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1568 - Barbezieux (Charente) : son histoire par Elie Vinet

lundi 11 juin 2012, par Pierre, 865 visites.

Élie Vinet (1509-1587), humaniste, philologue, archéologue, traducteur et historien de la Renaissance, est né au village des Vinets, dans la commune de Saint Médard, près de Barbezieux (Charente). Dans son livre "L’Antiquité de Saintes et de Barbezieux", il fournit une description historique de cette ville.

Source : L’Antiquité de Saintes et de Barbezieux – Elie Vinet - 1568

61. Mais en discourant de toute une grande province, je crois qu’il me sera bien loisible de m’amuser un petit en une petite partie, et dire aussi quelque chose des plus vieux temps du lieu d’icelle où j’ai pris ma naissance. Je ne dis pas d’un petit village de la paroisse de Saint-Médard (c’est Saint Médard à Soissons) sur la rivière du Né, en la chatellenie de Barbezieux, lequel devant l’an mil quatre cent soixante-dix que mon aïeul quittant son pays de Poitou, marchizant au Nantois [1], s’en vint demeurer là, s’appelait les Planches, lieu tout divers de l’acre [2], du tant ancien et renommé poète grégeois Hésiode.

62. Qui chante haut et clair que son dit village était près du mont de Hélicon , et que c’était un pauvre lieu, mauvais en hiver, fâcheux en été, et bon en nulle saison ; car près du petit lieu, où j’ai premièrement vu le soleil, n’y a point de montagnes où les muses se puissent loger ; ainsi est tout le pays fort plat comme presque toute la Saintonge, et si est ce lieu là autant fertile, autant bon et de sol et de ciel, que la Guyenne en ait point. Ce n’est, dis-je, de l’antiquité de ce villageot-là, qui n’est guère plus vieux que moi, dont je veux ici faire recherche, ni de celle du clocher de sa paroisse, mais de Barbezieux, chef de toute la châtellenie : où j’ai commencé d’apprendre les lettres et où je me suis transporté de mon village, allé et venu cent mille fois, pour savoir quelque petite chose. Le lieu ne vaut pas plus que Lyon ou Paris, et n’est possible d’en dire beaucoup de grandes choses, ni trop anciennes, mais aussi de tant plus court en sera notre discours, et donnera ainsi moins de peine à celui qui le daignera lire pour savoir quelque chose de Barbezieux, lieu prou [3] renommé en France à cause du passage, et de la grandeur des seigneurs qu’il a eus et qu’il a depuis quelque temps.

L’église Saint-Mathias de Barbezieux
Source : BNF Gallica

63. Barbezieux donc, qu’on appelait Berbezil anciennement, comme j’ai vu écrit en de fort vieux vitraux de la grande église de Barbezieux et en des lettres de Baillète et autres, écrites en la châtellenie de Barbezieux devant que mon aïeul y vint, dont j’ai vu Berbezilum en des instruments latins, aussi prou vieux ; mais que nous disons Barbizilum par a, en notre première école, et au latin de la chicanerie : chef d’une baronie et châtellenie la plus belle et riche de toute la Saintonge, de vingt et cinq paroisses appelées Le Château, Saint-Mathias, Saint-Seurin, Salles, Challignac, La Chapelle, Brie, Saint-Aulais, Berneuil, Chillac, Passirac, Guizengeard, Boresse, Martron, Oriolles, Condéon, Reignac, Montchaude, Saint-Hilaire, Sandeville, Ovignac (Vignac), Saint-Médard, Saint-Paul, Saint-Bonnet, Vignolles ; à neuf lieues de la ville de Saintes, comme on mesure les chemins au dit pays, à quinze de Bordeaux, à cinq d’Angoulême, et à autant de Cognac et de Pons ; du diocèse et ressort de Saintes ; assis en un pays de fort bonnes terres et fertiles, mais un peu loin de rivières, est petit lieu, rond, qui selon mon esme [4], ne peut avoir plus de vingt journaux de sol.

64. Il a par ci-devant été enclos de doues [5] fort larges et profondes, faites en un roc tendre qui se trouve là, à trois ou quatre pieds sous cette grosse et grasse terre noire, dont y a encore maintenant prou d’enseignes ; mais s’il l’a aussi été oncques de murailles que le temps et les guerres aient abattues, je ne puis rien assurer de cela. Je n’en reconnais aucunes certaines marques. Il est vrai qu’à quelques portes, et des deux côtés d’icelles, se voient encore quelques restes de vieilles murailles ; mais il peut être que là seulement y en avait ainsi jadis un peu pour y attacher les portes et fermer la ville, et non pas que tout le lieu en fut ceint.

Mais soit que Barbezieux ait autrefois été enfermé de murailles et fossés, ou de fossés seulement, je le vois de tout temps avoir été appelé ville, et avoir eu cinq portes : une devers Bordeaux, appelée porte Orgueilleuse ; une autre devers Angoulême, appelée porte Naudin-Faure ; une autre entre ces deux-ci sur le chemin de Périgord, appelée porte Saunière ; une devers Archiac et Saintes, appelée porte Rousset ; et la cinquième devers Cognac, appelée porte aux Traidoux ou Balovart. Mais depuis quelque temps en çà on n’a tenu compte d’entretenir ces belles doues, et ainsi se comblent petit à petit, de sorte qu’à présent on entre dedans Barbezieux par plusieurs autres endroits.

65. En la ville de Barbezieux y a deux églises pour deux paroisses que venons de nommer les premières entre les paroisses de toute la châtellenie : l’une fort grande pour un tel lieu, dédiée à la Vierge Marie, mais appelée Saint-Mathias, parce que là se disaient les Barbezilois avoir le chef de Saint Mathias, qui fut mis au nombre des douze apôtres de Jésus-Christ, comme il est écrit au commencement des faits des apôtres ; lequel chef ils contaient avoir été jadis dérobé à Rome par un pélerin, qui passant par Barbezieux fut miraculeusement contraint de s’en décharger ; l’avaient enchassé en argent et le gardaient soigneusement en une tour fort artificieusement faite pour cela ; dedans le chœur de ladite église le montraient par certaines années à tout le monde qui y courait en grande dévotion ; mais dernièrement en l’été de l’an 1562 que la religion, ou je ne sais quoi autre, mit une tant cruelle guerre civile en la France, cette église-là fut pillée, comme plusieurs autres partout, et tout ce de reliques qu’on révérait là dedans, brisé et mis en poudre. L’autre église parochiale de Barbezieux est enfermée dedans le château et maison du seigneur de la châtellenie, et pour ce l’appelait-on l’église du Château ; là où l’on dit être les os d’un saint qu’ils nomment communément Saint Imas , et les livres de l’église Eumachius, si bien me souvient. Lequel nom, combien qu’il signifie bon champion et vaillant combattant ; toutefois ils mettent ce saint au nombre, non des martyrs, mais des confesseurs. Duquel me contaient en ma première école mes petits compagnons de la paroisse, comment on l’avait trouvé près de Barbezieux, et amené en ladite église, et comment certain couple d’aigles lui venaient jadis arenteler [6] et balayer son église tous les ans, la vigile de sa fête, second jour de janvier. Mais je ne sais s’il est connu à Rome.

66. Le château de Barbezieux est assez beau et fort qui a été fait au lieu d’un plus petit, faible et tout cassé tant des guerres que de vieillesse, depuis les Anglais chassés de la Guyenne, c’est-à-dire quelque temps après l’an 1453. Il me souvient avoir ouï conter en mes premiers ans, à ceux qui l’avaient vu faire qu’une Marguerite de la Rochefoucauld, dame de Barbezieux, veuve de Jean son cousin, et mère de François de la Rochefoucauld , lequel François fut parrain du roi François Ier de ce nom ; le fit bâtir une année que le blé était fort cher, et que cette dame qui avait là force blé, comme le seigneur du lieu en amasse toujours grande quantité, nourrit à cette besogne une infinité de peuple qui accourait là, et ainsi en garda plusieurs de mourir de faim.

67. Ce château-ci avec son église et la susdite église de Saint-Mathias où y a moustier et prieuré conventuel, dépendant de Cluny, est tout ce qu’il y a de grand édifice dedans le clos de la ville de Barbezieux. Dehors la porte de Bordeaux y a des Cordeliers qui ont là un clos assez spacieux, de vignes, jardin, église assez grande, et prou d’autres maisons. Laquelle sorte de religion et moines, (ci-après 70) pour ce qu’ils sont venus au monde un peu tard, aussi bien que les autres mendiants, ils n’ont pas partout pu trouver lieu pour se loger dedans les villes ; dont leur a fallu se camper ainsi dehors d’icelles en plusieurs lieux.

Entre ce clos des Cordeliers et la ville, y a quelque vingtaine de maisons qui sont tous les faubourgs qu’il y a autour de la dite ville de Barbezieux.

68. Voilà Barbezieux presque tout tel qu’il est aujourd’hui ; lequel si devant nous il a été quelque chose plus grande ou moindre ou d’autre forme, je ne saurais rien dire de cela pour cette heure. Car je ne le puis savoir pour l’avoir vu ; et si ne nie souviens en avoir rien ouï dire ni lu en aucun lieu. Nos historiens et mêmement ceux qui ont écrit des guerres des Français contre les Anglais en la Guyenne, comme messire Jean Froissart entr’autres, encore qu’il parle de Bouteville et d’autres lieux qui sont autour de Barbezieux ; toutefois ils ne font aucune mention de Barbezieux, non plus que s’il n’eut point été en ce temps-là. Et en la terre de Barbezieux, s’il s’est de ces vieux temps-là écrit quelque chose comme je n’en fais doute, les guerres et autres ennemis des livres et lettres ont mangé tout cela. Ou il est en quelque part si bien caché que, quant à moi, je n’en ai encore pu rien voir que ce peu qui est peint et écrit je ne sais combien devant que je naquisse, en la muraille du chœur de l’église des Cordeliers, à main droite ainsi qu’on y entre, et assez près du grand autel.

69. En la peinture y a une image de Sainte Catherine et une de Saint François qui présentent à l’image de Jésus-Christ petit enfant, étant entre les bras de sa mère, trois images d’hommes peints comme l’on a coutume de peindre les chevaliers en tel cas, et d’une femme ; et en l’écriture qui est au-dessous de la dite peinture, ce qui s’en suit :
« Cy devant le grand autel gisent nobles et puissants seigneurs et dame, monseigneur Itier de Barbezieux, en son vivant seigneur du dit lieu, qui trépassa le second d’octobre, l’an mil deux cent cinquante-trois.
Item, messire Raymond de la Rochefoucauld, seigneur du dit Barbezieux, qui trépassa le vingt-deuxième jour de juillet, mil quatre cent quatorze.
Item, monsieur George de la Rochefoucauld, seigneur de Barbezieux, qui trépassa le dixième jour d’avril, l’an mil quatre cent cinquante-sept.
Item, dame Rousine de Montaut, dame dudit Barbezieux, qui trépassa le vingt-deuxième de novembre l’an mil quatre cent dix-sept.
 »

70. Saint François, l’auteur de l’ordre des Cordeliers autrement appelés Frères mineurs, mourut en son pays d’Italie le quatrième jour du mois d’octobre l’an mil deux cent vingt et sept, comme l’Augustin de Bergome et autres ont écrit.

Ainsi auraient été d’un temps ce premier Cordelier et le susdit Itier de Barbezieux, et ainsi pourrait être vrai ce qu’en mon jeune âge me contaient les plus âgés Cordeliers de Barbezieux que leur moustier était des plus anciens de Saintonge ; que ce fut cet Itier qui recueillit les premiers frères mineurs qui là vinrent d’Italie, ou leur maître encore vivant, ou bientôt après sa mort, il ne me souvient lequel des deux ils me disaient, et leur bailla place et argent pour là se loger et hors la ville pour la raison qu’avons dite dessus (ci-devant 67). Et me disaient davantage ces frères qu’ils avaient ouï dire que cet Itier avait eu père Audouin de Barbezieux, seigneur dudit lieu, et fils Vivien, mais qu’ils ne savaient rien de leur sépulture ; seulement disaient de cet Audouin, que lui et le seigneur de Cognac, et quelques autres seigneurs de leurs voisins, avaient eu guerre pour la terre d’Archiac, marchizant à la terre de Barbezieux, contre le comte d’Angoulême qui querellait cette terre contre un Aimar autrement à moi inconnu.

Or je ne puis dire après cet Itier et son fils, combien Barbezieux a eu de seigneurs de la lignée et surnom de Barbezieux ; mais les seigneurs se sont finalement surnommés de la Rochefoucauld, comme montrent les épitaphes de ce Raymond et George ; ce qui s’est fait, quand les mâles ont failli en la maison de Barbezieux ; et les filles ont seules été héritières de cette belle terre : que les seigneurs de la Rochefoucauld ont volontiers jointe avec la leur et ainsi fait une bien grande maison.

71. Laquelle maison de la Rochefoucauld avec Barbezieux, quand est venue à se diviser entre les enfants héritiers, celui qui a eu Barbezieux pour sa part a porté le surnom de la Rochefoucauld dont il était issu, et les enfants d’icelui, comme le susdit François de la Rochefoucauld, seigneur du lieu, dont il portait le surnom, et de Barbezieux, de Montendre, de Montguyon, de Blanzac, de Marthon près Montberon, de Verteuil, de Montignac-Charente, de Marsillac, de Coiron, de Mucidan, et d’autres belles places ; eut plusieurs enfants desquels celui qui eut la châtellenie de Barbezieux pour sa part s’est appelé Antoine de la Rochefoucauld qui mourut l’an mil cinq cent trente et sept, chevalier de l’ordre du roi, son lieutenant général en la ville et gouvernement de Paris, et île de France, grand sénéchal de Guyenne, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, capitaine de cinquante hommes d’armes, et lieutenant extraordinaire tant sur terre que sur mer dudit sieur roi François premier. Et Charles de la Rochefoucauld, celui qui est aujourd’hui vivant seigneur de ladite Châtellenie, et de Linières en Berry, Millan, Charenton, Preulli, le Blanc en Berry, et d’au’res lieux, chevalier de l’ordre, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi Charles neuvième, et son lieutenant au pays de Champagne et Brie, l’un des enfants dudit Antoine.

72. Quant à cette Rousine de Montaut, si elle fut dame de Barbezieux, comme porte la susdite épitaphe, ce ne peut être par autre raison que pour avoir été femme d’un seigneur de Barbezieux, lequel seigneur peut avoir été ce messire Raymond de la Rochefoucauld, le second en l’épitaphe, auquel elle ait survécu trois ans quatre mois, car il n’y a que cela de différence entre les dates des décès de ces Raymond et Rousine.

Et voilà tout ce que je savais de mon Barbezieux et que j’ajoutais au discours de l’antiquité de Saintes, en juin, l’an mil cinq cent soixante huit. Celui qui en saura plus, et mieux, ne le célera, s’il lui plait. Car il n’y a pays, ville, bourg, village, pour petit qu’il soit : château, maison, fontaine, rivière, étang, forêt, terre, montagne, ni aucune autre telle chose dont on ne dût avoir entière description et histoire qui se gardât aux coffres des maisons communes, et des Eglises, où l’on serre les plus chers joyaux et pancartes ; et se mît néanmoins en vente ou imprimée, ou autrement écrite pour ceux qui auraient envie d’en savoir, qui ne seraient pas petit nombre, pour le plaisir et profit que telles histoires donnent ; qui font pour le moins comme demeurer à jamais en un être, les choses que le temps a accoutumé de changer d’heure en heure et déguiser en tant de sortes. Nous venons de montrer combien aujourd’hui se travaillent les studieux à reconnaître le Milan, le Port, le Promontoire des autres Saintongeois ; si ces villes là eussent été parfaitement décrites et historiées par quelque ancien Strabon, Ptolémée ou autre, et qu’on eût aujourd’hui son livre, serait-on en cette peine ? Mais c’est assez. A Dieu, ami lecteur.


[1Marchisant veut dire limitrophe, voisin, confinant. « Le duché de Normandie et le comté de Chartres qui ensemblent marchissent. » (Chronique de Saint-Denis, tome 1, page 276). Nantois était un comté qui avait Nantes pour capitale

[2Acre, mot celtique qui signifie champ

[3Prou, vieux mot conservé dans la langue du pays, et qui signifie assez, beaucoup. On dit en ce sens : « Prou d’appelés, et peu d’élus. »
Sainte Palaye, glossaire français : « Prou vous fasse est un salut qu’on fait au sortir de table aux conviés, en souhaitant que ce qu’ils ont mangé leur profite, proficiat.
Item quand serez invité
De diner en lieu ou en place
Vous pour le benedicite
Dira à chacun : prou vous fasse. »

[4Esme est mis là pour âme, pensée, avis.

[5Doues signifie douves, fossés.

[6Ce mot veut sans doute dire « détruire les araignées, » (Aranea, tollere.)

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