Iourdain son fils, tous grands et puissans seigneurs : La postérité desquels et de plusieurs autres grandes familles du mesme pais, vous trouuerez au progrès de cet histoire. De ceux-cy ie n’ay autre chose par escript, fors que Bardon et l’aisné Iourdain qui firent le voyage d’outre-mer auec Godefroy de Boloigne, lors que la saincte Cité de Hierusalem fut conquise par les François l’an mil quatre vingts dix neuf, auquel voyage Iourdain mourut et que le nouueau seigneur de Chabanois fonda après le decez de son père l’Abbaye d’Esterp en la Marche. Aussi i’ay trouué que ces Bauderans, sieurs de Iarnac estoient enfans de Pierre, mary de Agnès Corgnol fille de Lambert, fils de Vadrade, duquel nous auons parlé en la vie de Guillaume second.

Entre les personnes illustres de ce temps là, ie ne veux oublier de mettre cet Hugues, comte de Lezignam, duquel nous auons parlé, d’autant que sa postérité à despuis commandé en Engomois. Toutefois ie ne vous diray de luy autre chose, fors qu’il fut surnommé le Brun, et estoit vn moult grand seigneur, parent et apanagier des comtes de Poictou qui estaient lors.

Mais sur tous mérite d’estre recommandé Lambert, instituteur et fondateur de l’Abbaye de la Coronne près Engolesme, lequel de simple curé qu’il estoit de sa paroisse, là près s’accompaignant de quelques autres gens de l’Eglise ,.et auecqu’eulx faisant vœu monachal osa entreprendre par les aumosnes du peuple de bastir ceste Abbaye, laquelle en magnificence d’édifices, bien temporel, ioyaux, ornemens et nombre religieux, a esté estimée vne des plus belles de la Guyenne, et fut l’œuure encommancé l’an mil cent dix-huict.

Au mesme temps fut translaté par l’euesque Gerald, le corps de sainct Auzone du lieu où il estoit en son église près la porte d’icelle, et fut mis derrière le grand autel, ainsi qu’il a esté sçeu ces iours par vne lame de plomb trouuée en son tombeau lors que par les guerres il fut violé, où l’histoire de la translation estoit escripte, et y fut encores trouué grand nombre de pièces de monnoye d’argent et d’aloy, qu’il est croyable y auoir esté iettées par le peuple assistant à ladite translation : ces pièces auoient la croix d’vn costé, et quatre bezans de l’autre, auecques ceste inscription : Lodoicus Ecolissimœ, qui sont les noms du roy lors régnant et de la ville.

 CHAPITRE X - VVLGRIN TAILLE-FER, devxiesme de ce nom, dixiesme comte d’Engolesme.

Vvlgrin fut grand homme vaillant et hardy, autant ou plus que nul de ses prédécesseurs, heureux en ses entreprinses qui furent grandes et hautes : car outre qu’il estoit d’vn bon et généreux naturel, il auoit longuement esté à l’escolle de son père, et conduict ses guerres en partie. Quand à celles qu’il eut de son chef, on conte comme durant le voyage de son père, il guerroya le seigneur de la Roche-Foucault Aymar, fils de Guy„ et luy print quelques places en Engomois. Après cela et son père mort, voulant faire reparer le chasteau de Blaye qui estoit ruyneux, fut empesché par Guillaume Geoffré, duc de Guyenne et comte de Poictou, qui enuyoit sa prospérité et redoutoit sa puissance ; mais Vulgrin fit ce qu’il vouloit malgré le duc. De la à quelque temps le seigneur de Chabanois et Confolant, Iourdain et Amélie sa femme moururent , laissée vne seule fille, laquelle Vulgrin fiança à un sien parent nommé Robert de Bourgoigne et l’enuestit des biens qui auoient apartenu à Iourdain. Le duc de Guyenne qui luy en vouloit et duquel ces deux terres releuoient, trouua moyen de s’en emparer et ne le peut Vulgrin si tost r’auoir, tellement que le Bourguignon de despit se fit moine ; mais le duc mourut peu après, et deuant que son fils Guillaume cinquiesme aussi duc de Guyenne et comte de Poictou s’en print garde, Vulgrin recouura sa perte, maria la fille auecq Guillaume de Mastas frère de Robert de Mont-Beron, et mit bonnes garnisons es chasteau et places fortes desdites terres. Mes mémoires disent que le nouueau duc de Guyenne fit semblant de vouloir courir sus à Vulgrin et assembla quelques gens de guerre à Lymoges : mais en fin le nez luy seigna. Il eut aussi différent pour le chasteau de Montignac auecq’ vn parent de l’euesque Gerald, qui s’en estoit emparé à la persuasion du duc, et à ceste fois presques tous les seigneurs du pays furent contre luy, sçauoir Ythier de Coignac, Ythier de Ville-Bois, Geoffré de Rançon sieur de Taille-Bourg et Hugues de Lezignan, malgré tous lesquels il se fit maistre du chasteau, et y fit bastir la vieille tour que on y voit de présent. On fait mention encores d’vn autre exploict de guerre que fit Vulgrin. Le duc auoit razé vne forte place près de Pons, nommée la Tour Geoffré, le seigneur de Pons, à qui la forteresse apartenoit, appella à son secours Vulgriii, et estoit on prest à se battre sans l’interuention de Lambert, euesque d’Engolesme, successeur de Gerald, qui les accorda. Il auoit proietté beaucoup d’autres desseings, mesmes de chastier les seigneurs de la Roche-Foucault et de Vertueil qui luy estoient desobeissans, mais la mort le preuint au cinquantiesme an de son aage, vingt ans après le decez de son père, l’an mil cens quarante, mourut d’vne fiebure chaude au chasteau de Boutheuille entre les mains de de l’euesque Lambert, et est enterré à Sainct Cybart, en le chapitre, sur main senestre.

Le comte Vulgrin fut marié deux fois : de sa première femme eut vn fils nommé Guillaume, et de la seconde, fille au comte de Chastelerauld, deux, Foulques et Geoffré, surnommé Martel.

Furent comme il se voit deux euesques de son temps, Gerald et Lambert, et quanta Gerald nous trouuons qu’il fut trente ans euesque, l’eust esté plus longuement sans vn accident qui luy aduint : pour lequel entendre faut présupposer, que ayant Gerald esté légat des papes Paschal et Honoré, et venant le siège à vaquer par la mort d’Honoré, furent par les cardinaux esleuz deux papes, scauoir Innocent et Anaclet, auparauant appelle Pierre Léon : Gerald, le duc de Guyenne et la pluspart des euesques de par deçà tindrent le party d’Anaclet, mais Innocent, pour lequel tenoit le roy gaigna sa cause, et furent déclarez scismatiques les partisans d’Anaclet : mesmes à Gerald, comme tesmoigne Bernard Guy au cathalogue des euesques de Lymoges, fut ostée la légation et l’euesché d’Engolesme, duquel par ce moyen fut pourueu Lambert, homme de saincte vie, tiré du cloistre par les suffrages du peuple, pour seoir en la chaire de Sainct Auzone. Ces deux euesques furent grandement renommez de leur temps, Gerald par son authorité et les biens qu’il fit à son Eglise, laquelle outre ce que nous auons dit cy deuant, il décora de l’édifice du grand clocher qui y estoit naguerres autant beau qu’il en fust point, et qu’il fit bastir à ses despens, et ; Lambert pour sa bonne vie. I’ay leu de Lambert au trésor de l’église cathedralle d’Engolesme qu’il se trouua aux Estatz que Loys le ieune roy de France, tint à Bourdeaux pour le mariage de luy auecques Alienor, fille de Guillaume, duc de Guyenne, et eut différent au conclaue des euesques pour la séance, prétendant que l’Euesque d’Engolesme estoit le premier, et doyen des euesques suffragans de l’archeuesque de Bourdeaux, ce qu’il obtint, et despuis ses successeurs ont conserué cette authorité.

Du temps de ces deux euesques furent basties trois abbayes en Engomois, outre celle de la Couronne, sçauoir celle de Bournet par le sieur de Montmoreau ; de la Frenade, par celuy de Coignac, et de Celle-Froin par les bien-faicts et aumosnes des habitans du lieu ; ainsi s’exerçans les chrestiens d’alors comme à l’enuy aux œuvres de pieté : considère, lecteur , Quantum distemus ab illis.

Du mesme temps viuoient entre les hommes de renom cet Aymar de la Roche-Foucault, fils de Guy, Ythier de Ville-Bois, Robert de Mont-Beron et Geoffré de Rançon, dont nous auons parlé, Hugues de Lezignan, dit le grand Hugues fils du Brun, Helie de Iarnac fils de Pierre, qui eut pour tous enfans vne fille nommée Nobilie, que Ythier de Coignac, fils de Bardon espousa, Iordain de Chabanois second, qui fonda l’abbaye de l’Esterp.

 CHAPITRE XI - GVILLAVME TAILLE-FER, qvatriesme de ce nom, unziesme comte d’Engolesme

le n’ay point trouué quel partage eurent Foulques et Geoffré Martel, enfans puis-naiz de Vulgrin : mais seulement que l’aisné nommé Guillaume , fut comte d’Engolesme après son père, et fut le quatriesme de ce nom, qui trouua à son aduenement les affaires de sa maison assez paisibles et en bon estat, tant sçeut la mémoire de la grandeur de son père contenir ses voisins en deuoir : mais comme les grands esprits communément ne peuuent demeurer en repos, aussi n’ayant Guillaume à quoy s’occuper contre les estrangers, tomba incontinent en trouble auecques ses plus proches subjectz : entre lesquels choisissant l’euesque Lambert, luy osta d’abordée aucuns biens que son père auoit donné à l’Eglise, et encores depuis (comme l’euesque s’opposa à cette force) s’empara de tout son temporel : dont Lambert fit plaincte au roy Loys le ieune qui lors estoit, lequel en rescriuit au comte, et fut la teneur de ses lettres, que i’ay trouuées au trésor de l’Eglise d’Engolesme, telle qui ensuit.

« Ludouicus Dei gratia Rex Francorum, et dux Aquitaniae, Guilielmo Engolismensi Comiti fîdeli nostro salutem et dilectionem. Peruenit ad aures Regiae dignitatis nostrae, quod in bonis Engolismensis ecclesiae manus extendis, quae predecessores nostri Francorum Reges eidem ecclesiae contulerunt, quam et fundarunt : Haec oppressio in nostram redundat iniuriam, qui ecclesiam Christi debemus defendere : et predecessorum nostrorum elemosinas conseruare : ea propter fidelitati tuae per regia scripta mandamus, quatenus Engolismensem Ecclesiam et bona illius pro amore, et honore nostro in omni pace et quiete dimittas, nec amplius damnum inferre praesumat : Nos autem cum ad partes illas venerimus, si quid inter vos et Episcopum querelarum emerserit, ad modum et concordiam studiose reuocare curabimus. »

Et au moyen de ces lettres fit le comte paix à l’euesque Lambert : lequel euesque mourut l’an mil cent quarante et neuf, selon la pancarthe de l’Abbaye de la Couronne où il fut enterré : et la mesme année selon aucuns, le roy Loys entreprint le voyage d’outre-mer, et mena sa femme Alienor auecques luy, auquel voyage luy fit compagnie le comte Guillaume, qui pour fournir aux fraiz engagea aux chanoines de l’église d’Engolesme la seigneurie de Iuillac le Coq, du consentement de ses frères, comme i’ay veu par la chartre qui en fut expédiée.

L’an mil cent cinquante et deux, le mesme roy surnommé le ieune, pour quelque soupçon qu’il auoit de sa femme, la répudia du consentement du pape, qui leur permit de eux marier ailleurs : ce fut vn acte bien ieune, et lequel a beaucoup cousté à la France, car Alienor se remaria quant et quant à Henry duc de Normandie , comte d’Anjou et du Mayne, qui venoit à la succession de la couronne d’Angleterre, et furent faites les nopces à Poictiers, ou se trouua le comte Guillaume et tous les vassauls du duché de Guyenne et comté de Poictou pour ce mandez, excepté toutes-fois le baron de Couhé qui estoit de la maison de Lezignan, et tenoit secrettement le party du roy : pourceluy fit guerre le duc Henry, en laquelle Guillaume, qui en vouloit à ceux de Lezignan, luy assista : mais en fin il fut fait quelque acord fourré.

L’an mil cens cinquante et quatre, à Henry escheut le royaume d’Angleterre par la mort du roy Estienne son cousin, et pour se faire aymer aux Anglois ses nouueaux subjetz, les appella en France, et les pourueut des honneurs et estatz de ses terres et seigneuries : mais ce voyans les seigneurs et gentilshommes de Poictou, qui du temps du ROY de France, tenoient lesdits estats, et commandoient au pays, et qu’ils estoient reculez par leur prince pour des nouueaux venuz, se laissèrent aisement pratiquer au roy, qui commançoit à recognoistre sa faulte : et entrèrent bien tost après en ligue contre Henry, Hugues de Lezignan, comte de la Marche, Hennery son frère, le baron de Couhé, le vicomte de Lymoges, les Chabots et plusieurs autres, et de cette intelligence fut le comte Guillaume, lequel fut tousiours depuis bon François.

Pendant que les affaires de la Guyenne se disposoient à troubles et diuisions pour les causes que i’ay dit, Geoffré Martel, frère du comte (qui ainsi fut dit pour sa force et vaillance), et Hugues de Lezignan, comte de la Marche, s’accompaignans de plusieurs gentils-hommes du pays firent le voyage d’outre-mer, où ils furent quelques années s’employans aux guerres que les chrestiens auoient là continuellement à soustenir à l’encontre des Arrabes, Sarasins et Egiptiens leurs voisins ; Guillaume, archeuesque de Thir, en son histoire de la guerre saincte, en fait mention quant il dit :

« Aduenerant illa tempestate quidem nobiles de partibus Aquitanicis : Gaufredus videlicet qui cognominatus est Martel, domini comitis Engolismensis frater, et Hugo de Leziniaco senior, qui cognominatus est Brunus, orationis gratia. »

C’est à dire : Arriuèrent en ce temps pour prier en la saincte Cité, quelques seigneurs d’Aquitaine, sçauoir Geoffré, surnommé Martel, frère de monsieur le comte d’Engolesme, et Hugues de Lezignan l’aisné, dit le Brun ; et conte cet historien qu’ils eurent bataille auecques Noradin, roy d’Egipte et le deffirent près de Tripoly d’An-tioche : mais le Brun fut prins prisonnier en vne rencontre par après, et demeura ,long temps esclaue des Egiptiens.

En ce temps Hennery, frère du Brun, faisoit bastir le fort chasteau de Lezignan à cinq lieues de Poictiers, et faisoit des ligues et menées par tout le Poictou contre le roy Angloys : lequel en fut aduerty, et venant à puissance de pardeça, courut toutes les terres de ses ennemis, ainsi que dit l’abbé Dumont es additions à Sigebert en ces mots :

« Pictaui et Aquitani ex maiori parte, id est Cornes de Marcha, Cornes Engolismensis, Hennericus de Leziniaco, Robertus et Hugo frater eius de Silleio et alij multi voluerunt rebellare contra Regem et incendijs et rapinis pauperum incumbentes circumquaque grassabantur, quod rex audiens impiger aduolat et eorum insaniae obsistens, Leziniacum novum castrum munitissimum cœpit, captum muniuit et villas municipiaque eorum destruxit. »

C’est à dire la pluspart des Poicteuins et de ceux d’Aquitaine, sçauoir le comte de la Marche, le comte d’Engolesme, Hennery de Lezignan, Robert et Hugues de Silli frères, beaucoup d’autres se rebellèrent contre le roy Henry et tenoient les champs robbans et pillans les pauvres gens. Ce que le roy entendant se présenta aussi tost pour leur résister, print le fort chasteau de Lezignan nouuellement basty, mit garnison dedans, et saccagea leurs villes et maisons.

Ce qu’il faut entendre des petites villes et maisons qu’ils auoient aux champs, car ie ne pense point que Henry s’adroisast aux grandes et fortes villes, comme Engolesme. Et d’autant que notre comte estoit le plus grand seigneur de ceux qui leur faisoient teste, aussi en fin luy voulut plus de mal que à tous les autres : ce qui est tiré de deux passages des anciens escriuains de ce temps là, l’vn est Bernard Guy quant il dit, qu’vne autre-fois Henry s’empara des terres de ses vassaulx de Poictou, par ce qu’ils soustenoient le comte d’Angolesme son ennemy (ce sont les mots de l’histoire), et l’autre est de l’abbé du Mont au lieu sus allégué, quant il parle de la guerre que fit Richard, duc de Normandie, fils de Henry, au viconté de Lymoges, à cause qu’il fauorisoit le party du comte Guillaume. Ce qu’il aduint l’an mil cent soixante et dix-sept. En ceste mesme année mourut Guillaume, laissez cinq enfans et vne fille : Vulgrin, Guillaume, Aymar, Griset, Foulques et Almodie. Griset et Foulques moururent ieunes : Almodie fut mariée deux fois, la première à Amand de Lebreth, et la seconde à Bernard, viconte de Broczes. Les trois autres succédèrent à leur père, qui fut enterré à Sainct Cybart.

Du temps de ce comte viuoient en Engomois d’hommes de nom, ceux qui ensuiuent : Ythier sieur de Barbezieux fils de Aldoin, Guy sieur de la Roche-foucault fils d’Aymar, Ythier de Villebois second de ce nom : Philippes sieur de Coignac et Merpin, qui espousa Amélie nièce de Nobilie dame de Iarnac, Robert de Montberon deuxiesme, Echiuat qui porta le nom de Chabanois fils de Guillaume de Mastas, et messire Helie Poupeau sieur de Bompar, cheualier de grande réputation. Furent aussi deux euesques d’Engolesme, outre Lambert, Hugues second du nom, et Pierre premier qui vesquirent en leurs charges trente et trois ans.

Du mesme temps fut baslie l’abbaye de Fontdouce en la terre de Coignac, par Alienor royne d’Angleterre, et l’église de Sainct Amand de Boixe, dédiée par Bernard, archeuesque de Bourdeaux, à laquelle dédicace se trouuerent Iean, euesque de Poictiers, Pierre de Perigueux, Aymar de Xainctes, celuy d’Engolesme, et des abbez, Pierre de Sainct lean d’Angely, Iordain de Charroux, Bernard de Nanteuil, Raymond de Baigne, Iulien de la couronne, ceux de la Celle, de Sarlat, de Lesterp, et de Cellefroin, comme l’ay veu par la pancarte dudit Sainct Amand.

 CHAPITRE XII – VVLGRIN, troisiesme de ce nom, et Guillaume cinquiesme, successiuement douziesme, et treziesme comte d’Engolesme

Il n’est presques point fait mention de ces deux frères en toute l’antiquité pour le peu de temps qu’ils furent comtes, et n’eussions sçeu qu’ils l’eussent esté, sans plusieurs chartres qui estoient au trésor des abbayes de Sainct Cybart et Sainct Amand qui font mémoire des biens et laiz qu’ils auoient fait à ces églises, que Aymar leur frère et successeur confirme et dit qu’ils auoient esté comtes auant luy, et estoient enterrez au chapitre dudit Sainct Cybart. Et par ce qu’il se trouue que leur père, mourut l’an mil cens septante sept, et que Aymar estoit comte l’an ensuiuant, il faut conclurre qu’ils ne furent tous deux comtes qu’enuiron vn an, tellement que venans à mourir sans enfans, le comté et entière succession paternelle paruint à Aymar, duquel nous allons traicter.

 CHAPITRE XIII - AYMAR TAILLE–FER, qvatorziesme comte d’Engolesme.

Aymar fut héritier des querelles de son père pour le party de France contre l’Angloys, dont il eut beaucoup à souffrir de son temps, car bien que Philippes, roi de France, luy tint la main, si ne pouuoit il faire qu’il ne se sentist bien souuent du voysinage d’vn tel et si puissant ennemy, aussi bien que ceux de Lezignan, enfans du comte de la Marche, lesquels furent contraincts de soy absenter du pays et se retirer en Iudée pour euiter la fureur de leur prince, comme nous dirons cy après. Geoffré de Rançon, fils du précèdent seigneur de Taillebourg tenoit bon auecques le comte Aymar, et quant Richard, fait roy d’Angleterre par le decez de Henry son père, se fut mis à chemin auecqu’ le roy Philippes pour aller outre mer, eux deux à la sollicitation de Philippes se mirent en armes pour greuer la terre de leur ennemy : mais Richard de retour eut sa reuanche, car il enuoya le fils du roy de Nauarre, son beau-frère, exprès pour guerroyer le comte Aymar et ses partisans, et après y vint luy mesme, et de ceste guerre parle Guillaume Neubrigence, historien angloys, en l’histoire de son temps, duquel, par ce que le liure n’est pas commun, ie suis content de mettre icy les propres mots.

« SANE ipso tempore infestabatur etiam à quibusdam nequissimis desertoribus in Aquitania , Geoffredo scilicet Ranconensi et Comite Engolismensi viris praepotentibus et Francorum à quibus instigati fuerant in eum fiducia multum ferocibus, sed filius Regis Nauarrorum, germanus Berengariae Reginae Anglorum cum exercitu Aquitaniam ingressus, terra vtriusque desertoris vastata, cum forte paterni decessus nuntium accepisset successionis gratia ad propria remeauit. Cumque post modicum fatalis memoratum Ranconensem necessitas sustulisset, Rex Anglorum cum exercitu superueniens famosissimum castrum eius quod dicitur Tailleburg, matura deditione obtinuit, moxque impetum in alium desertorern conuertens, Ciuitatem Engolismam cruenta celeritate expugnauit, rege nimirum Francorum dum haec fierent mollius agente , quem scilicet spes indiciarum de quibus inter eos iam tractabatur astute suspenderat. »

C’est à dire : Il estoit aussi trauaillé en ce mesme temps par quelques déserteurs en l’Aquitaine, sçavoir Geoffré de Rançon, et le comte d’Engolesme, hommes très puissans et fiers pour l’appuy des François qui les instigoient ; mais le fils du roy de Nauarre, frère de Berangere, royne des Anglois, entrant auecques forces en l’Aquitaine, courut et gasta toutes leurs terres : et quelques temps après comme Geoffré fut mort, suruint Richard en personne auecques armée, print par composition le fort et renommé chasteau de Taille-bourg, et de mesme pas tournant son effort contre l’autre déserteur se fit maistre, non sans grande effuzion de sang, de la ville d’Engolesme, se donnant ce pendant le roy de France du bon temps et s’amusant au proparler de trefues qui estoit entre eux. Cela aduint l’an mil cent quatre vingts et treze.

Quelque temps auparauant s’étoit marié le comte Aymar à vne bien noble et sage dame nommée Alayde de Cortenay, de laquelle il eut vne seule fille appellée Yzabel, qui fut vne des plus belles dames de son temps, et fort requise en mariage par les seigneurs du pays mesmes par Hugues de Lezignan, comte de la Marche, auquel elle fut promise et fiancée. Et estoit ce comte fils de Hugues le Brun duquel a esté parlé cy dessus.

L’an mil deux cens mourut Richard, roy d’Angleterre, et luy succéda Jean sans terre, son frère, qui ayant assez affaire ailleurs fit semblant pour le coup de vouloir viure en paix auecques le comte et ses partisans, et se reconcilia aucunement auecq’eux : mais cela ne dura gueres. Car l’an mil deux cens deux, voulant Aymar acomplir les nopces de sa fille, auecques le comte Hugues, et pour honorer la feste ayant inuité tous ceux de son lignage et le roy d’Angleterre mesmes qui se tenoit à Bourdeaux, comme aussi le comte de la Marche s’estoit accompagné grandement de ses parens et amys, aduint que l’Anglois qui auoit quelques jours auparauant répudié sa femme fille au comte de Glocestre, et estoit venu à ceste feste à grand puissance d’hommes armez, rauit à Hugues sa fiancée et la print pour luy, spectacle tragique et scandale le plus grand qui iamais aduint en Engomois. Les historiens racomptent cecy diuersement. La chronique de France dit que Iean fut aduerty que la fiancée estoit en vn chasteau et la rauit. Celle d’Angleterre taise ce rauissement, et au contraire escrit que la chose se fit du consentement du père, et par les menées et pratiques du roy de France, qui n’est croyable, attendu les differens qui ensuiuirent entre le roy lean et le comte Aymar. Celle de Flandres descrit le fait par le menu et plus vraysemblablement, car elle dit que Iean fut prié de mener la mariée au moustier. Et quant ils furent deuant l’euesque qui les deuoit espouser, le roy Iean luy dit : espouse moy ceste dame, car ie la veuil auoir à femme, et conuint que l’euesque les espousast n’ausant aucun résister à la volonté du roy, qui enmena quant et quant son espousée à Bourdeaux, présent et voyant son fiancé, Geoffré, comte de Lezignan, son frère ; Robert, comte d’Alençon, et plusieurs autres grands seigneurs lignagiers des partyes qui ne dancerent point à la feste ; et peut estre que Iean n’auoit point ceste intention quant il vint, ains fut esmeu de la beauté de la dame, et trouua que le comté d’Engomois luy estoit important pour ses affaires comme estant assiz à my chemin de Bourdeaux et Poictiers, et tout au milieu des terres qu’il auait en Guyenne.

Tant y a qu’il passa quant et quant en Angleterre, où il fit couronner la royne sa femme, de laquelle despuis il eut plusieurs beaux enfans, et d’eux sont descenduz les roys d’Angleterre qui à présent sont.

Par ce moyen fut la guerre renouuellée et plus forte que deuant entre l’Angloys, et ceux d’Engolesme et de Lezignan, lesquels aussi tost se declarerent ses ennemys, et se ioignirent à Arthur, duc de Bretaigne, son nepueu auquel de droict appartenoit le royaume d’Angleterre : mais Arthur ne vesquit gueres, et fut occis cruellement, comme on dit, par son propre oncle, chose qui refroidit aucunement la colère de noz comtes, et les contraignit de dissimuler leur iniure pour ; vn temps.

Ce pendant la royne Yzabel ne perdit pas temps, voulant par tous moyens réconcilier son mary auec son père, lequel en fin faisant vertu de nécessité, et considérant qu’il n’auoit rien perdu au change se fit amy de son gendre : comme aussi fit le comte Hugues, acceptant le gouuernement de Xainctonge que luy donna le roy anglois. Et quant à Aymar, il eust eu assez de charges et estatz du mesme roy, mais luy qui estoit desia vieil, se contenta de viure en paix, et gouuerner sa maison.

le n’ay point leu que Yzabel fust retournée en France despuis qu’vne fois elle eut passé la mer, sinon lorsqu’elle en reuint du tout après la mort de son mary, mais bien que le roy lean vint plusieurs fois à Engolesme voir son beau père, mesmement vne fois qu’il estoit accompagné du roy de Nauarre, et fut en voyage à la Couronne, comme i’ay leu en la vie de l’abbé Robert.

Ce roy lean administra fort mal les affaires de son royaume, et perdit vne bonne partie de ce qu’il tenoit en cestuy cy, car il fut accusé de felonnie par le procureur general du roy son seigneur de fief, et par iugement des pairs furent confisquées les terres qu’il releuoit de la couronne de France, toutes-fois il y eut appointement par lequel le roy luy remit ce qui est au-delà la riuiere de Dordoigne : il persecuta les gens d’eglise, et par ce fut excommunié par le pape, et son royaume interdit : mourut de mort soudaine en Angleterre, l’an mil deux cens dix-sept, laissez deux fils et trois filles de la royne Yzabel.

Le roy d’Angleterre mort, Yzabel se retira en France et laissa ses enfants soubz la charge des princes de leur sang, l’aisné desquels appelé Henry troisiesme fut roy après son père. I’ay leu que les habitans d’Engolesme, firent entrée à la royne, et que leur maire nommé Helie d’Aurifont luy présenta les clefs de la ville. Et peu après quelle fut arriuée deceda le comte Aymar son père, ancien et plain de iours, l’an mil deux cens dix-huict, lequel elle fit honorablement inhumer en vne chapelle qu’il auoit fait bastir, fondée de sainct Nicolas, au deuant de la grande porte de l’église de la couronne.

Aymar fut comte quarante ans, et de son temps viuoyent plusieurs nobles hommes, et de grande réputation en Engomois et ses finages , sçauoir : deux euesques, lean premier de ce nom, et Guillaume deuxiesme, Guy deuxiesme seigneur de la Rochefoucault, duquel i’ai veu tiltre qui encores luy donnoit les seigneuries de Vertueil, Blanzac, Marthon, Celle-froin, Baiec et Claiz : Rigault sieur de Barbezieux, Helies de Ville-bois fils de Ythier, Robert de Mont-Beron troisiesme, qui est enterré au cloistre du prieuré de la ville de Mont-Beron, auecques la dame Ieanne sa femme, de laquelle l’epitaphe est tel :
Christe tua manna pascatur donna Ioanna,
Curans haec legere dicat, Deus huic miserere.

Item Alo de Mont-Moreau qui gist sous le porche de l’eglise de Bournet, Guillaume fils d’Echiuat sieur de Chabanois et Confolant, et Hugues sieur de Mareuil, lequel à la iournée du pont de Bouines print prisonnier le comte de Flandres Ferrand, et pour raison de ce l’autheur des Annales de Bourgoigne dit le roy père de saint Loys luy auoir donné la seigneurie de Villebois ; mais il se trompe, car les roys n’auoient rien lors en Villebois ny n’eurent de cent ans après. De ce vaillant et preux cheualier Hugues est descendue la dame marquise douairière de Mezieres qui à présent est.

 CHAPITRE XIV. YZABEL TAILLE-FER , royne d’Angleterre, ET HUGUES DE LUZIGNAM , de par elle quinziesme comte d’Engolesme

Isabelle d’Angoulême - Abbaye royale de Fontevraud
Photo : P. Collenot - 2006

Yzabel la dernière de la puissante lignée de Taillefer, vnique héritière de la maison d’Engolesme succéda à son père Aymar l’an mil deux cens dix-sept, comme dit est, et estoit encores ieune femme ayant atteint l’aage de trante vn ou deux ans seulement, parquoy fut incontinant requise de mariage par plusieurs grands seigneurs, entre lesquels nul ne luy fut plus agréable que Hugues de Lezignan, comte de la Marche, son premier fiancé, qui despuis ne s’estoit voulu marier comme pronostiquant ce qui luy aduint. Et furent faites les nopces en la mesme année à grand assemblée de seigneurs de toute la Guyenne, Engomois et Poictou. Paul Emile est d’opinion que ce comte de la Marche n’est celuy auquel Yzabel auoit esté premièrement promise, mais vn autre de mesme nom et famille, quant il dit que il sembloit qu’elle fust deuë à femme, comme par quelque fatalité, à la maison de Lezignan. Toutes-fois la vérité est telle que nous auons dit, et ainsi l’ont escrit Polidore Virgile, et autres historiens anglois, qui adioustent que Yzabel pour ne sembler s’estre trop abaissée de veufue de roy d’Angleterre espouser vn simple comte, voulut retenir le nom de royne et telle estre appelée, voire par son mary mesmes : aucuns disent qu’elle le fit coucher par son contract de mariage, et les histoires luy en font reproche pour vne façon de faire inusitée et trop superbe. Ainsi faillit la lignée des Taille-fers ausquels succédèrent ceux de Lezignan.


[1Matha (17)

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