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1661-1687. — Angoulême (16) - Famine générale. Réformes. Nouvelle aggravation des charges. Misère. Révocation de l’édit de Nantes ; ses conséquences.

mercredi 1er août 2018, par Pierre, 5787 visites.

Notre source ordinaire de renseignements nous fait défaut pour l’année 1661 et la plus grande partie de 1662. Nous ignorons, par suite, jusqu’à quel point Angoulême eut à souffrir de l’effroyable disette qui, pendant ces deux années, désola la France. Il y avait, croyons-nous, moins de gêne à cette époque dans les familles qu’à la maison commune. Il n’est pas probable néanmoins que la partie pauvre de la population ait traversé sans de grandes souffrances cette longue période de cherté générale.

1661 - Dès le printemps de 1661 la disette se faisait sentir, et la moisson, au lieu d’y mettre un terme, ne fit qu’ajouter aux appréhensions qu’on avait pour l’avenir. Le parlement aggrava ces craintes et le mal en rendant, aussitôt après la récolte, un « arrêt défendant aux marchands de contracter aucune société pour le commerce du blé et de faire aucun amas de grains ». C’était décréter la famine.

1661-1662. - La misère, pendant l’hiver, fut affreuse. Le peuple, dans certaines provinces, vécut d’herbes, et, en quelques endroits, la faim poussa des malheureux à déterrer les cadavres pour s’en nourrir[P. Clément, Lettres de Colbert, I, ccxxvn.].

1662, 15 février- Au milieu de février, il parut « ’une déclaration du roi permettant à toute personne de faire venir des blés en France, avec décharge du droit de cinquante sous par tonneau », mesure tardive, dont les effets étaient loin et qui ne pouvait sauver de la faim que ceux qui ne l’éprouvaient pas déjà.

1662, juin - L’édit de juin, portant qu’il serait établi un hôpital dans chaque ville ou bourg pour les pauvres malades, les mendiants et les orphelins, n’était pas non plus un remède d’un effet immédiat. Un pareil projet eût, du reste, été à peine réalisable dans une ère de prospérité, c’est-à-dire dans des temps où le besoin de si nombreux hôpitaux ne se serait pas fait sentir et où personne n’aurait eu l’idée d’en bâtir un dans chaque • bourgade ; publié au milieu de la misère générale, cet édit ne devait servir qu’à en donner la mesure.

Il aurait été plus pratique, plus politique et plus humain de soulager le travail par des dégrèvements que de couvrir la France d’hôpitaux. Colbert le comprit et essaya. La diminution des tailles, accompagnée de sérieuses réformes administratives, ramena en peu de temps la vie et le bien-être dans le pays.

Mais au point où le mal en était arrivé, les remèdes eux-mêmes ne pouvaient parfois que le déplacer. La commune d’Angoulême percevait sur les marchandises qui abordaient ou s’embarquaient à l’Houmeau un droit dont, plus que jamais, elle avait besoin ; le contrôleur général n’y vit qu’une entrave au commerce et le supprima. L’état du budget municipal s’aggrava d’autant et, pendant quelques années, ne ressentit point les heureux effets que les réformes produisaient ailleurs. Le maire et les habitants furent, comme précédemment, harcelés par les créanciers de la commune et les traitants.

En 1663, la ville était en arrière pour deux taxes à la fois.

1664 - L’année suivante, un des pairs fut emprisonné à Paris parce qu’elle se trouvait encore en retard, et il resta cinquante jours sous les verrous pour un fait qui ne lui était pas plus imputable qu’à n’importe quel autre bourgeois d’Angoulême qu’on eût pu appréhender.

En 1665, le maire fut poursuivi par le receveur des tailles, et, de son côté, le fermier général des aides fit saisir à Tonnay-Charente seize balles de papier appartenant à Philippe Gautier, qui, déjà victime de cette décevante solidarité des contribuables, n’avait pas encore été complètement remboursé de sa première perte.

Cependant la fortune privée s’accroissait : le prix de la terre s’élevait, celui de la journée de travail également ; les transactions se multipliaient ; la fabrication du papier était aussi active qu’elle l’avait jamais été, malgré les charges particulières.qui pesaient sur elle. La situation de la commune elle-même s’améliora.

1672 - Malheureusement, à partir de 1672, le faste croissant de la cour et la guerre de Hollande obligèrent Colbert à augmenter les impôts, à contracter des emprunts et à créer des offices sans autre but que de les vendre.

1674 - L’effet de cette aggravation de charges ne tarda pas à se faire sentir, et le mécontentement des populations se traduisit par des, attroupements inquiétants. Dans les premiers jours de novembre 1674, les paysans des environs d’Angoulême se soulevèrent. A cette nouvelle, l’intendant de Limoges se mit en route ; mais en approchant du théâtre de la rébellion la peur le prit, et il rebroussa chemin. Le comte de Jonzac, gouverneur de la province, accouru de son côté, comprima la révolte ; mais elle éclata de nouveau un mois après.
Cette fois, l’intendant, qu’une sévère admonestation de Colbert avait guéri de ses transes, arriva sur les lieux, fit arrêter quelques-uns des chefs et promit « d’en faire une punition exemplaire » [1].

1674 – 1675 - La misère revenait partout, et d’autant plus vite que si l’allégement des charges avait permis aux paysans et aux ouvriers de respirer et de vivre, ils n’avaient pas eu le temps de se constituer un pécule. Au printemps de 1675, le gouverneur du Dauphiné écrivait à Colbert : « La plus grande partie des habitants de la province n’ont vécu pendant l’hiver que de pain de glands et de racines, et présentement on les voit manger l’herbe des prés et l’écorce des arbres » [2].

Le budget municipal ne tarda pas à se ressentir de la gène générale. En 1675, la commune ne put pas payer en temps voulu une taxe de onze mille livres. Pour faire rentrer cet arriéré, les receveurs avaient le choix entre « la contrainte par emprisonnement » et « celle par logement effectif » [3]. On n’emprisonna point le maire, mais on mit « garnison » chez lui. Des députés firent le voyage de Paris pour « marchander » avec le traitant ; ce fut en vain. Quelques mois après, nouveau retard ; deux huissiers arrivèrent alors à Angoulême pour contraindre le corps de ville et les habitants, « avec ordre d’y demeurer en garnison jusqu’à l’entier paiement ».

Bien que très processive, la ville était tellement gênée que, cette année-là, elle accepta une transaction avec l’archidiacre de Saint-Pierre, faute d’argent pour engager une instance.

Il s’en trouva pourtant lorsqu’il fallut payer l’enregistrement des lettres patentes confirmant la noblesse du maire. Les deniers de la ville étaient saisis ; mais il y avait quelque part un fonds occulte « pour les nécessités pressantes », comme celle-là.

1678 - En 1678, il y a deux archers en garnison à Angoulême, qui attendent le paiement d’une taxe.

1680 - En 1680, il y a garnison chez deux membres du corps de ville pour un retard de trois années.

1681 - En 1681, c’est chez le maire que le receveur général met garnison. Les finances de la ville étaient assurément mal gérées ; l’intendant, depuis longtemps, cherchait à se rendre compte de leur état et s’efforçait en ce moment d’arriver à y mettre de l’ordre ; mais il n’en est pas moins vrai que la gêne de la commune tenait plus ou moins à celle des familles, et qu’elle témoignait du ralentissement des affaires et des progrès de la misère. Colbert essaya d’appeler sur ce point l’attention du roi : « Ce qu’il y .a de plus important et sur quoi il y a le plus de réflexion à faire, disait-il à Louis XIV, c’est la misère des peuples, qui est très grande. Toutes les lettres qui viennent des provinces en parlent, soit des intendants, soit des receveurs généraux ou autres personnes, même des évêques » [4].

Mais les réformes administratives et financières qu’appelaient ces avertissements partis de tous les coins du royaume supposaient des amendements qu’il aurait fallu s’imposer à Versailles, et qu’on ne pouvait guère espérer du plus personnel des monarques. A son faste et à ses guerres, Louis XIV, au contraire, ajouta une nouvelle cause de ruine par l’étroitesse intolérante de son esprit. Il entendait qu’il n’y eût en France d’autre religion que la sienne. Obligé, pour arriver à cette unité chimérique, de recourir à la violence, il ne recula pas même devant les conséquences économiques et politiques de la persécution, qui, d’ailleurs, ne se déroulèrent qu’au fur et à mesure qu’il s’engageait plus avant dans cette voie. Les dragons logés chez les protestants, en 1681, pour les convertir, déterminèrent un mouvement d’émigration que la révocation de l’édit de Nantes, en 1685, ne fit qu’accélérer.

1685 - Deux à trois cent mille personnes sortirent de France ; mais le nombre des fugitifs, quelque important qu’il soit, ne suffit pas à donner une idée du vide qu’ils laissaient derrière eux. La cour, depuis quinze ans, menait la persécution de manière à la rendre aussi désastreuse que possible pour le pays. Elle avait progressivement exclu les réformés de tous les honneurs et de tous les emplois, depuis la charge de conseiller du roi jusqu’à celle de greffier de la plus petite juridiction. Il ne leur restait que l’agriculture, l’industrie et le commerce, et ils réussirent d’autant mieux, soit dans la culture, soit dans la fabrication ou le négoce, que leur calendrier, où les saints ne tiennent aucune place, permet de donner trois cent dix jours au travail. Lorsque Louis XIV, mettant, depuis, le comble à ses torts et à ses fautes, obligea les protestants à partir, ils emportèrent leurs industries et, en beaucoup d’endroits, ne laissèrent derrière eux que le silence et la ruine. A Angoulême, où ils ne pouvaient pas même siéger à la maison commune, ils occupaient un grand nombre de bras, et c’est surtout par les négociants protestants que se faisait l’exportation du papier, c’est-à-dire l’importation de l’argent. Plus des trois quarts des moulins tombèrent. La Hollande, qui jusque-là s’était approvisionnée chez nous, commença peu après à se suffire et en vint bientôt à nous fournir de papiers de luxe.

Un Hollandais, nommé Vincent, qui était venu établir des papeteries en Angoumois, où il fabriquait pour l’exportation, donnant ainsi du travail aux gens du pays avec l’argent de l’étranger, fit demander son passeport à l’ambassadeur de France en Hollande. Celui-ci en référa à son gouvernement : « Il est certain, écrivait-il à Versailles, que ce Vincent est Hollandais 29 novembre, et qu’il n’est pas naturalisé ; mais il est encore plus certain que sa sortie causera quelque préjudice, car il a plus de cinq cents ouvriers auprès d’Angoulême. Il y en a déjà beaucoup qui se sont retirés en ce pays-ci, où l’on va établir des papeteries » [5]

L’Angleterre recueillit sa part de notre succession industrielle. Un papetier d’Angoulême, nommé Manès, parti de France à la suite des premières dragonnades, avait fondé à Southampton des fabriques qui, déjà à l’époque de la révocation, faisaient la jalousie de celles de la Basse-Normandie. Les Janssen, banquiers et papetiers, émigrèrent de même en Angleterre et ne laissèrent à Angoulême qu’un des leurs [6].

1687 - Les intendants des provinces ne tardèrent pas à constater le vide laissé par l’émigration, et, quelque délicat que cela fût à dire, ils ne purent le cacher au gouvernement. Au milieu de l’année 1687, quinze mois après la révocation, M. de Saint-Contest, intendant de Limoges, fait connaître au contrôleur général l’état des diverses élections de son ressort : celle de Saint-Jean-d’Angély « est réduite à la misère par le dépérissement de tous les commerces ; celui des gros draps et des cuirs a été presque entièrement arrêté par le départ des religionnaires » ; l’élection d’Angoulême s’est, un peu relevée, grâce aux diminutions d’impôts qu’il a fallu lui accorder, mais sa principale industrie, « la fabrication du papier, est menacée par les établissements que les réfugiés ont fondés en Angleterre », et « le commerce des fers est ruiné par les nouveaux droits des fermes » [7].


[1Lettres de Colbert, II, 354, 360 ; — Délibération de la ville du 7 février 1675.

[2P. Clément, Lettres de Colbert, I, cxlii, II, lxxv.

[3Lettres de Colbert, II, 349.

[4P. Clément, Lettres de Colbert, I, cxlii.

[5Weiss, Histoire des. réfugiés, II, 145 ; — Bujeaud, Chronique.

[6Boislille, Correspondance des contrôleurs généraux, I, 51 et 407.

[7Boislille, Correspondance des contrôleurs généraux, I, 106

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