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1583-1588 - Angoulême (16) : Misère du peuple. Indigence de la municipalité. Grande peste ; les malades expulsés ou enfermés sous peine d’être arquebusés. Règlement des aumônes.

vendredi 20 février 2009, par Pierre, 2355 visites.

A Angoulême, le nombre des malades augmenta en automne [1583]. La ville, obligée d’avoir deux hommes pour enterrer les victimes de l’épidémie, donnait à chacun cinq écus par mois, une demi-barrique de vin et le chauffage. Ce prix élevé et la quantité de vin exigée témoignent de la peur qu’on avait de la contagion.

Il s’agit probablement de la plus importante épidémie de peste qu’ait connu la ville d’Angoulême au XVIe siècle : elle dura 5 ans.

Cinquième volet de l’étude d’Auguste-François Lièvre, en 1886.

Auguste-François LIEVRE, était Bibliothécaire-archiviste de la ville de Poitiers, correspondant du Ministère de l’Instruction publique. Il a été président de la SAHC en 1879-81, et en 1885-86.

Source : Bulletin de la Société Archéologique et Historique de la Charente - Année 1886

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Angoulême - Maison, rue Saint-Ausone, n°13
Inventaire Archéologique d’Angoulême - J. George et P. Mourier - Angoulême - 1907

V. 1583-1588. — Misère du peuple. Indigence de la municipalité. Grande peste ; les malades expulsés ou enfermés sous peine d’être arquebusés. Règlement des aumônes.

En 1583 on avait des craintes au sujet d’une épidémie qui sévissait dans d’autres provinces ; la ville tenait ses portes fermées et y faisait ses aumônes aux mendiants étrangers [1]. La peste pourtant ne paraît pas être venue à Angoulême.

Elle n’y était pas non plus l’année suivante au commencement du printemps, mais à ce moment on redoutait son approche, qui semblait annoncée par une affluence extraordinaire de nécessiteux, venant des campagnes avec l’espoir de recevoir aux portes de la ville quelques secours. Cependant la ville elle-même était si pauvre que, frappée d’un impôt de six cents livres, et voulant envoyer des députés porter des remontrances à la cour, elle ne put se procurer, ni par voie d’emprunt ni autrement, la somme de cent cinquante livres qu’il fallait pour le voyage.

Quant aux indigents, elle essaya de s’entendre avec les gens du roi et le clergé afin de pourvoir aux besoins les plus pressants. Il y avait à Angoulême sept ou huit aumôneries, fondées anciennement pour secourir les pauvres de chaque paroisse, mais qui se donnaient maintenant en bénéfice, comme les biens d’Église, et dont il ne revenait rien ou peu de chose aux malheureux. La municipalité fut obligée d’intenter un procès à celle de Saint-Pierre « aux fins de bailler l’aumône », et sept mois au moins se passèrent sans qu’elle en pût rien obtenir.

Au commencement de l’hiver, le corps de ville décida qu’il demanderait des lettres patentes pour lever sur les habitants une somme de cinq cents écus afin de subvenir aux besoins des indigents et aux frais d’un procès ruineux qui durait depuis trente ans ; mais il ne paraît pas que le roi ait répondu à cette requête : il voulait avant tout être payé d’une taxe de six cents écus imposés pour son propre compte. Des commissaires envoyés à Angoulême déclarèrent même que si cette somme n’était pas versée, ils constitueraient prisonniers un ou plusieurs des habitants, à quoi les bourgeois, réunis en maisée générale, répondirent « qu’il leur était du tout impossible de pouvoir payer ladite somme, et qu’en cas qu’on les y voulût contraindre, ils aimeraient mieux quitter la ville ».

Lors de l’élection du maire, au mois d’avril, on ne fit point le festin accoutumé, « eu égard au temps et peu de revenu et affaires de la maison de céans ».

Une nouvelle lacune dans les registres nous empêche de suivre le cours de l’épidémie et de la misère depuis cette époque jusqu’au mois de mars de l’année suivante.

Le mal, du reste, n’a fait que s’aggraver, et les difficultés d’y remédier sont toujours les mêmes. Ce n’est pas que le blé manque à Angoulême : des marchands forains y en ont amené d’assez grandes quantités afin de le sauver des gens de guerre qui battent la campagne. La municipalité a bien à cet égard quelque tentation ; mais finalement elle laisse les marchands libres de vendre leurs denrées à prix débattu et aussi bien au dehors qu’au dedans.

Il y a aussi des hôpitaux, mais ils manquent de tout. Les religieux de Saint-Cybard, qui doivent des meubles à ces établissements, n’en donnent point, et le plus important, celui de Saint-Michel, situé près de l’échevinage, n’a pour ainsi dire plus de toiture.

Angoulême - Porte, rue Sainte-Marie, n°28
Inventaire Archéologique d’Angoulême - J. George et P. Mourier - Angoulême - 1907

Le chapitre, on ne sait pourquoi, a suspendu ou restreint ses aumônes : « D’autant, est-il dit dans la maisée du 28 mars, que messieurs du chapitre de Saint-Pierre avaient accoutumé annuellement aumôner aux pauvres certaines quantités de pain que l’on appelait les oz, laquelle cette année ils ont discontinuée, a été arrêté que le maire avec les officiers ira par devers lesdits sieurs du chapitre Saint-Pierre et leur remontrera qu’ils avaient accoutumé bailler lesdits oz, et les priera convertir chacun desdits oz pour être mis une partie ès mains du receveur de la maison de céans pour être distribués par aumône générale qui se fera hors ladite ville aux pauvres, et les priera du reste le mettre ès mains de quelqu’un pour être distribué aux pauvres passants. »

Dans les premiers jours de mai, la ville fit avec deux barbiers un traité en vertu duquel ceux-ci’ se chargeaient de soigner les individus atteints de la contagion, moyennant qu’on donnerait par mois à chacun d’eux treize écus, un boisseau et demi de froment, plus,« , deux accoutrements de treillis », outre la nourriture et le logement. La nourriture était réglée à la moitié d’un mouton, une livre de lard et une pièce de veau par semaine, outre une barrique de vin de deux mois en deux mois. La municipalité fournissait les drogues.

Les deux barbiers où chirurgiens devaient être logés au faubourg de l’Houmeau ou dans le voisinage, à proximité de la maison de Saint-Roc.

Il fut décidé que des « loges » seraient construites pour mettre les « embrumés et autres qui commenceraient à guérir », et qu’une somme de deux cent cinquante livres serait levée sur les habitants pour faire face à ces diverses dépenses.

Il y avait bien un médecin à Angoulême, maître Pichon, mais la ville ne réclama pas ses soins. Il se « jactait » d’actionner le maire, parce que la veuve de Huguet Connydon et d’autres pestiférés, expulsés de leurs foyers, étaient allés s’établir dans sa maison de Chantegrelet. Ce fut là probablement ou la cause ou l’effet de la préférence donnée aux barbiers.

Deux femmes de la place du Marché-Vieux, « embrumées de la contagion pour avoir été ès maison dudit Connydon », furent à leur tour expulsées.

L’épidémie faisant encore plus de mal dans les environs qu’à Angoulême, on crut diminuer le danger des rapports avec les gens de la banlieue et de la campagne en tenant les marchés hors des murs, au lieu appelé Chez-Garnier, près de la Charente, au bout du faubourg Saint-Pierre. Le 22 juin, une ordonnance de police supprima même complètement le commerce du sel dans la ville et ses environs, parce que c’était à Angoulême que les marchands du Limousin venaient s’approvisionner et que la contagion ravageait cette province.

Au mois de juillet, la Rochefoucauld fut atteinte par le fléau.

A Angoulême, le nombre des malades augmenta en automne. La ville, obligée d’avoir deux hommes pour enterrer les victimes de l’épidémie, donnait à chacun cinq écus par mois, une demi-barrique de vin et le chauffage. Ce prix élevé et la quantité de vin exigée témoignent de la peur qu’on avait de la contagion. Une dame Martin, dite Delacame, soignait les pestiférés, au compte de la municipalité, moyennant cent sous par mois.

Le 13 novembre il venait, sans doute, de se produire une brusque recrudescence du fléau, car le corps de ville prend une résolution qui témoigne d’une véritable panique : « A été résolu, sur la proposition faite par le sieur maire, que tous ceux qui, dorénavant, seront frappés de contagion ou embrumés seront mis hors la ville ou cloués en leurs maisons, et, étant dehors la ville, n’y pourront plus entrer sans permission dudit sieur maire, sur peine, tant à ceux qui pourraient être refusant de sortir qu’à ceux qui voudraient entrer sans ladite permission, de leur être tiré un coup de trait ou d’arquebusade, ou autre punition telle que sera avisé par ledit sieur maire.. »
Les habitants de l’Houmeau, justement mécontents qu’on eût placé au milieu d’eux l’hôpital des pestiférés, avaient demandé qu’on éloignât ce foyer de contagion, en offrant de faire construire des loges pour recevoir les malades sur les chaumes de Vouillac. Dès le mois de juillet, la maison de Saint-Roc avait, en effet, été évacuée ; mais, l’hiver venu, les baraques n’étaient pas encore faites. Nous ne savons point si on les fit plus tard et nous ignorons de même ce que, en attendant, pouvaient devenir les malheureux qu’on chassait de chez eux.

Le 2 janvier suivant, un arrêt du parlement condamna la ville à « pourvoir à l’entretènement et nourriture des pauvres ». Il fut décidé alors qu’on lèverait une somme de cinq cents écus sur la ville et les faubourgs, mais la répartition s’en fit attendre jusqu’au printemps. Des mesures furent enfin prises dans la maisée du 3 avril, dont nous allons reproduire le procès-verbal :

« A été arrêté, suivant la délibération faite le jour d’hier à l’évêché, que, pour l’entretènement des pauvres de la ville, sera faite taxe sur chacun habitant par mois, et pour y parvenir sera fait rôle des pauvres de chacune paroisse et à quelle somme se monte la dépense requise pour leur nourriture, ayant égard à la nécessité desdits pauvres et déduction faite de ce qu’ils peuvent gagner pour eux et leur famille ; et en cas qu’ils ne puissent y subvenir entièrement par leur travail et industrie, et pour ce qu’il y a grand, nombre d’étrangers mendiants, tant de la châtellenie d’Angoulême que du pays d’Angoumois et hors icelui, auxquels il est besoin de pourvoir en tant que faire se pourra, a été arrêté qu’il sera présenté requête à monseigneur le sénéchal ou à son lieutenant aux fins que règlement soit par lui fait pour l’entretènement des pauvres de la paroisse de Saint-Yrieix-lez-Angoulême et celles qui sont hors la ville et banlieue, et contraindre les gens ecclésiastiques et autres qui tirent profit et revenu des biens assis ès dites paroisses de frayer à l’entretènement des pauvres d’icelles, chacun pour son regard, suivant l’arrêt de la cour.

« Et parce que ledit règlement ne peut être de facile exécution et que pendant qu’on y travaillera les pauvres ont besoin être nourris, a été conclu que, pour faire fonds pour l’entretènement desdits pauvres, tant de la ville et faubourgs que autres qui sont à présent en cette ville et que la nécessité y contraint venir journellement, sera fait taxe de la somme de cinq cents écus en vertu dudit arrêt, laquelle somme sera levée et amassée par collecteurs qui seront députés en chacune paroisse, et sera mise ès mains d’un notable bourgeois qui sera député pour faire recette, lequel sera tenu en faire l’emploi selon l’ordonnance de M. le maire et des Douze ou six d’entre eux ou autres qui seront commis pour le fait des pauvres.

« Et seront lesdits deniers nécessaires pour l’entretènement desdits pauvres baillés et délivrés : savoir à ceux de la ville et banlieue, non compris ceux dudit Saint-Yrieix, par semaine et à l’avance, chacun jour de dimanche, à issue de messes parrochiales, par ceux qui seront députés pour le fait de ladite distribution ; et quant aux autres pauvres leur sera baillé l’aumône en la forme qui sera avisée en la première assemblée.

« Et pour discerner les pauvres ordinaires, et dont ou de la nourriture desquels lesdits habitants de la ville sont chargés, d’avec les autres, sera cousu et appliqué sur l’épaule gauche de chacun pauvre une croix de la couleur de chacune paroisse, et leur sera inhibé d’ôter ladite marque ni de mendier après ladite distribution à peine du fouet.

« Et pour faire participer chacun à œuvre si charitable, seront changés de mois en mois les députés et commis à chacune desdites charges concernant lesdits pauvres.

« Et parce que ladite taxe de cinq cents écus se fait pour une fois sans distinction de mois, a été arrêté qu’après lesdits rôles vus et calculs des sommes requises pour l’entretènement des pauvres faits, sera réduite ladite somme à raison de la taxe que chacun doit porter par mois.

« Et parce aussi que lesdites paroisses ne sont également fournies de pauvres et que les habitants des unes peuvent plus porter que l’entretènement de leurs pauvres et les autres ne sauraient subvenir à l’entretènement des leurs, a été conclu que sur le total des sommes qui seront levées sera la distribution faite à tous les pauvres, sans distinction, des sommes provenues des taxes desdites paroisses. Toutefois en chacune paroisse seront les aumônes baillées aux pauvres de ladite paroisse seulement, afin qu’il ne se commette point de fraude à la distribution, qui requiert discrétion des personnes et non des sommes. »

A la suite de cette séance, près de trois mois se passent pendant lesquels nous manquons de renseignements par suite d’une lacune dans les registres. A la fin de juillet, le corps de ville se réunit pour prendre de nouvelles mesures au sujet de la contagion, « qui augmente de jour à autre ». Trois maîtres apothicaires et trois maîtres barbiers-chirurgiens ont été invités à assister à la réunion et s’y trouvent. On les charge de s’entendre avec leurs confrères, afin de « nommer deux d’entre eux pour secourir, panser et médicamenter les pestiférés et embrumés » ; le maire, de son côté, est autorisé à traiter avec ceux qui seront désignés.

Il a fallu augmenter les gages du nommé Lenègre et de Marguerite Martin, dite Delacame, « pour ensevelir et enterrer les morts de la contagion ». Outre une subvention en nature, on donne au premier six écus deux tiers et à la seconde cinq écus par mois.

Les baraques projetées n’ayant pas été construites ou étant insuffisantes, il est décidé que les pestiférés, mis hors de la ville, seront placés dans la maison de Me Pierre Gauthier, avocat, qui est près la chaume de Vouillac, sauf à indemniser le fermier, et, au besoin, dans la maison de Saint-Roch, qu’on rendra à sa destination.

Les chirurgiens occuperont la maison du sieur Delaforest, proche de Vouillac.

Pour faire face à ces diverses dépenses on fera rentrer ce qui reste encore à recouvrer, de la taxe ci-devant faite pour les pauvres.

Les foires et marchés sont suspendus et le commerce du sel interdit.

Du reste, plein pouvoir est donné au maire pour tout ce qui concerne la contagion.

D’une requête des quatre sergents de la ville il semble résulter que l’épidémie s’était concentrée dans certains quartiers. Ils remontrent, en effet, que, « pour cause de la guerre et aussi de la contagion qui est en plusieurs endroits en cette ville, ils prennent grand peine tant de jour que de nuit, et que, pour éviter le danger de mauvais air, il leur est besoin user de préservatifs ». Leurs gages sont, de ce chef, augmentés d’un écu par mois pour tout le temps que durera le fléau.

La ville, qui fermait si rigoureusement ses portes aux gens du dehors, recevait pourtant à ce moment même une garnison, après quoi, n’étant pas encore suffisamment rassurée, elle invitait deux compagnies, logées à Garat, à venir occuper les faubourgs. Les armées de la Ligue et du roi de Navarre manoeuvraient dans l’Ouest, et Angoulême, dévoué à la Sainte-Union, craignait de voir les forces huguenotes se porter de son côté. Ses alarmes redoublèrent après la défaite de l’armée catholique à Coutras. On jeta dehors tous les suspects, et, à la requête du maire, le lieutenant général enjoignit aux paroisses voisines d’avoir à envoyer des hommes pour travailler aux fortifications. Cette agitation belliqueuse fit diversion aux soucis causés par la peste.

L’attention en fut de nouveau et encore plus violemment distraite l’année suivante par la mort du maire, tué au château en voulant arrêter le duc d’Épernon.

Lenègre et Delacame « s’abandonnaient » toujours à enterrer les pestiférés ; mais on n’avait plus d’argent pour les payer. Il s’en trouva, il est vrai, quand d’Épernon exigea de la ville une avance de douze mille livres pour faire le siège de son château de Villebois.

L’épidémie paraît avoir cessé vers la fin de l’année 1588 ; elle durait depuis cinq ans.


[1Sanson, Noms et ordre des maires.

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