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1351 - Bataille de Taillebourg et siège de Saint-Jean d’Angély - Chronique de Froissart

mardi 10 février 2009, par Pierre, 1782 visites.

Il ne s’agit ni de la plus célèbre des batailles de Taillebourg (1242) entre Louis IX et Henry III Plantagenêt, ni du plus célèbre siège de Saint-Jean d’Angély. C’est maintenant la Guerre de 100 ans.
A Taillebourg, les batailles franco-anglaises autour du pont sont une très vieille habitude.
Et le français de Froissart mérite la lecture.

Source : Chroniques de Froissart - BNF Gallica

Pourquoi Taillebourg ? Quels enjeux ?

L’examen d’une carte permet de comprendre pourquoi, depuis les romains, avec la chaussée de Saint-James, jusqu’à nos jours, avec l’autoroute A10, Taillebourg a été et demeure un point de passage obligé entre le nord de la France et Bordeaux, l’Espagne. Le franchissement de la Charente, et des marais qui l’entourent sur une partie de son cours, n’est pas chose facile. A Taillebourg, le lit du fleuve se resserre, et le point de passage, aménagé depuis les romains pour permettre l’accès au pont, même en cas de crue, est protégé par le château. De plus, il contrôle toute la navigation sur le fleuve Charente dans la partie du cours où le volume des marchandises est le plus important. Celui qui tient cet endroit dispose d’un atout stratégique majeur et d’une source de revenus (péages sur route et sur eau) considérables.

Voir la carte satellite et aujourd’hui le point de passage de l’autoroute A10 Paris-Bordeaux (à péage, aussi).

En l’an de grâce Nostre-Seigneur mil CCC.L, trespassa de ce siècle li roys Phelippes ; si fu tantost couronnés li dus de Normendie, ses fils, à grant solempnité en le chyté de Rains, et fist grâce à ses II cousins germains, monseigneur Jehan d’Artois et monseigneur Carle, que li roys, ses pères, avoit tenu en prison bien XVI ans et plus ; et les mist dallés lui et avança grandement.

Sur une maison de Taillebourg - Photo : P. Collenot - 08/2008
Comme dit la chanson : "Et m... au roi d’Angleterre, qui nous a déclaré la guerre."

Trois, réd. — En l’an de grasce Nostre-Signeur M.CCC et L, trespassa de ce siècle li rois Phelippes de France. Si fu ensepelis en l’abbeye de Saint-Denis, et puis tu Jehan ses ainnés fils, li dus de Normendie, rois, et sacrés et couronnés en l’église de Nostre-Dame de Raims à très-haute solennité. Apriès son couronnement il s’en retourna à Paris, et entendi à faire ses pourvéances et ses besongnes ; car les triewes estoient fallies entre lui et le roy d’Engleterre. Et envoïa grant gens d’armes à Saint-Omer, à Ghines, à Tiéruane, à Aire et tout sus les frontières de Calais, par quoi li pays fust bien gardés des Englès ; et vint en imagination au roy qu’il s’en iroit en Avignon veoir le pape et les cardinauls, et puis passeroit oultre vers Montpellier et viseteroit la Langue d’Och, ce bon cras pays ; et puis s’en iroit en Poito et en Saintonge, et metteroit le siège devant Saint-Jean-l’Angelier.

Si fist li dis rois ordonner ses pourvéances grandes et grosses partout là où il devoit aler et passer. Mais, avant toutes coses, ainçois que ils se partesist de Paris, et tantost apriès le trespas dou roy Phelippe son père, il fist mettre hors de prison ses II cousins germains, Jehan et Charle, jadis fils à monsigneur Robert d’Artois, qui avoient esté en prison plus de XV ans, et les tint dalés lui ; et pour ce que li rois ses pères leur avoit tolut et osté leurs hiretages, il leur en rendi assés pour déduire et tenir bon estat et grant. Cils rois Jehans ama moult grandement ses proçains de père et de mère, et prist en grant chierté ses II aultres cousins germains, monsigneur Pierre, le gentil duch de Bourbon, et monsigneur Jakème de Bourbon, son frère, et les tint toutdis les plus espéciauls de son conseil, et certainement, bien le valoient ; car il furent sage, vaillant et gentil chevalier et de grant providense.

Li roys Jehans s’en alla en se nouvelleté en Bourgoingne, visetant le pays, et passa oultre, et fu en Avignon dallés le pape Clément, qui le rechupt à grant solempnité, et furent moult amiablement enssamble ung grant temps. Depuis s’en parti li roys Jehans, et monta amont deviers Montpelier, et en alla tout visetant le Langhe d’Ock et le Limozin, tant qu’il vint devant Saint-Jehan-l’Angelier. Si le asséga fortement, et dist qu’il ne s’en partirait, si l’aroit.

Trois. réd. — Li rois Jehans se parti de Paris en grant arroy et poissant, et prist le chemin de Bourgongne, et fist tant par ses journées qu’il vint en Avignon. Si fu receus dou pape et dou collège des cardinaux joïeusement et grandement, et séjourna là une espasse de temps ; et puis s’en partit et prist le chemin de Montpellier. Si séjourna en la dite ville plus de XV jours, et là lui vinrent faire hommage et relever leurs terres, li conte, li viconte, li baron et li chevalier de le Langue-d’Ok, desquels il y a grant fuison. Si y renouvela li rois séneschaus, baillius et tous aultres officyers, desquels il en laissa aucuns et aucuns en osta ; et puis chevauça oultre, et fist tant par ses journées que il entra ou bon pays de Poito. Si s’en vint reposer et rafreschir à Poitiers, et là fist un grant mandement et amas de gens d’armes. Si gouvernoit l’offisce de le connestablie de France pour le temps d’adont li chevaliers du monde que li roys le plus amoit, car il avoient esté ensamble nouri d’enfance, messires Charles d’Espagne, et estoient mareschal de France, messire Edowars, sires de Biaugeu, et messires Ernouls d’Audrchen. Si vous di que li rois en se nouveleté s’en vint poissamment mettre le siège devant le bonne ville de Saint-Jean-l’Angelier ; et par espécial li baron et li chevalier de Poito, de Saintonge, d’Ango, du Mainne, de Tourainne y estoient tout. Si environnèrent ces gens d’armes le ville de Saint-Jehan, telement que nuls vivres ne leur pooient venir.

Quant chil de Saint-Jehan-l’Angelier se virent asségiet dou roy de Franche et que nuls comfors de nul costé ne leur aparoit, si en furent durement esbahy, et envoyèrent messaiges en Engleterre deviers le roy, en priant que il les volsist secourir et comforter, car il en avoient grant mestier. Tant esploitièrent li messaige qu’il vinrent en Engleterre deviers le roy, et li monstrèrent les lettres qu’il portoient de par ses gens de le ville de Saint-Jehan.

Quant li roys oy ces nouvelles, si dist que vollentiers les recomforteroit-il, car c’estoit raisons. Si commanda à messire Jehan de Biaucamp et à pluisseurs autres qu’il se volsissent traire de celle part. Dont se pourveirent messires Jehans de Biaucamp et si compaignon, et se partirent d’Engleterre et nagièrent tant par mer qu’il arrivèrent à Bourdiaux. Si se rafreskirent là, et pryèrent au seigneur de Labreth, au seigneur de l’Espare, au seigneur de Pumiers, au seigneur de Muchident et as autres Gascons, qu’il se volsissent appareillier de aller avoecq lui aidier à rafreschir le ville de Saint-Jehan, et que li roys d’Engleterre, leurs sires, leur mandoit. Chil seigneur furent tout appareilliet à l’ordonnance de monseigneur Jehan de Biaucamp, et se pourveirent tost et hastéemeut, et se départirent de Bourdiaux. Si estoient en nombre Vc armures de fier, XVc archiers et IIIm bidaus, et assamblèrent grant fuisson de bleds, de vins et de chars sallées tout en sommiers, pour rafreschir chiaux de Saint-Jehan, et chevaucièrent en cel arroy tant qu’il vinrent à une journée pries de Saint-Jehan.

Trois, réd. — Li bourgois de Saint-Jehan s’avisèrent qu’il manderoient secours à leur signeur le roy d’Engleterre, par quoi il volsist là envoyer gens qui les peuissent ravitaillier ; car il n’avoient mies vivres assés pour yaus tenir oultre un terme que il y ordonnèrent ; car il avoient partout alé et viseté cascun hostel selonch son aisément, et ensi le signifyèrent-il autentikement au roy d’Engleterre par certains messages, qui tant exploitièrent qu’il vinrent en Engleterre et trouvèrent le roy ens ou chastiel de Windesore, se li baillièrent les lettres de ses bonnes gens de le ville de Saint-Jehan-l’Angelier. Si les ouvri li dis rois et les fist lire par II fois pour mieus entendre la matère.

Quant li rois d’Engleterre entendi ces nouvelles, que li rois de France et li François avoient asségiet le ville de Saint-Jehan, et prioient qu’il fuissent reconforté et ravitailliet, si respondi li rois si hault que tout l’oïrent : « C’est bien une requeste raisonnable et à la quele je doy bien entendre. » Et respondi as messages : « J’en ordonnerai temprement. » Depuis ne demora gaires de temps que li rois ordonna d’aler celle part monsigneur Jehan de Biaucamp, monsigneur Loeis et monsigneur Rogier de Biaucamp, le visconte de Biaucamp, monsigneur Jame d’Audelée, monsigneur Jehan Chandos, monsigneur Biétremieu de Brues, monsigneur Jehan de Lille, monsigneur Guillaume Fil-Warine, monsigneur de Fil-Watier, monsigneur Raoul de Hastinges, monsigneur Raoul de Ferrières, monsigneur Franke de Halle et bien XL chevaliers ; et leur dist que il les convenoit aler à Bourdiaus, et leur donna certainnes ensengnes pour parler au signeur de Labreth, au signeur de Mouchident, au signeur de l’Espare et as signeurs de Pommiers, ses bons amis, en yaus priant de par lui que il se volsissent priés prendre de conforter la ville de Saint-Jehan par quoi elle fust rafreschie.

Cil baron et chevalier dessus nommet furent tout resjoy quant li rois les voloit employer. Si s’ordonnèrent dou plus tost qu’il peurent et vinrent à Hantonne, et là trouvèrent vaissiaus et pourvéances toutes apparillies : si entrèrent ens, et pooient estre environ IIIc hommes d’armes et VIc arciers. Si singlèrent tant par mer, que il ancrèrent ou havène de Bourdiaus : si issirent de leurs vaissiaus sus le kay, et furent grandement bien receu et recueilliet des bourgois de le cité et des chevaliers gascons qui là estoient et qui attendoient ce secours venu d’Engleterre. Li sires de Labreth et li sires de Mouchident n’i estoient point pour le jour, mes, sitost qu’il sceurent le flote des Englès venue, il se traisent celle part. Si se conjoïrent grandement, quant il se trouvèrent tout ensamble, et lisent leurs ordenances au plus tost qu’il peurent, et passèrent la Garone et s’en vinrent à Blaves. Si flsent cargier LX sommiers de vitaille pour rafreschir chiaus de Saint-Jehan, et puis se misent au chemin celle part, et estoient Vc lances et XVc arciers et IIIm brigans à piet. Si esploitièrent tant par leurs journées que il vinrent à une journée priés de le rivière de Carente.

Nouvelles vinrent en l’ost des Franchois que li Englès venoient rafrescir le ville de Saint-Jehan. A ce dont estoit retrais li roys Jehans à Poitiers, et avoit laissé ses gens et ses marescaux là au siège. Si eurent consseil li Franchois que une partie de leurs gens iroient garder le pont de le rivière de Charente, et li autre demoroient au siège. Si se partirent messires Guis de Néelle, marescaux de France, li sires de Pons, li sires de Partenay, li sires de Tannai-Bouton, li sires d’Argenton, messires Guichars d’Angle et bien IIIIc chevaliers, et estoient bien mil hommes d’armes, de bonne estoffe. Si se avanchièrent et vinrent desoubs Taillebourcq, au pont de le Charente, tout premiers, ainschois que li Englès y peuissent venir. Si se logièrent bien et biel sus le rivière et furent seigneur dou pont. A l’endemain au matin, vinrent là li Englès et li Gascon qui furent tout esbahi quant il virent là ces seigneurs de France là logiés enssi, et perchurent bien qu’il estoient décheu et qu’il avoient failli à leur entente. Si se conseillièrent grant temps, car à envis retournoient et envis sus le pont se mettoient. Tout considéré, il se missent au retour et fissent touttes leurs pourvéanches et leurs sommiers retourner. Quant chil seigneur de France en virent le mannière et que li Englès s’en ralloient : « Or tos passons le pont ; car il nous fault avoir de leurs vitailles. » Dont passèrent-il oultre communaument à grant esploit, et toudis s’en alloient li Englès. Quant il furent tout oultre et li Englès en virent le mannière, si dissent entr’iaux : « Nous ne demandons autre cose ; or tos allons les combattre. » Lors se missent-il en bon arroy de bataille, et retournèrent tout à ung fès sus les Franchois. Là eut de première venue grant hurteis et fort lanceis, et maint homme renverssé par terre. Finablement, li Englès et li Gascon, par leur proèche, obtinrent le place, et furent là desconfi li Franchois tout mort et tout pris ; oncques homme d’onneur n’en escappa. Si retournèrent li dit Englès et Gascon deviers Bourdiaux atout ce gaaing, et en remenèrent arrière leurs pourvéanches.

Trois, réd. — Or vous dirai des François comment il s’estoient ordonné. Bien avoient-il entendu que li Englès estoient arrivet à Bourdiaus et faisoient là leur amas pour venir lever le siège et rafreschir la ville de Saint-Jehan. Si avoient ordonné li marescal, que messires Jehans de Saintré, messires Guichars d’Angle, messires Boucicaus, messires Guis de Néelle, li sires de Pons, li sires de Partenay, li sires de Puiane, li sires de Tannai-Bouton, li sires de Surgières, li sires de Crusances, li sires de Linières et grant fuison de barons et de chevaliers, jusques à Vc lances, toutes bonnes gens à l’eslite, s’en venissent garder le pont sus la rivière de le Charente par où li Englès dévoient passer. Si estoient là venu li dessus dit et logiet tout contreval le rivière, et avoient pris le pont. Li Englès et li Gascon qui chevauçoient celle part, ne savoient riens de cela ; car, se il le sceuissent, il euissent ouvré par aultre ordenance ; mes estoient tout conforté de passer le rivière au pont desous le chastiel de Taillebourch. Si s’en venoient une matinée par bonne ordenance, leur vitaille toute arroutée par devant yaus, et chevaucièrent tant que il vinrent assés priés dou pont, et envoyèrent leurs coureurs courir devers le pont. Si rapportèrent chil qui envoyet y furent, à leurs signeurs, que li François estoient tout rengiet et ordonnet au pont et le gardoient telement qu’on ne le pooit passer. Si furent li Englès et li Gascon tout esmervilliet de ces nouvelles, et s’arrestèrent tout quoi sus les camps, et se consillièrent un grant temps pour savoir comment il se maintenroient ; si regardèrent, tout considéret, que nullement il ne pooient passer, et que C hommes d’armes feroient plus maintenant pour garder le pont, que Vc ne feroient pour les assallir, sique, tout considéret et peset le bien contre le mal, il regardèrent que mieuls leur valoit retourner et ramener arrière leurs pourvéances que aler plus avant et mettre en nul dangier. Si se tinrent tout à ce conseil, et fisent retourner leurs pourvéances et leurs sommiers, et se misent au retour. Cil baron de France et de Poito qui estoient au pont et qui le gardoient, entendirent que li Englès se mettaient au retour, et leur fu dit qu’il s’enfuyoient. De ces nouvelles furent-il tout resjoy, et furent tantost consilliet que il les sievroient et combateroient, car il estoient gens fors assés pour combatre. Si furent tantost monté sus leurs coursiers et chevaus, car il les avoient dalés yaus, et se misent oultre le rivière ou, froais des Englès, et chevaucièrent tant qu’il furent assés près. Si commencèrent à escryer les Englès en disant : « Vous n’en irés mies ensi entre vous, signeur d’Engleterre ; il vous fault payer vostre escot. » Quant li Englès se veirent ensi si fort poursievi des François, si s’arrestèrent tout quoi, et leur tournèrent les fiers des glaves, et disent que à droit souhet il ne vosissent mies mieuls, quant il les tenoient oultre le rivière. Si fisent par leurs variés cacier toutdis avant leurs sommiers et leur vitaille, et puis s’en vinrent d’encontre et de grant volenté férir sus ces François. Là eut de commencement des uns as aultres moult bonne jouste et moult rade, et tamaint homme reversé à terre d’une part et d’aultre, et me samble, selonch ce que je fui enfourmés, que en joustant li François s’ouvrirent, et passèrent li Englès tout oultre. Au retour que il fisent, il sachièrent les espées toutes nues et s’en vinrent requerre leurs ennemis. Là eut bonne bataille et dure et bien combatue, et fait tamainte grant apertise d’armes, car il estoient droite fleur de chevalerie d’un costé et d’aultre. Si furent un grant temps tournoiant sus les camps et combatant moult ablement, ançois que on peuist savoir, ne cognoistre liquel en aroient le milleur, et liquel non ; et fu tel fois que li Englès branlèrent et furent priés desconfi, et puis se recouvrèrent et se misent au-dessus, et dérompirent, par bien combatre et hardiement, leurs ennemis, et les desconfirent. Là furent pris tout cil chevalier de Poito et de Saintonge dessus nommé, et messires Guis de Néelle et grant fuison de bons chevaliers et escuiers de Picardie qui furent tous prins ou tués ; ne oncques nuls homs d’onneur ne s’en parti, et eurent là li Englès et li Gascon de bons prisonniers qui leur vallirent Cm moutons, sans le grant conquest des chevaus et des armeures que il avoient eu sus le place.

Si leur sambla que pour ce voiage il en avoient assés fait. Si entendirent au sauver leurs prisonniers, et que la ville de Saint-Jehan ne pooit par yaus, tant c’a celle fois, estre ravitaillée et rafreschie. Si s’en retournèrent vers le cité de Bourdiaus, et fisent tant par leurs journées que il y parvinrent. Si y furent recueilliet à grant joie.

Ces nouvelles vinrent en l’ost que messires Guis de Néelles, marescaux de France, li sires de Pons, li sires de Partenay et tout li baron et li chevalier qui là estoient, avoient estet pris ; si le segnefièrent au roy de Franche qui se tenoit à Poitiers, qui en fu moult courouchiés , mes amender ne le peult, tant c’a ceste fois. Si renvoya nouvelles gens d’armes au siège, et ne veult mies que on s’en départesist enssi.

Quant chil de Saint-Jehan-l’Angelier entendirent ces nouvelles, que leur secours estoit perdu et que point n’en aroient, ne que ravitaillié ossi point ne seroient, si furent plus esbahi que oncques mes, car il estoient durement astrains ; si eurent consseil de trettier à ces seigneurs de Franche qui là estoient. Si tretyèrent sus cel estat que s’il n’estoient conforté, dedens ung mois, de gens fors assés que pour lever le siège, il se renderoient. Li sires de..... [1] envoya ce tretiet deviers le roy de France, qui se tenoit à Poitiers, à savoir se il le vorroit faire ou non. Il l’accorda et se parti de Poitiers et vint en l’ost dallés ses gens, et pour tant qu’il savoit que li deffaulte de vivres estoit si grans en le ville de Saint-Jehan, qu’il moroient de famine, il y envoya de tous vivres, bien et largement, tant qu’il en furent tout raempli : laquelle cose il tinrent à grant courtoisie. Li roys Jehans tint là sa journée bien et puissamment, ne oncques nus n’aparut pour lever le siège. Si convint que cil de Saint-Jehan se rendissent, car à che estoient-il obligié, et en avoient livré bons ostaiges. Si furent franchois comme en devant, et jurèrent féaulté et hommaige au devoir et à payer au roy de France. Si y mist li roys de recief officyers de par lui, et y fist ung sénescal dou pays d’un chevalier que on appelloit messire Jehan de Montendre ; et puis s’en parti li dis roys et donna touttes ses gens congiet, et retourna en France et vint séjourner à Paris.

Trois, réd. — Vous devés savoir que li rois Jehans de France, qui estoit en le cité de Poitiers au jour que ses gens se combatirent au dehors dou pont de Taillebourch sur le Charente, fu durement courouciés quant il sceut ces nouvelles : que une partie de ses gens avoient ensi esté rencontret et ruet jus au passage de le rivière de Charente, et pris la fleur de la chevalerie de son host, messires Jehans de Saintré, messires Guicars d’Angle, messires Bouchicaus et li aultre. Si en fu li rois durement courouciés, et se parti de Poitiers, et s’en vint devant Saint-Jehan-l’Angelier, et jura l’âme de son père que jamais ne s’en partiroit, s’aroit conquis la ville.

Quant ces nouvelles furent sceues en le ville de Saint-Jehan, que li Englès avoient esté jusques au pont de le Charente et estoient retourné, et en avoient ramené leurs pourvéances, et ne seroient point ravitailliet, si en furent tout esbahi, et se consillièrent entre yaus comment il se maintenroient. Si eurent conseil que il prenderoient, se avoir le pooient, une souffrance à durer XV jours ; et, se dedens ce jour il n’estoient conforté et li sièges levés, il se renderoient au roy de France, salve leurs corps et leurs biens. Cils consauls fu tenu et creus, et commencièrent à entamer trettiés devers le roy de France et son conseil, qui passèrent oultre ; et me samble que li rois Jehans de France leur donna XV jours de respit, et là en dedens, se il n’estoient secourut de gens si fors que pour lever le siège, il devoient rendre le ville et yaus mettre en l’obéissance dou roy de France ; mes il ne se dévoient nullement renforcier non plus qu’il estoient, et pooient leur estat partout segnefyer où il lor plaisoit.

Ensi demorèrent-il à pais, ne on ne leur fist point de guerre, et encores par grasce espéeiale, li rois, qui les voloit attraire à amour, lor envoia, celle souffrance durant, des vivres bien et largement pour leurs deniers raisonnablement, de quoi toutes manières de gens li sceurent grant gré et tinrent ce à grant courtoisie. Cil de Saint-Jehan segnefjèrent tout leur estat et leurs trettiés par certains messages as chevaliers englès et gascons qui se tenoient en le cité de Bourdiaus, et sus quel estat il estoient, et me samble que on laissa les XV jours espirer, et ne furent point secourut, ne conforté ; au XVIe jour li rois de France entra en le ville de Saint-Jehan à grant solennité, et le recueillièrent li bourgois de le ditte ville moult liements, et li fisent toute féaulté et hommage, et se misent en se obéissance. Che fu le VIIe jour d’aoust de l’an M.CCC.LI.

Apriès le recconquès de Saint-Jehan-l’Angelier, sicom chi-dessus est dit, et que li rois de France s’i fu reposés et rafreschis VII jours, et eut renouvelé et ordené nouviaus officyers, il s’en parti et retourna en France, et laissa en le ville de Saint-Jehan à chapitaine le signeur d’Argenton, de Poito, et donna à toutes manières de gens d’armes congiet, et revint en France. Ossi se départirent li Englès de Bourdiaus, et retournèrent en Engleterre ; si menèrent là leurs prisonniers, dont li rois d’Engleterre eut grant joie, et fu adont envoyés messires Jehans de Biaucamp à Calais pour estre là chapitains et gouvernères de toutes les frontières. Se s’i vint li dessus dis tenir, et y amena en se compagnie de bons chevaliers et escuyers et des arciers.

Quant li rois de France sceut ces nouvelles, il envoia à Saint-Omer ce vaillant chevalier, monsigneur Edowart, signeur de Biaugeu, pour estre là chapitains de toutes gens d’armes et des frontières contre les Englès. Si chevauçoient à la fois ces II capitaines et leurs gens l’un sus l’autre ; mes point ne se trouvoient, ne encontroient, dont assés leur desplaisoit, et se mettoient-il grant entente à yaus trouver ; mes ensi se portoit li aventure.


[1Le nom manque dans le manuscrit d’Amiens.

Messages

  • Bonjour à tous,
    Merci pour cette édition de la chronique de Froissart. Je me permets d’ajouter un ou deux détails sur l’épisode de l’été 1351. Une chronique normande, éditée par Auguste et Emile Molinier, situe la défaite cuisante de l’armée française, qui précéda le siège de la ville de St-Jean-d’Angély par le roi Jean, à une lieue de la ville de Saintes, à proximité d’une chapelle appelée Saint-Georges [« Chronique normande du XIVème siècle », Paris, 1882, texte pp. 97-98, analyse pp. 287-289]. Dans leurs notes, les éditeurs situent cet endroit à St-Georges de la Valade, aujourd’hui la Valade, commune de Saint-Porchaire [ibidem, p. 287]. D’autre part, les chroniques anglaises datent cet évènement des 1er ou 8 avril 1351. En tout cas, l’argent permettant de payer les rançons afflua immédiatement : le 16 avril, le roi offre 10000 écus au maréchal de Nesle pour payer sa rançon, le 20 août, Charles d’Espagne, comte d’Angoulême, connétable de France, lieutenant du roi entre Loire et Dordogne, donne 1000 livres à Bertrand de Born, seigneur d’Hautefort, pour l’aider à payer sa rançon [ibidem, p. 287] ; le 1er octobre, Guillaume de la Faige, chevalier, donne 800 écus à Fortin de Possignac, de la Réole, compagnon de noble baron Guillaume Sanz, seigneur de Pommier, pour la rançon de Robert de Beaujeu, chevalier, prisonnier « de la bataille de Sainct Georges du Boys en Sentonge » [A. Huillard-Bréholles, "Titres de la maison ducale de Bourbon", Paris, 1867, t. 1, charte n°2602, p. 450, d’après Archives Nationales P1389/2, n°257].
    Tous ces documents sont accessibles au format pdf sur internet !
    A bientôt
    Bertrand Beauvoit

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