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La tour de Broue à Saint-Sornin (17) - Notes sur son histoire

dimanche 23 mars 2008, par Pierre, 8146 visites.

Un donjon solitaire veille sur les marais. Fermez les yeux, imaginez un port de mer et un chantier naval avec des vaisseaux de 40 tonneaux, un village actif.
Le paysage a bien changé. Et si le réchauffement climatique recréait demain ces images du passé ?

Sources :
- Histoire sommaire de l’architecture religieuse, militaire et civile au Moyen Age – Arcisse de Caumont – Paris – 1836 – Books Google
- Archives Historiques de Saintonge et d’Aunis – T XIX – 1891 – Voir ce livre

Les marais-gats près de la tour de Broue
Photo : P. Collenot - 2002

LA TOUR DE BROUE à une lieue de la petite ville de Brouage Charente-Inférieure, à laquelle elle a donné son nom, a été il y a déjà long temps décrite par Bourignon, qui l’a regardée comme un phare destiné à éclairer la marche des vaisseaux [1].

Ce donjon est fondé sur un monticule factice qui s’élève d’environ 80 pieds au-dessus de la mer et du marais dont il est entouré. Il ne reste plus aujourd’hui qu’une moitié de la tour, celle qui faisait face à la côte ; mais il est facile de reconnaître qu’elle était carrée bâtie en moëllon, avec quelques rangs de pierres de taille de distance en distance. Cinq contreforts fortifiaient chacune de ces faces. Le mortier employé est rougeâtre et renferme des morceaux de charbon.

Le donjon de Broue avait, je crois, quatre étages. A l’intérieur de la partie qui subsiste (V. pl. XIX), on remarque deux portes cintrées qui aboutissent à un petit corridor pratiqué dans l’épaisseur du mur, à la hauteur de 36 pieds. Au dessus de ces ouvertures on aperçoit encore deux fenêtres au milieu desquelles est une cheminée (V. le point M) [2], disposition pareille à celle que nous avons remarquée dans les châteaux de Beaugency, de Loches et dans plusieurs autres du même temps.

Dans son état actuel, le donjon ruiné de Broue offre une hauteur de 75 pieds. La cour, au milieu de laquelle il est placé, était entourée d’un mur qui s’élevait à plus de 20 pieds, et le fossé avait d’un côté 50 pieds d’ouverture ; vers l’est, quelques ouvrages restent encore au-delà du fossé, où peut-être il y avait une seconde enceinte.

Le donjon de Tonnay-Boutonne entre Saintes et la Rochelle, figuré pl. XIX, celui de Tonnay-Charente, près de Rochefort, et celle de Lislot, figurée et décrite dans mon Cours d’Antiquités, offrent des tours carrées fort ressemblantes à celle de Broue : je ne m’arrêterai point à les décrire.

Arcisse de Caumont.


Tous les historiens qui ont parlé de la tour de Broue ont mentionné la chronique rapportée par Besly [3] d’après laquelle Guy Geoffroy, comte du Poitou, au retour d’une expédition aux îles d’Aix et d’Oleron, se serait arrêté et aurait séjourné à la tour de Broue. Ce texte prouve que ce château existait dès le XIe siècle, et, en outre, qu’à cette époque la mer en baignait les pieds. A la fin du XVIIe siècle, le canal de Brouage était navigable jusqu’au promontoire sur lequel la tour est bâtie, puisque l’on y construisait des navires de quarante tonneaux[Mémoires de l’intendant Begon, t. II des Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis. Voir ce document ]] ; enfin le P. Arcère nous apprend qu’en 1757, on trouvait, à la suite de fouilles, des ancres et des débris de navires non seulement auprès de Broue, mais dans les environs du château de Blénac, à plus de quatorze kilomètres des côtes actuelles. Fleuriau de Bellevue [4] a parfaitement analysé les causes physiques qui, même depuis les temps historiques, ont amené sur cette partie de notre littoral de sensibles modifications. L’envasement du havre de Brouage, la transformation en prairie de l’ancienne saline, sont des faits qui se sont passés sous les yeux de la génération présente ou de celles qui l’ont immédiatement précédée. Si donc nous nous reportons par la pensée au Xe ou au XIe siècle, nous comprendrons facilement pourquoi le nom d’îles était alors donné à toute la contrée comprise entre la Seudre, le canal de Brouage, la pointe du Chaput, et les hautes collines qui ferment au sud-est le bassin encore reconnaissable où les eaux de la mer se répandaient autrefois. Sur de récents attérissements formant trois éminences distinctes, s’élevaient, à l’époque dont nous parlons, les églises de Saint-Pierre de Sales, de Saint-Just, de Saint-Sornin, et, à la limite des marais, sur la côte anciennement baignée par l’océan, les châteaux de Broue, de Chessoul et de Montaiglin. Chessoul et Montaiglin ont depuis longtemps disparu. On peut encore cependant indiquer aujourd’hui le lieu où ils s’élevaient. Non loin de la colline qui a conservé le nom de Montélin, l’ancien Mons Aquilinus des vieilles chartes, près du village des Faveaux, à l’extrémité de la commune de Sainte-Gemme, on voit deux buttes féodales entourées de profonds fossés. Là, suivant la tradition populaire, était le château de Montéglin [5] La butte voisine n’a pas conservé le nom de Chessoul ; mais elle est évidemment l’emplacement même de ce château qui, suivant les anciens titres, était fort proche de Montaiglin.

Dans la charte de fondation de l’abbaye de Notre-Dame de Saintes, Geoffroy Martel et la comtesse Agnès, sa femme, abandonnèrent au monastère les églises de Saint-Saturnin, Saint-Just, Saint-Pierre de Sales, Saint-Martin de Sausillac et Le Gua, avec tous leurs droits utiles, et ensemble la dîme de toutes les terres depuis Montélin jusqu’à la pointe du Chaput. Les salines semblent exceptées de la dîme ; et ce qui confirmerait cette opinion, c’est qu’au XIIIe siècle, en 1233, l’abbesse de Saintes et Hugues-le-Brun, comte de La Marche, à la suite d’une transaction, séparèrent par des bornes les marais salants du comte des terres douces appartenant à l’abbaye. Bien que les abbesses de Saintes, comme nous le verrons plus tard, aient soutenu que la concession primitive leur avait été faite à titre de fief, cette prétention est en désaccord non seulement avec les termes mêmes de la charte, mais encore avec les faits, du moins en ce qui concerne les îles de Marennes. Ainsi Marguerite, femme de Rudel, comte de Blaye, mère de Geoffroy Martel, comme ayant droit à la moitié des terres du comté de Saintonge, avait reçu dans son contrat de mariage de l’année 1040 [6], une rente de 2,500 livres assise sur les territoires de Marennes, Pont-Labbé, etc. Plus tard, Rudel abandonna les redevances féodales de la seigneurie de Marennes, moyennant l’engagement pris par l’abbesse de Saintes de lui payer la rente constituée dans son contrat de mariage, rente qui fut rachetée en 1328 par le monastère de Sainte-Marie ; mais rien n’indique que les comtes de Saintonge aient abandonné leurs droits de suzeraineté sur les fiefs du territoire de Marennes, et leurs vassaux continuèrent à leur prêter hommage et après eux aux rois de France, héritiers de leurs droits. C’est ainsi qu’un aveu du XIIIe siècle [7] nous apprend que le château de Chessoul relevait du roi à cause de son château de Saintes ; il en était ainsi de celui de Montaiglin, et, à plus forte raison, de la tour de Broue.

Les ruines qui couvrent le sol autour du donjon de Broue, prouvent que, primitivement, l’enceinte fortifiée devait protéger une certaine agglomération de population. La charte de fondation de l’abbaye de Saintes nous apprend qu’en 1047 il y avait à Broue une église dédiée à saint Pierre et à saint Eutrope [8] ; un acte du XIIIe siècle mentionne aussi une chapelle [9]. Jusqu’au commencement du XVIe siècle, Broue portait le titre de ville, et avait encore un curé en 1786 [10] ; il est donc présumable qu’elle ne commença à être abandonnée qu’après 1555, alors que Jacques de Pons eût jeté à peu de distance les premières fondations de la ville de Brouage.

Nous croyons qu’il n’est pas sans intérêt de faire connaître quel était, il y a cent ans (1786), l’état des ruines de la tour de Broue. Les détails que nous donnons sont empruntés à un procès verbal rédigé par le juge baillif de la châtellenie de Marennes. Il s’agissait de constater les entreprises d’un sieur Thoulut, curé de Broue, qui, se prétendant propriétaire de la tour et de ses dépendances, démolissait le mur d’enceinte pour en reconstruire son presbytère.

« Nous nous sommes transportés... à ladite tour de Broue, dont il ne reste que le mur qui fait face au marais et à la mer au couchant, les parties du septentrion, midy et levant étant tombées par vétusté depuis plusieurs siècles. Observé que ledit fort était de forme quarrée, qu’il n’y a été fait aucune démolition ni dégradation nouvelle, qu’il est entouré d’anciens fossés, creusés de temps immémorial, que lesdits fossés étoient ceintrés d’une muraille en dedens d’iceux, desquelles murailles il ne reste que quelques vestiges au levant et midy, qu’entre lesdites murailles de ceinture et le fort, il y a une place ou plate forme ronde qui entoure ledit fort, qu’au milieu de ladite plate forme dans la partie du midy, il y avoit un ancien puy, la mardelle duquel formé d’une seule pierre de taille a été enlevée ; que la muraille du contour qui étoit de pierre de taille a été enlevée a la profondeur de douze ou quinze pieds, partie desquelles pierres sont éparses autour du puy qui est actuellement presque comblé de terre, et la mardelle a côté d’icelui... Sommes descendus dans l’ancien fossé au levant, où nous avons vu que le mur de ceinture qui subsiste en cette partie entre la plateforme et le fossé est nouvellement dégradée et les pierres enlevées dans l’étendue de soixante pieds de longueur sur environ neuf pieds de hauteur, qu’à la partie saillante du levant au midy les deux angles du mur sont dégradés par l’enlèvement de différentes pierres de taille qui formaient la baze de ladite partie saillante, et que dans la partie du même mur du midy au couchant il est dégradé de plus de trente pieds de longueur sur toute sa hauteur par l’enlèvement des pierres de revêtement, ledit mur ayant été dérazé .. Descendus de ladite éminance vulgairement appelé terrier de Broue, et transpoités au nord, nous avons observés que sur la partie dudit terrier, au milieu de sa hauteur, il a été fait une excavation considérable de terre et sable par ledit sieur Thoulut, curé, à ce que les susnommés nous ont assurés, et fouillé à plus de trente pieds de profondeur pour y chercher de la terre à verrerie nommée « terre de Broue », et que les déblais desdites terres ont été jetés sur la partie basse dudit terrier jusque sur le chemin qui conduit du marais-gat à la fontaine de Broue.

De là nous sommes transportés à une ancienne chapelle, au midy de la tour, sur ledit terrier, où nous avons observé que ladite chapelle avoit dix-huit pieds de largeur en dedans sur environ trente-cinq de longueur ; que les murs étoient de quatre pieds d’épaisseur et que ceux du nord et du couchant sont détruits et tombés de vétusté depuis un temps immémorial ; qu’il en existe encore un pan de dix-huit pieds de longueur sur dix-huit à vingt pieds de hauteur au levant, et que depuis peu de mois il a été détruit une partie au midy jusqu’aux fondements, ainsi qu’au levant dont il existe sur le lieu huit à neuf masses de moellons consolidés par le ciment ; lesdites masses plus ou moins grosses, et les unes portant les autres, de six pieds de grosseur sur ladite épaisseur de quatre pieds...

Fait et lu à Broue, le 4 mai 1786. Signé Fleury, juge baillif. Fontenelle, procureur fiscal. Houdouin, greffier ordinaire, et Hillairet, prévôt et sergent de siège. »

Voir en ligne : La tour de Broue (site Riches Heures)


[1Bourignon, recherches sur les antiquités de la Saintonge

[2C’est de cette cheminée que Bourignon fait le foyer de son fanal.

[3Histoire des comtes du Poitou, p. 377.

[4Etat physique du département de la Charente-Inférieure

[5Gautier, Statistique du département de la Charente-Inférieure, page 308. « Le bois taillis où était autrefois situé le château de Montaiglin. » (Aveu du 21 juin 1745).

[6Archives départementales, H, 76

[7Pièces justificatives, n° 61.

[8... Insuper dedimus dicte ecclesie, ecclesiam sancti Petri et sancti Eutropii de Broa...

[91241. Don de la chapelle de Broue et des droits en dépendant. (Voir pièces justificatives, n° 37).

[101540, 25 novembre. Aveu par le curé de Broue des biens qu’il détient en franche aumône. (Ibid., n » 105).

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