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Le journal de Jacques Pouzaux, curé de Gémozac de 1750 à 1783

vendredi 5 février 2016, par Pierre, 1321 visites.

Le journal de Jacques Pouzaux, curé de Gémozac de 1750 à 1783, mérite d’être lu. Non seulement il raconte l’histoire de cette paroisse et de ses environs, mais aussi l’histoire de France et de la Saintonge depuis le 12ème siècle. Les commentaires du curé sur les personnes et les évènements révèlent une personnalité originale et indépendante, bienveillante et dénuée de sectarisme. Mr Jônain, lecteur de ce journal en 1858, a ajouté des commentaire sur le texte de Jacques Pouzaux. Cela crée une sorte de dialogue entre ces deux personnes qu’un siècle sépare.
On pourra s’intéresser à différents aspects de la vie de cette époque, comme les phénomènes météorologiques, les protestants au XVIIIème siècle, le jansénisme, les papes, les conciles et les conclaves, les prix des denrées alimentaires, et bien d’autres sujets.
Pour faciliter la recherche dans ce long document, nous avons créé un tableau des thèmes significatifs, avec l’indication des années où ils sont abordés.

Source : Notice historique sur la commune de Gemozac : d’après les mémoires du curé de Pouzaux et d’autres manuscrits / par un indigène - Saint-Jean-d’Angély - 1876 - BNF Gallica

Description de Gémozac en 1765 : Avant-propos
Gémozac : 1163 - 1400 - 1412 - 1451 - 1501 - 1547 -
1552 - 1591 - 1593 - 1598 - 1611 - 1612 - 1618 - 1636 -
1667 - 1709 - 1713 - 1716 - 1718 - 1729 - 1740 - 1743 -
1750 - 1754 - 1757 - 1758 - 1760 - 1765 - 1766 - 1767 -
1768 - 1774

Louis VI : 1137
Eléonor d’Aquitaine : 1146 - 1148 - 1152 - 1199
Philippe-Auguste : 1180 -1183
Louis VIII : 1223 - 1224
Louis IX : 1227 - 1242 - 1248 - 1249 - 1270
Philippe III : 1285
Philippe-le-Bel : 1285
Philippe VI de Valois : 1328
Charles VI : 1380 - 1400 - 1422
Charles VII : 1429
Charles VIII : 1483
François Ier : 1515
Henri III d’Angleterre : 1534
Albigeois : 1417
Amérique : 1778
Calvin : 1534 - 1552 - 1774
Cartier Jacques : 1534
Canal du Midi - 1667
Colomb Christophe : 1483 - 1497
Corse : 1768
Croisades : 1137 - 1143 - 1144 - 1146 - 1147 - 1148 -
1187 - 1248
Désordres monétaires : 1774 - 1777
Espagne : 1477
Francs-maçons : 1740
Gabelle : 1328
Galilée : 1636
Jansénisme : 1669
Jarnac : 1569
Jeanne d’Arc : 1429
Jésuites : 1534 - 1540 - 1550 - 1561 - 1760 - 1762 - 1773
Juifs : 1183
Luther : 1517 - 1520 - 1527 - 1534 - 1552
Météo : 1709 - 1727 - 1753 - 1766 - 1767
Parlements : 1771
Peste : 1348
Prix : 1748 - 1767 - 1768
Protestantisme en France / Huguenots : 1534 - 1560 - 1561 - 1562 -
1567 - 1568 - 1598 - 1724 - 1755 - 1756 - 1758 - 1760 - 1768
Révocation de l’Edit de Nantes : 1685
La Rochelle : 1223 - 1224 - 1225 - 1227 - 1572 - 1627 - 1628
Saintes : 1568 - 1768
Templiers : 1187 - 1223 - 1310 - 1312
Taillebourg : 1242
Tremblement de terre : 1755 - 1760
Vaudois : 1546
Vespucci Amerigo : 1500
Zwingle : 1534 - 1552

Mémoires sur la paroisse et Benefice de Gémozac en Saintonge (*) avec les événements les plus remarquables qui se sont passés depuis le règne de Louis VII, roi de France. Dressés en l’année 1765. Par Messire Jaques [ainsi, sans c] Pouzaux, Prêtre Bachelier en Théologie, curé, prieur commendataire (**) de la ditte paroisse, et continués par le même.

(*) Nous transcrirons presque toujours l’orthographe de Messire Pouzaux, mais nous ferons observer qu’il était de la Gascogne (né à Montauban en 1723) et que l’on abuse de l’accent en cette contrée.
C’est de lui peut-être que vient l’orthographe peu gracieuse de Gémozac, trois syllabes fortes de suite ; c’est contraire au bon goût français. Dans Gémoze, oui, les deux premières sont toniques, parce que la troisième est muette ; mais dans Gemozac et Gemozacais, il faut Ge muet. ? Les mots entre () seront de M. Pouzaux ; ceux entre [ ] et écrits en bleu seront de M. Jônain.
(**) La cure de Gemozac, étant un Bénéfice ou fief d’Église, dépendait, par le droit canon, de quelque communauté régulière ; il fallait une Commende ou Commission supérieure pour qu’un prêtre séculier pût en jouir.
Observons encore que le mot Prieur ne veut pas dire celui qui prie, mais le premier, Prior, d’une communauté.

AVANT-PROPOS

La Paroisse de Gémozac en Saintonge, une des plus étendues du diocèze, est située dans une grande pleine [sic], à trois lieues de Saintes, capitale de la Province, à deux lieues du port de Mortagne sur la Gironde et à une lieue et demie de la petite ville de Pons. Ces [au lieu de ses, ou mieux de les] paroisses adjacentes sont Cravans et Saint Simon vers le nord, Villars au nord est, Jazennes et Tanzac a l’est, Givrezac au sud est, Champagnolles et St Germain vers le sud, Virollet et Epargnes à l’ouest et St André de Lidon vers le nord d’ouest. Les paroisses de Givrezac et d’Epargnes ont-elles jamais été contiguës à celle de Gemozac ? Je ne sais ; mais aujourd’hui ce ne sont plus des communes limitrophes de la nôtre. Les autres confrontations sont demeurées les mêmes.

L’on compte deux lieues dans sa plus grande étendue du sud ouest au septentrion, en prenant à l’extrémité de la paroisse vers le manoir du Verdier en tirant vers le village des Blois qui avoisine la paroisse de St-Simon ; et une lieue d’orient en occident, scavoir depuis le village de la Foy jusques au manoir de Font-Neuve qui avoisine le bourg de Virollet. Lequel espace comprend cinquante villages tant grands que petits et vingt six à 30 manoirs ou maisons particulières, ce qui fait en tout 76 à 80 lieux habités sur ladite paroisse, dont voicy les noms par ordre alphabétique.

La lettre V désigne le village. La lettre M désigne le manoir.

Noms des villages :

En 1765. [En 1858.]

Ballangers V. [Ajoutez Moulins des Ballangers.]
Battes V. (Bâte.)
Beauplan M. (Moulin.) [Bel-Air, Man.]
Bernessard Man. [Blanchard, Man.]
Brandes V.
Breuil (le), V. [Moulins du Breuil.]
Bouillau V.
Bonneau (ajouté au crayon et d’une autre écriture.)
Billeride V.
Biziterie V. (Bizetterie.)
Blois (les) V.
Boisgiruud M.  [Moulin du Boisgiraud.]
Bigorre (la), V.
Bouyé Man. (Bouyer.)
Cadron V.
Catarinaux Man. (*). (Cathelineaux.)
Chadenier V. [Moulin de Chadenier.]
Chassars Man. (Chassards.)
Chassières V.
Chailloux V. (Chaillau.)
Chailloux Man.
Charrié V. (Charrier.) Chenet V.
Chobelet V.
Chocrou V. (Chaucron.)
Coûtant V. (Coûtand).
Courreau V. (Couraud.)
Coquerie Man.
Dabori V.
Dabonnerie (au crayon.) [Descenderie.]
Drugeon Man. [Enclave (l’), Man.]
Favrau V.
Fontalau V. (Fontaleau.)
Font-neuve Man.
Foucaud V.
Foucher Man.
Grand-Village V.
Grand-Pateur V. (Grands-P.)
Geoffroy V.
Girardéau Man.
Gailler V. (Gaillé.)
Gombéau V. (Gombaud.)
Grenon V.
Guerit Man.
Gourdinerie V.
Hélies (les) V. Hyssope (l’), Man.
Ivonets (les) V. (Les Yvonnets.)
La Barre V.
La Batut V. (L’Abattu.)
Langlade V. (L’Anglade.)
La Foy V.
La Maire V.
La Salle Man.
La Tournerie V.
Les Lignes V. [Luneau]
Maine-Bequet V. (Man.-Bouquet.)
Maine-Plat V. (Pelat.)
Manié Man. (ou Magnez.)
Maillet Man. (ou Maillé.)
Maizonetes Man. (Maisonnettes.)
Moissonnerie Man.
Mont-Roseau V.
Mont-Travail Man. (Montravail.)
Oziniac V. (L’Ozignac.) [Papillons (Moulins des).]
Petit-Pateur V. (Petits-P.)
Petite-Métairie Man. [Piedsec Man.]
Hunoté (la) Man. (Hnguenoté ?). [Poudil Man.]
Pelisson V.
Quoc V. (Coq.)
Raterie Man.
Rénéau Man. (Requaud), (Renauds).
Richerie V. [Ridoire (La) Man.]
Robinerie Man.
Roché V. (Rocher.)
Rocherie Man.
Saint-Caprais V.
Sicardière V. *
Tantin V.
Torloi V. (Tordloie ?)
Verdier Man. [Vyaud.]

TOTAL quatre vingt seize.
(*) Il n’est pas supposable que des Catharins ou Albigeois se fussent autrefois réfugiés en Saintonge. Mais remarquons plus loin des moulins appelés des Papillons ou Parpaillons, sobriquet appliqué aux hérétiques et notamment aux protestant, comme insectes follets venant se brûler aux cierges de sainte Eglise : Est-ce que les meuniers auraient eu de la propension à l’hérésie, ou les hérétiques de l’avantage à se faire meuniers, et serait-ce de là qu’on aurait baptisé plusieurs moulins du châfre de Catarinaux, Parpaillons et même de la Bizetterie, les Bizets ou pigeons sauvages ayant bien quelque chose de le méchanceté diabolique des papillons ?

Son terrein quoique composé de terres légères et sabloneuses est néanmoins assez abondant en grains, chanvres, ails, et en vins blancs dont on fait de l’eau de vie aussi estimée que celle de Cognac, » ? c’est le Cognac-Bocage, mais inférieur au Cognac-Champagne, ? « et il seroit encore bien plus fertile, mais la paresse et la nonchalance naturelle aux colons saintongeois fait que les terres ne sont pas travaillées comme il faut.

[Le brave M. Pouzaux était du Midi (de Montauban), où il règne plus de vivacité, plus d’activité apparente et bruyante, mais où il se fait peut-être moins de travail. Il faut dire aussi que les paysans, devenus propriétaires par la Révolution, se sentent un tout autre goût au travail que lorsqu’ils étaient serfs.]

On y trouve douze moulins à vent et deux à eau. Ces deux derniers sont placés l’un au village de Chaucrou [1] et l’autre au village de l’Anglade sur deux petits ruisseaux, qui vont se perdre dans la rivière du Seudre, an peu au dessous du village de Chadenier, qui a dû apparemment être autrefois plus considérable, puisqu’on en trouve le nom sur les anciennes cartes géographiques, dans lequel village il y avait jadis une églize dont les voûtes se soutiennent encore [nul vestige en 1858] ; et où les Prieurs de Gemozac envoyoient de temps en tems un prêtre pour y dira la Sainte Messe, et particulièrement la troisième fête de Pâques, qui étoit la fête du lieu. On y enterroit aussi les morts des environs, comme il conste par une sépulture faite dans l’égiize de Chadenier, il y a justement cent ans, et que l’on trouve inscrite sur le troisième registre de la paroisse de Gemozac, en date du 15 avril 1665 « Ce fut du temps de Mr de Bordage, Prieur curé commendataire que l’on cessa d’y dire la messe, à peu près vers l’an 1680. Les maisons qui l’environnent font rente au Prieur de Mortagne (actuellement Mr l’abbé Lesqieu de la Neuville). Je n’ay pu découvrir la raison de cette cessation. Peut-être que les Prieurs de Mortagne étoient obligés d’entretenir le bâtiment de la dite églize et de la fournir des vazes et ornements nécessaires au culte divin, et qu’ayant négligé de le faire, Mr de Bordage discontinua le service dans cette églize. [Point d’argent, point de service.]
L’étendue de la paroisse est diversifiée par des prés, et par des bois, ce qui rend le pays fort agréable. Son bourg est placé vers le milieu. On y compte actuellement (1765) cent feux ou maisons particulières. Scavoir 63 catholiques, qui renferment 214 communians ; et 37 calvinistes, qui renferment 106 protestants [3 catholiques 4 dixièmes en chaque maison et seulement 2 protestante 8 dixièmes]. Le total des habitans de la paroisse est de deux mille trois cent cinquante deux, y compris les en- fants de l’une et de l’autre religion.

Un grand tiers des protestants demeure dans le Bourg, y ayant sur la paroisse des villages très considérables, comme ceux de La Foy et de L’abattu, qui n’ont jamais souffert aucun religionnaire. Il y a apparence que dans le tems de la fondation de l’églize de Gemozac la paroisse n’étoit pas aussi peuplée qu’elle l’est aujourd’hui, car elle [l’églize] contient à peine le nombre de paroissiens qui viennent aux deux messes qu’on y célèbre toutes les fêtes et dimanches et elle ne les contiendrait pas en effet, si tous les habitans étoient catholiques, ainsi qu’ils l’étoient en ce tems là.

Tous les troisièmes vendredis de chaque mois l’on tient à Gemozac une foire renommée par la quantité de bétail à corne qu’on y trafique, et marché chaque vendredi, mais qui n’est pas considérable.

Monsieur le comte de Bourdeille [famille de Brantome] qui est seigneur de Gemozac, du chef de sa femme d’Aubeterre et monsieur Louis Auguste Ancelin, seigneur de Bernessard, jouissent chacun sur leur [sa] terre des droits de haute, moyenne et basse justice, pour l’administration de laquelle ils entretiennent, chacun de leur [de son] côté , un Juge, un Procureur d’office et un sergent. Ils ont cha- cun un banc dans le choeur, Mr de Bourdeille du côté de l’Evangile [à la droite du prêtre, quand de l’autel il regarde le peuple] et Mr de Bernessard du côté de l’Epître ; mais le premier a tous les droits honorifiques de l’églize, par un accord fait entre Mr le chevalier d’Aubeterre seigneur de Gemozac et Mr Ancelin seigneur de Bernessard, du tems de Mr Jordannet, prieur. Outre ces deux seigneuries enclavées dans le circuit de la paroisse, Mr le duc de Richelieu, maréchal de France ; Mr de Blois, seigneur de Roussillon ; Mr de La Porte fils, seigneur de Cravans ; Mr l’abbé Lesqieu de la Neuville, prieur royal de Mortagne ; Mr Moré, seigneur du Rail ; Mr de Lescour, seigneur du Gagnon ; et Mr de la Marterrière, tous ces seigneurs y possèdent encore des terres et des fiefs qui leur font rente.

Il n’est pas douteux que les Prieurs de Gemozac étoient aussi seigneurs de leur églize et d’une bonne partie du Bourg ; mais les titres primordiaux turent enlevés et les domaines du prieuré usurpés par les seigneurs qui se firent calvinistes, dans le tems des guerres civiles qui désolèrent le royaume sous le règne de Charles IX, et qui commencèrent à ravager la Saintonge vers l’an 1560. On voit les indices de la preuve de la seigneurie du Prieur dans le censif formé par Mr de Concis, seignr de Gemozac, en date de l’an 1547, c’est-à-dire douze ou treize ans avant les troubles ; lequel censif donne en plusieurs endroits le domaine et seigneurie du Prieur pour confrontation aux domaines et seigneurie dudit Sr de Concis.

Mais tous ces actes sont informes ou ne sont que des copies non signées qui ne contiennent que de simples allégations et qui n’ont pas été suffisantes pour revendiquer en justice les anciens biens de l’églize ; de sorte que les Prieurs actuels n’ont présentement d’autre ancien domaine qu’un pré, situé près du Bourg, sur le chemin qui va au moulin [notons un seul moulin, il y en a deux aujourd’hui] des Catarinaux, d’une part, et sur le chemin qui va à Montravail, d’autre part, [c’est le Pré du Roc] ; ledit pré faisant bout de coin à ces deux chemins ; duquel les prieurs n’ont point de titre ; mais dont ils jouissent de temps immémorial, exempt de rente et de redevance quelconque. De plus, ils jouissent d’une maison située entre le vieux château et le cimetière, à l’orient de l’églize, occupée maintenant par le nommé Belot, serrurier, et la veuve Gombeau, sous la rente d’une paire de chapons et de cinq sols d’argent [de dix à douze francs d’aujourd’hui] qu’il font actuellement au Prieur de Gémozac.

La dixme du Prieuré cure de Gemozac se lève et s’est toujours levée au treize [de là le proverbe encore subsistant : de 13, un pour le prêtre] ; scavoir sur le blé froment, seigle, mixture, blé d’espagne, orge, baillarge, avoine, feves, poids [sic], mil, gisses, garoves, [garraube, sorte de vesce. Notons la v gascon pour le 6] et généralement sur tous les grains qui s’y sèment ; en outre sur les chanvres, ails, échalottes, agneaux et raisins. Les paroissiens sont obligés d’avertir le Prieur le dimanche avant de vendanger leurs vignes, par arrêt du Parlement, obtenu par Mr de Bordage, en l’année 1711 et contrôlé en 1712, dont il y a un extrait en parchemin déposé dans les archives du prieuré de Gemozac [de là les bans de vendanges, usage féodal dénué à présent de tout motif, mais encore existant de nos jours].

On ignore entièrement le tems de l’établissement du Bourg, ainsi que les dattes de la fondation de son églize, consacrée à Dieu, sous l’invocation de St. Pierre, prince des apôtres, que le vulgaire croit bâtie par les Anglais.

Cette opinion, qui pourrait absolument être vraie, souffre néanmoins de grandes difficultés. Car il est certain que le prieuré cure de Gemozac devint dépendant du prieuré conventuel de St. Estienne de Mortagne, fondé en 1113 (ordre des chanoines réguliers de St. Augustin), en 1163 par acte d’échange entre Bernard, Evêque de Saintes, (premier prieur et abbé de l’abbaye de Sablonceaux, fondée par Guillaume IX, duc d’Aquitaine en 1136) et le chapitre dudit Mortagne, qui donna à cet effet audit Evêque la terre de Conteneuil, près du Bourg de Cozes [propriété aujourd’hui d’un Mr Desmaries, gendre d’un pasteur protestant]. L’acte primordial de cet échange écrit en langue vulgaire de ce tems là [la langue d’o] fait mention qu’il fut passé sous le pontificat d’Alexandre III, sous le règne de Louis VII, roi de France, et sous celui d’Henri II, roi d’Angleterre.

Or l’histoire nous apprend qu’Henri ne devint duc d’Aquitaine qu’en 1152, par son mariage avec Eléonore, fille de Guillaume IX et femme répudiée de Louis VII, et qu’il ne monta sur le trône d’Angleterre qu’en 1154. Seroit-il vraisemblable que les Anglais, dans le court espace de 8 ou 9 années, eussent d’abord édifié des églizes dans des provinces tout nouvellement acquises ?. Si l’églize fut fondée en ce tems là, le Bénéfice fut régulier dès aussitôt sa création. Peut-être aussi fut elle bâtie longtems auparavant, et servie avant l’an 1163 par des séculiers. C’est ce qui est fort incertain et que je n’ay pu découvrir.

Quoiqu’il en soit, le prieuré cure étoit régulier en 1163. Un petit monastère étoit placé au nord de l’églize, comme il parait encore par un puits et par des fondements qui sont demeurés dessous et aux environs de la halle. Les prieurs de Gemozac étoient tirés du nombre des chanoines réguliers dudit chapitre de Mortagne, et ce petit monastère de Gemozac subsista près de quatre cents ans, ayant été détruit vers l’an 1560. En ces tems malheureux une partie des Français ayant embrassé les erreurs de Calvin, on ne sçauroit exprimer les désordres que ces hérétiques causèrent dans le royaume, surtout dans la province de Saintonge, qui fut le théatre des fureurs du fanatisme. Dans ces jours de ravage et d’horreurs, une grande partie de l’églize de Gemozac fut détruite, le petit monastère entierement démoli, les domaines du Prieur usurpés, tous les titres, papiers et registres enlevés, de sorte que le plus ancien qu’on ait ne remonte qu’à l’année 1612. Mr de Candelai, seigneur de Gemozac, zélé calviniste, transporta dans la suite la halle (qui étoit devant son château à l’orient de l’églize et duquel une tour à demi-ruinée sert actuellement de prison) dans l’emplacement où étoit autrefois le monastère, et fit bâtir un Temple protestant sur le fonds de la seigneurie du prieur [fort près de l’endroit où il a été bâti de nouveau en 1845].

Mr Colon, Prieur de Gemozac, qui vint après, revendiqua son ancien logement, et il fut ordonné de l’en dédommager par sentence du Sénéchal de Saintes, du 29 avril de l’an 1643 ; mais cette affaire demeura assoupie, je ne sçai pourquoy, et n’a jamais eu jusques ici aucun effet.

Les lieux réguliers du chapitre de Mortagne éprouvèrent le même sort qu’une infinité d’autres églizes et monastères du Royaume, qui furent renversés de fond en comble, et les Religieux tués ou dispersés. Après ces terribles orages, qui durèrent près de cent ans, le calme revint enfin ; mais le chapitre de Mortagne n’ayant point été relevé ni rebâti, les Rois de France se sont mis du depuis en possession de nommer les Prieurs de Mortagne, lequel Prieur royal nomme lui-même en cette qualité à la cura de Mortagne, de Cozes ; aux Prieurés de St. Romain sur Gironde, de Bois, de Champagnole, de Boutenac, de Brie, de St. Seurin, de Cravans, de Virollet, d’Epargnes, de St. Ciers ; de Gemozac etc., lesquelles paroisses étoient et sont encore dependantes du prieuré de Morta- gne et toutes régulières.

Dans le douzième siècle, la France n’étoit pas gouvernée ainsi qu’elle l’est aujourd’hui. Il n’y avoit que la religion qui étoit commune à tous dans tout le royaume, et on n’y connaissoit que la Religion catholique, apostolique et romaine... qui florissait en France en ce tems là.

1137 - Trente six ans après la prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon, Louis VI, dit le gros, étoit roi de France, Guillaume IX duc d’Aquitaine, et Henry duc de Normandie et comte d’Anjou. Guillaume avoit une fille nommée Eléonore, née vers l’an 1123, Princesse d’une rare beauté, qui avoit l’art de gagner tous les coeurs par sas manières douces et insinuantes, et dont l’esprit étoit ouvert au sçavoir et à toutes les belles connoissances. Son père mourut dans un pèlerinage à St. Jacques et fut inhumé à Compostelle en Espagne, en 1137. [La même année, selon le voeu de son testament, sa fille épousa, à Bordeaux, le fils de Louis VI, et ce Louis dit le jeune, la même année encore, hérita du trône de France, sous le nom de Louis VII, et y ajouta, du chef de sa femme, la possession de l’Aquitaine et du Poitou.]

C’étoit un prince bien fait, mais plus scrupuleux que dévot, et qui ignoroit le grand art de régner.

1143 - [Incendie de Vitry en Perthois par Louis VII. Voeu de se croiser, approuvé par le Pape Eugène III.]
En ce tems là, Omadedin Zenghi, turcoman seljoucide, sultan de Mozul et d’Alep, le plus puissant prince de l’Orient, menaçoit Jérusalem, dont Bodouain III [sic] étoit roi.

1144 - St. Bernard, abbé de Clervaux, prêche la croisade,. pendant deux années, refuse le commandement des croisés, et se retire dans son abbaye.

1146 - L’Empereur d’Allemagne Conrad et Louis VII mirent sur pied chacun un nombre prodigieux de troupes. Les femmes même parurent armées dans une revue. Eléonore, épouse de Louis VII, étoit à la tête de ces héroïnes, et cette femme auroit fait les délices de ce prince, si sa coquetterie n’eût fait soupçonner qu’elle partageoit ses faveurs avec d’autres qu’avec son mari.

1147 - L’Empereur grec Emmanuel Comnène fit empoisonner, égarer et massacrer les croisés allemands. Le roi de France fit route par un autre chemin.

1148 - Raimond de Poitiers, prince d’Antioche, oncle paternel de la reine Eléonore, l’accueillit à Antioche, avec son mari, par des fêtes et des bals qui durèrent plusieurs jours, pendant lesquels on dit que la belle Eléonore devint amoureuse d’un jeune Turc baptisé, appelé Saladin. Louis VII la fit sortir de nuit d’Antioche et l’emmena à Jérusalem avec toute son armée.
Les deux monarques croisés assiègent Damas ; mais la jalousie des princes chrétiens de ce pays se concerte avec les infidèles et fait échouer la croisade, où il périt, dit-on, 200,000 hommes, sans avoir pris aucune place aux infidèles. 1149 « Louis VII, de retour en France, s’occupe, malgré les conseils de l’abbé Suger, du Divorce par consentement mutuel entre Eléonore et lui ; et aussitôt la mort de ce ministre, fait prononcer la nullité du mariage, sous prétexte de parenté. (Fin de 1151.)

1152 - Eléonore accepta la main de Henry duc de Normandie, qui devint deux ans après roi d’Angleterre, et lui porta en dot l’Aquitaine et le Poitou... origine des longues guerres entre la France et l’Angleterre.

1161 - Schisme dans l’Eglize : deux contendants à la chaire de St. Pierre.

1163 - Le Bénéfice cure de Gemozac en Saintonge fut uni et devint dépendant du prieuré conventuel de St. Etienne de Mortagne sur Gironde [voir l’avant-propos]. Mr Moreau, Curé de Mortagne, m’a fait voir cet acte d’échange, écrit en langue vulgaire de ce tems la. Je me rappelle d’y avoir lu les paroles suivantes souslignées : per la terra del Contenol joux Cozers, c.-à-d. pour la terre de Conteneuil, près Cozes, actuellement possédée par made. la marquise des Dunes. Il ne m’a pas été possible de découvrir les noms des premiers prieurs ou curés qui ont desservi cette Eglize, soit qu’il y en eût avant, soit immédiatement après la cession et union dont il a été parlé.

1180 - Louis VII mourut. Philippe Auguste son fils lui succéda. Ce prince ordonna des châtiments rigoureux contre les impies et les libertins et publia un Edit sévère contre les blasphémateurs du St. nom de Dieu.

1183 - Philippe chassa de son royaume tous les Juifs [mais non pas leurs écus] comme étant les autheurs de l’usure et de la mattote. Ils étaient les seuls partisans de ce tems là [fermirs des diverses parties de l’impôt]. L’année d’après, il bannit de sa cour les commédiens et les farceurs publics.

1187 - Raymond, comte de Tripoli, par jalousie contre Gui de Lusignan, roi de Jérusalem, fait pacte avec Saladin et se fait, dit-on, circoncire, avuglé [terme méridional] par sa passion contre Gui et contre les Templiers. Grande bataille, par une chaleur ex- cessive : le roi, trahi par Raymond, le Grand maître des Templiers et de St. Jean furent pris ; la vraie croix tomba entre les mains des infidèles.
Jérusalem fut reprise par eux, 88 ans après la conquête qu’en avaient faite les premiers croisés, sous le commandement de Godefroi de Bouillon. Raymond, méprisé par Saladin, mourut fou furieux.

[Croisade de Richard et de Philippe-Auguste.]

1199 - Eléonore vint faire quelque séjour & la Rochelle qu’elle aimait beaucoup et l’érigea en ville [libre] par l’établissement d’une commune qu’elle y créa

1204 - [Mort d’Eléonore à Fontevrault.

1223 - Mort de Philippe-Auguste, remplacé par Louis VIII].

En ce tems là les Templiers établis à la Rochelle [et ailleurs] s’y comportoient plus en gens de guerre qu’en Religieux. Comblés des bienfaits des fidèles, ils couroient encore après de biens temporels [locution du midi]. Fiers des services qu’ils rendoient à la chrétienté, ils étoient devenus insolents et s’emparoient des biens domaniaux.Henry III d’Angleterre obtint du Pape qu’ils rendroient au moins aux particuliers ce qu’ils leur avoient enlevé. [Conquêtes de Louis VIII].

1224 - Le 15e juillet le roi Louis VIII commença le siège de la Rochelle. Les habitans aguerris et pleins d’audace avoient déjà fait de grands amas de vivres. On recreusa les fossés, et les portes furent protégées par des boulevards à la manière des Romains. Louis VIII, de son côté, pour battre la ville avec succès, fit travailler à un ouvrage connu chez les anciens sous le nom d’agger. C’étoit une élévation de terres assemblées, ou haute plateforme sur laquelle on établissoit des machines destinées à lancer des pierres pour foudroyer tout ce qui paraissoit sur les remparts. Les Rochelais attendoient de jour en jour que le roi d’Angleterre leur enverroit du secours. Mais les machines dressées pour ébranler les murs les battirent avec tant de violence pendant neuf jours que les breches devinrent praticables. Mauléon, qui commandoit dans la ville, conseilla aux habitans de capituler. Les portes furent ouvertes et Louis VIII y fit son entrée solennelle après vingt et un jours de siége. Il promit de ne jamais aliéner la Rochelle et de n’en pas faire démolir les murs ; mais il en chassa tous les Anglais. Cette ville avoit été sous la domination des rois d’Angleterre l’espace de 72 ans.

1225 - Une flotte considérable envoyée par Henri III pour reprendre la Rochelle fut brisée par une violente tempête sur les côtes de l’île de Ré. [Guerre aux Albigeois par Louis VIII. Sa mort.]

1227 - La Rochelle, à peine relevée des dommages que lui avoit causé le dernier siège éprouva les horreurs d’un embrasement presque général. La plus grande partie des maisons étoient alors construites en bois de charpente, qui furent toutes réduites en cendre.

[Prétendue tentative d’assassinat contre Louis IX « par les émissaires de Hassan Sabaa, dit le Vieux « de la montagne, prince des Hessasins », c. à d. des buveurs de haschish, liqueur tirée du chanvre d’Orient, qui jette dans un délire heureux. De haschish vient le mot assassin].

1242 - Louis IX, ayant la guerre avec les Anglais, gagna une célèbre victoire à Taillebourg (situé à cinq lieues de Gemozac) contre Hugues de la Marche. Louis IX soutint seul l’effort des ennemis sur le pont qu’il falloit passer, les mit en déroute et poursuivit les fuyards jusque sous les murs de la ville de Saintes.
« En ce tems là les chevaliers de St. Jean et les Templiers, dont la Palestine tiroit toute sa force, étoient divisés entre eux, les uns disent par la jalousie qui régnoit entre ces deux corps, les autres disent au sujet de quelques traités que les uns et les autres avoient fait avec différents princes infidèles.

1248 - [Croisade de Louis IX.

1254. Son retour.]

1255 - Robert Sorbon, docteur en théologie à Paris, fit bâtir à ses dépens le collége appelé Sorbonne qui est devenu si célèbre dans tout le monde chrétien.

1270 - [Deuxième croisade de Louis IX. Sa mort par la peste à Tunis.

1282 - Les Vêpres siciliennes, massacre des Français.

1285 - Mort de Philippe III à Perpignan. Avènement de Philipe-le-Bel. ]

« Le Pape Boniface VIII prétendoit avoir le pouvoir de déposer les rois et se croyoit maître du temporel comme du spirituel ; il vouloit même assujettir les princes à lui demander permission de mettre des impôts sur leurs sujets. Philippe, qui connaissoit ses droits et qui sçavoit les soutenir se moqua des prétentions de Boniface. Il demanda au clergé de son royaume un don qui fut imposé sur tous les ecclésiastiques, et à ce sujet le Pape l’excommunia. Ce souverain Pontife étoit un homme hautain, entreprenant, avare, vindicatif et cruel, qui pendant tout son pontificat ne fut occupé que du projet chimérique de se procurer une domination temporelle et absolue sur tous les Etats des princes et rois chrétiens, à la faveur de l’autorité spirituelle qu’il avoit usurpée. » [Certes, voilà une histoire étonnamment avancée pour l’époque et pour le caractère de l’auteur. Seulement elle ne se doute pas de ce que c’était que l’avénement du Tiers-Etat aux Etats généraux de 1302 ; elle passe à]

1306 - Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux fut élu souverain Pontife.

1310 - [Les chevaliers de St. Jean deviennent chevaliers de Rhodes. plus tard, de Malte, et il y en a encore. ]
Les Templiers, par leur retraite précipitée en Europe, dans leurs commanderies, et par la vie molle et délicieuse qu’ils y menoient, sembloient avoir renoncé à leur vocation et laissé les saints lieux en proie aux Turcs et aux Sarrazins. Ces discours, qui n’étoient pas destitués de vérité, et d’autres qu’on répandoit sourdement engagèrent le roi de France à poursuivre l’extinction de cet ordre. Il y avoit déjà trois ans que Jacques de Molay, Grand maître des Templiers, avoit été arrêté. Tous les Templiers, soit à Paris, soit dans les autres villes du Royaume avoient été arrêtés en un seul jour, comme étant accusés d’orgueil, d’ambition, de luxe, d’impureté, d’impiété, d’ivrognerie et d’incrédulité. De là vient qu’on dit encore : boire comme un Templier. A l’exemple de Philippe, tous les autres princes chrétiens firent arrêter ces chevaliers sur les terres de leurs dépendances. On les mettoit aux fers, on leur faisoit leur procès, puis on les condamnoit au feu ou à une prison perpétuelle.

1311 - Concile de Vienne à ce sujet et pour la réformation des m ?urs et de la discipline de l’Eglize.

1312 - [Le 22 mai, abolition par le Concile de l’ordre des Templiers.

1313 - Supplice par le feu de J. de Molay et de quelques autres.

1314 - Louis X.

1316 - Philippe V, dit le Long, son frère.

1322 - Charles le Bel, frère du précédent.]

1328 - En lui finit la troisième race des rois de France, dite des Capétiens. Il foula le peuple et laissa le royaume en proye aux traitants.

1328 - Philippe VI de Valois. établit un impôt sur le sel, sur quoy Edouard roi d’Angleterre l’appelloit par raillerie l’auteur de la loi salique. Ce nouvel impôt, appelé gabelle, causa beaucoup de murmures dans tout le royaume. Un grand nombre de provinces ne s’y soumirent que par la force et il y eut à cette occasion une révolte considérable à Bordeaux où il fut tué, bien de personnes.

1338 - Famine, suite de la guerre.

1348 - Peste, suite des exactions et de la grandeur des impôts.

1353 - Jean le bon. 1354, Institua l’ordre de l’Étoile à l’honneur de la Vierge, qu’il prit pour sa protectrice et la guide de son royaume.

1356 - Bataille de Poitiers. le roi Jean prisonnier des Anglais.

1369 - Charles V, surnommé le sage.

1370 - Le fameux Bertrand du guesclin, gentilhomme breton fut fait connétable. premier usage de la poudre à canon. comme à la Chine depuis plusieurs siècles, ainsi que la boussole et le verre. [Et l’imprimerie et les aérostats. ]

1374 - Ordonnance qui fixe la majorité des rois à quatorze ans [commencés], au lieu de vingt ans.

1380 - Charles VI. réduit à trois le nombre indéfini des fleurs de lys sur l’écu de France.

1400 - Frère Pierre Olivier, chanoine régulier de Mortagne, Prieur de Gemozac. [M. Pouzaux inscrit les noms de ces curés dans des médaillons destinés avec soin à la mine de plomb et à l’encre, imitant une hostie ou une tonsure. Ses mémoires contiennent treize de ces médaillons.]
Depuis plusieurs siècles, une crasse et profonde ignorance étendoit son grossier et superstitieux empire sur toute la face de l’Europe. La dépravadon des moeurs, compagne de la grossièreté, avoît infesté toutes les conditions. Mais en ce tems-ci l’une et l’autre sembloient être montées à leur comble. Si on trouvoit une personne qui sçût lire, on la regardoit comme un phénomène. Les grands, le peuple et le clergé môme, vivoient dans la crapule. L’ivrognerie, la superstition, les femmes perdues ou concubines étoient des choses trèscommunes dans tous les états.
En ce tems-ci, Charles VI devint imbécille. Son naturel bouillant et impétueux le portoit naturellement à la folie.

1412 - Frère Andrieu Faure, chanoine régulier de Mortagne, Prieur de Gemozac. Trouvés sur un acte capitulaire concernant le chapitre de Mortagne, en date de l’an 1462. Ce sont les deux premiers que j’aye pu découvrir.

1417 - L’élection de Martin V à la Papauté, faite en plein concile à Constance, éteignit enfin le schisme qui duroit dans l’Eglize romaine depuis plus de 40 ans. Ce schisme avoit été cause qu’on avoit vu trois Papes en même tems qui se disputoient la chaire de St. Pierre avec une fureur, un acharnement et une ambition démesurée. Il est inoui de voir dans l’histoire de ce tems-là les sommes immenses que la Cour d’Avignon exigeoit. Pour payer les impositions aux collecteurs et sous-collecteurs des Papes, plusieurs églizes étoient obligées de vendre les vases sacrés et les ornements. Les temples demeuroient sans réparations et tomboient en ruines par la misère des gens d’Eglize. Les richesses et les biens considérables du clergé, l’inobservation de la discipline de l’Eglize, le trafic honteux des sacremens et des choses saintes, l’abus des excommunications et plus encore la dépravation des moeurs des ecclésiastiques avoient déjà donné lieu dans le douzième siècle à Pierre de Bruis et à un hermite nommé Henry de répandre dans le Languedoc et la Provence beaucoup d’erreurs sur les sacremens, sur l’ordre hiérarchique et sur la discipline de l’églize romaine. Ils rebaptisoient les adultes, n’aprouvoient pas la célébration de la messe, enseignoient que les aumones et prières ne servoient de rien aux morts, contraignoient les prêtres de se marier, soutenoient qu’ils ne pouvoient pas jouir de biens temporels en propre, qu’un prêtre en péché mortel ne pouvait pas validement exercer les fonctions du ministère. Ils abolissoient les cérémonies , abattoient les églizes et bruloient les croix. Dans la suite, d’autres hérétiques se joignirent à ces premiers, et ajoutèrent d’autres erreurs sur l’Eucharistie, niant la présence réelle de Jésus-Christ dans le St. Sacrement, la validité du mariage entre personnes âgées, et plusieurs autres croyances erronées. etc., etc. Pierre de Bruis fut arrêté et brûlé tout vif à St. Gilles en Languedoc. L’hermite Henry, son disciple, continua de prêcher la même doctrine. Tout le pays en fut infecté. Ces hérézies firent beaucoup de progrès en Allemagne, en Angleterre, en Italie et surtout en France. Elles furent condamnées par plusieurs conciles en divers endroits. Nonobstant toutes les condamnations et excommunications qu’on lançoit sans cesse contre ces hérétiques, ils se multiplièrent beaucoup en Languedoc et se cantonnèrent à Alby, d’où ils ont été appelés albigeois. En même tems il se joignit à eux un nombre infini de brigands, qui pilloient les églizes, bruloient les monastères et commettoient mille autres excès ; de sorte qu’on fut obligé de faire marcher une croizade pour les détruire et les exterminer. [Comme il est honorable et touchant de voir un prêtre distinguer avec conscience les hérétiques d’avec les brigands qui pouvaient se glisser à leur suite ! Le parti du passé ne sera pas toujours aussi juste, tant s’en faut ! envers les apôtres de l’avenir. Il sera de plus en plus régulier, hors du siècle, des leçons du temps.]
Depuis ce tems là nombre de personnes restèrent imbues de toutes ces erreurs et fausses opinions. On se les communiquait par ci par là, mais sourdement et clandestinement ; jusques à ce que Jean Wiclef, Anglois, docteur en théologie de l’université d’Oxford, renouvella toutes ces hérézies, tant par ses écrits que par ses prédications. Wiclef fut cité par l’Archevêque de Cantorbery dans un Concile tenu à Londres. Il y comparut, y expliqua ses sentimens, et comme il étoit soutenu par le duc de lenchastre [Lancaster], on se contenta de lui imposer silence et de ne plus dogmatiser. Wiclef mourut dans sa cure de Lincoln. Mais ses erreurs faisant de grands progrès, Jean XXIII condamna ses livres, et les prélats d’Angleterre appuyés de l’autorité du roi extirpèrent autant qu’ils purent l’hérézie dans la Grande Bretagne. De là ces écrits et ces livres furent portés en Bohême. Jean Huss, membre de l’université de Prague, les ayant lus et ayant été séduit, s’enhardit à prêcher la doctrine de Wiclef. Jean Hus fut cité de comparaître devant le Pape. Il refusa de se soumettre et en appela au futur concile. celui de Constance. Il y comparut en pérsonne, muni d’un sauf-conduit de l’empereur, par lequel il pouvoit aller au Concile et en revenir en toute liberté. Cependant, étant arrivé à Constance il tut arrêté au préjudice du sauf-conduit, avec Jérome de Prague son compagnon et son ami.
Le Concile, après les avoir interrogés, ayant connu qu’ils étoient infestés des erreurs des Vaudois, Albigeois et des Wiclefistes excepté sur la transsubstantiation, qu’ils firent profession de croire, ils furent dégradés, livrés au bras séculier et brulés vifs ; supplice qu’ils souffrirent avec tout le courage possible.
La noblesse de Bohême, indignée de ce qu’on avoit violé le sauf-conduit, fit une ligue pour ne pas recevoir les décrets du Concile de Constance, et ayant ramassé plus de 30,000 hommes tous imbus des erreurs dont nous avons parlé, ces hérétiques se mirent à piller et détruire les églizes et à exercer plusieurs violences dans toute l’Allemagne. Ils s’emparèrent même de la ville de Prague et massacrèrent les magistrats.

1422 - Mort de Charles VI, dit le bien aimé.

1429 - Charles VII fut appelé le Victorieux à cause des victoires qu’il remporta sur les Anglois. Ces anciens ennemis de la France avoient envahi une grande partie du Royaume et avoient poussé leurs conquêtes jusques à Orléans, dont ils faisoient le siège avec tout l’acharnement possible. La France alors aux abois alloit subir le joug de cette nation orgueilleuse. Mais dans cette extrémité, une fille âgée d’environ vingt ans, nommée Jeanne Darc [sic et très bien], issue d’un laboureur de Lorraine, poussée par un héroïsme sans exemple [le judicieux abbé Pouzaux ne parle point de miracle] va trouver le roy et lui promet la victoire sur les ennemis.
Elle prend aussitôt un casque et une épée et marche à la tête des Français, pleine de fermeté et de confiance. A cet exemple imprévu le courage abattu des soldats se ranime et se réveille. On fait lever le siège d’Orléans. Dans les premiers transports, on fait main basse sur tout et l’armée anglaise est mise en fuite. Le pays étant libre, cette fille va faire sacrer le roi à Rheims. Cette cérémonie achevée, elle revole à la tête des troupes, bat et pousse les ennemis jusques à Compiégne, où par malheur elle fut prise et faite prisonnière de guerre. Les Anglois au désespoir, enragés d’avoir été battus par une jeune fille, la mènent ignominieusement à Rouen, l’accusent d’être magicienne ; et quoiqu’ils ne puissent jamais trouver de preuves ni la convaincre qu’elle fût atteinte de ce crime, ils la firent néanmoins brûler vive comme telle, sur la place du 1431 Vieux marché, le 30e jour du mois de may de l’an 1431.
Quelques années après, Charles VII ayant fait examiner et vérifier le procès de Jeanne Darc (alors appelée la Pucelle d’Orléans), les chefs d’accusation furent reconnus faux, le procès fut cassé, et la mémoire de la fameuse Pucelle pleinement 1436 justifiée, dans la ville où elle avoit été condamnée.

1451 - Frère Hugues Lhôte chanoine régulier de Mortagne, Prieur de Gemozac.

1453 - Prise de Constantinople par les turcs ottomans.

1477 - Ferdinand et Isabelle érigèrent en Espagne le redoutable tribunal de l’Inquisition, sur le plan de frère Thomas de Torquemada, dominicain. Ce fut alors que les Maures furent chassés de ce royaume.

1483 - Mort de Louis XI. Avènement de Charles VIII, dit l’affable.
Christophe Colomb, ayant appris par un matelot qui étoit mort chez lui [à Gènes] qu’il y avoit des terres à l’occident de l’Europe et de l’Afrique, partit 1492 en cette année des côtes d’Espagne, sous la protection d’Izabelle reine de Castille, pour aller à la découverte de ce nouveau monde, le 3 août ; et après avoir erré et battu les mers, il découvrit, le 11 octobre de la même année les isles Lucayes, puis il descendit en l’isle de Cuba, et enfin à celle de St. Domingue, sur le rivage de laquelle il planta une croix, et y fit bâtir un fort du bois de son principal navire qui s’étoit brisé en y abordant. Ce fut une chose bien surprenante pour Christophe Colomb de trouver ce pays peuplé par des hommes de couleur rougeâtre, allant tout nuds, n’ayant aucune demeure fixe, habitant principalement les bois dont le pays étoit tout couvert, enfin des créatures sauvages qui n’avoient rien de l’homme que la figure. Il revint en Espagne après une heureuse traversée et raconta tout ce qu’il avoit vu ; quelle surprise et quel étonnement pour les Européens, eux qui avoient cru jusques alors que la terre étoit plate et qu’il n’y avoit plus rien au delà de la côte des colonnes d’Hercule, où ils avoient gravé cette inscription : Nec plus ultrà ! [Rien au delà].
Lorsque Colomb leur disoit que dans ce nouveau monde on avoit le jour quand les Européens avoient la nuit ; que ces terres qu’il venoit de découvrir étoient directement sous l’Europe ; que ces contrées produisoient des fleurs, des fruits, des arbres, des poissons, des oiseaux tout différens des nôtres, ils ne vouloient pas le croire et pensoient que ce qu’on leur disoit étoit un songe. Mais malheureusement leur incrédulité ne fut que trop tôt dissipée, comme on le verra par la suite ! » [Homme estimable, ta mémoire mériterait bien d’être tirée de l’oubli.] 1496 « Perte du royaume de Naples un an après sa con- quête par Charles VIII, qui s’y étoit abandonné à ses plaisirs, menant une vie molle et voluptueuse.

1497 - Chr. Colomb revint aux isles occidentales pour la troisième fois : étant arrivé à l’isle de Cubagua, il aperçut des sauvages qui peschoient des perles : comme ils n’en connaissoient pas le prix, ils lui en troquèrent environ six livres pour deux paires de cizeaux, deux petits miroirs de poche et quelques pots de terre de Malaga. Plusieurs de ses matelots s’étant un peu avancés dans les terres trouvèrent d’autres sauvages dans des cabanes de jonc, dont leurs petits ustensiles étoient d’or pur. Ces sauvages donnèrent beaucoup de poudre de ce métail [terme saintongeois] pour des gobelets et autres bagatelles de verroterie. Colomb et son équipage s’en retournèrent avec des richesses immenses, qu’ils avoient acquises à bien peu de frais. C’est alors que les Européens, voyant toutes ces perles et cette grande quantité de poudre d’or commencèrent à ne plus douter de la vérité de la découverte ; animés par la cupidité et l’intérêt, ils résolurent de tenter le passage et d’aller faire fortune au delà des mers.
Avénement de Louis XII.

1500 - Dom Emmanuel roi de Portugal. envoya au nouveau monde Améric Vespuce, florentin. qui aborda au Brésil, en prit possession au nom du roi de Portugal, et découvrit toute la partie méridionale de ces vastes climats, auxquels il a donné son nom qui a passé à la postérité au préjudice de Chr. Colomb, auquel naturellement la gloire en étoit due pour avoir été le premier qui découvrit les Indes occidentales nommées à présent Amérique.

1501 - Frère Arnaud Blanchard, chan. rég. de Mortagne, Prieur de Gemozac.

1515 - Avénement de François 1er.
Bataille de Marignan, dite des géants ; dure 2 jours.
En ce tems ci, Jean Dias de Solis portugais, ayant découvert le Brésil [plus exactement que n’avait fait Vespuce] voulut en emporter les richesses.
Les sauvages ayant connu que les feintes caresses de Dias de Solis n’avoient pour but que de leur enlever les précieuses mines qu’ils possédoient, se jetèrent sur Jean Dias et sur sa suite, les dévorèrent avec leurs dents et les rongèrent tout vivans jusques aux os.

1517 - Le Pape Léon X ayant conçu le dessein de continuer le magnifique édifice de l’Eglize de St. Pierre à Rome et trouvant le trésor de la chambre apostolique épuisé, publia par toute l’Europe des indulgences générales en faveur de ceux qui contribueroient à la construction de cette Eglize. Albert de Brandebourg archev. de Mayence fut chargé de veiller aux collectes qui se feroient en Allemagne. Il donna cette commission aux Dominicains au préjudice des Augustins qui l’avoient exercée auparavant. Ces derniers, piqués et prenant cette préférence pour un mépris de leur ordre, engagèrent Martin Luther, Augustin et doctr. de Wittenberg à contrarier les Dominicains dans leur employ.
L’Huter [sic] homme violent et fougueux, déclama dans ses sermons, dans ses écrits et dans ses leçons contre les maximes que les Dominicains employoient pour faire valoir ces indulgences. Il fit soutenir et publier une thèse à Wittemberg cette même année sur les abus des indulgences, contenant 95 propositions hardies et malsonnantes ; et continuant de dogmatizer, il lâcha beaucoup d’autres erreurs sur la liberté de l’homme, sur la grâce, sur les sacrements, sur les cérémonies de l’Eglize, sur la discipline ecclésiastique, sur les voeux monastiques, sur le célibat des prêtres, etc., etc.
En cette même année 1518, François Fernandez de Cordoue aborda en Amérique au Yucatan, et y trouva des pleuples policés, habillés, doux, affables, logeant dans des maisons de pierre, surmontées par des croix de bois.
Ferdinand Cortez aborda l’année suivante à Tabasco dans le Mexique. En ce tems là les Espagnols égorgeoient les peuples d’Amérique par milliers ; on en faisoit aussi beaucoup périr à coups de fusil, et on en chargeoit des bateaux que l’on faisoit ensuite couler au fond de la mer, pour pouvoir s’emparer plus tranquillement de leur pays et de leurs mines. La soif exécrable de l’or fit commettre les cruautés les plus barbares dans le Nouveau monde, et l’on peut dire que les richesses de l’Espagne ont été acquises en versant des fleuves de sang, et en massacrant des millions de créatures qui ne leur avoient jamais rien fait.

1520 - Le Pape, lassé des déclamations, des impiétés et de l’incorrigibilité de Luther, lâcha contre lui et ses adhérens une bulle, en date du 15 juin, par laquelle il déclare qu’ils ont encouru les peines portées contre les hérétiques. Cette bulle, bien loin de pacifier les choses et d’éteindre le schisme, ne fit qu’augmenter le désordre et aigrir les esprits déjà portés depuis longtemps à la révolte contre le Pape et contre les abus de l’autorité spirituelle. Mélancton et Carlostad, archidiacre de l’Eglize de Wittenberg, tous deux disciples zélés de Luther, portèrent les choses bien plus loin que leur maître : Ils entreprirent d’ôter les images saintes des églizes, d’abolir la confession auriculaire, le précepte de l’abstinence de la viande, l’invocation des saints, la messe privée, etc., etc., etc. Ils prêchoient qu’il falloit laisser sortir les moines de leurs monastères et accorder le mariage aux prêtres séculiers. Luther et toute l’Université de Wittenberg approuvèrent tous ces changements mais ils improuvèrent les sentimens de Carlostad sur la Ste. Eucharistie, parce qu’il nioit la présence réelle. L’Electeur de Saxe ordonna que la Religion seroit observée dans ses états selon la réforme de Luther, qui épousa quelque tems après Catherine de Boré, religieuse du monastère de Nimptchem.

1522 - Soliman prend Rhodes. les chevaliers de ce nom passent à Malte.

1524 - François fait lever à Charles quint le siége de Marseille.

1525 - Il perd la bataille de Pavie et sa liberté.

1527 - Le Danemark, la Suède et la Norwége embrassèrent les erreurs de Luther. Tout le clergé de ces royaumes changea de religion en moins de quatre ans et y ont persévéré depuis.

1530 - L’Angleterre éprouva des commencemens de schisme.

1534 - Henri III, chef souverain de l’Eglize Anglicane, sous J. C., fit mourir Thomas Morus son chancelier etc. et abolit dans son royaume l’ordre de Malte, de tous les biens duquel il s’empara.
Le 10 avril de la présente année, François Ier envoya en Amérique Jaques Cartier, qui partit de St. Malo, et arriva le 16 may à l’embouchure d’un fleuve appelé alors par les sauvages Hocehelagua et que J. Cartier appela fleuve de St. Laurent.
Ulrich Zuingle, curé de Zurich en Suisse, imitant Lhuter dans ses déclamations, l’imita aussi dans ses erreurs. Il engagea le sénat de Zurich à suivre l’exemple de l’Electeur de Saxe. Ce sénat, non seulement reçut et applaudit à ces innovations, mais encore abolit la Messe par un Edit. Zuingle dressa alors une nouvelle forme de célébrer la Cène et enseigna que l’Eucharistie n’étoit que la figure du corps et du sang de J. C. et non la réalité ! En peu de tems, presque toute la Suisse, les villes impériales et toute l’Allemagne suivirent ces innovations, sous le nom de Protestants ; Les Zuingliens et les Luthériens étoient cependant divisés de sentiments sur l’article de l’Eucharistie : Carlostad et ?colampade, qui s’étoient joints à Zuingle, soutenoient contre Luther qu’il n’y avoit dans le sacrement que le signe ou la figure du corps et du sang de J. C. et Luther condamnoit cette opinion comme une hérésie, disant que le corps et le sang de J. C. étoient réellement avec le pain et le vin dans le sacrement.
II est étonnant avec quelle célérité et quel enthousiasme ces erreurs se répandirent dans toute l’Europe presque en même tems. Les progrès en furent si rapides que dès l’an 1523 Guillaume Favel et Pierre Leclerc prechoient publiquemt. le Luthéranisme et le Zuinglianisme dans la ville de Meaux en France. Ce Pierre Leclerc étoit un cardeur de laine que les hérétiques français avoient choisi pour leur ministre de religion. Comme en dogmatizant il avançoit que le Pape étoit l’Antéchrist et qu’il entreprenoit d’abattre les images et les églizes, il fut pris et brulé vif la même année, dans la ville de Meaux sa patrie. Favel s’enfuit alors en Suisse.
Déjà toute la France étoit inondée de prédicans lhuthériens et zuingliens, que les magistrats des villes faisoient arrêter, et les parlemens, après leur avoir fait leur procès les faisoient brûler vifs sans miséricorde, ainsi que les autres personnes atteintes d’hérésie. Les Protestants étoient soutenus par la reine de Navarre, soeur de François 1er et par la Duchesse de Ferrare, qui leur donnoient azile dans leurs Etats. On comptoit dès lors parmi eux des Evêques, des Prêtres, des sénateurs [membres des Parlements] des seigneurs, des Princes et une quantité innombrable de peuple. Leur nombre leur inspira de l’insolence : ils eurent la hardiesse de publier et afficher des libelles et placards contre le St. Sacrement et la Ste Messe, et vomissoient continuellemt. des injures atroces contre les Evêques, les ecclésiastiques, les religieux et les cérémonies de l’églize. Le roi, irrité ordonna que tous ceux qui seroient convaincus d’hérésie seroient mis à mort.
Jusques ici les hérétiques français étoient partie Zuingliens et partie Lhutériens ; mais bientôt ils se réunirent pour suivre les sentiments de Calvin. Calvin étoit français, natif de Noyon en Picardie. Ayant quitté quelques Bénéfices dont il étoit pourvu il abandonna le parti de l’églize qu’il avoit d’abord embrassé, pour suivre le torrent. Il adopta à 1544 Paris les erreurs de Zuingle qui en ce tems ci y faisoient grand bruit, et commença à travailler à son Institution. Comme on poursuivoit alors sévèrement les protestans, il fut obligé de se retirer secrétement de Paris, quoiqu’il fût protégé par la reine de Navarre, soeur de François 1er. Il vint en Saintonge, où il fut bien reçu, surtout par Guillaume du Tillet, chanoine d’Angoulême, son ami. Puis il alla à Poitiers, où il gâta l’esprit de beaucoup de personnes. Ensuite il se retira à Bâle en Suisse, où il acheva et publia son Institution qu’il eut la témérité de dédier à François 1er. Deux ans après il fut fait principal ministre de Genève, d’où il gouverna les églizes des prétendus réformés de France, qui suivirent toute sa doctrine, qui est presque celle de Zuingle.

1534 - Association d’Ignace de Loyola avec d’autres Jésuites.

1540 - Cette compagnie est approuvée par le Pape Paut III.

1545 - Commencement du Concile de Trente, qui dura environ 17 ans. L’Empereur, le roi de France, l’Electeur de Bavière et les autres princes catholiques y demandèrent l’usage du calice pour les laïques et qu’il fût permis aux prêtres séculiers d’être mariés. Le Pape ne voulut rien décider là dessus, quoique l’un et l’autre cas ne fût que de droit positif.

1546 - Massacre, sans distinction d’âge ni de sexe, par le Comte de Grignan sur l’ordre de François Ier, et par le Légat d’Avignon, des Vaudois de Provence, qui s’étoient unis, avec les Zuingliens français. Le peu qui échappa se réfugièrent dans les montagnes, des Cévènes, à Genève et en Suisse.

1547 - En cette année, Monsieur Charles de Concis, seigneur de Gemozac, fit faire un nouveau censif de sa terre, par lequel censif et par les baillettes qu’il expédia, l’on voit qu’il fait confronter plusieurs maisons du bourg de Gemozac avec la maison et seigneurie du Prieur dudit Gemozac, ce qui annonce bien clairement que le Prieur avoit un domaine et étoit en partie seigneur du bourg dudit Gemozac. Ceci prouve encore que les guerres civiles n’avoient pas encore commencé de faire du ravage en Saintonge, quoiqu’il y régnât beaucoup de troubles par les disputes des catholiques avec les novateurs et par les déclamations et insolences de ces derniers.
Mort de François 1er et d’Henri VIII d’Angleterre

1550 - Refus d’admettre l’ordre des Jésuites en France

1551 - Dom Diego d’Almagro pille et tue au Pérou ; on l’y fait périr en lui versant de l’or fondu dans le gosier.

1552 - De Gommard, Prieur de Mortagne nomma frère Abraham Bourgeois, chanoine régul. de Mortagne, à la Cure de Gemozac.
Tant s’en faut que les décisions du Concile de Trente missent fin aux contestations qui étoient sur la religion ; au contraire, les troubles et la discorde alloient toujours croissant depuis trois ou quatre ans. Cette hérésie étoit un phosphore que plus on agite plus il éclate et jette vives étincelles. Ces opinions ténébreuses et ces sentimens erronnés dont le monde catholique se vit enveloppé dans ce siècle étoient un feu caché qui couvoit depuis longtems sous la cendre. Premièrement les Albigeois et Vaudois, ensuite Wiclef et Jean Hus l’allumèrent, et quoiqu’il parût éteint en apparence il fermentoit depuis plus de deux cents ans dans les esprits ; et cette fermentation étoit nourrie par les abus qui s’étoient malheureusement glissés dans l’Eglize par l’avarice et dépravation des moeurs des prêtres et des moines et l’ignorance crasse des peuples toujours portés à la superstition. [Par qui ?] Lhuter, Zuingle, Calvin, avec tous leurs suppots eurent assez de témérité et d’impiété pour lever l’étendard de la révolte contre l’églize. [Pardon ! bon Messire ! il peut y avoir une généreuse témérité à vouloir réformer une aussi laide chose que celle par vous dépeinte ; mais où est l’impiété, s’il vous plaît ?] Leurs écrits et leurs déclamations fournirent l’occasion de manifester tout le venin qui couvoit dans le c ?ur des chrétiens indociles et pleins d’un zèle amer. Aussi ces hérésies, sous le voile spécieux de réforme, se répandirent avec toute l’impétuosité possible : ce fut un torrent qui dans moins de vingt ans inonda toute l’Europe.
En ce tems cy, les hérétiques français, non contens de tenir des assemblées, commencèrent à la faveur des guerres à former en France des factions puissantes, et ayant mis dans leurs intérêts le roi de Navarre, le prince de Condé, et quantité de personnes de considération dans la robe et dans l’épée, ils prirent le dessein de se mettre à couvert des poursuites que l’on faisoit contre eux. Mais Henry II fut inflexible à leur égard. Ce prince, quoique naturellement bon, fit des ordonnances très sévères contre eux ; de sorte qu’on continua en France à les punir avec rigueur, autant qu’il étoit possible, car les protestants étoient alors si fort multipliés qu’ils furent assez forts en cette 1557 année pour s’emparer de plusieurs villes considérables comme Sancerre, La Rochelle, etc., qui leur servoient de refuge, où ils étoient à l’abri des poursuites des Parlements et d’où ils faisoient des sorties pour aller piller les Eglizes et monastères et abattre les croix et les images partout où ils pouvoient.

1559 - Nous touchons de près à ces jours malheureux, jours infortunés où la France vit la moitié du royaume s’élever contre l’autre, le frère armé contre le frère, et le citoyen contre le citoyen ; où l’on vit le fanatisme, la tête hérissée de serpens, le blasphême à la bouche, la fureur dans le coeur, un poignard d’une main et le flambeau de l’autre souffler et allumer aux quatre coins de l’empire français la guerre civile et porter partout le sacrilége, le carnage et l’horreur.
Henry second étant mort. le Duc de Guize et le Cardinal son frère s’emparèrent du gouverne- ment, ce qui excita la jalousie des princes du sang de France. Antoine de Bourbon, roi de Navarre, et Louis son frère prince de Condé. engagèrent les hérétiques dans leur parti : Les Guizes de leur côté mirent les catholiques dans leurs intérêts : telle fut l’origine de ces guerres.

1560 - Conjuration d’Amboise. mort de François II.
Ce fut alors qu’on commença d’appeler Huguenots les hérétiques de France [c.-a.-d. Eidgenossen, confédérés ]. Tout le gros des huguenots du royaume entra dans la conjuration, et la province de Saintonge est spécialement louée par Beze d’avoir bien fait son devoir dans cette occasion.

1561 - Colloque de Poissy. Théodore de Beze y parla, debout et découvert. les ministres se retirèrent fort mécontens de n’avoir rien obtenu. Les Evêques insistèrent beaucoup de supplier le roy de demander au Pape d’accorder le mariage aux prê- tres séculiers et la communion sous les deux espèces aux laïques ; ce qui fut fait ; mais le Pape ne voulut rien accorder.
Les Jésuites se présentèrent à cette assemblée et furent admis en France. par forme de société et de Collége et non de religion nouvellement instituée.

1562 - Les huguenots voulurent s’emparer de la ville de Toulouse. Ils s’étoient déjà rendus maîtres du Capitole et de la moitié de la ville. Les catholiques soutenus par le Parlement résolurent de les chasser.
On prit les armes de part et d’autre. On se fuzilla dans les rues. Le sang coula à gros ruisseaux de toutes parts. Enfin, après un horrible carnage qui dura deux jours et une nuit, on vint à bout de mettre en fuite ces rebelles. Dès qu’ils furent hors de la ville, on fit sonner le tocsin ; les paysans sortirent de leurs maisons où ils étoient cachés et armés de leurs faux, serpes et haches, tombèrent sur les fuyards et achevèrent de les tailler en pièces. Le peu qui échappa se refugia à Montauban, qui étoit pour eux une ville de refuge. Ceci arriva le 17 de may, et en mémoire de cette heureuse délivrance, la ville fit v ?u de faire tous les ans, à pareil jour une procession générale dans les rues où le carnage avoit eu lieu. J’ay vu en 1762 la procession centenaire que l’on fit à ce sujet dans cette capitale : les rues étoient si bien ornées, le nombre des religieux si grand, en outre sept à huit cents ecclésiastiques en surplis, quarante-huit grandes chasses d’argent renfermant les corps de plusieurs martyrs, le St. Sacrement précédé de trois chapitres de la ville, et suivi du Parlement, de l’Université, des capitouls, et plus de 3000 flam- beaux de cire blanche allumés, tout cela formoit un des plus beaux spectacles de religion qu’on puisse voir. [De religion ! comme il était donné au pauvre séminariste de l’entendre !]

1567 - Bataille de St. Denis.

1568 - Les huguenots entrèrent dans la ville de Saintes. Tristan de Bizet en étoit alors l’évêque.
Après qu’ils eurent pillé les ornements et les richesses des églizes de la ville, ils tournèrent leur canon contre la cathédrale, du côté de la place St. Pierre, en abattirent les voûtes et les piliers et ne laissèrent que le clocher. Pendant ce funeste ravage les ecclésiastiques et chanoines prirent la fuite et l’office divin fut interrompu jusques au 22 d’octobre. Nicolas Le Cornu de la Combe, évêque de Saintes en 1578 fit rebâtir une nouvelle cathédrale sur les fondements de l’ancienne, le 26e janvier 1580, mais sans voûte et sans aucun ornement extérieur, bien différente de la première, de laquelle on voit encore en dehors des restes de piramides qui doivent avoir coûté un travail infini.
En 1762, Mr De la Coré, évêq. de Saintes, la fit voûter en plâtre ; mais comme la charpente de la nef ne se trouva pas assez exhaussée la voûte de plâtre masque et coupe les vitraux d’une façon qui choque la vue.
Ce fut sans doute en ce tems cy que l’abbaye de Sablonceaux, le chapitre de Mortagne, l’abbaye des religieuses de Fontevrault fondée à Gormeilles, celle de Madion, et le petit monastère des chanoines réguliers de Gemozac furent renversés et détruits, les religieux tués ou dispersés, leurs biens pillés et leurs papiers enlevés et brulés. Quelle réforme que celle qui commence par répandre le sang et voler le bien de son prochain. [Quel prochain que celui qui commence par brûler ceux auxquels il est incapable de répondre ! ]

1569 - Bataille de Jarnac, bourg situé à six lieues de Gemozac. bataille de Moncontour. paix, l’année suivante.

1572 - Henry de bourbon roy de Navarre (henry 4) fat attiré à la cour de Charles IX, dont il épousa la soeur. Le roy voyant l’herésie semblable à un hidre. etc. résolut de l’étouffer entièrement. Par le conseil de quelques seigneurs de sa cour il se détermina à faire mourir tous les religionnaires de son royaume. le jour de la St. Barthelémy, 24e aoust, sans distinction d’âge, de sexe ni de condition, ce qui fut exécuté presque partout.
Ceux qui échappèrent à cette boucherie se réfugièrent à Sancerre et à la Rochelle. siège. le brave La Noue.

1574 - Mort de Charles IX. 1580. Paix de Nérac.

1586 - Guerre des trois Henry, savoir Henri III, chef des Politiques ; Henry de Navarre, chef des huguenots ; et Henry de Guize, chef des ligueurs.

1587 - faction des seize, à Paris. intrigues du roi d’Espagne.

1588 - journée des Barricades. assassinat des Guizes par ordre du roi.

1589 - Mayenne, frère Cadet des Guizes, déclaré lieutenant général. Assassinat de Henry III par Jacques Clément, dominicain.

1591 - Frère Jean Vaize, chanoine régulier de Mortagne, Prieur de Gemozac ; c’est le dernier régulier de Mortagne. Il trouva l’Eglize presque entièrement ruinée. Les huguenots en avoient abattu tout le frontispice et toutes les voûtes de la nef. Le clocher, les chapelles et le sanctuaire furent épargnés. C’est là où il faisoit les fonctions de son ministère et où les fidèles de sa Paroisse s’assembloient pour an- tendre la Ste. Messe. Quoique le lieu ne fût pas fort grand, il étoit plus que suffisant pour les contenir tous, car j’ay ouy dire qu’il n’y avoit alors que trois maisons de catholiques dans le Bourg. Sans doute que frère Jean Vaize logeoit dans une de ces trois maisons, qui lui donnèrent l’hospitalité.

1593 - Vraisemblablement frère Vaize mourut en la présente année, car on trouve sur les registres de l’Evêché de Saintes qu’un clerc tonsuré de la ville se pourvut en ce temps cy en cour de Rome et obtint la cure de Gemozac : il se nommoit David Esbaudi. ? Abjuration de Hanry IV.

1594 - Entrée de Henry IV à Paris. son assassinat par Jean Chatel, écolier du collége de Clermont [Jésuites]. Le père Jean Guignard de leur ordre autorisoit cette détestable action. Ils sont chassés, mais rétablis en 1603.

1598 - Paix de Vervins avec l’Espagne, après laquelle le roi donna dans la ville de Nantes le fameux Edit qui permettoit aux calvinistes de France le libre exercice de leur religion dans tout le royaume. Dès lors les guerres civiles et étrangères cessèrent en France pour quelques années et l’on vit régner la paix et la tranquillité si désirées depuis longtems.
Les religionnaires ayant obtenu ce qu’ils désiroient bâtirent des temples dans tout le royaume : Ils en construisirent un à Gemozac, au nord de l’Eglize [à très peu près où il se retrouve aujourd’hui, 1858] vraisemblablement sur le terrein de la Seigneurie du Prieur. Ils y établirent un ministre, et leur cimetière étoit placé joignant le cimetière des catholiques.

1610 - Le 14 may, vers les 4 heures du soir, assassinat de Henry IV par Ravaillac.

1611 - Mr Brigard, archidiacre de Saintes, Prieur commendataire de Gemozac.

1612 - Le plus ancien registre de la paroisse de Gemozac commence en cette année mil six cent douze, un an et demi environ après la mort de Henry IV.

1615 - Au mois de novembre, Louis XIII épouse à Bordeaux Marie Anne d’Autriche infante d’Espagne.

1618 - Mr Brigard avoit dévolu le Banéfice de Gemozac sur David Esbaudi ; mais il demeure certain qu’il l’obtint et le posséda longtems en commende. Ce fut lui qui acheta l’ancienne maison presbytérale, en l’année 1618, et que j’ay fait démolir. Il acquit en môme tems cette moitié de grange avec l’emplacement au devant, que j’ay fait clore de murs et qui sert de basse cour. Cette acquisition lui coûta la somme de 450 livres comme il conste par le contrat d’achat primordial déposé dans les archives du Prieuré de Gemozac.

1624 - Avénement de Richelieu, le plus habile homme de son siècle. C’est lui qui commença d’affermir le throne de France contre les entreprises des grands et des huguenots.

1627 - Siége de la Rochelle. La ville rebelle ainsi resserrée souffroit déjà les atteintes de la faim ; mais le nommé Guiton, qui en étoit le maire, ne se découragea pas. Il exhortoit vivement les citoyens à tenir ferme. Les habitants de cette ville infortunée étoient un ramassis d’huguenots de toutes les provinces du royaume, et qui sous la protection du roy d’Angleterre avoient résolu de se soustraire à l’obéissance du roy de France, leur légitime souverain [Grave erreur, Mr Pouzaux ! Les Rochellais tenaient essentiellement à rester Français, et c’est là ce qui refroidit pour eux leurs alliés]. Ils vouloient s’ériger en république protestante comme Genève [Ils voulaient la première des libertés, celle de conscience]. Cependant les vivres manquoient et les rues étoient tous les jours jonchées de corps morts. On y mangeoit les choses les plus viles, les rats, les chats, les chiens, les cuirs bouillis, enfin même les os des morts, qu’on piloit et de laquelle poudre on faisoit de la bouillie. Mais ces choses malsaines, bien loin de soutenir et sustenter le corps, donnoient la mort à la plupart. Le siége dura un an et de 28000 personnes qu’il y avoit dans la ville au commencement du siége il n’en restoit que quatre mille ; tous les autres étoient morts de faim ; car il n’y eut pas un seul coup de fusil ni de canon de tiré [Quelle erreur matérielle ! le célèbre bastion de l’Évangile fut pris et repris plusieurs fois. Les femmes même se battirent en héros].

1628 - Le 28 octobre la ville ouvrit ses portes. le roy cassa le maire, changea la forme municipale, chassa l’impétueux Guiton et mit dans la Rochelle une forte garnison. Quelque tems après, le cardinal fit appliquer sur la porte du couvent des Minimes deux plaques de cuivre où il avoit fait graver ce qui suit : En 1628, les Rochellois furent infidèles à Dieu, rebelles au roy et traîtres à sa patrie. Cette inscription infamante étoit en latin sur une plaque et en françois sur l’autre [Voilà ce que le vulgaire des papistes traduisit sous cette forme, qui a malheusement circulé fort longtems : Rochellois vilain, traître à Dieu et à son prochain, figure à deux faces].
En 1760, Mr de Sennecterre, maréchal de France, gouverneur de la Rochelle, demanda à la cour la permission de la supprimer, ce qui fut fait, à la grande satisfaction des Rochellois. La réduction de cette ville acheva de ruiner le parti des protestans de France, de sorte que peu de tems après ils se virent sans chef et sans protecteurs.

1632 - Exécution du duc de Montmorency à Toulouse, le 30 octobre. Comme j’ay demeuré à Toulouse depuis l’âge d’un an jusqu’à 25 ans, j’ay été à même de voir plusieurs fois à la muraille de la cour du Capitole, à droite en entrant, quatre grosses gouttes de sang qui avoient jailli du corps à la hauteur de quinze pieds et qui paroissent très bien encore.

1636 - Mr René Colom, chanoine de Saintes, prieur commandataire de l’églize de Gemozac.
Mr René Colom ayant trouvé la maison que Mr Brigard son prédécesseur avoit achetée trop petite et trop étroite pour son logement, et bien in- formé d’ailleurs que les seigneurs de Gemozac avoient envahi le terrein de la maison presbytérale et en avoient uni le domaine à leur Seigneurie, intenta procès au seigneur de son tems, et il fut ordonné de le dédommager de toutes ces usurpations par sentence du Sénéchal de Saintes en date du 29e avril 1643 ; mais cette sentence n’a jamais été éxécutée et cette affaire n’a jamais eu son effet, que je sache.
Mr Colom donna, en la présente année, un calice d’argent à l’églize de Gemozac, au pied duquel son nom étoit gravé en dedans. Ledit calice servoit encore en 1750, et j’ay dit la messe avec iceluy pendant deux années.
Le fameux Galilée, noble florentin, et célèbre mathématicien, publia en cette année un dialogue sur les systèmes de Ptolomée et de Copernic dans lequel il entreprit de prouver que le soleil étoit véritablement immobile et que c’étoit la terre qui tournoit. Cet ouvrage ayant fait du bruit, Galilée fut cité (sans doute par des ignorans) à la cour de Rome, qui le contraignit par un décret du 21 juin d’abjurer son système comme une erreur et comme une hérésie ; comme si l’immobilité de la terre étoit une vérité ou dogme de foy, et non pas une question d’école et une vieille erreur populaire.
Galilée fut condamné par le même décret de demeurer en prison autant de tems qu’il plairoit aux cardinaux inquisiteurs. Maintenant, dans le tems où j’écris ceci, et qu’il est démontré très clairement par tous les astronomes que le soleil est au centre de notre tourbillon ; que la terre tourne autour de cet astre central, ainsi que Mars, Jupiter, Vénus et les autres planètes ; que la terre a une lune, Jupiter quatre, Saturne cinq [et même sept] ; maintenant que l’on porte les choses jusques à soupçonner que les planètes que nous connoissons sont autant de mondes habités, et que les étoiles même sont autant de soleils fixes au centre de leurs tourbillons, qui éclairent autant de mondes ; que le monde que nous habitons avec notre soleil et les autres planètes que nous voyons rouler avec nous, que tout cela, dis-je, n’est qu’une petite parcelle de l’univers, et que tous ces corps n’occupent qu’une petite place dans l’immense étendue de l’espace créé, que d’inquisiteurs ne faudroit-il pas ?

Ou bien il faut s’écrier au sujet du sçavant Galilée, quelle ignorante injustice lui fit-on souffrir ! [ Belle et très honorable page ! Et que devient ce verset 1er : « Du commencement, les Elohim façonnèrent les cieux et la terre ? »]
Mort de Jansenius, évêque d’Ypres.

1638 - Naissance de Louis XIV.

1642 - Mort de Marie de Médicis et de Richelieu.

1643 - Mort de Louis XIII.

1649 - Première guerre de la Fronde.

1652 - Seconde guerre de la Fronde.

1656 - Livre du Jésuite Molina sur la prédestination méritée et la grâce non efficace par elle-même ; réponse des Dominicains soutenant la grâce efficace et la prédestination gratuite. Ni les uns ni les autres n’y entendoient rien. il ne résulta qu’une haine et une antipathie extraordinaire entre les Jésuites et les Dominicains, qui s’accabloient d’injures et se traitoient réciproquement d’hérétiques, sans sçavoir pourquoy, car qui peut pénétrer ce mystère ?. l’homme sage doit se rire des transports insensés de l’esprit humain. C’est ainsi que faisoit Démocrite. Il suffit au chrétien de sçavoir ce qui lui est révélé. L’Evangile nous apprend que nous ne pouvons rien faire de bon sans la grâce, qu’il faut prier pour l’obtenir, que le Dieu de miséricorde que nous servons ne la refuse jamais à l’humble et fervente prière. Il n’y a que l’orgueil, la curiosité et la témérité qui en veulent savoir [et surtout en faire] davantage ; et cette coupable envie n’est payée que de ténèbres, d’incertitudes, et peut-être de faussetés et d’erreurs.

1666 - Le roy institua l’Académie des Sciences et Belles lettres à Paris et fit construire la ville et le fameux port de Rochefort.

1667 - Canal du midi par le sieur Riquet, languedocien ; bassin de St. Ferréol, etc. [très-bien décrit.]
J’ay dit ci-dessus que le plus ancien registre qui reste à l’églize de Gemozac pour les baptêmes et enterrements ne commence qu’en l’année 1612, c. à d. dans le tems que le sieur Brigard archidiacre étoit prieur de Gemozac ; mais comme il n’étoit pas prêtre, il ne pouvoit faire les fonctions de curé. C’est pourquoy on ne trouve pas son nom inscript sur les dits registres, non plus que celui du sieur René Colom, son successeur. Ces deux prieurs ne résidoient pas dans leurs paroisses ; ils se contentoient d’y envoyer un vicaire, qui s’acquittoient fort mal de leur devoir ; car les registres de ce tems là sont tous en désordre, les dates confondues ; et négligeoient de baptiser les enfants, car on trouve qu’ils ne leur donnoient ce sacrement que quinze et vingt jours après leur naissance. Il n’y avoit alors qu’une seule messe à Gemozac. J’avoue qu’en ce tems-là un seul prêtre suffisoit pour servir ladite paroisse, les trois quarts des habitants ayant embrassé les erreurs de Calvin ; ils avoient fait bâtir un temple dans le bourg, où résidoit aussi un ministre de leur religion, et le nombre des catholiques qui avoient demeuré fidèles à l’ancienne croyance étoit fort petit. Mais quel malheur pour cette paroisse d’être privée de son pasteur dans un temps aussi critique, où sa présence auroit été si nécessaire au milieu de son troupeau, pour tâ- cher de rappeler les brebis égarées ! Il ne paroit pas cependant qu’aucun de ces deux prieurs dont nous parlons aient jamais exercé aucun devoir de leur ministère. Au contraire, un des prêtres qu’ils avoient mis en leur place sçavoit à peine parler français ; il s’appeloit Denlouster ; ce nom me paroit être irlandais. Quel fruit pouvoit faire ce vicaire dans une paroisse remplie d’hérétiques, continuellement endoctrinés par un ministre, auquel il n’auroit sçu répondre, par la difficulté de bien parler notre langue ? Mr. de Bordage, prêtre, natif d’Angoulême ou des environs, issu d’une noble maison de ce pays, aumonier du roy, touché de l’état pitoyable où étoit réduite la paroisse de Gemozac, tant du côté du temporel que du spirituel, résolut d’impétrer ce prieuré-cure sur le sieur Colom. Il lui intenta procès. Le sieur Colom fut condamné à se défaire de l’un des deux bénéfices incompatibles qu’il possédoit en même tems. Ayant opté de garder son canonicat de Saintes, et le sr. de Bordage ayant obtenu le prieuré-cure de Gemozac en com1668 mende, il en prit possession en cette année.
Mr. Jean de Bordage étant venu à Gemozac pour y exercer les fonctions de son ministère et n’ayant trouvé pour toute maison presbytérale que le petit logement acheté par M’. Brigard, qui ne consistoit qu’en une chambre haute et basse, un petit jardin sur le derrière et une moitié de grange au devant, le tout en désarroi, fut obligé de se loger dans une maison d’un particulier, derrière l’églize ; puis il prit en ferme pour toute sa vie la maison du sieur de la Porte, gentilhomme de Gemozac, huguenot [par circonstance politique, comme tous ces messieurs, qui ne tardèrent pas à se refaire catholiques quand le vent tourna] qui la lui loua sur le pied de cinquante livres par an, dans laquelle il demeura jusques à la fin de ses jours.
Mr. de Bordage afferma son bénéfice la somme de douze cents livres, somme qui équivaloit en ce tems là à plus de mille écus de ce tems ci [et à plus de dix mille francs en 4858]. En outre, il avoit les honoraires d’aumonier du roy, et étoit riche de chez luy ; tout cela le mettoit sans doute en état d’acheter des terreins à côté de la maison du sr. Brigard pour agrandir le Presbytère et y faire bâtir une maison curiale honorable ; mais il aima mieux tourner ses soins et ses dépenses du côté de la maison de Dieu. Logé lui et son vicaire fort commodément chez le sr. de la Porte, il changea le petit jardin (que Mr. Brigard avoit laissé) en sol [terme méridional] où il faisoit battre son grain, et la petite maison et grange servoient de greniers pour serrer ses denrées, lorsqu’il n’affermoit pas son bénéfice. Puis il fit rebâtir tout le frontispice de son Eglize, trois arceaux des voûtes de la nef, en répara la charpente, fit vitrer toutes les fenêtres ; ces réparations lui coûtèrent plus de huit mille livres. Le Bénéfice de Gemozac payoit alors cent cinquante-huit livres six sols de décimes, et deux cent quatre-vingt livres pour les autres impositions extraordinaires, ce qui faisoit en tout 438 livres 6 sols [Donc plus du tiers du revenu réel, sans compter les impôts ordinaires dus au roy et aux seigneurs. Eh ! bien, propriétaires français, que faut-il penser de 1789, pour lequel nous sommes si ingrats !] En outre, il avoit un vicaire, de sorte qu’il commença à y avoir deux messes à Gemozac tous les dimanches et fêtes. Comme ce digne Prieur s’acquittoit exactement de tous ses devoirs, la Paroisse fut dès lors très bien instruite et très bien servie. J’ay trouvé des personnes âgées qui m’ont dit avoir appris le catéchisme de Mr. de Bordage. Ces bonnes gens sçavoient tous les mystères, les sacrements, en un mot toute la religion en vers, que ce digne pasteur s’étoit donné la peine de leur apprendre.

1669 - Dissertation sur l’Auguetinus livre de Cornelius Jansenius, évêque d’Ypres. les cinq fameuses propositions, condamnées par le pape, en 1653 ; les jansenistes soutenoient qu’elles ne se trouvoient pas dans le livre. nouvelles bulles ordonnant de signer qu’elles y étoient. résistances. le roi et le parlement interviennent. Troubles prétendus miracles [sic] sur le tombeau du diacre Paris, mort janséniste. Je me suis un peu étendu sur cet article [six grandes pages] parceque les disputes sur Jansenius durent encore dans le tems où j’écris (l’an 1765) et qu’on exige toujours la signature du formulaire. Je finis par une petite réflexion. puisque ce livre est dans le fond fort indifférent à la religion, prenons-le, jetons-le au feu, n’en parlons plus et vivons tranquillement. Il seroit à souhaiter que les uns et les autres nous missions en pratique ce salutaire conseil [même pour d’autres choses que l’Augustinus] ; mais on n’en fera rien ; partout où il y aura des hommes [surtout des hommes intéressés à maintenir quelques abus] partout il y aura des disputes, parceque l’esprit de parti se mêle partout.

1679 - Difficultés entre Louis XIV et le Pape Innocent XI au sujet de la régale ou revenu des évêchés 1680 vacants. trois Brefs du pape. assemblée du clergé de France [présidée par Bossuet.] 1682 « Fameuse déclaration des libertés de l’Eglize gallicane , mais en même tems avertissement aux hérétiques [ô Liberté !].

1685 - Révocation de l’Edit de Nantes, Louis XIV au comble de sa gloire n’ayant aucun sujet de craindre les protestants [et ayant besoin de l’argent du clergé]. L’exercice public de la religion prétendue réformée fut entièrement aboli en France ; leurs ministres eurent ordre de se retirer, leurs temples furent abattus, leurs assemblées défendues et tous les sujets du roy obligés de faire abj uration ou de sortir du royaume ; ce qui causa une très grande émigration, de sorte que dans la suite on fut obligé de défendre aux religionnaires de quitter leur patrie [Digne patrie, bien loyale et bien juste !] Le temple des huguenots du Bourg de Gemozac ayant été abattu, Louis XIV en donna l’emplacement à l’hôpital de Saintes, qui l’arrenta dans la suite, et celui qui le prit en rente y fit bâtir une maison, où il y avoit une cour au devant.

1689 - Les anglois animés contre Jaques Stuard leur légitime roi, à cause qu’il professoit ouvertement la religion catholique ce roi infortuné se vit obligé d’abandonner son royaume. [Juste retour, Monsieur, des choses d’ici bas ! Et les protestants français n’étaient pas infortunés ! !]

1709 - En cette année, on ressentit dans toute l’Europe le plus rude et le plus terrible froid qu’on ait jamais éprouvé ! Il commença la veille des rois et dura environ trois semaines. Il tomba d’abord une grande quantité de neige, et toute la terre en fut couverte à la hauteur de deux pieds ; un vent de nord glacé soufflant avec violence sur cette neige, l’air en devint froid au point que les rivières se congelèrent, de façon que la glace de dix à douze pieds d’épaisseur portoit et soutenoit des charrettes chargées qui les traversoient. Les bleds et autres grains, les arbres fruitiers, les vignes et même les chênes en moururent. On trouvoit des glaçons dans le pain et dans le vin. Quand on crachoit, à peine le crachat étoit-il à terre qu’il étoit sur l’instant changé en un morceau de glace. Beaucoup d’animaux, d’oiseaux et gibier en creva. Les pauvres même qui n’avoient pas de quoy se garantir de la rigueur de la saison perdirent la vie, et d’autres leurs bras ou jambes qui avoient gelé. Des tempêtes continuelles agitoient les eaux de l’Océan, et ce fut dans cette occasion que la digue de la Rochelle et la ville de Chatelaillon achevèrent d’être englouties par la fureur des flots et des ondes. Ce froid, qui avoit emporté toute l’espérance de la récolte causa une disette extrême dans le royaume, de sorte que le bled coûtoit vingt deux à vingt quatre livres le sac [près de 80 fr. de nos jours.] Une grande quantité des noyers étant morts, ce bois devint à très bon compte en Saintonge. Mr. de Bordage qui projetoit depuis longtems d’orner l’intérieur de son Eglize saisit avec empressement cette occasion si favorable.
[Naufrage de peuple, épaves pour le clergé !] Ce fut alors qu’il fit faire le rétable du grand autel, les chapelles et les boisures [t. saintongeais] sculptées tout autour de l’Eglize. Puis il la décora des tapisseries et des tableaux comme il paroit aujourd’hui, mais qui sont toutes gâtées et pourries par l’humidité de la muraille, ainsi que les boisures et lambris.
Mr. de Bordage auroit pu parer à cet inconvénient en faisant tirer les terres qui s’élèvent en dehors, et en faisant avancer les jets d’eau du toit de l’Eglize, de sorte que les égouts ou gouttières tombant sur les murs parce qu’ils sont beaucoup plus larges en bas qu’en haut et les terres qui portent sur les murs, tout cela ne pouvoit que causer infailliblement beaucoup d’humidité. Sans doute qu’il n’y fit pas attention.

1713 - Le 30e juillet, Mr. Jean de Bordage Prieur de Gemozac mourut à Saintes et fut porté au présent bourg le lendemain pour être inhumé devant la porte de son Eglize, ainsi qu’il l’avoit désiré, âgé de 80 ans, après avoir été Prieur et Curé de ladite Paroisse pendant l’espace de 45 ans au moins.
Mr. de Bordage étoit un très digne prêtre ; s’acquittant avec exactitude de tous les devoirs de son ministère, plein de zèle pour la maison de Dieu et de Charité envers les pauvres auxquels il faisoit d’abondantes aumones. C’est un des plus grands bienfaiteurs de l’Eglize de Gemozac.
Mr. Etienne Lavergne, Prieur de Cozes, chanoine régulier de Chancellade lui succéda.
Quoique les bâtiments de la communauté et chapitre de l’ordre de St. Augustin de Mortagne eussent été détruits par les guerres civiles, les chanoines réguliers se rassemblèrent néanmoins dans la suite et on en créa de nouveaux, qui ne vivoient pas à la vérité en corps, mais qui avoient et jouissoient des anciens titres et dignités dudit chapitre, comme le curé, le sacriste, l’infirmier etc., etc., etc.
Chacune de ces places valoit cent écus au titulaire, mais qui dans la suite ont été éteintes par la réunion qu’on en a faite à ladite cure de Mortagne, à la charge que ledit curé entretiendra et paiera un vicaire pour le service de sa paroisse. Mais à l’égard de la place du Prieur dudit Chapitre, le Roy s’en réserva la nomination, de sorte que ce Prieuré est devenu royal et le Roy y nomma des ecclésiastiques séculiers, qui nomment eux-mêmes à tous les bénéfices réguliers dépendant dudit ancien chapitre de Mortagne. En conséquence (Mr. de Bordage prieur commandataire de Gemozac étant décédé sans résigner) Mr. l’abbé France, qui se trouvoit alors pourvu du prieuré royal de Mortagne, nomma Mr. Et. Lavergne (qui étoit prieur de Cozes) à la cure de Gemozac. Il en prit possession quelque tems après le décès dudit sr de Bordage ; mais il n’en jouit pas longtems, étant mort deux ans après chez Mr. le prieur de Royan, où il fut inhumé.

1715 - 1er septembre. Mort de Louis XIV, en héros vraiment chrétien [Vous n’êtes pas difficile là dessus. Le peuple fut plus sévère, et l’Histoire l’est et le sera encore plus. Elle récusera dupes et complices. Vous fûtes dupe, honnête curé].

1716 - Mr. Et. Lavergne eut pour successeur le sieur Mathurin Hognan. Il y a apparence que ce fut Mr. l’abbé France, prieur royal de Mortagne, qui nomma encore celui-ci.
Mr. Mathurin Hognan, chanoine régulier de St. Geneviève ou de la congrégation de France, ayant pris possession en cette année du prieurécure de Gemozac, se logea dans la petite maison achetée par le Sr. Brigard, qui étoit devenue maison presbytérale de ladite paroisse. Le sr Hognan étoit trop étroitement logé pour percevoir ses dixmes ; il afferma son bénéfice, fit labourer le petit jardin dont Mr. de Bordage avoit fait son aire, y fit planter des arbres fruitiers, dont il subsiste encore un abri- cotier, et y fit creuser un puits pour la commodité, et qui par le plan de la nouvelle maison presbytérale que j’ay fait bâtir se trouve maintenant à côté de la porte de la cuisine.

1718 - En cette année il y eut une mission à Gemozac par les missionnaires de Saintes.
Le sieur Hognan étoit grand et bien fait de sa personne et avoit beaucoup d’esprit. Il servoit seul sa paroisse. Apparemment que l’usage de dire deux messes à Gemozac toutes les fêtes et dimanches n’étoit pas encore régulièremt. établi. Quelque tems après le Sr. Hognan se donna au jeu. Des joueurs de profession venoient quelquefois de Saintes pour le duper ; de sorte qu’il perdoit quelquefois gros. Ce furent sans doute ces pertes considérables qui le réduisirent à la nécessité et le portoient à marier les religionnaires de sa paroisse pour une modique somme d’argent, et auxquels il donnoit la bénédiction nuptiale sans les faire passer par les épreuves préliminaires qu’on doit observer pour s’assurer, au moins moralement, de la sincérité de leur conversion.

1724 - En cette année, Louis XV donna le 14 may une déclaration contre les religionnaires ou huguenots de tout son royaume, par laquelle il leur est défendu de faire des assemblées de religion, à peine contre les hommes des galères perpétuelles, et contre les femmes d’être rasées et enfermées pour toujours dans des communautés avec confiscation de la moitié de leurs biens. Les ministres et prédicans y sont pareillement condamnés à être punis de mort conformémt. à la déclaration de Louis XIV du 1er juillet 1686, et du 13 décembre 1698, dont cellecy ne fait que renouveller les articles. Depuis ce tems là les prêtres catholiques qui ont eu le malheur de profaner leur ministère en mariant les huguenots ont été condamnés par les Parlements aux galères perpétuelles.

1727 « Il fit cette année un froid excessif. Il y eut sur la terre deux ou trois pieds de neige, qui s’étant fondue fut dans l’instant congelée et changée en verglas. Je me souviens qu’il pendoit aux gouttières des toits de longs morceaux de glace formés de neige fondue et tout de suite congelée. Plusieurs de ces morceaux avoient en bien des endroits plus de six pieds de long. Si ce froid avoit duré aussi longtems qu’en 1709, il auroit été aussi fort et aussi rude.

1729 - La reine mit au monde un Dauphin. Il se fit dans tout le royaume de grandes réjouissances.
J’avois alors six ans, et la ville de Toulouse ayant fait élever sur la rivière un magnifique feu d’artifice soutenu sur quatre Dauphins, des particuliers firent dresser sur les bords de la Garonne des amphithéâtres pour placer les spectateurs. Mes parents m’ayant conduit sur un de ces amphithéâtres pour être mieux à portée de voir tirer le feu, par malheur celui sur lequel j’étois placé et où il y avoit une quantité prodigieuse de personnes se renversa : beaucoup furent estropiés ayant les uns les bras, les autres les jambes cassées. Cinq ou six personnes moururent de leurs blessures, et deux furent culbutées dans l’eau et s’y noyèrent. Le plancher sur lequel je portois ayant crevé, je tomba [t. gascon] sur un tas de fumier qui étoit au dessous, et heureusement pour moi une poutre en travers s’étant rencontrée sur ma tête me garantit de la chute des planches et des bancs et des autres débris de l’amphithéâtre qui m’auroient infailliblement écrasé.
Le sieur Hognan continuant toujours à jouer le revenu de son bénéfice et à marier les huguenots, Mr. le chevalier d’Aubeterre pour lors seigneur de la terre de Gemozac (par qui a été bâti le château de la Salle) homme plein de religion, de droiture et piété, indigné de la conduite de son curé, porta ses plaintes à l’Evêque de Saintes. Ils consultèrent entre eux pour arriver aux moyens de faire sortir le Sr Hognan de la paroisse de Gemozac et de mettre en sa place un digne pasteur, capable par sa bonne conduite de réparer le scandale que le sr Hognan causoit dans sa paroisse. Ledit seigr. Evêque, pleinement convaincu de la probité du sr. Jordannet, prieur curé de St. Vaize à une lieue de Saintes résolut de le placer à Gemozac. En conséquence il obligea le sr. Hognan de permuter le bénéfice de Gemozac avec celui de St. Vaize, à la grande satisfaction du sr. d’Aubeterre et de toute la paroisse.
[Très bien, mais ce pauvre St. Vaize, comment dût- il prendre la chose ?] « Monsieur Arnaud Jordannet, natif de Caors [sic] en Quercy après avoir fait ses basses classes dans l’université de cette ville prit l’habit de chanoine régulier dans la maison de Caors, ordre de St. Augustin de la congrégation de Chancellade en Périgord. Ayant fait profession et étant ordonné prêtre, comme il avoit très bien fait ses études, il entreprit de prêcher des avents et carêmes et s’en acquitta avec applaudissements, puis il fut fait prieur de St. Flou, curé de notre Dame de la Conception, et chanoine du chapitre de St. Agnan de la ville d’Orléans.
Cinq ou six ans après, il permuta ce bénéfice avec le prieuré cure de St. Vaize, et le prieuré de St. Vaize avec le prieuré cure de Gemozac, dont il prit 1730 possession en la présente année.
On dit que le sr Jordannet voyant la maison presbytérale toute délabrée et la trouvant d’ailleurs trop petite pour s’y loger lui et son vicaire, ne put s’empêcher de verser des larmes, d’être cbligé d’habiter dans une vraie chaumière. Aussi s’empressat-il de faire bâtir à côté une chambre pour lui, un vestibule d’entrée, une cuisine et un office. Il fit réparer la chambre haute ancienne, qui servit pour son vicaire et afferma d’un nommé Geneveau son voisin tous ses bâtimens pour y placer son vin, ses domestiques et autres choses nécessaires. Comme il avoit à coeur que sa paroisse fût exactement servie, il garda toujours un vicaire, de sorte qu’il y eut désormais régulièrement deux messes à Gemozac, tous les dimanches et fêtes, l’une matutinale à 7 heures, et l’autre qu’on appelle la grand’messe vers les dix heures et demie ou onze heures. Il établit l’usage de la prière du soir dans l’Eglize, après vêpres. Il obtint de Mr. l’Evêque de Saintes la permission de donner la bénédiction du St. Sacrement avec exposition les quatre fêtes annuelles et le jour de la St. Jean baptiste, et bénédiction sans exposition tous les dimanches et fêtes du caresme. Il faisoit le catéchisme aux enfans pendant l’avent et le caresme quatre fois la semaine, sçavoir le dimanche avant vêpres, le lundi, le mercredi et vendredy matin vers les huit heures jusques à dix. Il faisoit des instructions ou homélies presque tous les dimanches. Les enfants étoient baptisés d’abord après leur naissance sans retardement. Il eut le bonheur d’avoir toujours de bons vicaires qui secondoient son zèle avec affection. Enfin c’est de son tems que la paroisse de Gemozac a été exactement servie et que l’administration des choses spirituelles a pris une forme régulière et qui s’est depuis soutenue jusqu’à ce jour.
On dit que ce fut du tems de Mr. Jordannet que la foudre tomba sur la pointe du clocher [rien de tel du tems de Mr. Hoguan] et abattit le bout de la flèche comme il parait aujourd’huy. [Réparée en 1839. ]

1740 - En cette année il se parloit beaucoup des assemblées que les Francs-maçons faisoient et font encore dans toutes les principales villes du royaume [suivent deux pages et demie assez exactes el très calmes sur la Franc-maçonnerie, lesquelles cependant se terminent ainsi] : « Tous les ans le 24e juin jour de la St. Jean ils célèbrent la fête de leur ordre en bien mangeant, bien chantant et bien se réjouissant entre eux. Je pense que c’est là le but, le principe et la fin de leur institut et que tout leur secret ne consiste qu’à faire des dupes pour faire bonne chère à leurs dépens. Ils font remonter leur origine jusques à Salomon, disant que ce roy étoit francmaçon ; mais tout le monde sçait que ce franc-maçonnage a pris naissance en Angleterre depuis environ cinquante ans.
Le sieur Jordannet étoit un homme pieux, doux, tranquille, plein de religion et de piété. Pour agrandir le presbytère il fit bâtir une chambre et une cuisine ; mais étant devenu infirme sept à huit ans avant sa mort, toutes les réparations qu’il fit à la maison curiale se bornèrent à cela.
Voyant ses forces diminuer de jour en jour il résigna son bénéfice en 1743 à mon oncle Pailhas, alors prieur de la maison des chanoines réguliers de Caors et mourut (un an après d’un mal aux jambes qui l’empêchoit de marcher depuis bien du tems) le 1er may 1744, et fut inhumé devant l’autel de la chapelle de la Ste. Vierge, âgé de 63 ans, après avoir été prieur de Gemozac environ quatre ans.
Mr. Louis Pailhas naquit à Montauban en Quercy en 1695, se fit chanoine régulier de la maison de Caors à l’âge de 16 ans. Il passa par toutes les charges de cette maison et occupa celle de prieur pendant une quinzaine d’années. Mr. Jordannet ayant ouï parler de sa bonne conduite, probité et religion lui résigna son bénéfice, après quoi il l’appela auprès de lui et lui fit prendre possession de la cure de Gemozac le octobre

1743. - Le sieur Pailhas, non content d’avoir un vicaire fit encore venir à Gemozac son frère, qui étoit religieux de Notre Dame de la Mercy ; de sorte qu’il y avoit dès lors à Gemozac régulièrement trois messes tous les dimanches et fêtes. Il composa une prière du matin pour réciter en chaire avant la première messe, et une du soir pour dire après vêpres. Il établit l’usage de chanter la grand’messe [à quatorze fêtes de l’année]. Il prêchoit ou faisoit prêcher un sermon en règle tous les dimanches de l’avent et du caresme [et sept autres jours de fêtes]. Puis prone ou instruction tous les quinze jours, excepté les trois mois de vacances, sçavoir juillet, août et septembre. Il régla les catéchismes à quatre fois la semaine depuis la Toussaints jusques à Noël et depuis le 1er dimanche de caresme jusques à Pâques.
Pendant le caresme on donnoit un morceau de pain à chacun des enfants grands ou petits, qui se trouvoient souvent au nombre de 180 et quelquefois jusques à 200.
Après Paques, on faisoit le catéchisme seulement les dimanches et fêtes, pour la 1re communion, qu’on faisoit faire le jour de la fête du St. Sacrement à la 1re messe. On faisoit une exhortation aux enfans rangés autour de la sainte table, tanant à la main un cierge de cire blanche allumé ; et après l’action de graces, on renvoyoit les filles à l’école des filles et les garçons à celle des garçons pour y déjeûner en attendant la grand’messe à laquelle ils assistoient ainsi qu’à la procession, les filles habillées de blanc, avec un voile sur la tête , dont les plus petites habillées en religieuses portoient des corbeilles pleines de fleurs qu’elles jetoient devant le St. Sacrement par intervalles et devant les reposoirs qu’on élevoit ces jours là dans les ruës, sçavoir un devant la maison presbytérale, et l’autre à la croix hozannière [?]
Voyant que l’Eglize avoit été négligée, il fit réparer la sacristie, parer l’Eglize de briques à six pans, raccomoder la charpente, recouvrir le toit, fit faire la chapelle de St. Joseph, une grande croix d’argent pour les processions, une bannière couleur amaranthe avec l’image de St. Pierre patron de l’Eglize en broderie d’argent en soye, un ciboire très bien ciselé, un calice neuf, des ornements et linges sacrés. Il acheta quatre chandeliers de cuivre jaune pour le grand autel, une lampe et un bénitier du môme métal, deux missels et rituels nécessaires.
Enfin voyant le presbytère si petit et la maison curiale si délabrée et tombant presque en ruine de vétusté, il travailla pendant six ans pour tâcher de pouvoir acquérir quelque emplacement commode auprès de l’Eglize pour y former un presbytère hon- nête offrant aux particuliers le double de la juste valeur des maisons et jardins qu’il auroit acquis ; mais toutes ses tentatives furent sans succès.
Voyant l’impossibilité de se placer auprès de l’Eglize, il profita de l’occasion qui se présenta, en achetant une vieille maison et un jardin au nord, et attenant à la maison qu’avoit jadis acquise le sr. Brigard, laquelle vieille maison et jardin le nommé Genereau lui vendit la somme de quatre cents livres.

1748 - Le bled devint si rare cette année qu’on le vendoit vingt livres le sac. Les pauvres souffrirent beaucoup. Le roy fit distribuer une grande quantité de ris aux curés pour le donner aux plus misérables paysans des campagnes.

1750 - Le R. P. François, religieux de la Mercy, frère de Mr. Pailhas, ayant été rappelé dans sa communauté par ses supérieurs qui avoient besoin de son secours, Mr. Pailhas mon oncle m’écrivit pour m’engager à quitter Toulouse et la place de chapelain de Roqueville, et de venir à Gemozac pour lui aider à servir cette grande Paroisse. Il y avoit un an et demi que j’étois prêtre et Mr. de la Roche-Aimon, pour lors archev. de Toulouse, qui avoit quelque amitié pour moi, et qui m’avoit fait expédier le même jour de mon ordination des lettres de visa par lesquelles il me donnoit une place en titre de chapelain de Notre Dame de Roqueville, ne vouloit pas trop me laisser sortir de son diocèse. A force de prières, ii m’accorda mon exeat et en conformité des désirs de mon oncle je pris alors dans l’université de Toulouse le grade de Bachelier en théologie le 15 de may, et arrivai à Gemozac le 15 de juin de la présente année 1750, muni des exeat de Mr. de Verthamon Ev. de Montauban, lieu de ma naissance, et de l’arch. de Toulouse, lieu de ma résidence depuis l’âge d’un an : sur lesquels exeat et certificats Mr. de la Coré pour lors Ev. de Saintes m’approuva et me permit d’exercer à Gemozac et même dans tout son diocèse les fonctions du sacré ministère.

1751 - Bulle de Benoit XIV : six mois de Jubilé universel.

1753 - Le 4e d’avril, vent du nord-ouest extraordinaire, qui parcourut pendant 48 heures la Normandie, la Bretagne, la Saintonge, la Guienne, le Languedoc et la Provence renversant arbres, moulins et clochers.
Il ne causa d’autre dommage à Gemozac que d’enlever quelques toits de maisons et faire tomber les fleurs des arbres fruitiers.

1754 - Mr. Louis Pailhas m’ayant résigné secrétemt. son bénéfice dès l’année dernière, et la résignation ayant été admise en cour de Rome sous le titre de commende, je pris possession de ce bénéfice cure le 22 février de la présente année, sous pension à mon dit oncle du quart de revenu quitte de toutes charges quelconques et avec obligation d’employer la somme de 3200 livres à la réparation du presbytère qui comme je l’ai dit ci-devant étoit fort petit et qui pour lors étoit sur le point de crouler. Lesquelles réparations je commerçai d’exécuter l’année d’après, au mois de juin. Je fis d’abord démolir jusqu’aux fondements l’ancien presbytère acheté par Mr. Brigard, en l’an 1618, ainsi qu’une partie de la vieille maison achetée par mon oncle du nommé Genereau, et fit construire tout à neuf la maison prioriale telle qu’elle est aujouid’hui [et en 1858] lesquelles réparations durèrent l’espace de trois années ; le cuvier fut bâti en 1758.

1755 - Le 1er de novembre vers les neuf heures du matin, se fit sentir un tremblement de terre affreux qui renversa de fond en comble la ville de Lisbonne, capit. du Portugal, où il périt 30,000 personnes par la chute des maisons et des églizes, qui étoient à cette heure là remplies de monde pour assister à l’office divin. Ce tremblement de terre se fit sentir dans les quatre parties de la terre : plusieurs villes d’Espagne et d’Afrique éprouvèrent le plus triste sort. La France ne ressentit que quelques légères secousses, et ma maison presbytérale tout récemment bâtie et pour laquelle je craignis beaucoup, n’eut point d’autre mal que quelques fentes qui parurent do haut en bas sur les deux murs du degré [terme saintongeais] à côté des portes du corridor.
Il sembloit que la terre eût en ce tems là de la peine à porter ses habitans. Les tremblements de terre durèrent six années, plus ou moins violents, tantôt en un endroit, tantôt en un autre. Les descriptions des dommages occasionnés par ce formidable phénomène et dont on fait courir des imprimés font frémir d’horreur.
Troubles à Paris pour les billets de confession exigés par l’arch. Christophe de Beaumont, contre les Jansénistes, et prohibés par le Parlement. exil du Parlement à Compiègne, rappel. exil de l’archevêque à Cenflans, puis au chateau de la Roque en Quercy, lieu de sa naissance. rappel un an après.
A la faveur des troubles et des divisions du Parlement avec l’archev. de Paris, les religionnaires de Saintonge, qui depuis la révocation de l’Edit de Nantes, c. à d. depuis 70 ans, avoient vécu assez tranquilles en ce pays, ne s’assemblant que très rarement, toujours en cachette, dans les landes et lieux écartés et au milieu de la nuit, commencèrent en cette année 1755 à tenir publiquemt. des assemblées de religion en cette province, d’abord en rase campagne et en plein jour, puis dans les villages, puis dans les maisons des bourgs, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, puis dans des lieux expressément destinés à leurs assemblées qu’ils appeloient maison de La Société. Ils en firent même bâtir exprès en plusieurs endroits. Mr. le maréchal de Sennecterre, gouverneur de la Rochelle envoya des compagnies de dragons dans tous ces lieux pour contenir les religionnaires ; mais comme la guerre étoit près d’éclater entre la France et l’Angleterre, on ne sévit point contre les protestans ; on se contenta de s’emparer de leurs maisons d’Assemblées, dont on fit le corps de garde pour les dragons. Leur maison d’assemblée étoit placée à Gemozac en cette année en la maison qui est vis-à-vis le puits, dans le cul de sac, derrière le cuvier de la cure. Les religionnaires se voyant traités avec tant de douceur et de ménagement refusèrent dès lors de porter leurs enfants à l’Eglize catholique pour y être baptizés [où on les enregistrait comme bâtards.] Ils formèrent une école à part au village de la Bizetterie pour l’instruction de leur jeunesse. Ils n’avertirent plus quand quelqu’un des leurs étoit décédé, et refusèrent même de tendre le devant de leurs maisons et de joncher leur ruë pour la procession de la Fête-Dieu, ainsi qu’ils l’avoient toujours pratiqué.
Ils se portèrent à ces extrémités poussés par une lettre que le nommé Gibert leur principal ministre écrivit à toutes les sociétés protestantes de Saintonge. Comme elle me tomba entre les mains, en voici une copie.

1756 - Le 3e may 1756.

Messieurs mes très chers frères, je viens d’apprendre que les troupes se sont emparées de vos maisons de société, pour en faire des corps de garde. Je ne doute pas que vous n’ayez ressenti une vive douleur de vous en voir privés ; mais quoique je ne puisse pas confier au papier tout ce que je pense et qui pourrait contribuer à votre consolation et à soutenir votre zèle, je crois pourtant pouvoir vous dire de ne pas vous allarmer jusques à l’excès. Je ne crois pas que ces maisons vous soient enlevées pour toujours. D’ailleurs vous êtes bons françois : on vous dit que c’est pour le service de votre bien aimé monarque ; je crois que cette raison peut vous suffire, parce que vous ne possédez rien que vous ne soyez prêts à sacrifier pour le service de votre Prince.
D’un autre côté, on vous permet d’en avoir d’autres, aussi tachez de vous pourvoir de votre mieux, jusques à ce que je voie jour pour pouvoir vous dire de bouche ce que je pense et ce qu’il convient que vous fassiez. Je vois dans tout cas un contraste de politesse et de vigueur apparente qui me donne lieu de conjectures qu’on désireroit de me savoir dans un endroit à pouvoir répondre de moi ; mais Dieu est sur tout et on ne peut rien « sans sa permission.
Assemblez-vous donc dans des maisons particulières, comme quelques Eglizes l’ont déjà fait.
Si vos sociétés sont trop nombreuses partagez les en deux, et plus s’il est nécessaire. Pendant que nous n’abandonnerons pas notre Dieu, nous pourrons être assurés qu’il sera avec nous ; mais si nous avons le malheur de quitter son culte et de l’irriter par une conduite anti-chrétienne, nous serions des téméraires de nous confier en sa miséricorde et de nous flatter qu’il déployât sa puissance en notre faveur.
Soyez donc attentifs en ces choses et faites en sorte d’avoir toujours l’Eternel à votre droite, si vous ne voulez pas être ébranlés. Faites en sorte surtout que personne ne tende de tapisseries le neuf du mois prochain à l’honneur du Dieu de l’Eglize romaine. Notre Dieu est dans les cieux, dit le Psalmiste, où il fait tout ce qu’il veut, et il est jaloux de sa gloire ; il ne tiendra pas pour innocent celui qui honorera une autre divinité que luy. Vous auriez tout lieu de craindre son indignation, si après tant de faveurs vous veniez à fléchir les genoux devant Baal. Que deviendrions nous si Dieu nous abandonnoit à la fureur de nos ennemis ? cette idée m’épouvante et me fait frémir. Mais j’espère que vous la ferez évanouir en tenant la conduite que je vous exhorte de suivre, et que, attirant par là la protection du Tout puissant, nous verrons de jour en jour avancer son glorieux règne parmi nous. Ce que je désire du plus profond de mon coeur, etc.

Les religionnaires de Gemozac suivirent scrupuleusement l’ordre de leur ministre, et quoiqu’il y eût deux compagnies de dragons dans le bourg, ils ne tendirent pas. Je porta ma plainte au Procureur fiscal de la terre et ils furent condamnés à dix livres d’amende envers l’Eglize pour chaque chef de maison qui avoit manqué. Cette amende fut réduite à cent sols par maison délinquante, qui fut payée et mise entre les mains du marguiller, qui fit réparer de cet argent le toit de l’Eglize. Du reste on les laissa tranquilles.

1756 - Guerre des Anglais : ils nous prennent plus de deux cents navires et de douze mille matelots. nous leur prenons Port mahon.

1757 - Tentative d’assassinat sur Louis XV par Fr. Robert d’Amiens [Damiens].
En cette même année, je vins habiter à la St. Jean la nouvelle maison presbytérale que j’avois fait bâtir et qui fut bénie avec solennité le 10 de juillet.
J’invita à cette fête tous les Prieurs et Curés des environs, qui se trouvèrent au nombre de vingt deux, qui me firent l’honneur de rester ici perdant trois jours.
A la fin de septembre attaque des isles de Ré, d’Oléron et d’Aix, par 180 voiles anglaises. ils prirent l’île d’Aix, enlevèrent la croix et la bannière de l’Eglize, firent par moquerie une procession, puis jetèrent les objets dans la mer. terreur dans tout le pays. [une attaque semblable eut lieu en 1809 : l’explosion des batteries faisait à Gemozac trembler les vitres.]

1758 - Dans les tems que les protestants exerçaient librement leur religion en France, ils avoiant à Gemozac un temple environné d’une cour situé auprès de la balle vis-à-vis la maison du sr. Durand. A la révocation de l’Edit de Nantes Louis XIV fit démolir ce temple et en donna remplacement à l’hôpital de Saintes, qui l’arrenta dans la suite. Ceux qui l’arrentèrent y firent bâtir une maison, et d’une partie de la cour en formèrent un jardin. En la présente année les religionnaires de la paroisse de Gemozac achetèrent cette maison et le terrain en dépendant du nommé La Vigerie cabaretier huguenot qui la possédoit alors et firent passer le contrat d’achat sous le nom du nommé Dolom, cardeur. Cela fait, ils abattirent les murs intérieurs de la maison ; ils l’élargirent et l’élevèrent de quelques pieds. La charpente étoit soutenue par deux rangs de piliers de bois, comme sont les halles. On y pratiqua trois grands vitraux ceintrés de quinze piés de hauteur, le tout bien vitré et bien blanchi en dedans. On y plaça une chaire et plus de deux cents bancs. Ce temple avoit 80 pieds de long sur 40 de large et pouvoit contenir beaucoup de monde [un millier de personnes]. Cet ouvrage fut dirigé par le nommé Gibert ministre, homme entreprenant et hardy.
Les Protestants s’assembloient régulièremt. tous les Jeudis au matin dans ce temple, et tous les Dimanches, où ils chantoient à haute voix, de façon que leur musique s’entendoit de fort loin. Le son de la cloche pour la messe et pour les vêpres leur servoit de signal. Les ministres se rendoient habillés en cérémonie pour y prêcher. Cet habit consistoit en une robe de procureur [ou de juge, Mr Pouzaux], un grand collet bleu et un bonnet carré sur la tête.
Ils y faisoient tous les exercices de leur Religion, baptêmes, mariages, prêches, cène, chant des Psaumes, et y tenoient des Synodes, aussi publiquement et aussi tranquillement que les catholiques. Ils avoient quatre ou cinq ministres qui avoient tous l’accent gascon [Et vous ??]. Ils ne demeuroient pas fixément à Gemozac ; mais ils y venoient très souvent passant huit, dix et quinze jours tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, où ils étoient toujours très bien régalés ; ils promenoient en plein jour dans les rues avec la dernière sécurité, et le Ministère sembloitfermer les yeux sur toutes ces choses et les toléroit pour le bien de la paix. Car, il faut tout dire, les Protestants se comportoient avec assez de circonspection. Ils n’insultoient personne, et, au refus près de ne vouloir pas tendre leurs maisons le jour de la procession de la fête dieu, ils ne causoient d’ailleurs aucun trouble ni ne faisoient aucun chagrin aux catholiques, se contentant de bien chanter leurs motets à gorge déployée, après quoy ils s’en retournoient chez eux fort gais et contents.
Assassinat du roy de Portugal à l’instigation du Père Malagrida, jésuite. Expulsion des J. hors de ce royaume.
Construction du cuvier de la Cure de Gemozac, avec treuil en pierre, grenier à blé d’espagne, degré [escalier] en pierre, clôture de la cour, portail à claire voye ; réparations de la grange et de l’écurie ; le tout pour 1350 livres, qui jointes aux 5000 livres pour la construction de la maison font 6350 livres plus la cuisine, en l’année 1760, etc., etc., plus, en diverses fois 1800 livres par Mr. Pailhas ; total 8150 livres que le sr. Pailhas étoit dans la disposition de céder à perpétuité pour l’agrandissemt, et commodité dudit prieuré de Gemozac, sauf aux Prieurs curés à venir, s’ils veulent en jouir, à en payer les amortissements.

1760 - Au mois d’août, jour de St. Laurent, à dix heures et demie du soir, au bourg de Gemozac, un moment après m’être couché, j’ouis un grand bruit souterrain semblable à celui de plusieurs carrosses qui roulent avec vitesse sur le pavé d’une ruë ; ce bruit qui dura une minute fut suivi d’un tremblent, de terre qui faisoit craquer la charpente de toutes parts, ce qui m’épouvanta. Je me sauva vite en chemise dans le jardin ; mais j’en fus quitte pour la peur ; il ne causa aucun dommage.
Le Parlement de Paris fit brûler par la main de l’exécuteur 4000 Exemplaires de livres de 29 auteurs Jésuites, entre autres de Buzembaum et Lacroix, comme contenant une morale erronée, relachée, perverse et une doctrine contraire à la sureté de la personne sacrée des rois.
Le roi fait porter sa vaisselle d’argent à la monnaie [ayant demandé à un seigneur de la cour s’il en avoit fait autant, on sait qu’il en reçut cette réponse : « Sire, lorsque J. C. mourut le vendredi, il savait bien qu’il ressusciterait le dimanche].

1760 - Les troupes qui venoient du Languedoc et de la Guienne et qui de tems immémorial passoient par le bourg de Gemozac, où elles avoient même souvent séjour, pour se rendre ensuite dans le païs d’Aunis et la Bretagne cessèrent d’y passer en cette année ; les mauvais chemins firent changer cet usage : elles prennent maintenant leur route par le grand chemin ferré qui passe à Pons.
La veille du Dimanche Quasimodo, Mr. De la Coré Ev. de Saintes me fit l’honneur de venir chez moi, où il demeura trois jours, pendant lequel tems il donna la confirmation à douze cents personnes de la paroisse de Gemozac. Il y avoit 42 ans qu’il n’étoit point venu d’Evêque en ce lieu pour y administrer ce sacrement. Les paroisses de Cravans, Virollet, Tanzac, Jazennes et Villars s’y rendirent processionnellement et s’empressèrent à profiter de l’occasion qui se présentoit pour recevoir le St. Esprit. Ces actes de religion étoient en ce tems-ci très nécessaires en ce païs. Les protestants triomphoient à l’abri de l’espèce de tolérance dont la Cour sembloit les favoriser. Les ministres de l’erreur faisoient tous leurs efforts pour se faire des proselytes ; mais, grâces à Dieu, ils n’y réussissoient pas. Il n’y eut que cinq ou six très mauvais catholiques qui se laissèrent séduire. Tout le reste demeura ferme et inébranlable, et je puis dire avec satisfaction que les catholiques en général avoient autant d’éloignement pour les assemblées des religionnaires que les religionnaires en avoient pour la Ste. Messe ; cependant en ce tems-ci leurs assemblées étoient très nombreuses ; les protestants y venoient de toutes les paroisses voisines. La tranquillité dont ils jouissoient les enhardit de bâtir des temples à St. Fort, à Mortagne, à Cozes, à Arvert, à la Tremblade, à Pons, à Jonzac, etc, etc.
Le clergé de France s’étant assemblé à Paris, le roi qui avoit grandement besoin d’argent pour subvenir aux frais de la guerre [et à d’autres frais] fit demander aux Evêques seize millions de don gratuit, ce qui lui fut accordé [c’étoit ordinairemt en ces occasions que le Clergé obtenoit, en échange du don gratuit, de nouvelles mesures de rigueur contre les herétiques et les penseurs] on emprunta de toutes parts pour parfaire cette somme. Mr. Pailhas saisit cette occasion pour placer sûrement la somme de 7000 livres qui fut reçue par le susdit clergé et le contrat en fut passé en mon nom, sous la rente de cinq pour cent, exempte de vingtième et de deux sous pour livre ; ce qui produit annuellement la somme de 350 livres pour être distribuée à perpétuité, sçavoir 300 livres aux pauvres de la paroisse et 50 livres au maître d’école, pourvu qu’il soit honnête homme et qu’il s’acquitte exactement de tous ses devoirs.

1762 - Expulsion des Jésuites hors de France. Le Parlement de Toulouse fit démolir leur Eglize et défendit aux soi-disant Jésuites de ne jamais plus s’établir en France. On leur reprochoit le voeu d’obéissance avûgle à leur général, une morale relachée, en théorie et en pratique, des sentiments ullramontains contre les libertés de l’Eglize gallicane, et sur le régicide, sentiments atroces, doctrine affreuse que celle qui enseigne qu’on peut tuer un roy discole et tyran.
Les Jésuites étoient habillés de noir ; leur habit consistoit en une soutane de gros drap ouverte par devant, comme celle des prêtres séculiers, mais sans boutons ni boutonnières qu’ils fermoient depuis le col jusques au ventre avec de petits crochets de fer. Le tour du col tenoit à la soutane et étoit de la même étoffe. Dans leurs maisons ils portoient un bonnet carré avec une houppe, comme celui des Ecclésiastiques. L’hiver, ils mettoient par dessus leur robe ou soutane une espèce de redingote dont les manches étoient pendantes. Quand ils sortoient en ville, ils quittoient le bonnet et la redingote et prenoient un grand chapeau à ailes abattues et un grand manteau sur leurs épaules qui descendoit jusques à terre. Tous leurs habillements étoient noirs. Ils avoient ordinairement trois maisons et même jusques à quatre dans les grandes villes, sçavoir une maison pour le Noviciat, une maison de Profession, le collége pour l’instruction de la jeunesse et en quelq. endroits une 4e pour le séminaire du diocèse. Ils ne sçavoient pas le plein [sic] chant ; ils ne chantoient ni ne célébroient pas les offices dans leurs églizes, ainsi que le pratiquent les autres religieux ; ils se contentoient de dire leur Breviaire en leur particulier et la messe basse.
Presque tout leur tems étoit consacré à l’étude ou destiné à la prédication. Il y avoit toujours parmi eux de grands génies [ou prétendus tels] en tout genre de sciences et de littérature, grands orateurs, grands poètes. Ils méprisoient les autres religieux et les regardaient comme des ignorants. Ils se mê- loient des affaires de l’Etat. Ils étoient les directeurs de tous les princes chrétiens. Ils envoyoient des missionnaires dans toutes les parties de la terre pour convertir les infidèles et les sauvages, et travailloient sans relâche à soumettre tous les esprits à leurs sentiments sur la Grace. Peut-être que le sentiment de domination les avoit tellement élevés et enorgueillis qu’ils ont mérité de subir à la rigueur la prédiction de Jésus-Christ : qui se exaltat, humiliabitur. Humiliation terrible ! ayant été chassés ignominieusemt. d’abord du royaume de Portugal, puis de celui de France, ensuite de toutes les Espagnes, des Indes orientales et des occidentales, du royaume de Naples et de l’île de Malte ; destruction qui s’est opérée successivemt. dans sept années de tems. Evénement frappant et étonnant qui prouve bien l’instabilité des choses humaines [nouvelle preuve : leur retour !] Les princes chrétiens qui les expulsoient ne leur faisaient point de mal ; ils se contentoient de les envoyer tous à Rome.
A la fin de cette année 1762, la paix fut conclue et publiée avec l’Angleterre. Les Anglais nous ayant pris Belle isle, on l’échangea pour Port-Mahon, et nous cédâmes aussi tout le Canada en Amérique, avec la ville de Quebec sa capitale. Cette guerre coûta à la France plus de 200,000 hommes et des sommes immenses, et nous perdîmes un nombre prodigieux de vaisseaux.

1765 - En cette année je fis le dénombrement de tous les habitants de la paroisse de Gemozac tant catholiques que protestants, avec leur nom et surnom, village par village, selon l’ordre alphabétique des villages, ainsi que celui des enfants de l’une et de l’autre religion. J’en ay fait un livre particulier que j’ay déposé avec les registres de la paroisse. On y verra que le nombre des habitants de la paroisse montoit en cette année à 2352 sçavoir
1452 catholiques communiants,
473 enfants catholiques non communiants, [1/3 des adultes, ]
329 protestants adultes,
98 enfants protestants [un peu plus d’1/3 des --- adultes.]
1352 ames [dont 427 protestants, ou très peu plus du tiers.]

1766 - On éprouva cette année un hiver des plus rudes qu’on eût ressenti depuis 1709. Le froid commença dans la nuit du 14 au 15 décembre de l’année dernière. Le passage de Saintonge à Bordeaux par la Gironde fut interrompu ; les glaces durèrent jusqu’au six de février de la présente année c. à d. environ cinquante jours. Un vent du Nord terrible souffla avec une impétuosité inexprimable pendant tout ce tems là. Tout fut glacé, pain, vin, viandes, rivières, coquillages, et la mer même, ce qu’on n’avoit jamais vu en ce païs. La Garonne étoit totalement prise depuis Blaye jusques à Bordeaux. Les eaux du reflux [du flux, on contraire] qui venoient de la grande et haute mer, en remontant, s’étendoient sur, ces glaces et se glaçoient ensuite à leur tour. Ce nombre de couches multipliées formoient en certains endroits des collines et d’énormes monceaux de glace, qui présentoient un spectacle des plus singuliers et des plus frappants. Presque toutes les vignes furent gelées ; les noyers ne portèrent point de fruit ; beaucoup de champs ensemencés de blé froment ne donnèrent point de récolte ; les avoines, pâtures et autres menus grains, ainsi que le jardinage furent totalement perdus. Nombre d’Evêques du royaume permirent l’usage de la viande pendant le carême, à cause de la rareté des herbes, racines et légumes. C’étoit néanmoins un beau froid si l’on peut s’exprimer ainsi : il faisoit tous les jours un soleil des plus brillants ; point de neige, point de verglas ; il y avoit de la poussière dans les chemins comme dans le fort de l’été ; les denrées enchérirent beaucoup ; cependant l’année ne fut pas aussi malheureuse comme on l’avoit d’abord pensé : le plus beau dégel étant survenu, on ensemença de nouveau les champs de menus grains et de bled d’espagne, et il y eut une récolte, fort abondante en ces sortes de denrées.
Le premier d’avril, il y eut une éclipse de soleil annulaire. On appelle ces sortes d’éclipses annulaires, à cause que la lune se place directement entre le soleil et nous ; et comme son globe n’est pas assez grand pour couvrir tout le globe du soleil, il se trouve alors que tout le bord du disque du soleil se trouve découvert, et qu’il forme un anneau de lumière ; çe qui fait que l’éclipse, quoique très considérable n’est pas cependant totale.

1767 - L’hiver fut presque aussi rude que le précédent, mais npq pas si leng. La récolte fut très médiocre : le prix de denrées de toute espèce haussa excessivement. La barrique de vin rouge se vendoit cinquante et même jusque 60 livres et encore c’étoit du commun ; seize livres la pochée ou le sac de bled froment cinq sols la livre de viande, dix huit sols la livre d’huile d’olive, quatorze sols la livre de chandelle, trente sols la pinte d’huile de noix ; quatre vingt livres un cochon commun, etc., etc. [Il faut multiplier tous ces nombres au moins par trois pour avoir leur équivalent en monnaie actuelle. 1858].
Les mois de Janvier et de février furent encore excessivement froids, de sorte que l’on éprouva de suite trois hivers extrêmement rudes. Le commencement de cette année fut aussi très sec ; il ne plut qu’à la fin de may, ce qui fit qu’il n’y eut que peu d’herbe dans les prés et que le foin devint fort rare.
Les pluies de la fin de may amenèrent les orages, qui durèrent sans presque discontinuer pendant tous les mois de juin, juillet et aoust. Jamais on n’avoit vu en ce païs de tempêtes si fréquentes : l’horizon paraissoit incessamment tout en feu. En certains jours il se formoit trois et quatre orages à la fois ; la foudre tomboit très souvent sur des arbres, et sur des moulins qu’elle brûloit. La grêle ravagea une infinité de paroisses en Saintonge ; la divine Providence conserva celle de Gemozac de ce fléau ; mais les paroisses de Virollet, Epargnes, Arces, St. André de Lidon, Gravans, Rioux, Tesson, Tenac Lajard, Berneuil, Saintes, etc, etc. en furent frappées plusieurs fois dans le cours de l’Eté. Le tems étoit si disposé aux ouragans qu’on recevoit tous les jours les plus tristes nouvelles des ravages qu’ils causaient dans toutes les provinces du royaume. Un des plus forts fut celui qui éclata sur l’Election de qognac à la mi-aoust jour de St Roch : la violence du vent, la grosseur de la grêle et la quantité prodigieuse de pluye qui tomba ce jour là pendant sept heures de suite causèrent des pertes très-considérables : grand nombre de maisons, des prés et des vignes entières furent emportées par les torrents ; beauconp de bestiaux et même de personnes que le mauvais tems surprit dans les champs et dans !es chemins furent submergées. Le mois d’octobre ayant ramené la fraîcheur, les tonnerres cessèrent ; mais les vents violents continuèrent de souffler et les pluies de tomber en abondance jusques à la fin de l’année ; ce qui occasionna beaucoup de naufrages et de fréquentes inondations en bien des endroits. Le clocher de St. Michel, à Bordeaux, dont la flèche avoit deux cents piés de hauteur, et qui étoit un des plus anciens et des plus beaux monuments de la ville, s’écroula par un coup de vent furieux au mois de septembre et écrasa dans sa chute plusieurs maisons des environs. Trois hivers consécutifs si rudes et une année si féconde en orages ne pouvoient manquer d’occasionner une grande cherté : aussi tout devint d’un prix excessif. Voici le tarif du prix des denrées en la présente année 1768, comparé avec les prix de l’année que je vins à Gemozac, c’ à d. en 1750.

PRIX EN 1750 EN 1768
La barrique d’eau-de-vie 48 liv. 200 liv.
La barrique de vin rouge 12 48
La barrique de vin blanc 5 18
Le muid de sel 6 40
Le sac de blé froment 7 17
Le sac de blé d’Espagne 5 9
Le sac d’avoine 2 6
La charretée de foin 15 80
La livre de morue 2 sols 8 sols
La livre de chandelle 8 16
La livre de cochon 3 9
La livre de viande de boucherie 3 s. 6 d. 5 sols
La livre d’huile d’olive 11 18
La pinte d’huile de noix 15s 1liv 16
La livre de sucre 12 18
La livre de café 12 1 liv. 10
La livre de poivre 15 2 liv.
La livre de beurre 8 16
La paire de poulets 7 16
La paire de poules 1 liv. 1 sols 2 liv. 8 sols.

[Multiplier ces prix par trois au moins pour les traduire en monnaie actuelle ; ce qui montre que ceux de 1768 furent encore plus élevés que n’ont été ceux de 1857, avec beaucoup moins de moyens d’y atteindre.]

1768 - Au mois de novembre le pain coûtoit à Paris cinq sols la livre, et vingt sols la bouteille de mauvais vin. La famine auroit été dans le royaume sans le blé d’espagne dont il y eut une assez bonne récolte, ce qui ; fut la ressource des peuples de la campagne.
Excommunication de l’infant duc de Parme pour avoir soutenu ses droits temporels. le roy de France intervint et se saisit d’Avignon et du comtat venaissin sur le Pape.
Le clergé régulier s’étant relâché depuis bien du tems le roi de France donna en cette année un Edit pour la réforme des religieux de son royaume, par lequel il leur est défendu entre autres choses de recevoir à l’avenir aucun sujet à la Profession monastique avant l’âge de vingt un ans accomplis, et les religieuses avant l’âge de dix huit ans accomplis, d’avoir plus d’une maison dans chaque ville, [enjoint] d’être au moins douze religieux sans compter le supérieur dans chaque monastère, pour pouvoir y célébrer décemment l’office divin, etc., etc.. La République de Venise quelques mois après fit des règlements encore plus forts ; le roi d’Espagne, le roi de Naples, la reine d’Hongrie et de Bohême suivirent le même exemple ; on ne parloit en ce tems-ci dans les pays cathodiques que de la réforme des moines [Ah ! c’est que les Rousseau, les Voltaire, dont vous ne dites mot, M. Pouzaux, et beaucoup d’autres, annonçaient dès lors la colère à venir !]
A la mi-juin de la présente année 1768, Mr. le maréchal de Sennecterre, gouverneur de La Rochelle, fit démolir le temple de Gemozac. Il envoya secrètement dès la veille ses ordres au commandant des troupes de cavalerie qui étoient alors en garnison à Saintes, et le lendemain 15e du mois de Juin, on vit arriver à six heures du matin deux compagnies de Cavaliers, qui entrèrent en ce bourg le sabre nu à la main, dans le tems qu’on s’y attendoit le moins. Douze maçons et douze charpentiers suivoient la cavalerie. Le temple fut investi sur le champ ; le sr. commandant s’en fit apporter les clés : on commença par dénicher [le mot est heureux] la chaire du prédicant, qu’on porta au milieu de la ruë, où elle fut hachée à petits morceaux par les charpentiers, puis brûlée par le corps de garde [la haine des guérites contre les tribunes ne date pas d’hier] ;on délogea ensuite tous les bancs, vitres et croisées ; on descendit doucement la tuile et les bois de charpente, sans rien endommager le moins qu’il étoit possible ; on déposa le tout dans une grange ; puis le lendemain les maçons renversèrent » les murs de fond en comble ; huit jours après Mr. Gaudriaud subdélégué de Saintes vendit le tout à l’encan qui en fut fait dans ce bourg. Ainsi fut détruit ce bâtiment au grand regret des protestants dix ans après qu’ils l’avoient fait bâtir. Le temple de Cozes fut aussi renversé le même jour. On croyoit que tous les temples de la Saintonge alloient subir tout de suite le même sort ; mais ils furent épargnés, on ne sait pourquoi [Pourquoi ? M. le prieur ; on pourrait vous le dire : c’est que le Gouvernement n’était pas fâché d’avoir un peu d’hérétiques, pas trop, afin de vous contenir vous-mêmes. Avait-on besoin de vous ? on vous servait du protestant. Vos excès obligeaient-ils à vous réprimer, comme en 1768 ? en vous châtiant un peu, il fallait bien frapper plus fort sur les hérétiques pour prouver que l’on était toujours bon chrétien, comme vous parlez. Les huguenots étaient absolument comme ce jeune vilain, compagnon d’études d’un prince, et fouetté pour amuser son altesse, fouetté encore quand son altesse ne savait pas sa leçon. Si à l’époque dont il s’agit la rigueur tomba sur Gemozac et sur Cozes, c’est qu’il y avait là sans doute plus de zèle ou plus d’éclat que dans d’autres sociétés].
Les protestants de Gemozac, revenus de leur première frayeur, tinrent bientôt après leurs assemblées chaque Dimanche dans le bois du village de Chez-Manié [ou Chez-Magnez. Je crois que c’est là que ma Mère fut baptisée], près de de Bourg ; car il n’y eut point de défenses de s’assembler, ni ordre aux Ministres de se retirer. Ils continuèrent d’exercer dans ce bois [nommé le bois du roc, bordant le pré du même nom, qui appartenait à la cure ] librement, tranquillement et publiquement leur religion, comme ils l’avoient fait ci-devant dans leur Temple.
Le 24 juin, mort de Marie Leczinska, reine de France.
Tentative inutile pour s’emparer de la Corse, dont les Génois ne savoient que faire et qu’ils cédoient à la France. [hélas ! quelle acquisition !].
Mr. Pailhas, mon oncle, ancien prieur, et moi, désirant depuis bien du tems faire raccommoder l’Eglize de Gemozac, qui avoit besoin de grandes réparations dans toutes ses parties, résolumes en cette année d’accomplir ce projet à frais communs, malgré la cherté des vivres et la misère des tems.
Nous avions écrit à cette fin dès l’année dernière, à Mr. Sénac de Meilhan [un des correspondants de Voltaire] intendant de la Rochelle, pour l’informer de notre dessein ; et lui exposâmes dans une requête que s’il vouloit nous accorder la permission de faire faire gratis [corvée] par les bouviers de la paroisse de Gemozac les charrois des matériaux, nous offrions de faire à nos dépens toutes les réparations nécessaires à la dite Eglize à la décharge des paroissiens et sans qu’il fût besoin de mettre pour cet objet aucune sorte d’imposition [les bouviers étaient sans doute alors les gens les plus riches de la paroisse !]
Mr.l’Intendant ayant fort approuvé notre demande [haro sur le baudet !. jugement de cour] appointa la requête et rendit une ordonnance en date du 14 avril de l’an passé, par laquelle il nous étoit permis de commander les bouviers de la paroisse pour les charrois et les journaliers [autres capitalistes, surtout cette année là !] pour servir de man ?uvres chacun à tour de rolle. En outre, ayant obtenu de Mr. Gaudriaud subdelégué de Saintes que les habitants de la paroisse seroient exempts des corvées des grands chemins tant que durerait l’ouvrage de l’Eglize [du moins on croyait encore que c’était là le chemin du ciel] nous commençames dès le premier du mois de septembre de l’année der- nière par la charpente, qui fut toute refaite à neuf, ainsi que le beffroi des cloches ; puis les murs et piliers furent réparés solidement en dehors ainsi que le clocher jusques à la naissance de la flèche inclinée. Nous aurions souhaité faire raccommoder ladite flèche ; mais l’entrepreneur maçon ne voulut pas se charger de cet ouvrage à moins qu’on ne lui donnât pour cela seul la somme de 1500 livres, ce qui nous découragea [on verra cette flèche réparée en 1839, pour 1533 francs, même somme nominale qu’en 1767, mais en réalité deux fois moindre.]
Ayant obtenu pour la présente année 1768 une seconde ordonnance en date du 1er mars, semblable à la première, nous fimes continuer les réparations dès le mois de mars Le cimetière n’ayant pas été clos depuis le malheur des guerres civiles, et se trouvant tous les jours exposé à toutes sortes de prophanation, surtout les jours de foire, nous le fîmes entourer de bons murs bâtis à chaux et à terre, et pour plus grande solidité nous fimes mettre des chaînettes de pierre de taille de distance en distance ; car en certains endroits les fondements desdits murs ont sept pieds de profondeur. En même tems, d’autres ouvriers travailloient à réparer les voûtes et murs intérieurs de l’Eglize, et au pavé, que nous fimes beaucoup élever en y transportant une grande quantité de terres ; car il falloit auparavant descendre quatre marches fort rapides pour entrer dans l’Eglise, au lieu que maintenant on y monte par trois marches formées par un perron en pierre de taille, que nous fîmes construire devant la principale porte, qui étoit ci-devant embarrassée par plusieurs tombeaux de pierre qui barroient entièrement le passage. Cela fait, on garnit les fenêtres de vitres toutes neuves. Les menuiziers et sculpteurs raccommodèrent le grand autel et les boisures du sanctuaire et de la chaire qui se trouvoient pourries et vermoulues. Enfin nous fîmes venir un peintre de la ville de Saintes pour rétablir tous les tableaux qui étoient déchirés et percés en plusieurs endroits. Les cadres furent mis en marbre. Le christ et les deux statues qui sont sur la porté du ch ?ur furent repeints, ainsi que les boisures du sanctuaire et du grand autel, au haut duquel nous fimes placer un vaze et une grande croix dorée, et l’on passa sur le tout trois couches de colle de gant et deux couches de beau vernis, ce qui rendit le sanctuaire plus éclatant et plus brillant qu’il n’avoit été même lorsqu’il étoit tout neuf. Toutes lesquelles réparations furent finies à la fête de la Toussaints de la présente année et coûtèrent la somme de 5204 livres [dont les bouviers et les journaliers fournirent plus du quart] sçavoir :

- De la part de Mr. Pailhas ancien prieur et de Mr. Pouzeau prieur actuel, en argent déboursé, cy. 3058 livres.
- De la part de Made la Comtesse de Bourdeille, Dame, et de Mr. de Bernessard seigneurs de la Paroisse, la somme de 60 livres que chacun d’eux ont donnée, cy. 120 livres.
- De la part de la Fabrique de Gemozac de son revenu propre la somme de cy. 426 livres.
- De la part des habitants de la Paroisse par les charrois et journées qu’ils ont donnés gratis, qui àuroient coûté au moins mille cinq cents livres, cy ; 1100 livres.

TOTAL. 5204 livres.

La sacristie fut aussi pourvue en cette année de tout ce qui est nécessaire au service divin, dont l’inventaire est ci-après : [suivent dix pages d’inventaire où nous remarquons une commode, deux petites armoires ; deux porte-Dieu d’argent ; un soleil de cuivre argenté ; quatorze ornements en Damas, taffetas ou satin ; un pluvial ou chappe de satin ; des violes [?] de mousseline garnis de dentelles, pour orner la niche où repose la réserve placée au monument que l’on fait le jeudi saint à la chapelle de St. Joseph, données en partie par Françoise Peiron, fille dévote ; vingt amicts, 55 purificatoires, 10 corporaux à dentelles, dix palles à dentelles ; deux te igitur ; deux Echilles pour la procession ; un confessionnal de bois de peuplier peint en couleur de noyer ; un crémier avec ses deux petites boëtes pour les saintes huiles du baptême, etc., etc., le tout montant à. 3292 livres.
De manière qu’il a été fourni à la paroisse :
- De la part de M. Pouzaux pour acquisitions ou constructions immobilières. 8732 livres
- De la part de M. Pailhas pour acquisitions ou constructions immobilières 1800 livres
- Du même deux placements sur le clergé de France 12000 livres
- De la part de MM. Pailhas et Pouzeaux, réparations. 3158 livres
- Des mêmes mobilier de la sacristie 3292 livres
TOTAL. 28982 livres

Du depuis les comptes précédents, dit plus tard Mr. Pouzaux, j’ay employé la somme de 1100 livres en l’année 1782 pour les réparations de nécessité, de commodité et d’agrément ; tant en la maison
presbytérale, appartenances d’icelle qu’au jardin de la cure, mentionnées ci-après :
« J’ai fait plancher en bois de peuplier la chambre basse au côté gauche en entrant, qui étoit fort humide, l’ai divisée en deux par une cloison en sapin, pour en faire deux chambres à l’usage de MMr. les vicaires. [Nous trouvons sur les registres, comme vicaires de Mr. Pouzaux, successivement les sieurs Girardeau et Moré.]
Plus ay fait plancher la salle de compagnie en planches de beau sapin de Prusse, d’une seule pièce dans toute la longueur.
Plus ai fait faire une cloizon et alcove à la cuisine pour y placer décemment le lit de la cuisinière.
Plus ay fait mettre deux bujours [sic] de pierre à la bujanderie [termes saintongeois] et pratiquer un fourneau en briques pour les lessives, [etc., etc., etc.]...
Lesquels déboursés font plus du double de la somme que j’étois obligé d’employer par ma commende n’ayant été taxé à cette fin qu’à la somme de 3200 livres.
Melle. Marie Delphine Pouzaux soeur de Mr. Pouzaux, prieur de Gemozac est décédé dans la maison presbytérale le 21 mars 1783 et a donné à l’Eglize de ce lieu un drap mortuaire blanc pour servir aux enterrements des filles de la présente paroisse, gratis.

Nota : Sera pour Mémoire à Messieurs les Prieurs Curés de Gemozac que Mr. Louis Pailhas... ayant placé en mon nom sur le clergé de France 7000 livres en 1760,. et 5000 livres en 1772.

Si dans la suite des tems l’occasion se présentoit de fonder ou établir au Bourg de Gemozac une maison de charité et y placer deux ou trois soeurs grises, pour l’instruction de la jeunesse et le service des pauvres malades de la présente paroisse, l’intention de mon dit oncle Louis Pailhas mon prédécesseur est que les six cents livres de revenu provenant des deux susdits capitaux, actuellement placés sur le clergé de France, soient employés audit établissement des dites soeurs grizes, si Messieurs mes successeurs l’estiment bon, profitable et utile aux dits pauvres malades de la présente paroisse. [Et les cinquante francs légués au maître d’Ecole ?]....Et qu’il soit dit à perpétuité une messe par mois pour le repos de son âme. à Gemozac le 26 janvier 1774, [signé] Pouzaux, etc.

J’avais oublié de noter que si au cas le maître d’Ecole de garçons de la présente paroisse étoit yvrogne, joueur ou de mauvaises moeurs, ou bien négligeant l’instruction de la jeunesse, MMrs. les Prieurs mes successeurs leur retrancheront la pension de 50 livres affectée sur le revenu de la première fondation de 7000 livres et donneront les dites 50 livres aux pauvres, telle est l’intention du fondateur. En foi de quoi, [signé] Pouzaux, Prieur curé de Gemozac.

[Ces affaires une fois réglées, M. Pouzaux reprend le cours de ses annales.]

1769 - Mort du Pape Rezonico, Clément XIII. Joseph II, Empereur d’Allemagne, prince affable et philosophe, profite de l’interrègne pour visiter Rome incognito. Les cardinaux en conclave sortirent de leurs cellules pour le recevoir. Combien, dit-il, a duré le plus long conclave ? ? Sire, six mois. ? Eh ! bien, employez-y un an et élizés un pape qui soit ami de tout le monde.
Après trois mois de conclave, ils élurent Ganganelli, Clément XIV.

1770 - Le 19 may, mariage de Louis Auguste de France, pauphin, avec Marie Antoinette Josèphe Jeanne, archiduchesse d’Autriche. le 4 juin suivant feu d’artifice à Paris. la foule étant prodigieuse, plusieurs personnes furent étouffées : les cris des mourants et les allarmes des autres mirent la confusion ; toutes ces clameurs et ce bruit épouvantant les chevaux des. voitures ils prirent le mort aux dents et causèrent un désordre et ua ravage épouvantable. Le nombre des morts se monta à cent trente deux, sçavoir 49 hommes ou garçons et 83 femmes ou filles, sans compter un nombre infini de blessés. Plusieurs voitures furent brisées et les chevaux étouffés, On trouva des cadavres si fracassés et si défigurés qu’on ne put jamais les reconnaître. Ils furent tous portés sur le cimetière de la Magdeleine, où ils demeurèrent exposés tout le jour du lendemain, afin que chacun pût y aller reconnoître leur père ou mère, frère ou soeur, etc.

1771 - Lit de Justice à Versailles pour forcer le Parlement à enregistrer sans remontrances tous les Edits, bursaux ou autres. refus. exil du Parlement de Paris. puis successivement des autres parlements. Leur remplacement par des conseils souverains dont le 1er. Président auroit 6000 livres, les Présidents 4000 livres, les avocats et Procureurs généraux 3000 et les Conseillers 2000 livres, sans présents, ni épices, ni aucune autre rétribution quelconque.
Après ce coup de foudre, on vit paroitre une quantité d’arrêts et d’Edits bursaux, que les nouveaux phantomes de Parlements n’osoient refuser d’enregistrer [quels souverains ! il semble être au suffrage universel après 1852]. Les subsides, douanes, taxes et impôts anciens furent augmentés ; on en créa beaucoup de nouveaux ; le royaume fut inondé de traitans, financiers, gardes, fermiers royaux, partisans et autres personnes préposées à la levée des dites impositions. La France gémissante se vit en proie à une armée au moins de cent mille maltôtiers et commis, qui comme autant de sangsues, mettoient tout à contribution. En ce tems-ci les denrées en tout genre montèrent à un prix exorbitant.

1771 - Reconstruction de l’Ecurie de la cure, etc.

1772 - Suppression de 12 hôtels des monnaies sur 30, sçavoir : Poitiers, Tours, Grenoble, Riom, Dijon, Amiens, Nantes, Rennes, Bezançon, etc., etc.
Placement des 5000 livres sur le clergé de France. pour le revenu en provenant être distribué à perpétuité aux pauvres, sçavoir pour payer la pension dans un couvent ou ailleurs à des pauvres filles de la paroisse qui voudroient passer du protestantisme à la religion catholique romaine ; plus pour des naufragés, incendiés. Le contrat de Constitution fut passé à Paris en date du 13 aoust de la présente année. et déposé en parchemin dans le recueil des papiers de la cure.

1773 - Le 21 juillet, suppression de l’ordre des Jésuites dans tout le monde chrétien, par le Pape Clément XIV. défense de jamais se reconstituer sous quelque nom ou dénomination que ce puisse être,. Le Père Ricci, leur général, fut arrêté à Rome avec cinq ou six autres des principaux Jésuites, mis dans une prison du château St. Ange et gardés à vue. L’Empereur, les rois, les princes, les Electeurs, les républiques chrétiennes firent mettre chacun dans leurs états la Bulle fameuse du Pape en exécution. On les fit sortir de leurs maisons, dont on s’empara, ainsi que de leurs biens et Eglizes, et on les pensionna pour les faire vivre.
Ainsi cet ordre si célèbre fut anéanti dans tout le monde chrétien, et il y a apparence qu’ils ne seront plus rétablis en aucun lieu. [Hélas ! Mr. Pouzaux, vous n’avez pu noter en 1769 la naissance d’un homme, d’un Corse, qui restaurera bien d’autres choses. Ni jamais ni toujours n’est la devise.des cours.]
Mort de Mr. Louis Pailhas, retiré dans sa maison régulière de Caors. d’une blessure à la jambe, suivie de cangrène. le 27 décembre à l’âge de 78 ans. L’on peut dire qu’il fut un des plus dignes Prieurs de Gemozac et un des plus grands bienfaiteurs de la paroisse.

1774 - Le 10 may, mort de Louis XV, âgé de 64 ans.
Louis XIV perdit son père au mois de may 1643, et Louis XV étant mort au mois de may 1774, ces deux princes, l’un après l’autre, ont porté le titre de rois l’espace de 131 ans : leurs règnes effectifs depuis leur majorité ont été de 112 ans, sçavoir celui de Louis XIV de 63 années et celui de Louis XV de 49, fait unique dans l’histoire des rois de la terre [la moyenne des règnes est de 21 ans.]
Louis XV étoit un prince doux, bon, pacifique, plein de sentiments, d’humanité et de modération ; mais son amour déréglé pour les femmes en fit un prince foible qui écrasa ses sujets par le grand nombre d’impôts. Le règne de Louis XV fut celui des filles galantes, ou autrement dit des courtisanes et des publicains ou maltotiers, c. à d. des gens employés à lever les impôts.
En cette année les religionnaires de la Paroisse de Cozes et ceux de la Paroisse de Gemozac firent bâtir un nouveau temple. [Ceux de Cozes au lieu dit la Font de Roumignac, à un kilomètre sud-est du Bourg]. Les Gemozacais le firent édifier au bout de la rue dite de la nécessité, à l’orient du bourg, tout au près du Perré et ruisseau qui vient des moulins à vent appelés moulins des Parpaillons. C’est un édifice qui n’est élevé à ses quatres coins que de neuf pieds au dessus du sol [Ne trouve-t-on point là ce goût d’élévation et d’éclat matériel caractéristique du culte romain ?]
Le clergé de France réduit au denier vingt cinq, c. à d, à 4 p. % l’intérêt des capitaux qu’on lui avoit prêté au denier vingt ou 5 p. %. Les pauvres de Gemozac perdent en cela 70 livres par an de revenu ; mais la chose a été inévitable. Placer ce capital ailleurs, on auroit risqué de le perdre quelque jour.

1777 - En cette année, il est arrivé la même chose que ci-desus pour le contrat de 5000 livres placées en 1772 : Il a été reconstitué à 4 p. % comme celui de 7000 livres. Je juge donc à propos qu’il ne soit rien donné à l’avenir au Me. d’Ecole. Il est infiniment mieux que cette réduction d’intérêt ou de revenu tombe plutôt sur le dit Me. d’Ecole que sur les pauvres. [Signé] Pouzaux, prieur de Gemozac.
Comme fondateur, je ne suis pas obligé de consulter personne à ce sujet. [Pauvre petit flambeau du village ! De tout temps on a bien soin de charger sur toi le boisseau !]

1778 - Il y a environ quatre ans que les Provinces anglaises de l’Amérique septentrionale refuzèrent de payer au Gouvernement anglois des impôts sur le thé qu’on leur portoit de l’Angleterre leur mère patrie, disant que dès l’établissement des colonies on leur avait promis de les faire jouir à perpétuité du privilége de ne point être taxé sur ces sortes d’objets. Comme le Parlement d’Angleterre insistoit, les Provinces du Nouveau-Hampsire, de Massachusets bay, Rhode-Island, de Connecticut, de la nouvelle Yorck, des nouveaux Jerseys, de Pensylvanie, de la Delaware, de Maryland, Virginie et de la Caroline septentrionale [onze] se révoltèrent : on jeta dans la mer pour des sommes très considérables de thé qu’on leur apportoit. Ces colonies rompirent tout commerce avec les Anglois leurs compatriotes.
Les Anglo - Amériquains se mutinèrent au point d’abattre dans la ville de Boston les statues du roi Georges III, et de ne plus le reconnaître pour leur souverain. La Grande Bretagne envoya dès lors des Commissaires pacificateurs, avec une armée de dix mille hommes. Cet envoi ne produisit aucun accommodement. L’année d’après on renforça cette armée de cinq ou six mille soldats mais les colonies mirent sur pié vingt mille combattants, qui n’attaquoient pas, mais qui se tenoient sur la défensive. Enfin le Gouvernement Anglois voulant absolument réduire par la force les susdites colonies à l’obéissance envoya une flotte de trente gros vaisseaux, avec 28000 hommes de débarquemt. Cet armement terrible, le plus grand que l’Amérique eut jamais vu, ne produisit aucun effet.
Les Anglo-Amériquains avoient deux armées beaucoup plus fortes, dont la principale étoit commandée par le général Wagisthon [pardon, M. Pouzaux ! c’est Washington, nom de jour en jour plus grand et plus saint !] homme de tête et d’une extrême prudence, qui par ses retranchements et ses sages manoeuvres rendit vaines toutes les tentatives des Anglois d’Europe. Les colonies équipèrent aussi un nombre infini de vaisseaux et les corsaires américains venoient même insulter les côtes de l’Irlande et de l’Ecosse. Enfin, en l’année 1777, le Congrès, où les Etats-Unis de l’Anérique septentrionale prononcèrent que ces Etats étoient indépendants et déclarèrent leurs colonies libres du joug de la Gr. Bretagne. [La célèbre déclaration des droits de l’homme et de ceux des peuples, rédigée par Franklin, Thomas Jefferson et John Adams, est du 4 octobre 1776. C’est aussi dès 1776 que Louis XVI reconnut cette indépendance.]
Le roi de France, qui avoit jusqu’ici favorisé ces colonies en permettant à ses sujets de passer au service des Etats-Unis, permettant aussi qu’on leur portât des armes, de la poudre et des vivres, se déclara en la présente année 1778 tout à fait pour eux en reconnoissant publiquement et solennellement leur indépendance. [C’est seulement la date du traité d’alliance offensive et défensive obtenu à Versailles par Benjamin Franklin et par conséquent la déclaration de guerre à l’Angleterre par la France]. Les Anglois enragés et épuisés par une guerre si coûteuse mirent néanmoins en mer une flotte de vingt-six vaisseaux, pour se venger de la France, mais Mr. de Sartine ministre de la marine qui avoit prévu de loin le coup, fit sortir du port de Brest une semblable flotte. Les deux armées navales se rencontrèrent à la hauteur de l’île d’Ouessant, le 27e juillet et se canonnèrent pendant trois heures jusques à la nuit, sans qu’il y eut aucun vaiseau de pris ni de coulé à fond de part ni d’autre, et les Anglois se retirèrent à Plymouth, à la faveur des ténèbres. C’est ainsi que la guerre s’est rallumée entre les deux nations sans aucune déclaration.
En cette même année 1778, l’on ressentit en France des chaleurs excessives, telles qu’on n’en avoit éprouvé de temps immémorial. Pendant trois mois consécutifs, sçavoir juin, juillet et aoust, le termomètre de Mr. de Réaumur montoit souvent au degré de la chaleur du Sénégal et de l’Etiopie, païs situés dans la zône torride ; et depuis le 7 may, jusques au 1er. octobre, il ne tomba point de pluie.
Le ciel s’obscurcissait bien quelquefois, il sembloit qu’on alloit être inondé ; mais un moment après, les nuages disparaissoient, le ciel devenoit serein ; on n’éprouva aucun orage. Un soleil ardent brûloit tout ce qu’il y avoit dans les champs. Les fontaines et les ruisseaux tarirent. On fit des prières publiques sur tous les diocèzes du royaume.
Le peu de raisins qu’il y eût en Saintonge étoient aussi parfaitement mûrs qu’ils le sont ordinairement en Espagne ou en Italie. Aussi fit-on en cette année à Gemozac du vin excellent, mais en petite quantité.

Ici finissent (en 1783 ou 4), à notre grand regret, les Mémoires de Mr. Pouzaux, occupant d’une belle écriture ronde 245 pages in-folio, que nous avons réduites à 84 pages un peu plus serrées. Nous ne trouverons certainement pas de matériaux semblables pour la fin de cette histoire.


[1Le moulin à eau de Chaucrou n’existe plus depuis longtemps.

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