Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

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1762 - Turgot : Avis sur l’état de la généralité de Limoges, relativement à l’imposition de la taille pour l’année 1762.

jeudi 11 décembre 2008, par Pierre, 765 visites.

Un intendant éclairé écrit au roi Louis XV. En 1789, les réclamations de Turgot ressurgiront dans les cahiers de doléances de la province d’Angoumois. Aurait-il prêché dans le désert ? Il y a des mots qui rendent sourds les rois, et celui d’impôt en particulier.

Source : Œuvres de Turgot - par Eugène Daire - Paris - 1844 - Books Google

Voir : 1761 - 1774 - Turgot, intendant de la Généralité de Limoges : ses écrits sur l’Angoumois

AVIS ANNUELS SUR L’IMPOSITION DE LA TAILLE.

Avis sur l’état de la généralité de Limoges, relativement à l’imposition de la taille pour l’année 1762.

La circonscription de la généralité de Limoges, composée des quatre élections de Limoges, Brives, Angoulême, Bourganeuf et Tulle, embrassait, sauf une légère différence en plus ou en moins, tout le territoire des trois départements actuels de la Charente, de la Corrèze et de la Haute-Vienne.

Necker, dans son livre De l’Administration des finances, lui donne une étendue de 854 lieues carrées, et une population de 646,500 âmes : soit, par lieue carrée, 757 habitants. Cette population n’est portée qu’au chiffre de 585,000 âmes dans le dénombrement de M. de La Bourdonnaye, fait en 1698, et cité dans la Dime royale. Aujourd’hui, la population totale des trois départements, auxquels correspond à peu près la généralité de Limoges, s’élève à plus de 960,000 habitants. La population de la ville de Limoges, évaluée par Necker à 22,000 âmes, monte, d’après le recensement de 1836, à 29,706 ; et celle d’Angoulême à 16,910 personnes, au lieu de 13,000.

La généralité de Limoges n’était pas assujettie à la gabelle, ni aux octrois municipaux et aux aides, à l’exception des droits de courtiers-jaugeurs et d’inspecteurs aux boissons. Elle était exempte en outre du droit de marque des fers dans la partie de son territoire soumise à la juridiction du Parlement de Bordeaux.

La somme totale de ses contributions s’élevait, d’après Necker, à 8,900,000 livres, soit 13 livres 15 sous par tête d’habitants. Les trois départements actuels de la Charente, Corrèze et Haute-Vienne versent aujourd’hui dans le Trésor plus de 21 millions d’impôt. D’où, approximativement, 1/2 pour exprimer le rapport du progrès de la population, et beaucoup plus de 2/1 pour exprimer celui du progrès des charges publiques.

Note rédigée vers 1844 (date de publication des Œuvres de Turgot)

Quoique le peu de temps qui s’est écoulé depuis que Sa Majesté a daigné me confier l’administration de la généralité de Limoges [1] ne m’ait pas permis d’acquérir des lumières aussi étendues et aussi détaillées que je l’aurais désiré sur la comparaison des forces et des charges de cette partie du royaume, les connaissances que j’ai réussi à me procurer ne suffisent que trop pour me donner la triste certitude de la misère qu’on y éprouve. Dans le compte que je dois en rendre au conseil, je me suis attaché à ne présenter aucun fait dont je ne croie pouvoir assurer la vérité : heureux si ce tableau peut être tracé avec des couleurs assez fidèles pour émouvoir le cœur de Sa Majesté, et si en portant dans ces provinces un titre pour faire respecter son autorité, je pouvais en même temps y répandre les preuves de sa bonté paternelle !

Il est certain que le Limousin et l’Angoumois, qui composent en quelque sorte toute la généralité de Limoges, ont perdu beaucoup de leurs richesses. Les habitants tiraient autrefois de leur sol et de leur industrie des profits considérables, qui leur faisaient supporter aisément les charges de l’État. Il est bien vraisemblable que les surcharges occasionnées par leur ancienne richesse ont contribué plus que toute autre chose à leur misère actuelle. Mais, quelle que soit la cause de la cessation de leurs profits, il est de la justice de Sa Majesté de leur accorder des modérations proportionnées à leurs pertes.

Les principales sources de l’ancienne aisance de ces habitants étaient la production et la consommation de leurs grains et de leurs vins, l’engrais des bestiaux, le commerce des chevaux, et l’exploitation de quelques manufactures de papeterie, clouterie, et autres.

Les grains qui se récoltent dans la généralité sont de deux genres différents ; ceux qui peuvent faire un objet de commerce, et ceux qui sont de pure consommation dans le pays. Les habitants en général sont très-pauvres. L’impossibilité où cette pauvreté les met de faire les avances qu’exige la culture des grains les plus précieux, fait qu’ils se trouvent réduits à donner leurs soins à la culture du blé noir, du blé d’Espagne, et de certaines raves qui leur coûtent peu à semer, exigent très-peu de frais d’exploitation, et suffisent à leur nourriture. Ils y joignent la châtaigne, qu’ils font sécher à l’ombre et qu’ils conservent ainsi pendant l’hiver, pour être mangée sans autre préparation que de la faire bouillir. Ces quatre sortes de denrées sont ici de première nécessité, puisqu’elles suppléent au pain de froment ou de seigle, dont la plus grande partie du peuple limousin n’a jamais mangé.

Le blé et le seigle se trouvent ainsi réservés pour la consommation des habitants un peu aisés, ou pour le commerce, sans lequel le cultivateur est absolument ruiné et ne peut plus payer ses charges.
Cependant, j’ai déjà observé, en envoyant l’état général des récoltes de ces provinces, que le blé noir et le blé d’Espagne ne promettaient pas une abondante récolte ; qu’ils avaient déjà manqué dans les années précédentes, ce qui me rendait encore plus attentif À l’événement de cette année. Je vois actuellement avec douleur que les récoltes de ces denrées seront mauvaises, ce qui a été occasionné et décidé par les dernières chaleurs, et que les châtaigniers, loin de promettre un dédommagement, annoncent, par la chute prématurée de leurs feuilles, que cette denrée sera en médiocre quantité et peu susceptible d’être gardée. Je ne puis dissimuler que celles des paroisses qui éprouveront ces malheurs seront en proie aux horreurs de la famine, sans qu’il me soit pour ainsi dire possible de leur accorder des secours. Ces denrées ne se sèment que pour la consommation et ne se commercent point ; et les blés mêmes, quand ils sont abondants, ne pourraient, sans ruiner le cultivateur, tomber à un prix auquel le pauvre habitant pût atteindre. C’est ce qui m’a fait déjà observer que nous craignons à la fois les horreurs de la disette et les inconvénients de l’abondance.

Mais un objet plus affligeant encore mérite la plus grande considération ; les blés dont le commerce faisait la seule ressource du cultivateur^ ainsi que je viens de l’exposer, les blés sont depuis quelques années frappés d’un fléau particulier à cette province, qui détruit et dans le champ, et même après la récolte, le grain dont le laboureur faisait toute son espérance.

J’ai déjà annoncé au conseil les effets de ce fléau. Une espèce particulière de papillons dépose ses œufs dans l’épi avant qu’il soit parfaitement formé, et il en sort une petite chenille qui, enfermée dans le grain même, en dévore toute la farine et sort ensuite changée en papillon. Sur le rapport qui en a été précédemment fait par M. de Marche val, M. le contrôleur général a député deux commissaires de l’Académie des sciences, qui, après deux ans de travaux et d’observations assidues, n’ont pu encore découvrir un remède sûr et applicable sans inconvénients à tous les cas.

Dans la lettre dont j’ai accompagné l’état des récoltes, je n’avais évalué le dommage causé par cet insecte qu’à un tiers de diminution sur la récolte totale ; mais je suis instruit qu’il peut être beaucoup plus considérable, et qu’une grande partie du blé qui parait conservé, ne l’étant que parce que l’insecte y a péri, soit en chenille, soit en chrysalide, avant sa métamorphose en papillon, non-seulement ne peut plus faire un objet de commerce, mais même peut devenir nuisible dans l’usage par la mauvaise qualité qu’il communique au pain.

J’ai déjà eu l’honneur d’observer à M. le contrôleur général que ce fléau, purement local, n’en est que plus funeste au canton qu’il afflige, la diminution qu’il cause dans le produit des récoltes étant toute en pure perte pour le propriétaire, qui n’en est dédommagé par aucune augmentation dans le prix de la denrée, et qui souffre, pour le peu qu’il recueille, de la non-valeur résultant de l’abondance générale.

Les vignes ne rapportent pas beaucoup cette année ; mais le malheur de cette province est tel, que cette pénurie est même préférable à l’abondance. Il en coûtera moins de frais de récolte et de garde, car pour la vente elle ne se fait point. Le commerce est interrompu avec l’étranger par la guerre ; le débouché qu’offrait le port de Rochefort est totalement fermé depuis l’interruption des armements, et la consommation qui se fait sur les lieux est si médiocre que, malgré le prix vil où se trouve cette denrée, presque tous les colons ont encore les vins des deux dernières récoltes. Ces vins, dont le débit se faisait par l’exportation, rendaient autrefois un argent qui facilitait la perception des impôts. C’est encore un avantage dont se trouvent privées ces provinces, et qui leur est particulier.

Il en est de même de l’engrais des bestiaux. Il est étonnant combien depuis quelques années cet objet de l’industrie des habitants a diminué. On élevait autrefois dans ces cantons des bœufs qui se vendaient pour la consommation de Paris : c’était une des premières ressources des habitants pour le payement de leurs impôts, parce que cette vente répandait de l’argent dans le pays par l’acquisition des bestiaux et la consommation que le concours des marchands occasionnait. De là est née cette célébrité des foires du Limousin, cause de la surcharge dont se plaint aujourd’hui la province. Mais depuis quelque temps elles sont tombées dans le discrédit, soit parce que la consommation de Paris est diminuée, soit parce que les marchands pour l’approvisionnement de cette capitale ont donné la préférence aux foires de Normandie comme plus voisines. Dans les autres guerres, la fourniture des armées pouvait dédommager de la diminution qu’elles occasionnaient dans la consommation de Paris ; mais, dans la guerre actuelle, l’extrême éloignement des armées et la facilité que trouvent les fournisseurs à s’approvisionner en Allemagne et en Suisse, ont porté le dernier coup aux ressources que la province tirait de ce commerce, et ne lui laissent d’espérance que dans la bonté du roi.

Je ne puis m’empêcher d’arrêter un moment l’attention du conseil sur un autre objet de commerce propre à ces provinces, et qui est également diminué, c’est celui des chevaux. Les foires de Chalus et de Limoges ont été fameuses.

Les chevaux limousins sont reconnus pour excellents. Il s’en est fait autrefois un grand commerce, qui faisait entrer une quantité considérable d’argent dans la province, et facilitait le recouvrement des impositions. Ce commerce est aujourd’hui presque entièrement tombé. Peut-être avec quelques encouragements parviendra-t-on à le rétablir ; mais dans le moment présent on ne peut l’envisager comme une ressource pour le payement des impositions.

A ce récit vrai et malheureusement trop général, nous joignons un détail particulier de celles des paroisses .qui ont souffert encore des grêles, gelées ou inondations, dont une partie serait dans le cas de solliciter une décharge absolue plutôt qu’une diminution, ayant éprouvé ces malheurs pour la troisième et quatrième année consécutives.
Cependant, depuis le commencement de ce siècle, le brevet de la taille est augmenté de 700,000 livres. Il l’est même cette année sur la précédente.

En effet, le brevet porte, pour l’année 1762, la somme de [2] ... 2,210,220 £. L s.8 d.
Et celui de l’’année dernière n’était que de........... 2,198,461 £ 15 s
Ce qui fait une augmentation de brevet à brevet de... 11,758 £ 6 s 8 d.
La généralité a encore profité L’année dernière d’une diminution dans la formation des commissions des tailles ..... 15,960 £
Et, en y joignant celle accordée par Sa Majesté, par un arrêt particulier, de la somme de ..... 120,000 £
II se trouve que le montant du brevet, pour la taille de 1762, excéderait la taille effective de l’’année dernière, de..... 147,718 £. 6 s. 8 d.

Loin que cette augmentation soit praticable, j’ose assurer au conseil que, si nous ne sommes pas en état d’apporter encore une modération considérable sur les cotes de l’année dernière, il est inutile de se flatter d’un recouvrement. Le receveur des tailles de Limoges est actuellement en avance de plus de 360,000 livres. Les autres le sont à proportion ; il parait que la généralité est arriérée sur la taille de plus d’un million. Elle paye le troisième vingtième ; elle n’aura cette année ni blés, ni vins, ni bestiaux à vendre, pour retirer de l’argent. Les receveurs seront forcés d’user de contraintes, et les habitants, qui sont dans l’usage de travailler une partie de l’année hors de la province, prendront peut-être le parti d’abandonner totalement leur pays natal pour chercher ailleurs, et peut-être dans la mendicité, une subsistance qu’ils ne pourront plus trouver chez eux.

Je n’ai pas cru devoir parler du dépérissement des manufactures, ni d’autres causes de misère communes à toutes les provinces, telles que la désertion des campagnes, le découragement des cultivateurs, la rareté de l’argent, l’assoupissement de toute espèce de commerce, etc. Ces maux ne se font pas moins sentir dans la généralité de Limoges qu’ailleurs, au contraire ; mais tout le royaume les éprouve, et puisque l’État a besoin de secours, les moyens généraux ne doivent point entrer en considération, parce que la justice du conseil, dans la position actuelle, consiste moins à éviter une surcharge devenue nécessaire qu’à en faire une juste répartition, à raison des malheurs particuliers de telle ou telle contrée.

Mais je dois encore présenter une dernière considération, que la justice la plus stricte ne peut rejeter : c’est que, proportionnellement aux généralités voisines, celle de Limoges est surchargée de près de 600,000 livres, ce qui se démontrerait aisément par le calcul de ce que payent dans les unes et les autres deux domaines de même nature et de même valeur.

Ainsi, je le répète avec cette confiance que me donne la tendresse du roi pour ses sujets, la généralité de Limoges est frappée des mêmes maux que tout le royaume ; elle est particulièrement ravagée depuis peu par un fléau unique ; réduite aux portes de la famine par le manque des denrées qui en font la nourriture journalière, et auxquelles rien ne peut suppléer ; enfin sans ressource pour se procurer l’argent nécessaire au payement de ses impôts, par la cessation presque totale de son commerce des vins et de celui de ses bestiaux et de ses chevaux ; la généralité est de plus singulièrement surchargée en proportion des autres qui l’environnent.

D’après ces motifs, capables d’exciter la compassion et les bontés de Sa Majesté, j’ose la supplier d’accorder à la généralité de Limoges, sur la taille de 1762, une diminution de 400,000 livres, tant pour subvenir aux soulagements nécessaires à presque tous les habitants, que pour remplacer les décharges pour ainsi dire totales qu’il sera juste d’accorder à ceux qui, privés de leurs blés par le fléau qui les détruit, n’ayant récolté que très-peu des denrées qui font leur nourriture habituelle, sans aucune ressource, ni par la main-d’œuvre, ni par le commerce, n’auraient plus, sans ces secours, que la fuite ou le désespoir.

J’ose espérer cette grâce autant de la tendresse paternelle et des bontés de Sa Majesté que de la justice du conseil.


[1En août 1761.

[2On peut assimiler à la taille de la généralité de Limoges le montaut des quatre contributions directes des départements de la Charente, de la Corrèze et de la Haute-Vienne. La taille s’élevant, d’après Turgot, à 2,210,220 livres, et les contributions directes, d’après les documents officiels, à plus de 8,520,000 francs, 4/1 est à peu de choses près le rapport qui exprime l’accroissement de cette nature d’impôt, c’est-à-dire qu’il est presque quadruplé. — Voyez la note de la page 517. (E.D.)

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