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1195 - 1343 - Le cartulaire de Notre-Dame de la Garde en Arvert (Charente-Maritime)

dimanche 5 janvier 2014, par Pierre, 764 visites.

Pas un vestige ne subsiste à ce jour de ce petit établissement de l’ordre de Grandmont créé au 12ème siècle à Arvert. Aucun document écrit en provenant, postérieur à 1343, ne nous est parvenu. Une grande partie des chartes mentionne les seigneurs de Matha, dont nous trouvons ici une courte généalogie.
Les chartes de Notre-Dame de la Garde ont été publiées par l’abbé Grasilier dans le tome 2 de son ouvrage Cartulaires inédits de la Saintonge. Cartulaire de l’abbaye de Saint-Etienne de Vaux... suivi des chartes du prieuré conventuel de Notre-Dame de la Garde en Arvert. Nous n’avons pas reproduit ces chartes dans cette page.

Sources :
- Cartulaires inédits de la Saintonge - Abbé Th. Grasilier - Clouzot (Niort) - 1871 - BNF Gallica
- Revue de l’Aunis et de la Saintonge - Année 1866 - Article de Th. Grasilier - Google livres

Notre-Dame de la Garde, en Arvert, diocèse de Saintes, ordre de Granmont.

Introduction

Ce qui caractérise les grandes et nombreuses réformes de l’ordre monastique au XIe et au XIIe siècle, c’est l’attrait pour la vie érémitique. Sur les pas ou avec la mission des saints réformateurs, des hommes de toutes les conditions s’enfoncent dans les déserts ou dans les profondeurs de nos forêts. C’est ainsi que le bienheureux Robert d’Arbrissel envoyait de ses disciples à la recherche de nouvelles solitudes. L’un d’eux, qui malheureusement devint apostat, habita le premier, aux environs de Saintes, le lieu appelé Fontdouce, où bientôt s’éleva une florissante abbaye. Le même attrait avait conduit à Granmont saint Étienne de Muret et lui amenait de nombreux disciples [1]. En peu d’années l’ordre de Granmont devint célèbre. Le pape Urbain III l’approuva en 1188.

L’année suivante, la canonisation de son saint fondateur ajoutait encore à sa célébrité. L’évêque de Saintes, Hélie I, avait été invité à faire l’exhumation solennelle des reliques du nouveau saint en présence de l’archevêque de Bourges.

Ces circonstances, jointes à la réputation des vertus austères des ermites de Granmont, inspirèrent à Gombaud, seigneur de Mornac et à Audéarde ou AIdegarde, son épouse, la pensée d’établir dans leur voisinage une communauté de ces pieux anachorètes.

La presqu’île d’Arvert était alors couverte en grande partie par la forêt de Salis. A l’extrémité de cette forêt, au pied des dunes de la Tremblade, près d’un canal qui communique du marais de Barbareau (le Monnard) à la Seudre, est un lieu nommé la Garde, solitude profonde, dont l’aspect actuel fait supposer ce qu’elle devait être au XIIe siècle. Cette position convenait parfaitement au genre de vie des moines de Granmont. On les appela les Frères de Salis, du nom de la forêt. Leur oratoire s’y éleva sous le vocable de Notre-Dame. Peu après une rente, sur une maison sise à Ribérou, fut affectée à l’entretien d’une torche de cire qui brûlait continuellement devant l’image de la Vierge. La communauté naissante était composée de cinq membres dont les noms figurent dans les premières chartes. Le supérieur prenait le titre de correcteur, tant que le général de l’ordre ne porta que celui de prieur [2].

Guillaume 1, sixième prieur de Granmont, ne tarda pas à venir visiter le nouveau monastère. Il y arriva avec plusieurs religieux de son ordre, en compagnie de l’évêque de Saintes et du seigneur de Mornac. Ce seigneur était Geoffroi Martel, de la maison d’Angoulême, fils de Vulgrain dit Guillaume Martel et de Amable de Lusignan. Vulgrain était à la croisade en 1180. A son retour le comte d’Angoulême lui donna les terres de Matha et de Mornac. Il venait de mourir (1195). Son fils, lié d’amitié avec le prieur de Granmont, se plut, à l’occasion de sa visite à la Garde, à confirmer toutes les donations de son père et des fondateurs du monastère. Les chartes de cette confirmation furent scellées par l’évêque de Saintes , le sire de Mornac et le prieur Guillaume.

L’année suivante (1196), Geoffroi Martel obtint de Faucon, abbé de Saint-Ruf de Valence, en faveur des religieux de la Garde, l’abandon d’une saline et d’un marais que possédaient les chanoines de Saint-Nicolas de Mornac, près de l’embouchure de la Seudre, entre l’étier ou canal de Putet et la chaussée du moulin de Disail. La charte de concession en fut remise au prieur de Granmont en personne, dans le chapitre général tenu à Valence cette même année. L’évêque de Saintes, Henri I, confirma la donation, à la demande de l’abbé de Saint-Ruf et de Geoffroi Martel.

Jusque là nos cénobites avaient joui paisiblement des largesses de leurs bienfaiteurs, quand éclata un différend entre eux et le chapitre de la Petite-Couronne, en Arvert, dépendant de la célèbre abbaye de la Couronne, près d’Angoulême.

Les chanoines, appuyés dans leurs prétentions par Othon, comte de Poitiers, avaient transféré leur moulin de Disail sur un emplacement plus commode, mais au préjudice des moines de Granmont. De là des procédures, qui ne furent assoupies que pour un temps. Les pauvres moines avaient été contraints d’accepter une transaction dont le peu d’équité fut constaté par Pierre Bertin, ancien sénéchal de Poitou et de Gascogne, et Geoffroi de Celle, son successeur. C’était en 1200. Malgré plusieurs tentatives d’accommodement, l’affaire demeurait pendante.

Les solitaires de la Garde eurent recours au Saint-Siège qu’occupait alors l’illustre Innocent III. Bien qu’il ne fût question que d’un moulin, le SouverainPontife jugea la cause digne de sa sollicitude. C’était celle de l’opprimé, et de plus, il s’agissait de réconcilier entre eux des membres de la grande famille monastique. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris de voir le cardinal Octavien , évêque d’Ostie et Velletri, cousin et confident d’Innocent III, et son légat en France, ne pas dédaigner de s’occuper de l’affaire du moulin de Disail, sanctionner la sentence rendue à Granmont en faveur des moines de la Garde par Jean 1 de Vérac, évêque de Limoges, en présence de l’archevêque de Bourges et autres dignitaires de l’Église.

Les mêmes motifs déterminèrent Hélie 1 de Malemort, archevêque de Bordeaux , à se rendre à la Couronne, sur la demande de l’abbé de ce monastère et du prieur de Granmont. Il s’agissait de confirmer l’accommodement projeté.

L’affaire se termina heureusement par le baiser de paix que se donnèrent les deux parties, en plein chapitre, devant le métropolitain , les abbés de Masdion et de la Tenaille, le doyen de Limoges, l’archiprêtre de Brives, le jour de SaintAndré (30 novembre) 1200. Acte en fut dressé sous les sceaux de l’archevêque, de l’abbé et du chapitre de la Couronne.

Pour éviter le retour de ces fâcheuses contestations, le 15 novembre 1207, un nouveau règlement concernant cette affaire fut adopté de part et d’autre. Il fut l’œuvre de Guillaume, nouvel archevêque de Bordeaux, successeur d’Hélie I, assisté de Henri, évêque de Saintes, de Guillaume, évêque d’Angoulême, de l’abbé de la Tenaille, de l’archiprêtre d’Arvert et de Geoffroi Martel.

En paix de ce côté-là, les Frères de la Garde se voient obligés, quelques années après, d’implorer l’intervention du pape contre un gentilhomme qui refusait d’acquitter les fondations pieuses de ses pères. Le Souverain-Pontife délègue, pour connaître de cette affaire, l’évêque d’Angoulême. Celui-ci nomme pour experts les prieurs de Cozes et de Saujon. Les experts ménagèrent entre les parties un accommodement daté d’un lieu appelé les Ormeaux, près d’Arvert, le 26 septembre 1213. Le prieur de Saujon y apposa son sceau, celui de Cozes, à défaut d’autre cachet, y mit l’empreinte de sa clé. Le tout est confirmé par jugement définitif de l’évêque d’Angoulême. Enfin le 25 août 1214, la sentence épiscopale est sanctionnée par le légat du pape , Robert de Courçon. Ce cardinal prêchait alors dans nos contrées, la croisade contre les Albigeois : Il avait pris lui-même la croix, et dans la charte que nous citons, il se qualifie Servus Crucis Christi, tactus inspiratione divina.

D’autres différends sont également terminés à l’amiable, grâce à la sollicitude des évêques de Saintes, grâce aussi au bon esprit des adversaires de nos religieux. De ce nombre furent, en 1219, le prieur de Sainte-Gemme ; en 1246 , Hilarie, abbesse de Saintes ; en 1342, Robert de Matha. On voit ce dernier, tenant à Arvert ses assises, reconnaître et confirmer, avec beaucoup d’équité, les droits qu’il avait cru pouvoir contester aux ermites de la Garde sur un bois voisin. Leurs titres étaient en règle et portaient les sceaux des ancêtres de Robert.

L’affection pour ce couvent était héréditaire chez les seigneurs de Matha et de Mornac, depuis Geoffroi Martel. Quand ce seigneur perdit son fils aîné Guillaume, il le fit inhumer dans le chapitre de Notre-Dame de la Garde. Ce fut probablement à cette occasion que, du consentement de Philippe, son épouse, de Robert et de Fouques, ses fils, pour le salut de son âme, et des âmes de ses ancêtres et de ses descendants, il donna « en pure et perpétuelle aumône à Dieu, à NotreDame et aux Frères de Granmont », la Grande-Saline et autres terres. Il scella sa charte dans l’église, « devant l’autel », le 7 juin 1221.

Telles sont les seules particularités historiques contenues dans ce recueil de chartes. La vie des moines de la Garde est trop modeste et leur couvent trop obscur pour offrir à l’histoire aucun événement saillant. Leur temps est partagé entre la prière, les travaux agricoles, l’industrie des salines, des moulins à draps, d’une tuilerie (la thublerie de la Garde), et les secours aux naufragés, en reconnaissance desquels ils jouissent du privilége de recueillir toutes les épaves sur la côte d’Arvert.

Le nom de Notre-Dame de la Garde est resté jusqu’ici complètement inconnu des historiens. Si nous n’avions une charte de 1342 parmi celles que nous publions, nous pourrions croire que ce prieuré avait cessé d’exister dès avant 1326. Cette année-là le pape Jean XXII faisait lever un subside sur tous les bénéfices ecclésiastiques. Nous avons encore le compte de cette imposition pour la province de Bordeaux. La Garde ne figure point dans la liste des églises de l’archiprêtré d’Arvert. C’est un oubli facile à expliquer. Le receveur du pape n’est point venu en personne dans cette partie de la Saintonge. Il avait chargé d’opérer ses recouvrements, son compagnon, lequel paraît n’avoir pas déployé un zèle trop actif [3].

Si nous ouvrons le pouillé du diocèse de Saintes [4], dressé au XVe siècle, nous trouvons bien Prioratus de Salis 20 S. turonensium. Dans la taxe imposée sur le diocèse de Xaintes en 1516 [5], figure encore dans « l’archiprêtré d’Arvert, le prieur de la Salle », taxé à 12 livres. Faut-il reconnaître là le prieuré de la Garde appelé aussi de Salis ? Il est presque permis d’en douter.

Ce qu’il devint pendant les guerres de religion, on le suppose aisément.

Lorsque Fénelon, en 1686, vint prêcher à la Tremblade, il restait à peine des ruines des églises catholiques, dans ce canton qu’il trouvait « plus dur que Marennes » [6]. Si son neveu Léon de Beaumont, devenu évêque de Saintes en 1716, ne nous eût transmis des copies des chartes que nous publions ici, on ignorerait peut-être qu’il exista jadis un couvent de l’ordre de Granmont dans le pays d’Arvert.

C’est probablement à l’aide des mêmes chartes que les religieux de cet ordre sont rentrés en possession des biens qu’ils possédèrent dans ce canton jusqu’en 1790. Le terrier qu’ils en ont dressé est accompagné d’un plan. Il nous montre ici « une pièce de terre et sable. renfermée de fossés de tous costés, vulgairement appelée les Plaines de la Garde, en pinèdres » ; là « les vestiges du prieuré » , puis « le chemin qui conduit où estoit bastie l’église de la Garde. »

Ce document, conservé aux archives de la Charente-Inférieure [7], est intitulé : Lieve des Rentes, cens, terrages et autres devoirs dus au prieuré Notre-Dame de la Garde, situé en la paroisse de la Tremblade, en l’Isle darvert, en Saintonge, membre uni et annexé à l’abbaye, Chef d’ordre de Grandmont, lesquels devoirs ont été Reconnus et Terrier fait en la présente année mil sept cent cinquante, pardevant Me Jacques Delavaud, notaire royal, commissaire nommé pour la vérification dudit terrier. Laquelle Lieve a été remise au sr André Roy, fermier dudit Prieuré, pour luy servir de censif pendant sa ferme et y écrire sa recepte. La recette y est, en effet, écrite depuis 1750 jusqu’en 1790. Par lettres patentes du roi, l’ordre de Granmont fut supprimé en France en 1769. Une pension fut accordée à chacun de ses membres alors fort peu nombreux. L’un d’eux porta jusqu’à la révolution le titre de prieur de la Garde.

Chacune des chartes de ce monastère était écrite sur une feuille séparée : ce qui nous a permis de les classer dans l’ordre chronologique. Chaque copie se termine par cette formule : Facta est collatio cum litteris originalibus superius inscriptis per me Petrum Boherii notarium publicum, teste signo meo manuali.

Signé : P. Boherii, avec paraphe.

Ce sont ces copies notariées qui ont été transcrites pour M. de Beaumont, et vérifiées par lui. La saine critique qu’il mettait dans tous ses travaux est une garantie de l’authenticité et de l’exactitude des textes que nous publions ici.

Th Grasilier


En 1866, Th Grasilier publiait, dans la Revue de Saintonge et d’Aunis, un article moins élaboré que l’introduction ci-dessus. Il nous a paru intéressant de le publier également. Il contient un inventaire chronologique des chartes

Quelque modeste que soit, avec ses soixante-quatorze chartres, le cartulaire dont nous révélons ici l’existence, nous n’hésitons pas néanmoins à l’offrir au public érudit. L’importance du moindre document de ce genre n’échappe à personne. Un cartulaire est en quelque sorte la société d’une époque prise sur le fait de son existence. Le nôtre vient apporter sa part de lumière sur plus d’un point d’histoire locale. L’original aura probablement péri : nous le donnons d’après la copie transcrite par Mgr Léon de Beaumont et conservée parmi les notes du savant prélat.

Il ne nous a pas été possible jusqu’ici de déterminer le point où était situé l’établissement auquel appartenait ce recueil. En vain sommes-nous allé interroger les lieux où s’élevait encore, en 1743, l’église de Notre-Dame-de-l’Ile en Arvert. Nous n’avons trouvé qu’un coteau dénudé que la charrue sillonne sans rencontrer d’obstacles. Un vieux sarcophage, servant de margelle à un puits, est le seul témoin du passé qui ait frappé nos regards. Les ruines mêmes ont disparu, et avec elles le nom s’est effacé. Ce lieu s’appelle, on ne sait pourquoi, le Paradis. Faut-il chercher ailleurs Notre-Dame-de-la-Garde ? Notre cartulaire est muet sur cette question ; sur d’autres, il est riche en précieux renseignements. Voici ce qu’il nous apprend :
La canonisation de saint Etienne de Muret (1189) venait d’ajouter un nouvel éclat à l’ordre déjà célèbre de Granmont, dont il fut le fondateur. L’évêque de Saintes, Hélie I, avait été invité à faire l’exhumation solennelle des reliques du nouveau saint en présence de l’archevêque de Bourges. Ces circonstances, jointes à la réputation des vertus austères des ermites de Granmont, inspirèrent à deux nobles époux, Gombaud de Mornac, et Audearde, sa femme, la pensée d’établir dans leur voisinage une communauté de ces pieux cénobites.

Les bois d’Arvert, de Royan et autres, ne formaient alors qu’une seule forêt, appelée la forêt de Salis, couvrant à peu près toute la presqu’île. Cette position convenait parfaitement au genre de vie des moines de Granmont. Ce fut là qu’on les établit, dans un lieu nommé la Garde, et leur oratoire s’y éleva sous le vocable de Notre-Dame. Peu après une rente sur une maison à Ribérou fut affectée à l’entretien d’une torche qui brûlait devant l’image de la Vierge. La communauté naissante était composée de cinq membres, dont les noms figurent dans les premières chartes. Le supérieur prenait le titre de Correcteur, tant que le chef de l’ordre ne porta que celui de Prieur.

Peu après son établissement, le monastère de la Garde fut honoré et encouragé par la visite de Guillaume I, sixième prieur de Granmont. Il y vint accompagné de plusieurs religieux de son ordre. L’évêque de Saintes et le seigneur de Mornac s’y trouvèrent avec lui. Ce seigneur était Geoffroi Martel, de la maison d’Angoulème, fils de Vulgrain dit Guillaume Martel, et de Amable de Lusignan. Vulgrain était à la croisade en 1180, et à son retour, le comte d’Angoulème lui donna les terres de Matha et de Mornac. Il venait de mourir (1195), et son fils Geoffroi, lié d’amitié avec le prieur de Granmont, en témoignage de son affection, confirme toutes les donations faites par son père et les deux fondateurs. Les chartes de cette confirmation furent scellées par l’évêque, le seigneur et le prieur Guillaume.

L’année suivante (1196), Geoffroi Martel obtint de Falcon, abbé de Saint-Ruf de Valence, en faveur des religieux de la Garde, l’abandon d’une saline et d’un marais que possédaient les chanoines de Saint-Nicolas de Mornac, près de l’embouchure de la Seudre, entre l’étier de Putet et la chaussée du moulin de Disail. La charte de concession en fut remise au prieur de Granmont en personne, dans le chapitre général tenu à Valence cette même année, et l’évêque de Saintes, Henri I, confirma la donation, à la demande de l’abbé de Saint-Ruf et de Geoffroi Martel.

Jusque là, nos cénobites avaient joui paisiblement de tous ces bienfaits, lorsqu’un différend éclata entre eux et les chanoines de Mornac, dépendant de la célèbre abbaye de la Couronne. Ce chapitre, lier de l’appui d’Othon, comte de Poitiers, avait jugé à propos de transférer le moulin de Disail sur un emplacement plus commode ; mais cette translation portait au couvent de la Garde un préjudice notable. Othon, sans avoir égard aux plaintes des religieux lésés, avait autorisé les chanoines à achever la construction du nouveau moulin. De là des procédures, qui ne furent assoupies que pour un temps au moyen d’une transaction trop préjudiciable aux pauvres moines, ainsi qu’il fut constaté par Pierre Bertin, ancien sénéchal de Poitou et de Gascogne, et Geoffroi de Celle, son successeur dans cette charge. C’était en l’an 1200, et malgré plusieurs tentatives d’accommodement, l’affaire demeurait pendante.

A cette époque, comme dans tous les siècles, la papauté, bien que souvent victime de la violence, était le défenseur ordinaire des opprimés. Les moines de Salis en appelèrent donc au Saint-Siège, qu’occupait alors l’illustre Innocent III. Peu importait qu’il s’agit d’un moulin ou d’un royaume ; la cause de la justice, quel qu’en soit l’objet, sera toujours digne de la sollicitude du Souverain-Pontife. Du reste, il s’agissait, en outre, de rétablir la paix entre deux ordres religieux. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris de voir le cardinal Octavien, évêque d’Ostie, et Velletri, cousin et confident d’Innocent III, son légat en France, chargé des plus importantes missions auprès des rois Philippe-Auguste et Jean-sans-Terre, ne pas dédaigner de s’occuper de l’affaire du moulin de Disail et sanctionner la sentence rendue à Granmont en faveur des moines de la Garde par Jean I de Vérac, évêque de Limoges, en présence de l’archevêque de Bourges et autres dignitaires de l’Église.

Les mêmes motifs déterminèrent Hélie I de Malmort, archevêque de Bordeaux, à se rendre à la Couronne, sur la demande de l’abbé de cette collégiale et du prieur de Granmont, pour confirmer l’accommodement projeté entre les deux parties. L’Église, en ces circonstances, ne tient pas seulement à arranger les différends ; elle ne croit sa mission dignement remplie que quand elle a obtenu la réconciliation des esprits. Les parties devaient alors se donner le baiser de paix. C’est ce qui eut lieu à la Couronne, en plein chapitre, en présence du métropolitain, des abbés de Masdion et de la Tenaille, de l’archiprêtre et du chantre d’Arvert, de l’archidiacre d’Angoulème, du doyen de Limoges et de l’archiprêtre de Brives, le jour de la fête de saint André (1200). Acte en fut dressé sous les sceaux de l’archevêque, de l’abbé et du chapitre de la Couronne.

Pour prévenir le retour de ces fâcheuses contestations, le 15 novembre 1207, un nouveau règlement concernant cette affaire fut adopté de part et d’autre, en présence et sous le sceau de Guillaume, nouvel archevêque de Bordeaux, successeur d’Hélie I, assisté d’Henri, évêque de Saintes ; de Guillaume, évêque d’Angoulème ; de l’abbé de la Tenaille, de l’archiprêtre d’Arvert et de Geoffroi Martel.

En paix de ce côté-là, les Frères de la Garde se voient obligés, quelques années après, d’implorer l’intervention du Pape contre un gentilhomme qui refusait d’acquitter les fondations pieuses de ses pères. Le Souverain-Pontife délègue, pour connaître de cette affaire, l’évêque d’Angoulème, qui nomme pour experts les prieurs de Cozes et de Saujon. Ces derniers ménagèrent entre les parties un accommodement dont l’acte est daté des Ormeaux, près d’Arvert, du 26 septembre 1213. Le prieur de Saujon y apposa son sceau, et le modeste prieur de Cozes, à défaut d’autre cachet, se servit de sa clef. Le tout est confirmé par jugement définitif de l’évêque délégué, assisté de son archidiacre d’Angoulème et du prieur d’Alleville. Enfin, le légat II..., cardinal-prêtre du titre de Saint-Étienne in Monte-Celio, sanctionna la sentence épiscopale dans une charte datée d’Angoulème, le 25 août 1214.

D’autres différends sont également terminés à l’amiable, grâce à la sollicitude des évêques de Saintes, grâce aussi au bon esprit des adversaires de nos religieux, tels que furent, en 1219, le prieur de Sainte-Gemme ; en 1246, Hilarie, abbesse de Saintes, et Robert de Matha, en 1342. On voit ce dernier tenant, à Arvert, ses assises, reconnaître et confirmer, avec la plus grande équité, les droits qu’il avait contestés aux ermites de la Garde sur une forêt voisine, et dont ceux-ci lui montrèrent les titres en règle, scellés par ses ancêtres.

L’on était moins sourd, en ce temps-là, à la voix de la justice, que ne le prétendent certains écrivains, et ce n’était pas un des moindres triomphes de l’Église de dompter les âmes de fer de ces grands seigneurs, chez qui la puissance absolue était parfois mise au service des plus fougueuses passions.

A part ces quelques nuages, qui rembrunissent ainsi de loin en loin son horizon, le couvent de Notre-Dame de la Garde jouit paisiblement des pieuses libéralités des seigneurs et des simples fidèles. On voit des particuliers, même des gens de qualité, attirés par la réputation de vertu et les œuvres saintes de cette communauté , désireux d’avoir part à ses mérites, consacrer leurs personnes et leurs biens à Dieu et à Notre-Dame, en les offrait aux religieux de Granmont. Sous le titre de donnés (donati), ils entraient en jouissance de tous les privilèges spirituels et temporels accordés à l’ordre. Les uns prenaient l’habit monastique, d’autres conservaient l’habit séculier. La plupart habitaient les maisons et les fermes du prieuré, dont ils faisaient valoir les domaines avec l’aide de serviteurs à gages (ministri). Les landes sont défrichées ou utilisées, les bois aménagés, les marais desséchés et assainis. Une tuilerie, la Tublerie de la Garde, fonctionne près du moulin du même nom. Des cours d’eau artificiels s’épenchant des marécages, ou des étiers dans lesquels la mer reflue, mettent en mouvement des moulins à blé et des moulins à draps. Le droit de pêche est garanti aux religieux dans toutes ces eaux. Ils y joignaient aussi le droit d’épaves sur toute la côte. Les terres salées qu’on leur concède sont converties, ici en réservoirs pour la pèche des seiches, là en vastes marais salants. Ils contribuent ainsi pour une large part au progrès de la précieuse industrie de nos salines de l’Ouest. Les prairies qu’ils ont acquises dans les marais d’Artouan et ailleurs, et le droit de pacage dans les forêts voisines, permettent encore à nos moines d’élever de nombreux bestiaux, source féconde et indispensable de prospérité agricole. Ils dotaient ainsi le pays des races les mieux appropriées aux conditions du sol.
Pour des siècles que l’on nous représente comme une époque de prostration et d’inertie, il faut avouer que l’on savait déployer une activité et une industrie qui mériteraient aujourd’hui des éloges et que nous n’avons peut-être jamais surpassées.

Les religieux prouvaient ainsi à tous les âges que l’accomplissement journalier de nombreuses pratiques de religion n’est nullement incompatible avec les exigences de l’agriculture et de la plus sage économie. Ils révélaient en même temps aux populations toutes les ressources que peut leur offrir le pays le moins fertile, moyennant une vie laborieuse jointe à la pureté des mœurs.

Aussi, la société d’alors, qui profitait de tant de services, ne se montra point ingrate. Chaque donation, chaque legs pieux en est un témoignage.

L’affection pour le couvent de la Garde est héréditaire chez les seigneurs de Matha et Mornac, depuis que Geoffroi Martel en a donné le premier exemple à sa postérité. Quand il eut la douleur de perdre son fils aîné, Guillaume Martel, il confia la dépouille mortelle de ce fils bien-aimé à sa chère église de Notre-Dame de la Garde, où il fut inhumé dans le chapitre (in capitulo dictœ ecclesiœ). Ce fut probablement à cette occasion que, du consentement de Philippe, son épouse, et de Robert et Fouques, ses deux fils, et pour le salut de son âme et des âmes de ses ancêtres et de ses descendants, Guillaume donna « en pure et perpétuelle aumône, à Dieu, à Notre-Dame et aux Frères de Granmont, » la Grande-Saline et autres terres désignées dans la charte, qu’il scella dans l’église de la Garde, « devant l’autel, » le 7 juin 1224.

Toutes les chartes de ce recueil sont empreintes de ces sentiments de religieuse gratitude et de respect pour les défunts qui ont dans tous les temps inspiré les bienfaiteurs de l’Église.
Il est aussi un fait digne de remarque, c’est la protestation que font les donateurs, que leurs libéralités ne leur sont extorquées ni par violence, ni par ruse, ni par aucune sorte d’influence capable de contraindre leur volonté. Cette solennelle et invariable protestation est la meilleure réponse à donner à tant de diatribes banales contre la prétendue cupidité du clergé. Ce reproche, d’ailleurs , ne lui est adressé que par les apologistes de ses plus avides spoliateurs.

Enfin, en attendant que nous revenions sur leur sujet, nous donnons ici la filiation des seigneurs de Matha, Mornac, etc., de 1180 à 1342, telle quelle se trouve établie par notre cartulaire :
- Vulgrain dit Geoffroi I Martel, à qui est donnée la terre de Matha, à son retour de la croisade (après 1180), a pour fils et successeur :
- Geoffroi II Martel (1195-1221). De son mariage avec Philippe ... Geoffroi II a trois fils :

  • 1° Guillaume Martel, qui meurt avant son père ;
  • 2° Robert ;
  • 3° Fouques.

- Robert I dit de Sablé (1225-1269), fils du précédent, a de Mathe …. , son épouse, un fils qui lui succède, qui est
- Fouques I de Matha (1270-1276). Celui-ci a pour successeur
- Robert II de Matha (1276-1342). Il est fils ou frère du précédent.
Là s’arrêtent nos chartes.

Nous terminerons en en donnant la nomenclature.
- I. Charte de Geoffroi Martel, 1195.
- II. Du même, Mornac, 1195.
- III. Du même, sans date.
- IV. De P., archiprètre d’Arvert, sans date.
- V. Geoffroi Martel, sans date.— Hugue de Letaniaco, sans date.
- VII. Falcon , abbé de St-Ruf de Valence ; Valence en chapitre général, 1196.
- VIII. Du même, sans date.
- IX. Guillaume Martel.
- X. P., archiprètre d’Arvert.
- XI. Guillaume Martel, octave de Pâques, sans millésime.
- XII. Othon, comte de Poitou.
- XIII. Pierre Bertin, ancien sénéchal de Poitou, etc., sans date.
- XIV. Geoffroi de Celle, sénéchal de Poitou, etc., sans date.
- XV. Jean de Vérac, évèque de Limoges, 22 juin 1200.
- XVI. Légat Octavien, sans date.
- XVII. Hélie de Malmort, archevêque de Bordeaux ; la Couronne, 30 novembre 1200.
- XVIII. Transaction entre la Couronne et la Garde, 45 novembre 1207.
- XIX. Simon, prieur de Saujon, 18 octobre 1211.
- XX. Guillaume Rauba, chevalier, 1211.
- XXI. Guillaume-Wells, 1211.
- XXII. P , archiprêtre d’Arvert, 26 juillet 4211.
- XXIII. Henri, évêque de Saintes, 8 août 1212.
- XXIV. Guillaume, évêque d’Angoulême, 1213 (reproduisant un acte des prieurs de Saujon et de Cozes, ad Ulmos in Arverto, 26 septembre 1213).
- XXV. R , cardinal de Saint-Étienne in Monte-Celio ; Angoulême , 25 août 1214.
- XXVI. Henri, évêque de Saintes ; Saintes, août 1216.
- XXVII. R..., prieur de Sainte-Gemme ; Sablonceaux, 29 décembre 1219.
- XXVIII (manque [8]).
- XXIX. Hélie, Thibaud, 1220.
- XXX. Geoffroi Martel, devant l’autel de N.-D. de la Garde, 7 juin 1221.
- XXXI. Caturcin, prieur de Granmont ; Granmont, 24 juin 1221.
- XXXII. Robert de Sablé, 1225.
- XXXIII. Du même, 1226.
- XXXIV. Du même, 1226.
- XXXV. Du même, 1226.
- XXXVI. Du même ; Saintes, 1226.
- XXXVII. Boson, scellée par Hugue, archiprétre d’Oleron , 1226.
- XXXVIII. Pierre Desmier, sous-chapelain de Saint-Étienne d’Arvert ; 3e dimanche de septembre 1226.
- XXXIX. Du même , 1227.
- XL. P..., prieur des Mathes ; chez le chapelain de Saint-Etienne, 8 janvier 1227 (n. s. 1228).
- XLI. Robert de Sablé ; Mornac, 1228.
- XLIV, XLIII, XLIV, XLV. Du même, 1228.
- XLVI. Du même, 22 mars 1228 (n. s. 1229).
- XLVII. P..., prieur de Mornac ; in porticu de la Garda, 1229.
- XLVIII. P. Desmier, vicaire d’Arvert, 1229.
- XLX. Robert de Sablé ; Saint-Étienne d’Arvert, 1233.
- L. Guillaume de la Garde, chevalier ; Matha, in aula, 1233.
- LI. Hélie, archiprétre d’Arvert ; Cozes, jeudi avant la Nativité de N.-S. 1234.
- LII. Sans nom d’auteur ; Saujon, 1236.
- LIII. Guillaume, abbé de la Couronne ; Disail, 1236.
- LIV. Robert de Sablé ; la Garde, mai 1236.
- LV. Du même, 1238.
- LVI. Guillaume Peyros et Gardrad de Brie ; Dirée, 26 mars 1245.
- LVII. Hilarie, abbesse de Saintes ; samedi avant l’Ascension 1246.
- LVIII. P..., archiprêtre d’Arvert ; samedi après la saint Martin d’hiver 1247.
- LIX. Raymond, prieur de Mornac ; Mornac, in curia nostra, 2 novembre 1250.
- LX. Pierre Fabre, prêtre d’Arvert ; samedi après la Pentecôte 1259.
- LXI. Pierre, archiprêtre d’Arvert ; novembre 1269.
- LXII. Fouques, seigneur de Matha ; avril 1270.
- LXIII. Jean de Matha, clec ; 9 septembre 1276.
- LXIV. Gombaud, sénéchal de Mornac, et Guillaume Geoffroi, valet, de Marennes ; lundi avant l’Osanne 1267.
- LXIV. Robert, seigneur de Matha ; vendredi après l’Annonciation 1278.
- LXVI. Vivien, sr de Barbezieux et en partie de la Tremblade ; jeudi après la Quasimodo 1287.
- LXVII. Robert de Matha, Saint-Jean d’Angély, après la saint Vincent 1300.
- LXVIII. Vidimus de la précédente ; Limoges, 3 avril 1301.
- LXIX. Pierre Meloi ; Corme-Royal, lundi post quintanam 1311.
- LXX. Pierre Mainard et Audearde, sa femme ; lundi après la fête des SS. Pierre et Paul.
- LXXI. Pierre Rossignol, prieur de la Couronne en Arvert ; vendredi avant l’Annonciation 1329.
- LXXII. Robert de Matha ; Matha, vendredi avant la Conception 1330.—
- LXXIII. Du même ; Mornac, mardi après la saint Grégoire 1331.
- LXXI. Du même ; Arvert, lundi après la Circoncision 1342 (n. s. 1343).

L’abbé P.-Th. Grasilier.


[1Saint Étienne, appelé de Thiers, du lieu de sa naissance, et de Muret, de celui de sa mort, naquit en 1046 et mourut le 8 février 1124.

[2Ce ne fut qu’en 1318 qu’il reçut du pape le titre d’abbé et en prit les insignes.

[3Mss. Biblioth. nationale, n° 9,934. F° 56, r°.

[4Ibid. S. Germ. lat., n° 580. F° 567, v°.

[5Mss. Biblioth. nationale. S. Germ. Français, n° 878, t. III. F° 758, v°.

[6Fénelon. Lettre au marquis de Seignelay.

[7Mss. Archiv. de la Charente-Inférieure. 1 H. (5)

[8Cette charte de 1220, citée par Mgr de Beaumont, n’a pas encore été retrouvée.

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