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1689 - Concubinage et libertinage à Bignac en Angoumois

lundi 31 mars 2014, par Razine, 844 visites.

1689- Le notaire vit avec une fille de mauvaise vie qui a été exposée dans une cage à Angoulême pour marque de son libertinage

Le notaire qui fait l’objet d’une plainte malgré plusieurs admonestations du prêtre de la paroisse persiste dans son erreur. Il continue d’avoir des relations avec la fille publique qu’il a hébergé sous son toit et dont il a eu un enfant. Faute d’autant plus grave qu’il a marié la dite fille à un simple d’esprit pour pouvoir continuer librement son commerce charnel. La machine judiciaire et ecclésiastique se met en route….

Plainte est déposée auprès de la maréchaussée d’Angoulême.

Sources :
- Extraits des dossiers de la Sénéchaussée et du Présidial d’Angoumois
Gabriel Delage Tome IX B1-1012 et B1 1031 crime de concubinage à Villefagnan
- Encyclopédie Larousse en ligne – Thèse du 25 novembre 2011 soutenue à l’Université de Bourgogne par Amandine Duvillet, Faculté de Droit et science politique : Du péché à l’ordre civil : les unions hors mariage au regard du droit (du 16e au 20è siècle)

 I – Introduction

Dessin de Jean-Claude ChambrelentConcubinage et libertinage : l’attitude de l’église et du pouvoir royal

Avant le 16è siècle, le concubinage fréquemment pratiqué était relativement toléré s’il se concluait par un mariage. Les cohabitations prénuptiales basées sur un simple échange de promesse étaient fréquentes dans les milieux ruraux. Ce fut à partir du concile de Trente (1542-1563) qu’une rupture décisive s’opéra [1].

Le mariage, d’un acte purement consensuel devint un acte solennel soumis à des conditions de formes. Le pouvoir royal reprendra d’ailleurs à son compte cette nouvelle discipline matrimoniale en constituant ainsi un ordre familial devant assurer l’ordre social.

Alliance des pouvoirs temporels et spirituels 

Le mariage devient alors un modèle exclusif sanctionné par un consentement solennel reçu par un prêtre en présence de témoins et en cas de minorité avec le consentement des parents (surtout dans la noblesse pour éviter les mésalliances). Le mariage civil n’existe pas.

Aux yeux du pouvoir spirituel, le concubinage est un péché expiable par de lourdes sanctions ecclésiastiques mais pour le pouvoir temporel c’est aussi un crime civil réprimé plus ou moins durement en fonction de la gravité de la faute, provoquant un scandale public. En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts avait quand même restreint la compétence des juridictions ecclésiastiques notamment, en matière de sanctions pécuniaires. Le pouvoir temporel prend le pas sur le pouvoir spirituel comme on peut le constater un siècle plus tard dans cet arrêt du 16 février 1673 : « Le Parlement de Paris déclara qu’il y avait abus dans une sentence rendue par l’official de La Rochelle contre deux particuliers vivants ensemble sous la foi d’un mariage auquel il manquait des solennités essentielles à sa validité et que les lois ne pouvaient considérer que comme un vrai concubinage ». Ainsi les juridictions ecclésiastiques ne pouvaient plus comme aux siècles précédents juger les concubins laïcs.

On notera cependant, qu’à partir du 16ème siècle, on a différencié le concubinage et le libertinage. Ce dernier est assimilé à la fornication, cause de scandale public réprimé par les pouvoirs royaux au moyen de peines d’emprisonnement ou d’amendes, assortis de l’impossibilité de libéralités entre concubins. Leurs enfants sont considérés comme bâtards n’ayant aucun droit patrimonial. Le pouvoir ecclésiastique brandit lui, la menace de l’excommunication. Sont considérés fornicateurs, les hommes déjà mariés, bigames ou incestueux. L’inceste au premier degré c’est-à-dire entre tous les ascendants et descendants ou en collatérale (frères et sœurs) est puni de la peine de mort.

Pour les hommes vivant sous le même toit avec des filles publiques et c’est donc le cas du notaire paroissien de Bignac, la peine encourue est moins lourde sur le plan civil. A la lecture de la lettre adressée par le pouvoir ecclésiastique on constate que le religieux « y met les formes » car il s’agit ici d’un « notable ». La justice se montre moins tolérante avec les petites gens. En 1709, le Procureur du Roi ordonne la saisie de corps de François Papaillon et Madeleine Rivaud pour les conduire à la prison d’Angoulême, sinon assignés et leurs biens saisis. Ils vivent en concubinage et ont 3 enfants. Pour leur malheur ils sont cousins (seulement au 3ème degré mais leur situation est qualifiée par le procureur du roi de crime d’inceste).

 II - L’affaire du notaire Binaud

Juin 1689 - Par devant nous François Mallat, écuyer sieur de Boisbernard, conseiller du roi, ancien lieutenant en la maréchaussée d’Angoulême, étant au bourg de Genac dans une maison nous appartenant,

A comparu Nicollas Resmon, de la part de Mr Lorant, Vigneron, prêtre prieur et curé de la paroisse de Brignac, et nous a requis de nous transporter avec notre greffier au bourg de Bignac, demeure dudit Vigneron, l’avons trouvé au lit blessé en plusieurs endroits, lequel nous a dit que n’ayant pu dissimuler, non plus qu’approuver la scandaleuse et mauvaise conduite de Louis Binaud, notaire de la châtellenie de Montignac Charente, paroissien dudit Bignac, qui depuis deux ans et davantage tient dans sa maison, une fille de mauvaise vie nommée Jeanne Hubert ; qu’on peut qualifier telle puisque sans être mariée, elle a eu après un an de demeure dans ladite maison, un garçon, que pour avoir demeurer auparavant avec ledit Binaud, pour marque de son libertinage aurait été exposée dans une cage en la ville d’Angoulême, ledit sieur plaintif ayant intérêt , comme curé dudit Bignac, d’obliger ledit Binaud à la chasser, l’en aurait à plusieurs fois sollicité en lui remontrant doucement et secrètement son crime et le scandale qu’il causait dans la paroisse. Mais quelque promesse qu’il lui ai fait de la chasser, ne l’ayant point exécutée, le plaintif n’a pu s’empêcher d’en avertir Monseigneur d’Angoulême de chasser cette fille. Mais au lieu de cela il s’est avisé de la marier avec le nommé Antoine Hubert qui est innocent et faible d’esprit, croyant qu’après ce mariage pouvoir impunément continuer son libertinage sans contredit de personne. Et en effet, quelque promesse qu’il ait fait au plaintif de chasser cette femme depuis ledit mariage ne l’ayant non plus exécutée que premier icelui plaintif en aurait averti de nouveau Mon dit Seigneur d’Angoulême qui en aurait fait écrire audit Binaud de chasser cette femme qui causait tant de scandale, faute de quoi il serait excommunié. Laquelle lettre ledit plaintif aurait été portée audit Binaud, le jour d’hier, sur les 9 heures du soir,

Ne l’ayant pas appris dans sa maison, que à cette heure là, et aurait mené avec lui le sieur de la Fuye, fils du sieur de la Barrière Tourriers, et Michel Bachelier, fils de Jean et y ayant rencontré ledit Binaud dans sa basse-cour, auprès de son degré, premier lui délivrer ladite lettre, il lui aurait fait plainte de ce que le même jour son fils cadet, nommé la Bernardie, l’avait insulté et dit des paroles outrageantes. Lors, son fils aîné qui descendait avec ses deux frères par le degré au bas duquel ils étaient, dit hautement « Si j’avais été, cela ne se serait pas passé sans quelque chose de plus que des paroles » ! Le dit plaintif, y prévoyant un dessein dans l’esprit dudit Binaud et de ses enfants de le quereller par une réponse menaçante faite par un fils en présence de son père, sans que le dit père lui en fit aucune excuse, non plus que justifier de la plainte qu’il lui venait de rendre contre son cadet, il ne voulut point répondre à un si mauvais discours et entrer en dialogue.

Il délivra seulement ladite lettre audit Binaud lui disant qu’elle venait de la part de Monseigneur d’Angoulême. Lors ledit Jacques Binaud l’aîné qui avait une pierre grosse comme un pain d’un sol dans la main droite, aurait poussé le plaintif si rudement qu’il l’aurait fait reculer un pas en arrière, lui disant « Bougre ! ».

Lettre jointe au dossier :

A Vars, le 27 juin 1789

Pour Monsieur Bineau (Binaud), notaire à Bignac

Je n’eusse jamais cru, Monsieur, que vous eussiez si peu à cœur votre salut que vous l’avez après m’avoir marqué ici, à Vars, la forte résolution de rompre commerce avec cette misérable avec laquelle vous avez scandalisé toute la paroisse.

Mais vous continuez à la voir encore, je vous écris de la part de Monseigneur pour vous dire que si dans huit jours vous ne la chassez de votre maison, je vais vous déclarer excommunié comme j’ai fait à un misérable de la paroisse de Champniers qui était dans le crime.

Vous savez assez le malheur de ceux qui sont excommuniés, je ne m’arrête pas à vous le dire. Enfin, pensez sérieusement à votre devoir et croyez qu’on aura plus d’égards pour une personne de votre caractère.

C’est l’avertissement que vous donne celui qui voudrait contribuer de son sang de vous convertir et qui est votre serviteur.

A. Thoumie du diocèse d’Angoulême.

 III – Conclusion

On ne connaît pas la suite de l’histoire mais il est probable que si le notaire n’a pas donné suite aux admonestations de l’église l’excommunication a été prononcée. Cette dernière excluait le paroissien de la communauté chrétienne en le privant des sacrements. C’était une grave conséquence à une époque où la religion régissait les rapports sociaux et pesait lourdement sur la conscience des individus. Il faudra attendre le siècle des lumières pour qu’une société nouvelle émerge grâce à la transformation des mœurs et la naissance de concepts nouveaux tels que le droit au bonheur et aux libertés individuelles.


[1Concile de Trente : Convoqué par le Pape Paul III en 1545 suite à la demande de Martin Luther dans le cadre de la réforme protestante, le concile se termine en 1563. On notera une rupture entre l’église médiévale et l’église dite des temps classiques. L’église de la contre-réforme est appelée aussi église tridentine (issu du nom latin de la ville de Trente). Le concile de Trente s’est déroulé sous plusieurs papes différents de 1545 à 1563 en 25 sessions.

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