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1793 - 1812 - Un soldat de Segonzac (16) disparu depuis 9 ans : sa femme ne peut se remarier

lundi 23 mars 2009, par Pierre, 1257 visites.

L’état-civil tenu dans les hôpitaux pendant les guerres de la Révolution laissait à désirer. Pierre Laurent, natif de Segonzac, a disparu depuis plus de 9 ans. Sa veuve voudrait bien se remarier. La justice reste inflexible : les preuves sont insuffisantes, et il y a risque de bigamie.

Source : Répertoire universel et raisonné de jurisprudence - Philippe Antoine Merlin - Paris - 1827 - Books Google

Les règles générales concernant les actes de l’Etat civil, sont-elles susceptibles, en ce qui concerne les militaires, d’autres modifications que celles qui sont écrites dans les art 88 et suivans.

Il s’était à peine écoulé deux ans depuis la publication du titre des actes de l’Etat civil, lorsqu’il s’éleva, en faveur des femmes de militaires absents pour cause de service, et dont on n’avait plus de nouvelles depuis long-temps, des réclamations tendantes à faire décider qu’elles pourraient se remarier sans rapporter l’acte de décès de leur mari, et sans y suppléer, dans le cas prévu par l’art 46, par la ressource qu’offre la disposition de cet article.

C’était proposer, en d’antres termes, de déroger relativement aux militaires en activité de service hors du territoire français, à la règle générale qui veut que la mort d’an individu ne puisse être prouvée que par des moyens légaux.

Mais cette proposition a été rejetée par un avis du conseil d’état, du 12 germinal an 13, approuvé le 17 du même mois, et ainsi conçu :
« Le conseil d’état qui..... a entendu le rapport de la sectjon de législation sur celui du grand-juge ministre de la justice, tendant à faire décider si, en l’absence de preuves positives du décès d’un militaire, on peut admettre, pour les remplacer, des présomptions résultant, soit de témoignages vocaux , soit de l’absence prolongée pendant plusieurs années ;
« Est d’avis 1° qu’il y aurait, comme l’observe le grand-juge lui-même, un extrême danger à admettre comme preuves de décès, de simples actes de notoriété fournis après coup, et résultant le plus souvent de quelques témoignages achetés ou arrachés à la faiblesse ; qu’ainsi, cette voie est impraticable ;
 » 2° Qu’à l’égard de l’absence, ses effets sont réglés par le Code civil en tout ce qui concerne les biens ; mais qu’on ne peut aller au-delà, ni déclarer le mariage de l’absent dissous après un certain nombre d’années ; qu’à la vérité, plusieurs femmes de militaires absens peuvent, à ce sujet, se trouver dans une position fâcheuse ; mais que cette considération n’a point paru, lors de la discussion du Code civil, assez puissante pour les relever de l’obligation de rapporter une preuve légale ; sans quoi, on exposerait la société à de déplorables erreurs, et à des incovenients plus graves que les maux particuliers auxquels on voudrait obvier.
« En cet état, le conseil estime qu’il n’y a pas lieu de déroger au droit commun, ni d’y introduire une exception que la législation n’a jamais admise [1] ».

Cette décision nous servira de guide pour apprécier un arrêt rendu dans l’espèce suivante.
Pierre Laurent, domicilié à Segonzac, département de la Charente, était parti pour l’armée en 1794, peu de temps après avoir épousé Marguerite Guillet.

Après plus de 9 ans passés sans recevoir de lui aucune nouvelle, Marguerite Guillet apprit qu’il était mort à l’hôpital militaire de Strasbourg, en floréal an 3 ; et elle pensa alors à se remarier ; mais ne trouvant, ni dans les archives du ministère de la guerre, mi dans les papiers du régiment où avait servi Pierre Laurent, aucun vestige d’acte constatant son décès, elle s’adressa, par l’intermédiaire du maire de sa commune, à celui de la ville de Strasbourg.

Le maire de la ville de Strasbourg répondit, le 10 pluviôse an 13, à celui de Segonzac, que les registres de l’état civil de la commune et ceux de l’hôpital étaient également mets sur la mort de Pierre Laurent ; et que les derniers avaient été tenus avec une telle négligence, que, sur 25,000 décès qui s’y trouvaient mentionnés, il n’y en avait pas un cinquième qui renfermât les énonciations requises dans ces sortes d’actes.

Munie de cette lettre, Marguerite Guillet présenta au président du tribunal de première instance de Cognac, une requête à fin de permission de faire preuve de la mort de son mari par les dépositions d’anciens militaires qui en avaient été témoins.

Cette permission lui ayant été accordée, elle fit entendre trois témoins domiciliés dans le canton de Segonzac, qui attestèrent avoir connu Pierre Laurent avant son départ pour l’armée, avoir servi avec lui, et l’avoir vu mourir à l’hôpital de Strasbourg.

Mais cette emquête mise sous les yeux du tribunal, jugement qui rejette la demande de Marguerite Guillet à ce que le décès de son mari soit tenu pour constant, et à ce qu’en conséquence il lui soit permis de se remarier, « attendu que le décès de Laurent n’étant pas constaté de la manière prescrite par la loi, la preuve testimoniale, quelqu’affirmative qu’elle puisse être, ne peut suppléer l’acte du décès, à moins qu’il n’ait été tenu aucuns registres des décès, ou qu’ils ne soient perdus ; mais que la lettre du maire de Strasbourg atteste l’existence de registres tenus à l’hospice de cette ville ».

Marguerite Guillet appelle de ce jugement ; et, le 9 mars 1812, arrêt de la cour de Bordeaux qui l’autorise à se remarier ;

« Attendu qu’il est suffisamment constaté par la lettre du maire de Strasbourg, d’une part, que les registres, destinés à constater les décès arrivés dans les hôpitaux militaires de cette ville pendant les années 1794, 1795 et suivantes, ont été tenus avec la plus grande irrégularité ; qu’une foule de ces décès n’y ont pas été inscrits, et que, sur ceux qui y. ont été mentionnés, à peine y en a-t-il un cinquième qui contiennent les énonciations nécessaires ; d’autre part, qu’après les recherches les plus scrupuleuses on n’a pu trouver sur ces registres aucune mention du décès de Pierre Laurent ;

« Attendu que le désordre de ces registres doit les faire considérer, relativement aux parties intéressées à avoir la preuve des décès qu’on a négligé d’y inscrire, comme s’ils n’existaient pas, ou comme s’ils avaient été perdus ; et qu’alors on ne peut leur refuser la faculté de constater ces décès par la preuve testimoniale ;

« Attendu que les trois témoins de l’enquête faite devant le tribunal de Cognac, anciens compagnon d’armes de Pierre Laurent, ont affirmé l’avoir vu malade à l’hôpital militaire dit de la Montagne, à Strasbourg, et l’y avoir vu mort ; et que leurs déclarations claires, précises, ne permettent pas de douter de ce décès ; que dès-lors il y a lieu de déclarer constant, et par suite de permettre à Marguerite Guillet, veuve dudit Pierre Laurent, de contracter un nouveau mariage [2] ».

Il n’y aurait eu aucune difficulté, dans cette espèce, à tenir pour constant le décès de Pierre Laurent, s’il n’eût dû en résulter d’effet que relativement à des intérêts pécuniaires, à l’égard desquels l’erreur est toujours réparable.

Il n’y en aurait pas eu davantage si, quoiqu’il fût question d’intérêts plus graves, il eût été prouvé que les registres des décès de l’hôpital militaire de Strasbourg étaient incomplets ou n’avaient pas été tenus par ordre de dates, et que, soit par l’une, soit pat l’autre cause, ils eussent dû être regardés comme n’existant pas.

Dans l’un et l’autre cas, la preuve testimoniale eût été admissible, d’après la jurisprudence dont nous avons rendu compte sur l’art. 46 du titre du Code civil qui nous occupe ici.

Mais il s’agissait d’autoriser Marguerite Guillet à contracter un nouveau mariage ; et la seule défectuosité que l’on reprochait aux registres des décès de l’hôpital militaire de Strasbourg était que la plupart des actes qui y étaient consignés ne renfermaient pas les énonciations essentiellement requises.

Or, d’une part, jamais une personne mariée ne peut être admise à contracter un nouveau mariage , si elle ne rapporte la preuve légale du décès de son époux. Un arrêt du parlement de Paris, du 16 décembre 1771 rapporté à l’article Bigamie, n° 4, l’avait ainsi jugé avant le Code civil ; et depuis le Code civil, l’avis du conseil d’état du 11 germinal an 13, approuvé le 17, a imprimé à cette jurisprudence toute la force d’une loi.

D’un autre côté, de ce que, lors même qu’il est question d’un nouveau mariage à contracter, la règle générale admet une exception dans le cas où les registres de l’état civil qui existent sont incomplets, ou que les dates en sont transposées, il ne s’ensuit nullement que, pour le même objet, on puisse étendre cette exception au cas où il existe des registres par ordre de dates, mais qui ne renferment pas, à chaque article, toutes les énonciations prescrites par la loi. Il existe entre ces deux cas une différence pour ainsi dire incommensurable. Des registres incomplets ou dont les dates sont transposées prouvent par eux-mêmes que l’on n’y a pas inscrit tous les décès au fur et à mesure qu’ils sont arrivés ; et c’en est assez pour faire admettre la preuve testimoniale de ceux qui y sont omis. Mais des registres qui, tenus régulièrement quant à l’ordre des dates, ne le sont pas quant à toutes les énonciations qui devraient s’y trouver, constatent toujours, malgré leurs défectuosités, l’usage où étaient les officiers de l’état civil du lieu d’y inscrire tous les décès ; et par conséquent ils élèvent toujours une barrière insurmontable contre l’admission de la preuve par témoins des décès qui n’y sont pas inscrits, à l’effet d’autoriser un nouveau mariage.

Le tribunal de première instance de Cognac s’était conformé aux vrais principes, en refusant à Marguerite Guillet la permission de se remarier ; et ce n’est que par une contravention manifeste à ces mêmes principes que la cour d’appel de Bordeaux a réformé son jugement.


[1Bulletin des lois, 4éme série, n° 41

[2Jurisprudence de la cour de cassation , tome 12 , partie 2 , page 421.

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