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1627 - Un nageur héroïque, de l’ile de Ré à la côte, pour briser le blocus des Anglais

samedi 26 juin 2010, par Pierre, 1735 visites.

Un épisode mémorable du siège de la Rochelle. Pour aider les Rochelais assiègés, les troupes anglaises du duc de Buckingham (dit Bouquinquan) occupent une partie de l’Ile de Ré. Les troupes fidèles au roi de France, prises au piège dans l’île, tentent de rompre ce blocus par tous les moyens, car leur situation devient critique. Dans un exploit extraordinaire, un nageur héroïque parvient à traverser la mer et à transmettre ses messages au roi Louis XIII. Ses deux autres compagnons de la tentative ont eu moins de chance : l’un est mort noyé et l’autre a abandonné. Un récit à haut suspense.

Source : Le Moniteur François - Paris - 1627

Sur cette occupation de l’Ile de Ré par les Anglais : voir ici

De Saint-Martin de Ré à Laleu : le trajet approximatif du messager-nageur

La mauvaise chère & les pluyes continuelles qui au commencement nous avoient esté comme une manne du Ciel, nous incommodoient alors extrêmement, & avoient commencé de nous incommoder depuis la fin du mois d’Aoust. Nous avions bien quantité de viandes, de beurre & de vin, lors que nous nous enfermasmes : mais il y avoit tant de Gentilshommes volontaires à nourrir, & tant de valets, tant d’Officiers d’artillerie, Boulangers, Meusniers, Charpentiers, Forgeurs, & Massons, outre ce qui estoit du Régiment, & des habitans Catholiques de l’Isle qui s’estoient enfermez avec nous, qu’en peu de temps nous fusmes au pain & à l’eau, hors les personnes de condition. Comme nos soldats eurent achevé le beurre, nous leur donnasmes nos chevaux à manger.

La misere estoit bien plus grande, quand nous nous vîsmnes souvent presque réduits à n’avoir plus de pain : car nos moulins qui n’avoient iamais plus travaillé se detraquoient aisément, & ne faisoient pas beaucoup de farine ; néantmoins il nous en falloit plus de cent boisseaux tous les iours, pour fournir trois mille pains de deux livres. Nous avions encore un grand malheur de ne pouvoir pas estre bien à couvert de la pluye : nous trouvasmes bien quelque cinquante milliers de planches dans la Citadelle : mais avant que chacun en eust pris un peu, & qu’on eust fait de nouveaux corps de garde & beaucoup d’autres choses necessaires, il se trouva que personne n’en auoit suffisamment ; puis nous n’avions pas de la tuile pour couvrir nos planches. Il y en avoit plusieurs à qui quand il pleuvoit il faisoit beaucoup mieux estre hors de la hutte, asseurez de leur manteau, que s’ils fussent demeurez dedans. Nous y avions l’eau & la crotte iusqucs à my-iambes : & faut avouër que tant d’incommoditez ensemble nous faisoient perdre patience.

D’ailleurs nous avions quasi passé sept semaines du siege sans avoir nouvelle aucune de la grand’terre, & sans sçauoir ce que nous en devions esperer : nos soldats entrans comme au desespoir, s’en alloient tous les iours rendre à l’ennemy.

Nous recherchions toutes sortes d’inventions pour donner de nos nouvelles à l’armée du Roy ; de sorte qu’après y avoir envoyé toutes nos chaloupes qui avoient heurensement passé, ainsi que nous apprenions par les sîgnals de feu qu’ils avoient pris ordre de fairer le sieur de Montferrier, pratiqua trois soldat résolus & bons nageurs, ausquels il fit de grandes promesses, s’ils se vouloient hazarder de passer à la nage du costé de la grand’terre : car par autre voye il estoit impossible, à quoy ils se resolurent : & s’estans despouillez nuds, & ayants attaché à leur col les lettres que ledit sieur de Toiras leur avoit données, une nuict d’un temps obscur ils se mirent à la mer au devant de la Citadelle pour passer en terre ferme, à l’endroit où est le moulin de la Leu, qui est le plus proche de ladite Citadelle, distant néantmoins de deux lieues & demies de mer. Mais comme ce trajet estoit fort grand, ces soldats s’adviserent d’abréger leur chemin par une ruse. C’est que comme les Anglois avoient leurs corps-de-gardes tout le long de la coste, distans de cinquante pas l’un de l’autre, ils nageoient le long de la coste, iusques à ce qu’ils eussent passé l’endroit où il y avoit un autre corps-de-garde : alors ils se remettoient à la mer, & nageoient iusques à ce qu’ils eussent passé l’endroit où ils advisoient qu’il y avoit un autre corps de garde, puis se remettoient à terre ; & après avoir marché quelque temps de la sorte, ils allèrent par cette ruse au fort de la Prée, distant d’une lieue de la Citadelle. Là ils virent le Sieur de Barrière qui commandoit audit fort de la Prée, qui leur donna aussi des lettres, portant advis de ce qui se passoit de son costé : & se remettans à la nage, le mes­me soir le premier se noya ; sa depesche pourtant, qui estoit enfermée dans une charge de mousquet liée par dessus, fut avec son corps mort ietté à la coste, & apportée au sieur de Beaumont à qui estoit l’addresse. Le second n’en pouvant plus s’alla rendre à une Ramberge : mais le troisiesme qui estoit du Régiment de Champagne, nommé La Pierre, natif de Gascogne prez Tonneins, prit courage, se reietta en mer, & passa heureusement, mais avec de grands dangers. Il passa une partie du chemin en calme, il fut suivy d’une chaloupe des ennemis qui le voyoit de loin, & n’avoit que la teste hors de l’eau : lorsque la chaloupe approchoit, il faisoit le plongeon, & avançoit par sous l’eau, où il se tenoit fort long temps, puis retournoit sur l’eau : ce qu’il fit trois ou quatre fois, & fit perdre à ceux qui le suivoient la cognoissance, ne sçachans si c’estoit un homme ou un poisson. Il fit le reste en orage, se laissant porter aux vagues, persecuté des poissons prez d’une demie lieue. En fin il arriva, & prenant terre au lieu du moulin de la Leu, distant de demie lieuë du Fort Louys. Il ne se peut tenir sur ses pieds, estant contraint de marcher à quatre pattes, corne on dit. Il revestit sa chemise qu’il avoit ployée sur sa teste en forme de bonnet, laquelle estoit toute mouillée, & trouva un paysan qui le mena au Fort Louys, & avec toutes ses lettres arriva au Camp de sa Maiesté, où le Duc d’Angoulesme le receut, & depescha à l’instant un Courrier exprès pour les apporter à sa Maiesté qui estoit à Paris : Et outre les gratifications que sadite Maiesté luy fit faire à l’abord, elle luy fit encores donner cent escus de pension, assignez sur les Gabelles.

Voicy des vers qui ont esté faits sur ce Nageur.

Credet posteritas ! Motis ex arte Lacertis,

Traiicit audaci pectore septa maris.

Nocte silente viam ingreditur, fert dicta per undas

Inter mille neces omnia mortis erant :

Quid tibi tunc animi ? quae mense quae mortis imago ?

Ire necesse tamen Luna, ministrat iter.

Vicit amor Patriae, foelixq ; natavit ad ora,

Foelix pro Patria non timuisse mori.

L’Histoire fera voir à la posterité,

Qu’un François a passé l’Océan à la nage

A l’endroit où la mer enceint de tout costé

Cet Isle, dont l’Anglois empesche le passage.

La nuict pleine d’horreur en son obscurité,

La colere des vents, la force de l’orage,

La froidure de l’eau, l’air plein d’humidité,

Ne sçeurent point alors refroidir son courage.

Mesme entre les poissons l’image de la mort

Ne le peut empescher de venir à bon port,

Et d’apporter au Roy une bonne nouvelle.

De quoy les plus vaillans furent fort esbays,

Car Leandre n’a fait pour l’amour de sa belle,

Ce qu’a fait celuy-cy pour l’amour du pays.

Et neantmoins on ne nous donnoit point de response. Nous ne sçavions nouvelle aucune de nos amis que par nos ennemis mesmes, qui nous disoient tousiours les pires nouvelles qu’ils pouvoient de la santé du Roy. Ils ne cessoient de nous prescher le desespoir du secours, & tascher à nous oster toute esperance d’assistance.

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