Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

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1107 (c) - Ordalie, ou jugement par l’eau bouillante en faveur de l’abbesse de Saintes

mercredi 5 décembre 2007, par Christian, 2445 visites.

Plonger le bras dans l’eau bouillante pour être départagé dans un procès banal à propos du four banal et des vignes de l’abbesse de Saintes : devant cette perspective peu réjouissante, l’accusé, André de Trahentum, a préféré transiger.

Qu’auriez-vous fait à sa place ?

Date : entre 1100 à 1107

Florentia, mentionnée dans le texte de cette pièce, fut abbesse de Sainte-Marie de Saintes, de 1100 à 1119. Ramnulfe, évêque de Saintes et présent à l’épreuve de l’eau bouillante, mourut en 1107 au plus tard. La charte est donc d’une date qu’on peut limiter entre 1100 et 1107.

Source : Cartulaire de Sainte-Marie de Saintes, publié dans Documents historiques inédits tirés des collections manuscrites de la Bibliothèque Royale et des archives et bibliothèques des départements - Paris - 1843

Traduction : Christian Hervé

Carta de querela ecclesie beate Marie quem habebat adversus Andream de Trahento. (Fol. LXXVIII r°)

Texte originalTraduction
Andreas de Trahento, prepositus de Vix, faciebat injuriam Sancte Marie de furno villae et de medietaria Austerii et de receptu vinearum ; unde querebantur abbatisse et sanctimoniales.

Et hec querela, protracta usque ad tempus dominae abbatissae Florentiae, tali modo diffinita est.

Andreas siquidem ammonitus a domina sua abbatissa Florentia, die constituta, venit cum amicis suis responsurus et de furno et de medietoria, quod curia abbatissae judicaret.

Facta igitur narratione utriusque partis, judicatum est quod si Andreas posset probare sacramento et manifesta lege judicii narrationem suam, haberet et furnum et terram.

Qui affìrmans se id facturum suscepit duo judicia, unum pro furno, alterum pro terra. Alia die determinata apud Xanctonas ante dominam abbatissam, et ipso die facturus ei rectum de aliis injuriis de quibus dominae querebantur.

Cumque dies illa advenisset, fuit Andreas ante abbatissam cum Amelino de Benatio et cum aliis amicis suis.

Calefacta itaque aqua in duabus caldariis, in ecclesia sancte Marie et preparatis hominibus Andreae quasi ad portanda judicia, Andreas, videns animum abbatissae firmissimum ad judicia suscipienda, timuit, nec ausus est se mittere contra dominam suam in periculum judiciorum.

Et stans ante illam in presentía domni Ramnulfi episcopi et Petri archidiaconi, ac aliarum venerabilium personarum tam canonicorum quam militum, defecit et recusavit judicia, mittens se in misericordia abbatissae et relinquens illi furnum et terram.

Abbatissa vero retinens sibi furnum totum, nullam partem Andreae relinquens, concessit illi et filio suo, tantum dum viverent, ut dum ipse vel filius suus in villa manerent, haberent licentiam coquendi panem suum proprium in furno sine fornagio, ita ut nec filius filii sui, nec aliquis prorsus heredum, illam licentiam ulterius haberent.
André de Trahentum, prévôt de Vix [1], causait préjudice à Sainte-Marie à propos du four de la villa, de la métairie d’Austerium et de la recette des vignes [2], ce dont se plaignaient l’abbesse et les moniales.

Et cette plainte, qui avait traîné jusqu’à l’époque de l’abbesse Florence, se conclut de la manière suivante.

André, sur la sommation de sa dame l’abbesse Florence, vint avec ses amis, au jour fixé, comparaître au sujet et du four et de la métairie, pour que le tribunal de l’abbesse juge.

Une fois que chaque partie eut présenté sa cause [3], il fut jugé que, si André pouvait prouver ses dires par serment et par épreuve judiciaire publique [4], il aurait et le four et la terre.

Certifiant qu’il ferait ainsi, il accepta deux épreuves, l’une pour le four, l’autre pour la terre : qu’une nouvelle date soit fixée et, à Saintes, devant la dame abbesse, ce jour-là, il lui ferait [même] droit des autres préjudices dont ces dames se plaignaient ! [5]

Et, lorsque ce jour fut venu, André fut devant l’abbesse avec Amelin de Benatium et d’autres siens amis.

Alors de l’eau fut chauffée dans deux chaudrons, dans l’église (de) Sainte-Marie, et ses hommes ayant été préparés comme pour apporter [les instruments de] l’épreuve, André, voyant l’abbesse très déterminée à soutenir celle-ci [6], prit peur et n’osa pas s’engager contre sa dame dans ce péril.

Se tenant devant elle en présence du seigneur Ramnulphe [7] , évêque, de Pierre, archidiacre, et d’autres personnages vénérables, tant chanoines que chevaliers, il renonça aux épreuves, s’en remettant à la miséricorde de l’abbesse et lui abandonnant le four et la terre.

Mais l’abbesse, [tout] en retenant entièrement pour elle le four et en ne laissant à André aucun morceau de terre, lui concéda à lui et à son fils, pour leur vie durant, licence de cuire leur pain dans le four, sans payer de fournage, tant que l’un et l’autre demeureraient à la villa, étant entendu que ni le fils de son fils ni aucun héritier ultérieur n’aurait plus cette licence.

[1Vix (Vendée), « isle » donnée à l’abbaye Sainte-Marie de Saintes par la comtesse Agnès : voir à la BNF

[2S’agit-il du produit de la vendange ou de la recette, chai seigneurial ?

[3Du Cange glose ainsi narratio : « causa, lis intentata ».

[4J’ai traduit judicium, avec plus ou moins de constance, par « épreuve », mais manifesta lege judicii me pose problème.

[5Je force un peu là !

[6L’expression est la même que plus haut, quand André a « accepté » les épreuves : est-ce à dire que l’abbesse aussi se soumet à l’ordalie (éventuellement par l’intermédiaire d’un champion) ? On pourrait facilement éluder la difficulté, en écrivant « déterminée à poursuivre l’épreuve » par exemple, mais je m’y suis refusé.

[7Ramnulfe fut évêque de Saintes de 1083 à 1107

Messages

  • Codicille du traducteur amateur
    Par Google-Books, je viens de trouver une version plus complète, publiée en 1844 par B. Guérard en annexe au tome II de son édition du polyptyque de l’abbé Irminon (pages 373-375). Le titre est différent : "notitia werpitionis", c’est-à-dire "acte de déguerpissement" (formalité par laquelle on renonce à toute prétention sur un bien foncier) ; la métairie est "Ansterii", non "Austerii" - cela en vue d’une éventuelle recherche toponymique. Une date est indiquée en marge : 1104. La ponctuation introduite par l’éditeur confirme que "alia die determinata, etc." est bien la suite de la phrase commençant par "Qui affirmans..." mais la fin de l’acte ayant trait à la métairie et à la "recette" des vignes, je n’aurais pas dû traduire "nullam partem" par "aucun morceau de terre" - il s’agit d’une redondance ("retenant entièrement le four sans en abandonner une seule partie").
    Et voici la suite de l’histoire du pleutre André et de l’intrépide Flo - l’essai de traduction viendra ultérieurement.
    Terram etiam prefatae medietariae, quam abbatissa totam requirebat, scilicet rupturam et consuetudinem, tali pacto sibi concessit, ut ipse et filius suus terram haberent et totam consuetudinem, praeter terragium et decimam, tantum dum viverent. Si vero filius suus haberet filium legitime de uxore sua natum, haberet filius rupturam terrae, si totam consuetudinem vellet facere. Si vero filius suus sine legitimo filio moreretur, haberet sancta Maria totam terram suam absque ullo impedimento ; aut si ille filius filii Andreae consuetudinem nollet facere, similiter esset terra sanctae Mariae sine impedimento. Reliquit quoque Andreas receptum novellarum vinearum , quem injuste accipiebat ; ita ut nec ipse nec filius suus ulterius receptum illum haberet. Et totum hoc placitum, sicut praedictum est, firmatum est concessione Andreae facta proprio ore, et concessione similiter domnae abbatisse Florentiae in claustro sanctae Mariae ante capitulum, ubi congregatio monasterii convenerat, in presentia domni Ramnulfi episcopi et Petri archidiaconi, astantibus canonicis sancti Petri, Goscelino magistro scolarum, Rainaudo Chaisnelo, Willelmo Josberto ; astantibus etiam militibus Fulcaldo Airaldo, Constantino Crasso, Engelberto de Escoels, Aimelino quoque de Benatio, et aliis plurimis. Et quia filius Andreae illuc venire non poterat, concessit ibidem Andreas quod apud Vix faceret filium suum totum placitum concedere. Quo facto, juravit Andreas super altare sanctae Mariae fidelitatem abbatissae, sicut antea juraverat abbatissae Arsendi.

    • La notice a été publiée par Grasilier en 1871. C’est la pièce n° 228 du cartulaire de l’abbaye. Grasilier signale en note une publication par Champollion-Figeac. Pour mieux comprendre il faut lire la notice précédente, n° 227, très riche en détails.

    • Voici une explication, à défaut d’une traduction, difficilement interprétable pour qui ne connaît pas les usages du temps.

      L’abbesse affirmait qu’elle devait disposer de tous les revenus de la terre de la medietaria, terre nouvellement cultivée (ruptura) et terre anciennement cultivée (consuetudo). Cependant elle consent à concéder à vie à André et à son fils après lui, les revenus de la terre en culture, à l’exception du terrage et de la dîme. Terrage et dîme sont des revenus variables, proportionnels à la récolte. Le prévôt et son fils disposeront donc des revenus fixes, appelés généralement cens. L’abbesse conserve alors les revenus des terres nouvellement mises en culture.

      Le petit-fils d’André pourra avoir les revenus des terres nouvellement cultivées, à condition qu’il renonce aux revenus des terres anciennement en culture. C’est pour lui un contrat moins intéressant parce qu’il ne perçoit rien aussi longtemps qu’il n’y a pas de défrichement. Quant aux vignes, André renonce à percevoir le receptum des nouvelles, qu’il s’était approprié.

      Je ne traduis pas medietaria dont j’ignore le sens. Je ne traduis pas non plus receptum, parce que j’ignore s’il s’agit du complant, proportionnel à la récolte, ou d’un devoir calculé d’après la superficie des vignes, qui est appelé « vinée » dans le Grand Fief d’Aunis.

      La distinction entre « vieille terre » et « nouvelle terre » est fréquente à cette époque de défrichements. Les terres défrichées peuvent être soumises à des devoirs différents de ceux des terres anciennement cultivées.

      Cette notice et la précédente dans le cartulaire sont précieuses pour l’historien parce qu’elles fournissent des détails qu’on ne trouve pas ailleurs, notamment sur la transmission d’un fief de prévôté.

  • Calefacta itaque aqua in duabus caldariis, in ecclesia sancte Marie et preparatis hominibus Andreae quasi ad portanda judicia, Andreas, videns animum abbatissae firmissimum ad judicia suscipienda, timuit, nec ausus est se mittere contra dominam suam in periculum judiciorum.

    Alors que l’eau chauffait dans deux chaudières en l’église Sainte Marie et que les hommes d’André étaient presque prêts à subir les épreuves, André, voyant la très ferme détermination de l’abbesse à accepter les épreuves, prit peur et n’osa pas se livrer au péril des épreuves contre sa dame.

    Les "hommes d’André" sont les deux personnes qui doivent subir l’épreuve de l’eau bouillante, non en plongant dans les chaudières mais en y plongeant le bras.

    • Mea culpa ! Je suis par trop prisonnier des dictionnaires de latin classique, pour lequels "portare" ne signifie que "(trans)porter", "apporter" - "subir" et "supporter" se disant "sustinere", "ferre", "pati"... Et je ne chipoterai pas sur la valeur d’accompli de "calefacta" !
      J’ai bien tardé à soumettre une traduction de la suite et j’avais même envie d’y renoncer, pour deux raisons : d’abord, j’ai du mal à me résigner à la polysémie de la famille de "concessio"/"concedere" et j’ai longtemps cherché, en vain, à trouver un noyau de sens commun à toutes ses occurrences. D’autre part et surtout, même si cela n’empêche pas de construire les phrases, je suis bien incapable de dire comment s’articulent roture (terre nouvellement défrichée et/ou droits afférents ?), coutume (quels droits ?), terrage et dîme. Mais comme il s’agit d’un cas d’école, et rassuré par la vigilance de M. Duguet qui nous élucidera peut-être le montage juridique, je me lance.
      "Quant à la terre de la susdite métairie, que l’abbesse revendiquait en totalité, à savoir la roture et la coutume, elle se l’attribua moyennant la convention suivante : lui et son fils auraient la terre et toute la coutume, moins le terrage et la dîme, tant qu’ils vivraient. Et si le fils avait de son épouse un fils légitime, ce fils aurait la roture de la terre à condition qu’il consente à faire [s’acquitter de ?] la coutume dans son intégralité. En revanche, si le fils d’André demeurait sans héritier légitime, Sainte-Marie aurait toute sa terre sans aucune restriction ; de même si le fils du fils d’André refusait de faire la coutume.
      André abandonna également le revenu des jeunes vignes, qu’il prenait indûment, étant entendu que ni lui ni son fils n’auraient plus ce revenu. Et l’ensemble de la décision susdite fut confirmé en un aveu prononcé de la bouche d’André, et par un aveu prononcé de même par la dame abbesse, devant le chapitre dans le cloître de Sainte-Marie, où tout le monastère s’était rassemblé, en présence du seigneur Ramnulphe, évêque, et de l’archidiacre Pierre, des chanoines de Saint-Pierre, du maître d’école Goscelin, de Rainaud Chaisnel, de Guillaume Josbert, ainsi que des chevaliers Foucaud Airaud, Constantin le Gros, Engelbert d’Escoels, d’Aimelin de Benatium et de plusieurs autres. Et parce que le fils d’André n’avait pas pu y venir, André promit qu’à Vix il ferait approuver la décision par son fils. Cela fait, André jura fidélité à l’abbesse sur l’autel de Sainte-Marie, tout comme il avait fait juré auparavant fidélité à l’abbesse Arsende."

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