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1813 - Saint-Jean d’Angély (17) – Incendie de l’Abbaye Royale, devenue petit séminaire

samedi 9 février 2008, par Pierre, 1629 visites.

Source : Vie de Paul-Arnaud Dargenteuil, fondateur et directeur du séminaire de Saint-Jean d’Angély – A. Rainguet – Paris - 1846

Abbaye Royale de St Jean d’Angély
Photo : P. Collenot - 2006

Dans la nuit du 3 au 4 mars 1813, au moment où toute la communauté se livrait au sommeil, trois élèves furent éveillés par un bruit sourd et prolongé : ils crurent d’abord entendre souffler le vent, mais bientôt la lueur des flammes les tira d’erreur. Ils se lèvent avec précipitation, jettent un cri d’effroi, et vont semer l’alarme dans la ville. Quelques habitants découvraient le feu dans le même moment.

Éveillés par les cris et par le bruit de l’incendie qui va toujours croissant, les séminaristes se lèvent en désordre et descendent à demi-vêtus dans la cour. Un maître courut à l’appartement du supérieur, et lui porta l’affreuse nouvelle. Dargenteuil, profondément ému mais non désespéré, prit son crucifix et s’écria : « Seigneur, ayez pitié de moi ! Mon Dieu, soutenez ma faiblesse ! épargnez mes enfants ! » Couvert seulement de sa soutane passée à la hâte, il abandonne sa chambre vers laquelle se dirigeait le feu, sans se mettre en peine de tout ce qu’il y laissait. il appelle les maîtres, leur ordonne de réunir les enfants et de veiller sur eux : lui-même rallie ceux qu’il rencontre sur son passage.

Son premier recours est vers Dieu. Il convoque à la chapelle tous les séminaristes, et là, prosterné au pied de l’autel, d’une voix entrecoupée de sanglots il s’écrie : « O mon Dieu ! sauvez mes enfants ; frappez sur moi seul. Ce sont mes péchés qui ont attiré ce châtiment, mais je m’offre pour victime. La seule grâce que je vous demande, c’est de sauver mes pauvres enfants. »

Le feu, qui avait pris à l’extrémité des bâtiments contigus à l’église paroissiale, avait déjà fait, quand on s’en aperçut, des progrès effrayants. Parvenu à la charpente, il s’étendait dans les combles de l’édifice, sous une toiture d’ardoises qui pétillaient et laissaient jaillir la flamme. Il n’était pas possible de lui opposer une résistance sérieuse.

Cependant, aux cris des élèves et au son du tocsin, la population était accourue avec empressement. Le sous-préfet, M. Griffon, le maire, M. de Sérigny, et M. Brilloüin ainé arrivèrent des premiers, et leur autorité ne servit pas peu à maintenir l’ordre et à diriger les secours. Déjà Dargenteuil, secondé de quelques uns des habitants les plus notables, avait établi avec, des échelles, un service de seaux du côté de l’église ; à. l’autre extrémité, le feu commençait à atteindre le pavillon situé sur le jardin. La première chaîne qui fut formée allait prendre l’eau à la rivière, tout près de. la maison des religieuses de Coybo, aujourd’hui couvent des Ursulines. Comme on y puisait très difficilement, la rivière étant assez encaissée dans cet endroit , un cloutier, nommé Boutreux, descendit dans l’eau et y demeura huit heures, occupé sans relâche à remplir les vaisseaux qu’on lui faisait passer. Son dévouement lui coûta la vie : la nuit suivante il mourut dans un accès de fièvre délirante [1]

Ce ne fut pas le seul dévouement que produisit ce désastre : les pompiers de la ville et divers ouvriers se distinguèrent par leur intrépidité ; on vit des femmes de la bourgeoisie, mêlées à celles du peuple, partager le travail pénible de la chaîne, ou distribuer des rafraîchissements, et ranimer le courage des travailleurs [2].
Le maire et le sous-préfet firent porter dans la cour du séminaire les deux pompes à incendie : l’une fut dirigée au-devant du feu, pour l’arrêter, l’autre sur la partie déjà brûlée, pour protéger l’église : trois chaînes fournissaient l’eau qui arrivait sans interruption de la Planche, du faubourg Taillebourg et du pré des Cordeliers. On mit aussi à contribution les puits voisins.

Les élèves étaient dans une agitation inexprimable : on les voyait courir de tous côtés, chargés de leurs effets, qu’ils retiraient du dortoir au-dessus duquel le feu exerçait ses ravages ; plusieurs jetaient par les fenêtres les matelas et les couvertures ; l’un d’eux faillit être écrasé par la chute d’une malle, et on fut sur le point de précipiter par une fenêtre un enfant qui, étant couché dans un petit dortoir voûté, ne s’était point éveillé au premier cri d’alarme. Quelques uns des plus jeunes, immobiles à l’autre extrémité de la cour, contemplaient en silence les progrès du feu.

Dargenteuil voyant qu’il marchait avec une incroyable activité, et craignant que les charpentes embrasées ne vinssent, en s’écroulant, à intercepter le passage, défendit de remonter au dortoir. Sa prévision n’était que trop fondée : au moment où le dernier élève descendait revêtu d’une couverture, la toiture s’abîma au milieu, d’immenses gerbes de flammes. L’explosion fut si terrible, et la secousse si violente, que l’enfant, au moment oui il. mettait le pied sur la dernière volée de l’escalier, fut jeté au bas de l’autre côté, sans pourtant avoir de mal.

La chambre de Dargenteuil venait d’être dévorée par l’incendie, avec tout ce qu’elle contenait, ses papiers, dont il avait fait le sacrifice ; à Dieu, parce qu’il croyait y avoir quelque attache, furent alors réduits en cendre, ainsi que tous ses livres. L’écroulement de la toiture préserva des flammes le reste de ce corps de maison ; mais le feu prit alors une autre direction, et commença à attaquer l’étage placé au-dessus de la chapelle ; de sorte qu’on craignit que l’embrasement ne devînt général, et que la chapelle ne pût pas être suffisamment protégée par sa voûte de pierre. Au milieu du bruit confus de cette scène lugubre on entendait alors la voix de Dargenteuil, qui demandait à un élève chargé du soin de la sacristie où était la clé du tabernacle. Entré dans la chapelle, il se prosterna de nouveau au pied de l’autel et prit le Saint Sacrement pour le porter chez les religieuses de Coybo. Avant de sortir de la cour du séminaire, il s’arrêta près du portail, et donna la bénédiction du Saint-Sacrement à la maison et à la foule qui se pressait dans la cour, élèves et habitants de la ville. On assure généralement que le vent, qui poussait les flammes vers un quartier dont les maisons en bois eussent présenté au feu une proie facile, diminua tout à coup alors, et changea de direction. Ce fait est resté dans les souvenirs d’un grand nombre de témoins oculaires avec un caractère merveilleux [3].

Dans le moment où Dargenteuil, navré de douleur, accomplissait ce pieux devoir, un officier de la garnison, jaloux peut-être de la promptitude avec laquelle il avait vu tout le monde obéir à la voix d’un prêtre, s’échappa contre lui en paroles injurieuses. Dargenteuil ne répondit rien ; à son retour il se borna à lui dire quelques mots propres à le faire rentrer en lui-même, et quand, le lendemain, l’indignation de la Ville eut forcé le militaire à aller lui demander pardon, il lui répondit : "Je ne veux recevoir vos excuses qu’autant qu’elles s’adresseront à mon caractère de prêtre, et non à ma personne. »

Sa mère, afin de se rapprocher le plus possible de ce fils chéri, était allée habiter chez les religieuses de Coybo : ce fut la première personne qu’il rencontra en entrant dans le couvent. Elle était dans une inquiétude et une affliction que put à peine dissiper la vue de son fils. « Rassurez-vous, ma mère, lui dit Dargenteuil ; vos enfants sont sauvés et voici mon Dieu. »

Malgré les efforts, des travailleurs, les progrès du feu étaient si rapides qu’il avançait de vingt pieds par minute. L’aile de la maison touchant à l’église n’était voûtée qu’en partie, et dans cette partie voûtée l’incendie avait deux foyers : un sur le sol et l’autre sur la voûte, où toute la charpente écroulée présentait l’aspect d’un immense brasier : l’air y courait sans être arrêté par aucun obstacle. Au-dessus de la chapelle, l’activité du feu était un peu ralentie par les cloisons intérieures. De temps en temps les flammes s’élançaient par les fenêtres, mais le foyer y était moins visible que de l’autre côté, quoique le feu y eût trouvé un nouvel aliment dans une voûte en bois appliquée à la charpente.

Dargenteuil et M. Brilloüin, ami de la maison qui déploya, dans cette circonstance et dans beaucoup d’autres, un zèle et une activité au-dessus de tout éloge, remarquant que les pompes jouaient sans succès, proposèrent de les transporter ailleurs. Le capitaine qui les conduisait s’y opposa, mais M. Violet, sous-inspecteur des ponts et chaussées, auquel ils s’adressèrent, goûta leur avis : les pompes furent transportées à force de bras sur le perron de la grande cour ; on rompit alors la cloison du corridor qui séparait le séminaire du collège : on coupa la voûte en bois, et par cette trouée la pompe, jouant sans relâche, on parvint à ralentir les progrès de l’incendie. M. Violet proposa alors de couper la charpente, et, secondé par un charpentier nommé Bonnet et par quelques autres hommes dévoués, il abattit à coups de hache le faîtage des bâtiments. Dès lors le service des pompes ne rencontra plus d’obstacles, et on arrêta le feu, à quelques pieds du corps principal, en même temps qu’on s’en rendait maître du côté de l’église. Quoique dès ce moment on eût triomphé de l’incendie, les pompes furent servies toute la journée pour éteindre le brasier resté sous les voûtes. Telle était la violence du feu, que les vitres, avaient été fondues ; la cloche fondit aussi à moitié, et, dans quelques endroits, une braise ardente s’était amoncelée à la hauteur de quatre ou cinq pieds. Il était alors quatre heures du soir. A onze heures de la nuit, quelques flammes brillaient encore de moment en moment ; mais elles étaient promptement éteintes par les factionnaires chargés de surveiller les décombres [4].

Dargenteuil, heureux dans son malheur de n’avoir a déplorer la perte d’aucun de ses enfants, et consolé par les marques d’intérêt que tout le monde leur prodiguait à l’envi, réunit alors toute la communauté à la chapelle, et on y chanta le Te Deum.

Il fallut s’occuper de pourvoir au logement et à l’habillement des élèves : presque tout le mobilier avait été détruit. Quelques heures après l’extinction du feu, les autorités, qui n’avaient pas quitté un seul instant le théâtre de l’incendie, se réunirent avec Dargenteuil, dans la salle du tribunal, pour prendre les mesures que la situation exigeait. Le charitable supérieur, voyant que la ville ne pouvait s’imposer des sacrifices qui excédaient ses ressources, dit à ceux qui cherchaient avec, lui les moyens de subvenir à la nécessité récente : « Il me reste encore quelque chose de mon patrimoine ; je vais l’engager, ainsi que ce que possède ma mère. Cherchez une maison convenable ; je l’achèterai [5].

Il fut décidé que les séminaristes seraient placés provisoirement chez les principaux habitants. Ceux-ci rivalisèrent de zèle et d’empressement : tous voulaient leur donner asile, et les pourvoir de vêtements et de linge. Dargenteuil fut extrêmement touché de cet acte de dévouement, et il exprima sa reconnaissance avec cette éloquence du cœur qui lui était naturelle. Il accepta leurs offres, et les élèves furent dispersés dans plusieurs maisons du voisinage, sous la présidence des plus âgés. Le peuple ne se montra pas moins charitable que la bourgeoisie ; on cite avec attendrissement une malheureuse veuve, mère de six enfants en bas âge, et n’ayant d’autre ressource que son travail : elle avait recueilli un jeune séminariste, et, lorsqu’il fut réclamé par quelques personnes aisées, elle prétendit avoir le droit de le garder et de lui donner ses soins [6].

Quand on s’occupa d’envoyer les enfants dans les maisons les plus riches, plusieurs d’entre eux avaient déjà été retirés par les gens du peuple qui les avaient fournis de vêtements, et qui demandèrent comme une faveur de pouvoir les conserver chez eux.

Une lettre de M. Paillou, évêque de La Rochelle, révèle un trait de l’humilité de Dargenteuil, fait qui sans cette pièce serait resté inconnu. L’humble prêtre crut voir, dans l’évènement qui avait frappé sa maison , un châtiment infligé à lui-même par la divine Providence ; se croyant donc, pour ainsi dire, responsable de l’évènement, il craignit que désormais sa présence ne fût plus nuisible qu’utile à l’établissement, et il pria l’évêque d’accepter sa démission. Le vénérable prélat, après avoir parlé de la consolation que lui donnait la généreuse conduite de la ville de Saint-Jean, répondit ainsi à cette offre : « II me reste une peine sensible : c’est la pensée que vous avez conçue d’abandonner le gouvernement de cette école, que vous savez si bien diriger. Vous n’êtes pas digne, dites-vous, de continuer à la diriger : eh ! quoi donc vous en rend indigne ? Pourquoi vous attribuerait-on l’incendie qui a eu lieu ? Vous êtes le seul qui ayez pu concevoir une pareille idée.... Toute la ville de Saint-Jean vous rend justice autant que moi, et vous mortifieriez les habitants, autant que moi, si vous persistiez dans l’idée que vous avez conçue, et à laquelle je ne donnerai jamais mon consentement. Vous avez tout perdu !.... je suis sensible à votre perte ; mais vous ne devez pas perdre la confiance en Dieu. Peu à peu vos pertes se répareront : nous ne serons pas aussi bien qu’avant l’incendie, mais tout le monde supportera les privations jusqu’à ce que les choses soient rétablies et mises en bon état. J’espère que la Providence, qui nous a toujours bien servis, ne nous abandonnera pas. » Le bon évêque ne borna pas là ses soins affectueux ; il envoya auprès de lui un de ses grands-vicaires pour relever son courage, et prendre de concert avec lui les mesures nécessaires.


[1Archives de la Mairie, premier registre des délibérations.

[2Archives de la Mairie, premier registre des délibérations.

[3Mémoires

[4Archives de la Mairie, premier registre des délibérations

[5Mémoires.

[6Archives de la Mairie.

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