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558 - Charte d’affranchissement d’esclaves par Eparche, moine d’Angoulême

jeudi 14 juin 2012, par Pierre, 669 visites.

Au VIème siècle une partie importante de la population avait le statut d’esclave. Les institutions catholiques de l’époque contribuent à leur affranchissement en les rachetant à leurs maîtres. Ce document provenant du cartulaire de l’évêché d’Angoulême est présenté dans sa version latine, avec sa traduction en langue française.

Source : Recherche de l’Antiquité d’Angoulême par Elie Vinet - Cl. Gigon - Angoulême - 1877 - Google livres.

CHARTE D’AFFRANCHISSEMENT D’ESCLAVES.

N° 129 du Cartulaire de l’Evêchè, an 558.


De sancto eparchio.


Exemplar [1]. Venerabili in Christo beatissimo sacerdote Aptonio episcopo et venerandis presbiteris ac diaconibus Equolisnensis aecclesiae, Eparchius et si indignus diacomis et reclusus. Humanum genus cultus divinae religionis admonuit celestia colere et terrestria negligere. Recti et enim calcata terrena sive caduca ad meliora festinant quos domini repromissio ad aeternitatem immortalitatis invitat. Quo fit ut apud dominum impensa servorum quam merentur ad partem obsequii gratiam dignam libertatis conditione percipiant, ideo que haec epistola quos quas per manum meam de [2] collatavorum hominum redemi et michi per ab ipsis partem dato liberas facio his nominibus.


Charte de saint Eparche


Moi, Eparche, quoique indigne, diacre et reclus, au vénérable et bienheureux prêtre en Jésus-Christ Aptone, évêque, et aux respectables prêtres et diacres de l’Eglise d’Angoulême, salut.

Les préceptes de notre divine religion enseignent aux hommes de rechercher les choses célestes et de mépriser les biens de la terre, c’est pourquoi les justes, après avoir foulé aux pieds les vanités caduques et périssables de ce monde, s’élancent avec ardeur vers la possession des biens célestes qui leur sont préférables, soutenus, qu’ils sont, par la promesse du Seigneur qui les convie à l’éternité de l’immortalité. De là est arrivé que, pour obtenir cette récompense, ces justes, au cœur droit, ont accompli des œuvres pies, comme le rachat des esclaves, ont mérité une grande part de considération devant Dieu et ont acquis dans ce monde des témoignages de reconnaissance dignes de l’œuvre de délivrance qu’ils ont entreprise ; dans cette intention et pour imiter cette œuvre chrétienne, en vertu de la présente charte et à l’aide des deniers colligés par des hommes de bien, auxquels deniers j’ai réuni les miens propres, moi, Eparche, j’ai racheté, de mes propres mains, plusieurs esclaves des deux sexes et j’ai fait libres ceux et celles dont les noms suivent.

Saturninum. Pappolum. Gregorium. Octabianum. Carterium. Enelianum. Colonium. Berulfum. Arconcium. Cottanem. Gaianum. Badanem. Montanum. Gothunium. Willebaudem. Gratum. Suindemodum. Baldelanem. Dommnum. Osdrilianem. Godinum. Agroetium. Marcomerem. Baudomerem. Marciarmm. Maurum. Honoricum. Marcoredum. Lindaciarium. Godoenum. Venatorem. Sineleifum. Walegildum. Loubaredum. Hildemerem. Senericum. Desiderium. Mondum. Gontheredum. Enerium. Teudarium. Maurum. Gamaredum. Gratum. Geriulfum. Emnulfum. Aggemerem. Baudemerem. Romolum. Lopum. Sylvanum. Vitolum. Gildemerem. Mariulfum. Leobodem. Gundericum. Walacharium. Justinum. Fredulfum. Lorentianum. Barontacum. Nantomerem. Magnentium. Brunonem. Martinianum. Aventium Latinum. Suinthibodum. Fratilonem. Godœnium. Fredosum. Venerium. Lopasium. Colobanum. Willeuntum. Ennulfum. Sindicionem. Secondum. Gennulfum. Daibaudem. Abundum. Avintiolum. Amandum. Innocentium. Unstricianum. Aunacharium. Wentrulfum. Perpetuum. Alvocinem. Maurornerem. Enelianum. Wartldem. Flado [3].

Resunam [4] Helariam. Miunam, Nanteveram. Pieriam. Willegontem. Froseriam. Theodoniniam. Guisiguntiam. Manegildem. Rumulam. Trasidonem. Leopoveram. Amazoram. Placentiam. Uthesuendam. Verbosam. Stephaniam. Sinnilevam. Wallarunam. Tottonem. Gustolam. Ursam. Aniellam. Romolam. Julianam. Ulfatinam. Martinam. Bonantiam. Gaudiosam. Ranildem. Dessegontiam. Constantiam. Tiberiam. Bladoevam. Badonem. Hinnoerdam. Mareniniam. Aigonem. Porciscolam. Goebergam. Merebergam. Litemniam. Virinianam. Ageleubam. Mantildem. Elediam. Petroniam. Elediam. Onlam. Walbergam. Fredoevam. Leufanandam. Exsoperisimam. Majorianam. Silviam. Ageleubam. Theudosovindam. Galiniam. Probam. Severam. Valentiam. Ennoertam. Maxentiam. Abendam. Fredeguntem. Diciguntem. Liminiam. Lupam. Paladiam. Amaxiam. Chairegontem. Legisbergam. Baiolam. Viventiam. Olibam. Reginam. Veseguthiam. Willigengontem. Fontonolam. Lithegonem. Hortisiam.
Voir ci-contre les noms des affranchis, dans la Charte latine.

Première partie de la liste : noms d’hommes.

Deuxième partie de la liste : noms de femmes.
Jugo ipsorum conditionis excusso beneficium eis Romanae libertatis impercior ita ut sibi agant sibi degant, suoque jure sibi comissos esse cognoscant. Nullius quoque heredum ac pro heredum ve meorum aut cujuslibet suppositi subrogatam ve personnae repetitionem aliquam aut molestiam vereantur, quod si qui fortasse repletus insania facere conaverit, deprecor vos seculares judices per divina omnia et apud regis cujus regimur ut cum legibus dominicis feriatis. insuper vero usque in diem judicii anathemam se esse cognoscat.

Quorum obsequium quae pro gratia debentur. Qui intro terminum Ǽquolisnensium civitatis consistere aut manere noscuntur sanctae aecclesiae aequolisninse ubi benedictionem leviticam capite meo suscepi reservo. Qui vero intro terminum Petrogorice civitatis similiter consistere aut manere noscuntur Seaciacense monasterio ubi spiritaliter me Christo tota mente intentione tradidi at que devovi obsequium studium reservare, reliqui vero quique in aliis urbibus consistunt supra memoratae aequolisninse aecclesiae tuitione se habere cognoscant et obsequium non renuant. simulque injungo per singulos annos, supra scripti liberti mei singulos cereos libralis in solempnitate Cathedrae domni Petri qui tuitione equalisninse aecclesiae delegati sunt. In eadem die qua dixi inferre penitus non graventur.

Ut dum se per hanc observationem in templo Dei cuncto populo innotiscunt, hii qui insidiare conantur dupliciter terreantur, et si quis sibi peculiaria habent aut deinceps laborare potuerint ipsis volo esse concessa, quos quas veneratione vestri aecclesiae commendo ut ab omnis infestantium impetus tuicionem sanctae aecclesiae muniti in perpetuo possent esse securi, et ut firmius voluntas mea sortiatur effectum manu propria infra subscripsi precans beatudinem vestram ut factum meum vestra subscriptione firmetis. illud tamen humili prece deposco ut quecumque de memoratis libertis ad propria remeare voluerit vestras commendaticias accipere mereatur. Nam qui in loco residerent et in seculo voluerint obligare nullatenus absque vestra voluntate ut consilio licentiam non debeant copulandi.

Cum itaque presens cartula in aecclesia sub vestri presentia fuerit recensita, precor ut factum vel voluntatem meam conservare dignetis et queso ut eam in archivis aecclesiaticis custodiendam tradatis cum stipulatione subnixa.
Le joug de leur condition servile étant brisé, je leur accorde le bienfait de la liberté romaine, de telle sorte qu’ils puissent agir ou ne pas agir, conformément à leur volonté, et qu’ils apprennent que tel est le droit qui leur appartient désormais. Je veux aussi que ni mes héritiers ni aucune autre personne subrogée à leurs droits ne puissent exercer ni action ni répétition contre mes affranchis, ni leur infliger aucune violence, aucune molestation, et si qui que ce soit était assez insensé pour oser faire ces violations, je vous en conjure, ô juges séculiers, au nom du Dieu tout puissant, au nom du roi qui nous gouverne, qu’il soit frappé par les lois souveraines et qu’il sache que, jusqu’au jour du jugement dernier, le poids de l’anathème pèsera sur sa tête.

Pour une telle grâce, voici les actes de soumission que j’exige de mes affranchis. Tous ceux qui résideront ou habiteront le territoire de la ville d’Angoulême, sont rattachés à la sainte Eglise d’Angoulême, où j’ai reçu, sur ma tête, l’onction sainte du lévite, A ceux qui résideront sur le territoire de la cité de Périgueux, je réserve leur soumission respectueuse au monastère de Saissac, où, pour la première fois, je me suis dévoué et me suis attaché au culte spirituel du Christ, de tout mon cœur et de toute mon âme ; quant à ceux qui habitent d’autres villes, qu’ils sachent bien qu’ils sont aussi placés sous la protection de l’Eglise d’Angoulême, et qu’ils ne lui renient pas l’obéissance. En même temps, j’impose à mes affranchis prénommés l’obligation de porter, chacun et chaque année, un cierge d’une livre le jour de la fête de la chaire de Saint Pierre, dans l’Eglise même, à la protection de laquelle ils sont confiés.

Dans ce jour solennel qu’ils n’aient pas honte de se montrer au grand jour, en présence de tout le peuple, dans le temple de Dieu, comme je le leur ai prescrit ; car si les méchants voulaient leur tendre des embûches, ils seraient terrifiés parla double crainte des lois divines et des lois humaines.

Si quelques-uns de mes affranchis possèdent de l’argent ou si dans la suite, ils en acquièrent par le travail, je veux qu’il leur soit laissé. Je les recommande encore, hommes et femmes, à votre bonté, ô saint Evêque, et à celle de l’Eglise, afin que fortifiés par cette protection contre leurs ennemis, ils soient en sécurité perpétuelle. Et, pour que ma volonté soit affirmée d’un façon plus stable, j’ai signé de ma propre main au bas de cet écrit, et je prie votre bonté de l’affirmer aussi par votre signature ; toutefois, je vous présenterai encore une humble prière, c’est afin que, si quelqu’un de mes affranchis voulait revenir vers son pays natal, vous lui donniez des lettres de recommandation, s’il s’en est rendu digne, et je veux encore que si, ceux qui résident en ce lieu veulent s’engager plus avant dans ce monde, ils ne puissent aucunement se lier par le mariage sans votre conseil et votre permission.

Comme la présente charte a été lue dans l’église, en votre présence, je vous prie encore que cet acte de ma volonté, vous daigniez le conserver et le placer dans les archives ecclésiastiques, avec toutes les stipulations qu’il comporte.
Item alia manus Ego Eparchius propitio Christo, diaconus et reclusus Cartulam hanc absolutionis a me factam sub die II Kalendarum aprilis anno XLVII domni nostri Childeberti gloriosissimi regis.

Item alia manus Aptonius peccator libertatem hanc relegi, sub die II Kalendarum Aprilis.

S.......... Higerius propicio domino presbiter hanc relegi.

S.......... Frontonius archipresbiter libertatem hanc sub die et anno quo supra.
(Dans la même charte, mais d’une autre main) : Moi Eparche, par la faveur de Jésus-Christ, diacre et reclus, j’ai fait cette charte d’affranchissement le 11e jour des kalendes d’avril, la XLVIIe année du règne de Childebert, notre glorieux roi.

(De même et d’une autre main) : Aptone, pécheur, j’ai relu cette charte de liberté, le II° jour des kalendes d’avril.

Higerius, par la bonté de Dieu, prêtre, j’ai relu cette charte.

Fronton, archiprêtre, j’ai relu cette charte de liberté les jour et an ci-dessus.

La voilà cette charte d’affranchissement qui montre, dans tout son éclat, la sollicitude du Christianisme et du clergé, dans ces temps de barbarie, pour les hommes et les femmes privés de leur liberté, écrasés sous le joug de l’esclavage ; et cette sollicitude pour les esclaves remonte presque à l’origine du Christianisme, car dès l’an 316 de notre ère, le grand Constantin rendait des édits qui favorisaient et facilitaient l’affranchissement des esclaves, en permettant qu’il fût fait, dans les églises, devant les évêques, sans l’intervention du magistrat civil. C’est ce mode d’affranchissement qui fut suivi dans ce cas, quoique 250 ans se fussent écoulés depuis l’édit de Constantin, et ce bienfait de la liberté romaine, comme l’appelle Eparchius, est en effet conforme à l’édit de Constantin, qui place l’affranchi sous la tutelle de l’Église et le soumet à quelques autres formalités, moins l’impôt de la capitation ; dans ce cas, ces esclaves affranchis, en vertu d’une charte lue devant l’autel, en présence de l’évêque et du peuple, étaient désignés sous la dénomination de Cartularii. Nos malheureux ancêtres de l’Angoumois, dans ces temps de barbarie, ont donc profité de la bonté de la religion catholiques et de ses prêtres, qui, semblables à Eparchius le saint reclus, employaient et leurs biens propres et ceux qu’ils obtenaient d’autres chrétiens généreux, pour rendre à la liberté ceux et celles (quos et quas) qui s’en étaient rendus dignes.

Telle fut l’origine de certaines redevances payées quelquefois, par les populations reconnaissantes, à des institutions religieuses, à quelques riches particuliers qui, affranchissant à leurs frais des villages, des contrées entières, en recevaient, eux et leurs descendants, quelques redevances comme témoignage de reconnaissance, redevances que, plus tard, dans nos jours de Terreur, on imputa à crime à leurs descendants et qui, bien souvent, furent cause des traitements barbares et des jugements de mort qu’ils furent condamnés à subir. Donc, lorsque nous entendons d’ignares déclamateurs accuser le Catholicisme d’avoir favorisé le servage et l’abrutissement des hommes, nous ne pouvons que leur opposer ces écrits antiques, qui démontrent que la science et la liberté humaine n’ont pas eu de plus vaillant défenseur que le Christianisme, ou plutôt le Catholicisme et ses ministres.


[1Exemplar, mot latin qui signifie dans ce cas : écrit original, ne fait pas partie de la Charte ; c’est un mot placé en tête par le rédacteur et qui a été reproduit servilement par le copiste. Il faut se rappeler que deux espèces de collaborateurs coopéraient à la reproduction de ces chartes latines : le litterator et le scriptor, le rédacteur et le copiste ; il y avait même deux espèces de rédacteurs : le rédacteur ordinaire du souverain, du seigneur, du couvent, rédacteur de profession qui a signé de cette façon : Walterio, Ramnulfus humillimus et indignus litterator scripsit, comme dans les chartes citées, n° 4 et 29, puis, il y avait le rédacteur accidentel que l’on priait d’écrire la charte convenue devant lui hic et nunc, c’était le rogitus, qui écrivait alors : Adalbertus, Constantinus presbyter rogitus scripsit, comme dans les chartes citées, n° 28 et 59. Il y avait encore, comme rédacteur, le notarius mais dont les fonctions différaient sensiblement de celles du litterator, qui signait et certifiait les chartes et contrats, comme Bartholomaeus notarius Karoli gloriosissimi regis. Bartholomé ou Barptoumé (E. Vinet), notaire de Charles-le-Chauve.

Lorsque le rédacteur, le litterator ou le rogitus, a écrit la charte lui même ou la fait écrire sous ses yeux, elle est régulière de style et d’orthographe, parce que le rédacteur était un homme instruit ;— mais si le rédacteur n:en surveillait pas la reproduction, — ou, lorsqu’elle était reproduite plusieurs fois successivement, et à des distances considérables ; le scriptor, qui n’était guère qu’un manœuvre, souvent illettré, a commis les solécismes, et les barbarismes innombrables que nous y remarquons aujourd’hui, et que nous reproduisons pourtant pour ne rien changer à ces écrits.

[2Il y a là un mot omis impensis il faut lire, je crois : de impensis collativorum hominum.

[3Ici se termine la liste des hommes affranchis, au nombre de 92.

[4Ici commence la liste des femmes affranchies, au nombre de 83 ; en tout, 175 affranchis des deux sexes. Cette longue suite de noms d’esclaves, hommes et femmes, du VIe siècle, n’est pas la particularité la moins curieuse de cette charte déjà si intéressante.

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