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Les "Lemnia" du Poitou-Charentes

Histoire d’un mot régional disparu

dimanche 26 août 2007, par François Vareille, 8852 visites.

Aux époques carolingienne et féodale, des zones situées en bordure des forêts portaient le nom de "lemnia". Il en reste des traces dans la toponymie régionale. D’où vient ce mot ? Qu’y faisait-on ?

 Les "lemnia" du Poitou-Charentes

Plan de l’article

Introduction Ce mot a-t-il laissé des traces dans la toponymie ? Quelle étymologie ?
Quelle activité économique ? Répartition géographique des toponymes « Laigne » Sur le sens médiéval de « lemnia »
Conclusion

Appel aux lecteurs

Participez à cette étude

C’est un mot rare, de sens incertain, que j’ai rencontré trois fois dans des chartes concernant le prieuré de Saint Junien de Mairé l’Evescault, dépendant de l’abbaye de Nouaillé :
- Nouaillé 13 (831 ou 832, échange de terres à Mairé et à Caunay) : Le septième champ, qui est dit "aux limia", d’un côté la terre de Saint Hilaire, et de deux côtés la terre d’Adon, du quatrième front la forêt.
- Nouaillé 174 (1093, don de Guillaume Barthélémy) : Moi, Guillaume Barthélémy, je donne … la part que j’avais dans les lemmes d’Ardilleux.
- Nouaillé 219 (entre 1167 et 1199, don de Maingot de Melle) : Je donne … tout ce que j’ai par droit de seigneurie dans le bois de Clussais appelé "bois de saint Junien", le mansurale que j’ai à Clussais, et les lemnes, et tout ce qu’Aimeri Malles était tenu de me rendre comme servitude liée à ces dons. Le susdit Aimeri versera chaque année la veille de Noël deux sous au prieur de Clussais, et si Aimeri lui-même, ou quelqu’un mandé par lui, commet quelque dégât dans ledit bois, qu’il en réponde à la première semonce devant la personne dudit prieur et obéisse à son droit.

Limia, lemma, lemnia : le mot semble difficile à prononcer et à écrire pour les scribes du moyen-âge. Il désigne apparemment un environnement forestier produisant un revenu intéressant.

Qu’en dit le dictionnaire du latin médiéval de Niermeyer ?

Lemnia, lempnia (origine incertaine) : lisière d’un bois (ni fallor : si je ne me trompe.)
"une forêt avec des limites fixées, à savoir qu’une "lemma" arrive contre le pagus X, une seconde "lemma" contre le pagus Y, une troisième "lemma" contre le pagus Y." (diplômes carolingiens n° I, 87, en 774) -
"Cet alleu est circonscrit ainsi : de face et sur un côté il y a la lempnia de B." (ch. Nouaillé n° 74, en 989)

Le second des exemples proposés par Niermeyer, extrait lui aussi du cartulaire de Nouaillé, concerne un lieu situé en Saintonge [1]. Je n’ai pas les moyens de vérifier de quelle forêt parle le diplôme caroligien, mais je suis prêt à parier qu’il s’agit aussi d’une forêt d’Aquitaine.

 Ce mot a-t-il laissé des traces dans la toponymie ?

- le lieu-dit les Leignes, juste à l’ouest de Clussais (= Nouaillé 219).
- le bois des Lignes, au nord de Sauzé-Vaussais, à l’est de Mairé (= Nouaillé 13).
- le lieu-dit la Laigne, au sud de Chef-Boutonne, à l’ouest d’Ardilleux (= Nouaillé 174).
Portent aussi ce nom, dans la région, des villages implantés au cœur d’anciens massifs forestiers :
- le village de Leignes-sur-Fontaine, dans la Vienne, entre Chauvigny et Montmorillon [2]
- le village de La Laigne, en Charente-Maritime, au nord de la forêt de Benon [3].
- J’aurais tendance à y joindre les deux Leigné de la région de Châtellerault : Leigné-les-Bois au sud-est, Leigné-sur-Usseau au nord-ouest, parce qu’ils sont entourés de lambeaux de forêts [4].

On trouve un peu partout des micro-toponymes issus de lemnia [5] . Il peut être difficile de les identifier en raison de leur convergence phonétique avec les dérivés du latin lignum, bois [6] , voire avec les dérivés régionaux du latin linea, ligne [7] . (pour les deux Laigné : lignum ou lemnia ?)

Toutes les occurrences relevées ci-dessus se situent en Poitou-Charentes. La consultation du Dauzat ne fournit pas de nom de village pouvant provenir de lemnia dans le reste de la France. On aurait donc affaire à un vocable régional, propre au dialecte poitevin-saintongeais.

 Quelle étymologie ?

Le latin avait une racine *lim- signifiant bordure frontière, d’où dérivent limes, limitis : limite, chemin, frontière ; limbus, i : lisière, bordure, frange ; et limen, liminis : seuil, entrée, barrière. On n’a pas trouvé jusqu’à présent trace de cette racine *lim- dans d’autres langues indo-européennes.

Il se peut que lemnia vienne de limen (pluriel neutre limina compris comme un féminin), ce qui s’adapterait à l’interprétation de Niermeyer : lisière d’un bois. Toutefois les villages cités ci-dessus ont été manifestement implantés à l’intérieur de la forêt, dans des clairières de défrichement.

Il se peut aussi que lemnia vienne d’un mot gaulois (issu de la même racine ?). Ce qui m’incite à envisager une origine celtique est le toponyme Vandeleigne (village du canton de Brioux), composé de l’adjectif vindo : brillant, beau, et d’un nom inconnu qui ressemble fort à lemnia [8] .

 Quelle activité économique ?

Quelle que soit l’étymologie de lemnia, ce vocable, s’il semble désigner à l’époque carolingienne une lisière de forêt, représente à l’époque féodale un revenu forestier. Sur quelle activité ?

Probablement la coupe de bois de chauffage. La lemnia pourrait être une zone de stockage, en lisière de forêt ou dans une clairière, où bûcherons et paysans dûment autorisés entreposaient leurs cordées de bois, avant de les emporter ou de les vendre, ce qui permettait au seigneur de prélever au passage une taxe ou une part. Un équivalent sylvicole de l’aire de battage, en quelque sorte.

Y a-t-il d’autres hypothèses envisageables ? La forêt médiévale offrait de multiples ressources : par exemple la glandée, ou le fauchage des fougères, ou la production de charbon de bois pour la métallurgie. Toutefois les emplois de lemnia relevés ci-dessus ne désignent pas l’ensemble de la forêt, mais une zone particulière.

Le mot a dû tomber en désuétude vers la fin de l’époque féodale (XIIIème-XIVème). Mais les toponymes qui en subsistent sont autant de marqueurs qui dénotent soit l’existence d’un massif forestier disparu, soit l’ancienne lisière d’une forêt ultérieurement rognée par les défrichements.

 II. complément d’enquête sur les "lemnia"

Les investigations supplémentaires qui suivent m’ont permis d’obtenir une image plus précise de l’aire d’utilisation du terme médiéval "lemnia", et de réformer mon hypothèse quant à son champ d’application : il ne s’agit ni d’une lisière ni d’une clairière, mais d’un bois aménagé.

 Répartition géographique des toponymes « Laigne »

La « bd nyme » des cartes numérisées de l’IGN permet de constituer une liste à l’échelon national :

<table7>Les trois quarts de ces toponymes (23 sur 30) sont groupés dans une même aire géographique remarquablement restreinte : Charente Maritime – ouest Charente – sud Vendée – sud Deux-Sèvres – sud Vienne.

Deux petits paquets lointains, en Champagne (4 toponymes), et dans l’Aude (2 toponymes), ont probablement d’autres explications.

Restent deux occurrences isolées dans un grand sud-ouest (Haute-Vienne, Cher) : des étoiles éloignées de la galaxie ? En revanche les lemniae de la Touvre, citées dans les cartulaires d’Angoulême, n’ont pas de trace toponymique actuelle.

Le vocable médiéval « lemnia » était donc plutôt saintongeais que poitevin. Il me semble correspondre à cette zone qui aurait, dit-on, basculé vers le XIIème siècle de la langue d’oc à la langue d’oïl (mais ce n’est pas un mot occitan.)

Sa fréquence d’utilisation est maximale aux alentours de l’ancienne sylve d’Argenson, bande forestière qui séparait les Santons des Pictons, dont les forêts actuelles de Benon, Chizé, Aulnay etc … ne sont que des débris. S’est-il répandu à partir de là vers le sud ?

Je laisse de côté la question, vraisemblablement connexe, des toponymes « Laigné » ou « Ligné » issus de « lemniacum ». Il y a, là aussi, une prédominance régionale, mais l’état de la documentation ne permet guère de mener une investigation sur des bases solides : comment établir, en l’absence de formes anciennes, qu’un « Ligné » vient de bien de lemniacum, et non d’une autre racine : lignum, Linus, Latinus … ?

 Sur le sens médiéval de « lemnia »

Il y a lieu de distinguer le haut moyen-âge et l’époque féodale.

A l’époque carolingienne le terme apparaît dans des contextes de délimitation. Ces emplois ne permettent guère de choisir entre les concepts de lisière, de clôture ou d’espace aménagé (taillis, fûtaie ...)

A l’époque féodale le terme apparaît dans des tractations concernant des revenus, des usages, des droits de seigneurie.

la lemnia est de toute évidence une surface boisée :

« Moi, Aizon Ostent, je concède et donne … aux chanoines d’Angoulême … la lemnia sise entre le pont de la Touvre et les prés consulaires, et toute la terre touchant à cette lemnia. (vers 1101-1130 , cartulaire de l’église d’Angoulême, BSAHC 1899, 84-86)
« Ce sont les cens du seigneur évêque d’Angoulême sur les prés, eaux et lemnes d’Ecorchevieille, dans la paroisse de Bugnac …. » (ibidem)

on en extrait du bois de chauffage :

« Je donne, pour le feu et les autres nécessités, les arbres de mes lemnes de Pons, à l’exception du chêne et du frêne . » (cartulaire de Saint-Cybard d’Angoulême, cité par Du Cange, sans date)
« Je donne à saint Cybard le chauffage sur mes lemnes de Marcillac … et qu’ils reçoivent de mes lemnes autant qu’il leur sera nécessaire pour leur chauffage. » (ibidem, charte d’Aimeri de Rancon)

on y pratique la glandée :

« Guillaume Machelin, chevalier, de Bugnac, fait hommage lige au seigneur Guillaume, évêque d’Angoulême … pour les prés des lemnes … et aussi pour le bois appelé vulgairement les Lemnes, que Pierre Giraud, chevalier, de Bugnac, tient de lui … et aussi pour les pâtis qu’on dit lui appartenir pour ses porcs dans toutes les lemnes du prieur de Voerta, et dans la lemne des Eyssax. »
(cartulaire de l’église d’Angoulême, BSAHC 1899)

on y chasse :

« Moi, Adhémar, comte d’Angoulême … comme mes hommes allaient chasser dans le plessis et dans la lemne de l’évêque, qui est à côté dudit village de Saint Thomas, ce qui n’était pas convenable et n’allait pas sans dommage pour le village lui-même, j’ai exempté la lemne et le plessis, pour ledit évêque Jean et ses successeurs, de toute chasse et de toute inquiétude, pour que lui-même et ses successeurs aient librement à perpétuité et possèdent en toute quiétude le plessis et la lemne, et que personne n’ose venir y chasser, sauf au nom de l’évêque d’Angoulême. »
Voir sur le Livre des fiefs de Guillaume de Blaye

Le plessis et la lemne sont-ils des éléments distincts ? on a plutôt affaire à une de ces redondances qui alourdissent les textes juridiques du bas moyen-âge. La lemne de l’évêque est donc un plessis, ce qui ne nous avance guère. Quelque chose comme un parc, ou plutôt un bois réservé, comme la touche ou le défens ?

Chaque seigneur tient à avoir sa lemne :

« La lemne dite L’ortau (le jardin ?), qui est entre la lemne du seigneur Amaury de Monfort et la lemne d’Aymon de Bouteville. » (cartulaire de l’église d’Angoulême, BSAHC 1899)

Une lemne peut être tenue en fief, ou en prévôté :

« Pierre des Prés, chevalier, fait hommage lige … et excepté pour les lemnes de Ceys qu’il tient du seigneur de Taures. » Voir sur le Livre des fiefs de Guillaume de Blaye

« Moi, Geoffroy Richard, et moi Pierre Geoffroy, … nous avons abandonné à … l’église d’Angoulême, la prévôté que nous revendiquions sur la lemne de Saint Pierre, qui jouxte les prés du comte. »
(cartulaire de l’église d’Angoulême, BSAHC 1899)

Une lemne peut générer de gros revenus :

« Et aussi pour quatre livres de revenu annuel, qu’il perçoit sur la lemne du moulin, sur les prés que tiennent et possèdent en ce lieu les homme du Breuil et de Tesson, de Bugnac et de Cembes … et aussi pour six boisseaux annuels de froment que lui verse Geoffroy Giraud du Puy et ses frères, pour le bois de Ligné, récemment défriché. »
Voir sur le Livre des fiefs de Guillaume de Blaye

Au moins trois lemnes ont donné leur nom à une seigneurie mentionnée dans des actes de la fin du moyen-âge :

- Adhémar de la Laigne, seigneurie de la Laigne : canton de Courçon, AHSA II
- Seigneurie de la Leigne, commune de Sainte Lheurine, AHSA III
- Jean Dabillon, seigneur de la Leigne, canton de St Jean d’Angély, AHSA IV

Certaines lemnes sont en terrain marécageux ou aquatique :

« Et la lemne qu’il possède à côté de son manoir, entre deux eaux. »
(cartulaire de l’église d’Angoulême, BSAHC 1899)
(Les lemnes sont souvent couplées avec des prairies, à proximité d’un moulin.)

Du reste une rivière marécageuse a reçu le nom de Lemne :

« la route qui va à Muyssac sur la Lemne »

« La veuve de maître Pierre Girard, cinq deniers et une obole pour les « mottes » de la Lemne. »

« Elie Hugues, fils d’Arsende Badyfole, d’Aires, deux sous et six deniers pour les trois « mottes » de la Lemne. »

« Hélie Hugues et Arsende Batifole d’Aires, sa mère, deux sous pour les trois « mottes » de Lalemne près Planches Goufiers, réduites à la culture du blé. »
(chartrier de Pons, AHSA IX. Il s’agit du cens de la seigneurie de Planches-Goufiers, dont je n’ai pas su déterminer l’emplacement sur la carte.)

Les « mottes » en question sont une autre curiosité toponymique. Ce terme est lié à la notion de pêcherie dans des textes d’autres régions. Peut-être a-t-il désigné à l’origine une levée de terre destinée à créer une retenue d’eau, et par extension un étang ou un pré marécageux ?

 En guise de conclusion

Cette petite enquête s’arrête ici. Mais le sujet n’est pas clos, il reste des directions de réflexion et d’investigation :

- On voit sur la carte des Laignes un vide au centre de la Charente Maritime : hasard ou indice historique ?

- La plupart de ces toponymes sont manifestement des créations d’époque féodale. Est-il possible de déceler une couche toponymique antérieure ? (absence d’article, disparition de la forêt, importance de l’habitat …)

- Cet objet médiéval qu’on désignait localement sous le nom de lemne, comment l’appelait-on ailleurs ?

- D’une manière plus générale, qu’est-ce qui permettait de distinguer les différents types de surface boisée, et incitait le locuteur ou le scribe à utiliser tel mot plutôt qu’un autre : silva, nemus, boscus, forestis, hagia, lemnia, playssatum, breuil, touche, garenne, défens … ?

- J’avais déjà été frappé, au hasard des textes, par le fait qu’un bois pouvait générer des revenus considérables (cf l’aliénation de Mougon. Dans l’échelle des valeurs, le bois se plaçait souvent au niveau de la prairie, sous la vigne mais au-dessus du champ cultivé. Dans une telle perspective, qu’est-ce qui pouvait amener les hommes du moyen-âge à défricher un bois pour le réduire en prairie ou en culture ?

 III. aire d’utilisation de "lemnia" : une carte en construction.

La version de "bd nyme" vendue avec les cartes numérisées IGN-Bayo ne repère pas les éléments de noms composés (par exemple "Leigne" dans "le moulin de la Leigne" ou dans "Vandeleigne"). Mais ce service est offert en ligne sur le site internet ign.fr, ce qui permet d’étoffer les listes de toponymes :

Liste des Laignes en Poitou-Charentes et départements adjacents

toponyme Commune département nature
bois de Leigne Charmé 16 bois
La Leigne Condac 16 habitat
bois de Laigne Raix 16 bois
Leigne Villefagnan 16 habitat
La Laigne Allas-Bocage 17 habitat
La Laigne Asnières-la-Giraud 17 habitat
Moulin de la Laigne Asnières-la-Giraud 17 moulin
ruisseau de la Laigne Belluire 17 cours d’eau
bois des Lignes Benon 17 bois
La Laigne Fontaine-Chalendray 17 lieu-dit
forêt des Lignes Gémozac 17 bois
La Laigne La Laigne 17 village
La Leigne Le Thou 17 lieu-dit
La Leigne Le Thou 17 lieu-dit
La Laigne Loulay 17 lieu-dit
La Laigne Louzignac 17 lieu-dit
bois de la Laigne Louzignac 17 bois
La Laigne Migré 17 lieu-dit
La Laigne Mosnac 17 habitat
bois des Laignes Mosnac 17 bois
La Laigne Sainte-Lheurine 17 habitat
La Laigne Saint-Mard 17 habitat
ruisseau des Laignes St Génis de Saintonge 17 cours d’eau
La Laigne Chef-Boutonne 79 lieu-dit
Les Leignes Clussais-la-Pommeraie 79 lieu-dit
La Leigne Fontenille-Saint-Martin-d’Entraigues 79 lieu-dit
La Laigne Mougon 79 lieu-dit
bois des Lignes Pliboux 79 bois
Leigne Saint-Martin de Saint-Maixent 79 habitat
bois de la Laigne St-Etienne-la-Cigogne 79 bois
La Laigne Villiers-sur-Chizé 79 lieu-dit
La Laigne Liez 85 lieu-dit
Moulin de Leigne Cloué 86 moulin
le haut de Leigne Cloué 86 habitat
Leignes sur Fontaine Leignes-sur-Fontaine 86 village
Les Leignes Saint-Gaudent 86 lieu-dit
Les Leignes Saint-Martin-le-Mault 87 lieu-dit

La liste a presque doublé, sans modifier sensiblement la carte.

En utilisant les sources médiévales que j’ai pu consulter ou qui m’ont été signalées (en particulier le cartulaire de la forêt de Boixe, publié par André Debord, dont Jacques Duguet m’a fort obligeamment communiqué des extraits), il m’est possible d’esquisser une carte combinant toponymes "Leignes" actuels et lemnes disparues.

 Critères d’évaluation : incertitude et inachèvement

- Il s’agit d’un état provisoire, qui pourra être complété au fur et à mesure des occurrences repérées.

- L’état des Leignes dépend des choix de l’IGN. On sait que les noms de lieux-dits enregistrés sur les cartes au 1/25.000° ne sont qu’une faible fraction des toponymes portés sur les cadastres, eux-mêmes incomplets.

- L’état des lemnes dépend des sources disponibles, c’est-à-dire des cartulaires qui ont été conservés jusqu’à nos jours. Cartulaire disparu = pas de lemnes.

- Cet état ne peut être ni précis ni exhaustif : les sources n’indiquent pas l’emplacement exact d’une lemne à l’intérieur d’une paroisse, et je n’ai pas réussi à déterminer l’emplacement de certaines localités (par exemple "Bunhaco", "Sancti Thome", "Escorchavielha" dans les environs d’Angoulême.)

 Analyse des données

Cet essaim de points dessine assez nettement un périmètre qui couvre la Saintonge et ses abords immédiats, avec quelques électrons libres en direction du nord-est.

A l’intérieur de ce périmètre subsiste une zone vierge dans le triangle Rochefort-Saintes-Royan : hasard des sources ou indice révélateur ?

 Variantes ou composés de "leigne" ?

toponyme Commune département nature
les Palaignes Rouzede 16 lieu-dit
Berlaigne Brie-sous-Matha 17 lieu-dit
l’île Aleigne Germignac 17 lieu-dit
fief de Beglaigne la Grève sur Mignon 17 lieu-dit
bois de Berlaigne Louzignac 17 bois
Saleignes Saleignes 17 village
l’Alaigne Tonnay-Charente 17 habitat
les Aleignes Vandre 17 lieu-dit
Vandeleigne Asnières 79 village
Monlaigne Bressuire 79 habitat
Vandelaigne François 79 habitat
l’Aleigne St Maxire 79 lieu-dit

La ressemblance phonétique est sans doute en général une pure coïncidence. Il faudrait dans chaque cas rechercher les formes anciennes et explorer les origines possibles.

- Je crois qu’on peut par exemple écarter les deux "Berlaigne" (Brie-sous-Matha, Louzignac), liés à l’existence d’un cours d’eau, même s’ils ont pu apparaître sous la forme "Barre Laigne" dans des textes anciens. Ils doivent venir d’un dérivé *Berlania du gaulois "berlo", cresson.

- A l’inverse je soupçonne les deux "Vandeleigne" de révéler l’existence antique du mot lemnia, comme je l’ai expliqué dans l’article précédent.

- Le cas le plus intéressant est celui des quatre "Aleigne" et "Alaigne". Interprétation erronée de l’article (la leigne > l’aleigne) ou inclusion de la préposition dans le mot (à leigne > aleigne), ces deux phénomènes sont bien attestés en toponymie. Mais il y a peut-être une toute autre explication.

 les toponymes "Laigné" et "Ligné"

Ces toponymes appartiennent à la série des noms antiques en -ac.

Chacun sait que la plupart désignent des domaines de propriétaires gallo-romains (Sabinus > Sabiniacum > Savigny, Sévigné, Savignac). Mais il a été montré que certains ont pu être formés sur des noms communs (buxus > Buxiacum > Bussy), et que la suffixation en -ac a pu perdurer un certain temps au cours de l’époque mérovingienne, malgré la concurrence d’autres procédés (noms en -ville-, en -court ...) [9]

On trouve dans Dauzat un Leigné provenant de Lemniacum (cf ci-dessus), et Morlet signale la même origine pour un Ligné du Pöitou-Charentes (dictionnaire des noms de personnes ...).

La carte établie grâce aux occurrences de la bd nyme de l’IGN montre une faible densité, également répartie sur l’ensemble de la région. Je crois qu’on pourrait étendre cette observation à tout le territoire français (toponymes Ligny, Lignac, Leigneux etc ...).

Bref, la série de "Ligné" et "Leigné" n’offre guère de prise à l’analyse.

 Appel aux lecteurs

- Si vous connaissez des toponymes "Laigne", "Leigne", "Les Leignes", "Les Lignes" passés inaperçus sur les cartes IGN, ou encore des toponymes "Laigné", "Ligné", "Linhac",

- Si vous connaissez des sources anciennes mentionnant l’existence de lemnes,

ayez la gentillesse de me les signaler par un commentaire à cet article au bas de cette page (clic sur "Répondre à cet article"), ou en suivant ce lien : cela permettra de compléter la carte ci-dessus. Merci.


[1Traduction de cette charte sur le net. Le traducteur n’y parle pas de bois, mais de domaine. Il s’agit de St Sauveur de Nuaillé, donné par le comte de Poitiers.

[2Dauzat : Lemnia 1093, Lemna 1123, Lempnia 1177 : nom d’homme gallo-rom. Lemnius du gaulois Lemnos.

[3Dauzat ne propose ni forme ancienne ni interprétation, il se borne à comparer avec un toponyme champenois.

[4Dauzat : Laingniacum et de Laingniaco 637 : nom d’homme latin Latinius et suffixe acum.

[5Au hasard des cartes : le bois de Laigne entre Raix et Courcôme (16), Leigne (hameau) entre Raix et Souvigné (16), le Lineau (lieu-dit) au bout de la forêt de l’Hermitain (79), la Lignatte (village) au N de Loulay (17), la Laigne (hameau) au S de St Jean d’Y(17), la Laigne (ferme) à l’E de Surgères (17), la Châgnée de Linais (lieu-dit) au S de Mauzé (79), la Laigne (lieu-dit) au NE de Cressé (17) …

[6Greimas, dict. de l’ancien français : leigne, laigne, legne, laine n.f. (1190, du latin lignum et ligna pluriel neutre pris pour féminin) : 1. Bois en général. 2. Bois à brûler - laignier n.m. (1306) 1. Coupe de bois. 2. Provision de bois.

[7Piveteau, dict. du poitevin-saintongeais : legne n.f. ligne. - legnour n.m. pêcheur à la ligne.

[8Ledain, dict. topogr. des Deux-Sèvres : villa Vindolemia (964), Vendolenia (1110). A noter l’hésitation entre m et n. Dauzat ignore ce toponyme. Il existe un autre Vandeleigne dans le Niortais (commune de François), ainsi que Vandeloigne (village et rivière) au centre des Deux-Sèvres. Ledain n’en donne que des occurrences tardives.
Du reste on connaît des composés adjectif gaulois + substantif latin : Vandoeuvre (86) = Vindo + opera.
Il y a aussi, au bord de la forêt d’Aulnay, le village de Saleignes, dont le nom n’a pas reçu d’explication satisfaisante.

[9Une incertitude similaire plane, par exemple, sur les noms en -ière. On sait que la plupart ont été formés aux XIIème-XIIIème autour de noms de colons paysans (Bertrand > la Bertramnière), mais le suffixe était déjà actif dans l’antiquité (asinaria > Asnières) et continue à servir jusqu’à nos jours (la volière, la sapinière.)

Messages

  • Je ne vois rien à ajouter à ce qu’a écrit Greimas.

    • Juste un supplément bibliographique :
      Du Cange, t. V, page 15 ("laignerium") et page 63 ("lemnia") ; Godefroy, t. IV, pages 700-701 ("laignage", "laigname", "laigne", "laignier"...)
      Et il serait intéressant d’interroger sur ses sources le rédacteur du site de Brie-sous-Matha qui a écrit ceci : "La laigne, autrefois "Leigne" correspond généralement à des bois taillis souvent en bordure de forêt, destinés au bois de chauffage ou à la confection des outils. A noter qu’à proximité, sur la commune voisine de Louzignac, se trouvent les "Bois de Berlaigne". Une petite source dont les eaux contournent le village, pourrait confirmer que "laigne" est souvent associée à la notion de source, de fontaine, de rivière"...

      Voir en ligne : Du Cange : Glossarium... ; Godefroy : Dictionnaire de l’ancienne langue française...

    • Merci pour vos références particulièrement intéressantes.

      Je ne savais pas que Du Cange et Godefroy étaient disponibles sur internet. Apparemment Du Cange a identifié le vocable "lemnia" avec la notion de forêt à partir des citations dont il disposait.

      Je ne connaissais pas non plus le joli site de Brie-sous-Matha. En ce qui concerne la Berlaigne (cours d’eau), il me semble qu’un rapprochement s’impose avec le gaulois "berlo", cresson (> *Berlania ?), ce qui exclurait tout rapport avec lemnia>laigne. Reste à savoir d’où le rédacteur du site a tiré ses informations sur le mot laigne.

      Je vais tâcher de poursuivre mon enquête :

      - dans les chartes médiévales, pour voir ce que peuvent révéler les utilisations du mot "lemnia" (un texte charentais évoque la glandée des cochons).

      - hors du Poitou-Charentes, pour vérifier si lemnia>laigne n’apparaît pas dans d’autres régions. (jusqu’à présent rien de consistant : un Laigne, en Bourgogne, sans mention de forme ancienne, et un Lemmes, du côté de Verdun, forme ancienne Lema 940 = gaulois boue ?)

      - dans la région, où il semble qu’il y ait une sorte de frontière linguistique entre Poitiers et Civray : au sud on trouve de nombreux toponymes "la Laigne" ainsi que des "Ligné" issus de Lemniacum ; au nord je n’ai pas trouvé jusqu’à présent de "la Laigne", mais plusieurs Laigné, jusque dans la Sarthe et la Mayenne.

      Cordialement.

    • Le rédacteur du site de Brie-sous-Matha, que je connais très bien, apporte ses références : " A la rencontre des lieux-dits du Pays de Matha ", ouvrage collectif publié en 2000 par l’Association Culturelle du Pays de Matha.

      Le texte cité par Christian est tiré de l’article sur le toponyme "Berlaigne", avec cette précision supplémentaire : "Un bail d’arrentement de 1629 fait état d’un "Mas de Baulaigne" en la paroisse de Brie".

      Sur la commune de Louzignac, voisine de Brie, on trouve 3 mentions du toponyme :
      - "Barre Laigne" avec la définition suivante : "Bois et cultures situés en limite du lieu-dit Berlaigne sur la commune de Brie ... Barre a ici le sens d’extrémité, de séparation."
      - "Bois de la La Laigne"
      - "La Laigne" : Autrefois vaste espace boisé destiné à fournir du bois de chauffage.

      Sauf erreur de ma part, ce sont les seules apparitions de ce toponyme sur les 25 communes du canton de Matha.

      Comme cette association, dont je suis membre, se réunit 2 mardis par mois, 12 mois sur 12, je questionnerai mardi 7 août les rédacteurs de cet article pour en savoir plus, si possible.

      Cordialement

    • En complément de mon message précédent, au sujet de la publication de l’Association Culturelle du Pays de Matha, voici la bibliographie indiquée à la fin de l’ouvrage.

      - Châteaux, Manoirs et Logis - La Charente-Maritime (ASSOCIATION PROMOTION PATRIMOINE 1993).
      - Dictionnaire étymologique de la langue française - (BLOCH et WARTBURG, 1932).
      - Dictionnaire Latin – Français - (GUICHERAT et DAVEUY).
      - Dictionnaire universel encyclopédique « Nouveau Larousse illustré ».
      - Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France (DAUZAT et ROSTATNG, 1963).
      - Dictionnaire des Communes - département de la Charente-Maritime volume II - (M. A. GAUTIER : Chef de Division à la Préfecture, Édition 1992).
      - Dictionnaire étymologique Larousse - (SHIZZ, avril 1971).
      - Dictionnaire du Poitevin Saintongeais - (VIANNEY PIVÉTÉA 1er trimestre 1996).
      - Études sur l’Ancien Diocèse de Saintes - (l’Abbé CHOLET, 1865).
      - Flore complète portative de la France, de la Suisse et de la Belgique - (BONNIER, 1966).
      - Glossaire du patois et du parler de l Aunis et de la Saintonge - (MUSSET, 1929-1948).
      - Glossaire des parlers Populaires de Poitou - Aunis - Saintonge – Angoumois - (SEFCO - tome I 1992 tome II 1993 - tome III 1994).
      - Inventaire archéologique de l’Arrondissement de Saint-Jean d’Angély - (Dr TEXIER).
      - Inventaire sommaire des Archives départementales de la Charente-Maritime antérieures à 1790 - (CHARTRIER DE MATHA).
      - Les noms de villes et de villages - (ÉRIC VIAL, avril 1990).
      - Les noms de Terroirs ou la Mémoire des lieux (PUAUD, 1992).
      - Les noms des lieux dans la région Poitou-Charentes - Rumeur des Ages - (JACQUES DUGUET, 1986).
      - Le Parler savoureux de Saintonge - (RAYMOND DOUSSINET).
      - Noms des lieux des Charentes : introduction à la toponymie (DUGUET, 1995).
      - Origine des noms de villes et villages de Charente - Charente-Maritime (JEAN-MARIE CASSAGNE - STÉPHANE SEGUIN).
      - Petite Histoire des noms de lieux - Villes et villages de France - (PIERRE MIGUEL).
      - Toponymie Gasconne (Sud Ouest) - (BÉNÉDICTE ET JEAN-JACQUES FERREE).
      - Traité du Fief suivant les coutumes de France - (MAISTRE CLAUDE DE FERRIÈRE, 1680).

    • Voici un commentaire bien sibyllin. Vous pensez que les "Laignes" du Poitou-Charentes viennent de l’ancien français laigne = lignum ? Cela paraît évident, mais comment se débarrasser des difficultés ?

      1. Il y a identité entre les toponymes "la Laigne" et un mot du latin médiéval "lemnia" qui apparaît dès la fin de l’époque mérovingienne. Est-il possible que "gn" ait pu être déformé en "mn" dès le VIIIème siècle, et constamment par la suite ? En avez-vous d’autres exemples ?

      2. Le sens de "bois de chauffage’" est-il compatible avec l’utilisation de "lemnia" dans les chartes carolingiennes pour désigner une lisière ?

      3. Les anciens français laigne (= bois de chauffage) et laignier (= réserve de bois) ont été utilisés dans tout le domaine de la langue d’oïl. On s’attendrait logiquement à trouver un peu partout dans le nord de la France des toponymes dérivés de ces mots. Or il semble bien que le mot "lemnia" dans les chartes, et le toponyme "la Laigne", n’apparaissent que dans une zone relativement restreinte, du sud de Poitiers à Angoulême. Avez-vous des contre-exemples ?

    • Le mot féminin "leigne" est issu d’un latin "ligna", pluriel du neutre "lignum" interprété comme un féminin singulier. Greimas l’a signalé. Les scribes du Moyen Age n’ont pas su le traduire en latin. Ils ont inventé un mot "lemnia". Cependant, leur invention n’est pas absurde car le groupe "-mnia" aboutissait à "-gne" de leur temps. Ils avaient su faire cette observation.
      On ne peut tenir compte d’une interprétation obscure d’un mot d’un capitulaire. Il faudrait posséder le texte intégral pour juger. Quant à l’usage de "leigne" dans tout le domaine de la langue d’oil,il n’est pas prouvé.
      Pour moi,en l’état de la documentation, il n’y a pas de problème.

    • Bonsoir, M. Duguet.

      Vos remarquables articles sur l’Aunis et la Saintonge m’ont appris beaucoup de choses, et je suis content d’avoir trouvé sur votre site http://perso.orange.fr/duguet/index.htm trois histoires détaillées de prieurés qui corroborent les évolutions que j’observe dans le Mellois : http://archeomellois.canalblog.com.

      Le mot féminin "leigne" est issu d’un latin "ligna", pluriel du neutre "lignum" interprété comme un féminin singulier. Greimas l’a signalé.

      - Oui. Moi aussi.

      Les scribes du Moyen Age n’ont pas su le traduire en latin. Ils ont inventé un mot "lemnia".

      (lemnia, lempnia, lepnia, lemma, limia …)

      - Il est curieux que ces scribes, pour traduire laigne, n’aient pas songé à lignum. Il est encore plus curieux qu’ils soient allés choisir une finale rare en latin plutôt qu’une finale courante bien représentée en français : -gnus,-gna (digne, enseigne, règne, magne, poigne) ; -nea (ligne, vigne, araigne), -ania (campagne, compagne)

      Encore une bizarrerie : deux savants éditeurs de dictionnaires du latin médiéval, du Cange et Niermeyer, n’ont pas songé à adopter votre explication.

      Cependant, leur invention n’est pas absurde car le groupe "-mnia" aboutissait à "-gne" de leur temps. Ils avaient su faire cette observation.

      - C’est ce que je ne sais pas. Avez-vous d’autres exemples ? La finale est plutôt rare en latin ( calumnia, solemnia, omnia … quoi d’autre ?) et je ne vois pas de mot français en –gne venant d’un latin –mnia.

      On ne peut tenir compte d’une interprétation obscure d’un mot d’un capitulaire. Il faudrait posséder le texte intégral pour juger.

      - Il ne s’agit pas d’un hapax, mais de plusieurs dizaines d’occurrences trouvées dans des cartulaires régionaux, sur une période d’environ cinq siècles (750-1250). Vous avez eu la gentillesse de m’envoyer une bonne douzaine de citations tirées du seul cartulaire de la forêt de Boixe.

      Quant à l’usage de "leigne" dans tout le domaine de la langue d’oil, il n’est pas prouvé.

      - Un coup d’œil sur le dictionnaire Godefroy http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k506370/f704.table vous convaincra du contraire. Laigne et ses dérivés ont été utilisés dans tout le domaine de langue d’oïl, depuis la Normandie jusqu’au Lyonnais, avec une nette prédominance des dialectes septentrionaux : picard, wallon, lorrain. Godefroy cite aussi une occurrence régionale (Charroux.)

      Dans tous les citations de Godefroy "laigne" a le sens de bois-matière, de bois coupé, jamais de paysage forestier.

      Pour moi, en l’état de la documentation, il n’y a pas de problème.

      - Pour moi il y a un problème, dont j’ai tâché de faire le tour, à défaut de pouvoir proposer une solution.
      Cette discussion aura l’avantage de fournir aux lecteurs de quoi se forger une opinion personnelle.

      Cordialement.

    • J’ai été succinct pour ne pas encombrer mon propos de considérations de phonétique historique susceptibles de ne pas intéresser le lecteur non averti.

      Voici donc quelques exemples d’équivalence « gn » « mni ».
      Cougnes est traduit Cumnia dans AHSA XXXIII n° 362 p. 26. Comme on ignore l’origine du toponyme, on ne sait pas si la traduction est correcte. Cependant, on constate que le scribe a rendu « gn » par « mni ».
      Le mot dognon, forme locale correspondant au français donjon, est connu comme nom de lieu. Il représente un *dominionem réduit de bonne heure à *domnione. Le groupe local « gn » correspond aussi à « mni ».
      Soulignonne (Charente-Maritime) est un dérivé de Solemnia. Je ne connais pas de formes anciennes mais il est évident que « gn » correspond aussi à « mni ».
      Je crois me souvenir qu’on rencontre des formes comme Comniaco et Copniaco pour Cognac. Je n’ai pas pris de note à ce sujet parce que je n’étudie pas les toponymes de cette époque.
      On sait que, dans la région, un groupe « mn » se réduit à « nn », contrairement au traitement en français. Le saintongeais « dône » est le correspondant du français « dame » (domina). Paizay-Naudouin (Charente) est le Paizay d’un seigneur Audouin. Le nom Audouin est précédé de la particule N, ultime réduction de dominus. On rencontre aussi, au XIIIe siècle, « Na une telle », pour « la dame une telle ».

      Pour la question du traitement du groupe « mn », on peut voir Pignon, L’évolution phonétique des parlers du Poitou, p. 485 et suivantes. Pignon ne se prononce pas au sujet de l’origine de Leignes. Il renvoie à Antoine Thomas qui a proposé un *Lemnius. En nous interrogeant sur la question, nous nous trouvons donc en bonne compagnie, compagnie qui n’est d’ailleurs pas très sûre d’elle.

      Je prends bonne note de votre démonstration au sujet de l’extension ancienne de « leigne ». On peut effectivement se demander pourquoi les scribes n’ont pas vu la relation entre « leigne » et lignum. Peut-être ont-ils été déroutés par la différence des genres, les mots latins au neutre étant généralement représentés par des mots au masculin. Cependant, on peut les excuser car ils n’avaient pas à leur disposition les ressources de la philologie. Certains ont même fait preuve d’une belle naïveté C’est le cas de celui (ou de ceux) qui a interprété Pictavis par picta avis.

      Si nous pouvions avoir le texte du « diplôme carolingien » nous y verrions peut-être plus clair.

      Merci pour votre effort et bon courage pour poursuivre.

    • La démonstration est péremptoire : les groupements "mnia" ont donné "gn" en poitevin-saintongeais, il en existe de nombreux exemples, donc les lettrés de l’âge féodal ont pu avoir l’idée de latiniser un "gn" en "mnia".

      Je ne sais pas comment avoir accès au capitulaire carolingien mentionné par Niermeyer. La citation montre qu’on y a utilisé trois fois l’expression "lemma d’une forêt" dans un contexte de délimitation, je ne vois pas ce qu’on pourrait en tirer d’autre du point de vue sémantique. Bien sûr cela permettrait de savoir où se trouve ladite forêt. Si elle se trouvait ailleurs qu’en Poitou-Charentes cela me surprendrait fort.

      On peut donc résumer le dossier ainsi :

      A. Nous avons constaté les faits suivants :

      1. Entre 750 et 1250 des textes latins désignent un environnement forestier sous le nom de "lemnia".

      2. A partir de 1350 des textes en moyen français mentionnent des seigneuries "de la Laigne". Ces seigneuries sont nommées "de Lemnia" dans les actes en latin.

      3. Il existe aujourd’hui de nombreux lieux-dits "la Laigne". Certains de ces lieux-dits correspondent à des "lemniae" des cartulaires.

      4. Ces trois faits sont particuliers à la région Poitou-Charentes, on ne les retrouve nulle part ailleurs.

      5. En revanche il a existé, en ancien et en moyen français, une famille de mots tirés du latin "lignum" = bois-matière : "laigne", "laignier", "laigname", mots dont on trouve trace dans tous les dialectes de langue d’oïl, et qui ont dû tomber en désuétude après 1550.

      B. Là-dessus nous avons développé trois hypothèses :

      1. "lemnia" aurait désigné au départ la lisière du bois, et viendrait du latin "limina". (c’est à mon sens la thèse implicite de Niermeyer, encore qu’il soit resté assez prudent pour ne pas la formuler.)

      2. "lemnia" serait un mot régional issu d’une racine celtique inconnue, désignant une sorte de réserve forestière.

      3. Le latin lignum (bois-matière) aurait subi une extension de son champ sémantique vers la notion de taillis, au cours du haut moyen-âge, et uniquement en Poitou-Charentes. Les lettrés de l’âge féodal, incapables de faire le rapprochement, auraient latinisé le mot qu’ils entendaient en "lemnia".

      Est-il encore possible de progresser ? Peut-être.

      Les scribes de l’âge féodal, qui écrivaient "lemnia" comme forme latine du mot désignant un environnement forestier (comment se prononçait-il exactement, ce mot, en l’an 800, en l’an 1000, en l’an 1200 ?), utilisaient en même temps dans la vie quotidienne le mot "laigne" pour désigner le bois-matière.

      Il existe peut-être, dans les archives régionales, soit des textes en latin médiéval parlant de bois de chauffage, soit des textes en ancien français parlant de l’environnement forestier. L’examen des formes utilisées pourrait permettre de valider ou d’infirmer l’hypothèse "lignum". Mais comment trouver de tels textes ?

    • Je reviens aux exemples des chartes de Nouaillé (édition de Monsabert). Il y en a cinq, tous différents :
      Septimus campus, que dicitur ad illa limia ; 831 ou 832 ; p. 24 ; copie.- « le septième champ qui est dit à la… ».
      Lempnia de Burciaco 989 ou 993 ; p. 123 ; original
      In lepnis de Arzisilio 1093 ; p. 275, original.
      Junctum prati ad Leimnas 1110-1151 ; p.296, copie
      Et masurale quod habeo a Clochai et les lemgnes et … 1167-1199, p. 343, copies – « et le masurau que j’ai à Clussais et … » ; ici deux mots en « langue vulgaire ». Je lis « lingne », prononciation de ma grand-mère du nom de Leignes, sa commune natale. La nasalisation du è n’est pas surprenante mais pourquoi un m au lieu d’un n ? Et que vient faire le p dans lempnia et dans lepnis ? Or lepnis est dans un original.
      Conclusion : nos braves scribes sont perdus quand ils sont dans l’obligation de latiniser le mot lègne ou sa variante lingne. Comment pourrions-nous être plus sereins ? J’abandonne pour ne pas importuner le lecteur par des analyses interminables.

    • Je reviens aux exemples des chartes de Nouaillé (édition de Monsabert). Il y en a cinq, tous différents :

      Septimus campus, que dicitur ad illa limia ; 831 ou 832 ; p. 24 ; copie.- « le septième champ qui est dit à la… ».

      Lempnia de Burciaco 989 ou 993 ; p. 123 ; original

      In lepnis de Arzisilio 1093 ; p. 275, original.

      Junctum prati ad Leimnas 1110-1151 ; p.296, copie

      Et masurale quod habeo a Clochai et les lemgnes et … 1167-1199, p. 343, copies – « et le masurau que j’ai à Clussais et … » ; ici deux mots en « langue vulgaire ». Je lis « lingne », prononciation de ma grand-mère du nom de Leignes, sa commune natale. La nasalisation du è n’est pas surprenante mais pourquoi un m au lieu d’un n ? Et que vient faire le p dans lempnia et dans lepnis ? Or lepnis est dans un original.

      Conclusion : nos braves scribes sont perdus quand ils sont dans l’obligation de latiniser le mot lègne ou sa variante lingne. Comment pourrions-nous être plus sereins ? J’abandonne pour ne pas importuner le lecteur par des analyses interminables.

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