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1803 - Description de la Touvre, rivière exceptionnelle

jeudi 13 décembre 2007, par Pierre, 4942 visites.

Deuxième résurgence vauclusienne de France après la fontaine de Vaucluse, la source de la Touvre a toujours exercé une fascination sur ses observateurs.

Ici, une description minutieuse faite en 1803.

Source : Encyclopédie méthodique - Géographie physique - par le citoyen Desmarest - Paris - An XII (1803) - Books Google

Poule d’eau sur la Touvre
Photo : Pierre Collenot - août 2007

De la Touvre

Après avoir exposé la théorie de tout ce qui contribue à l’origine de la Touvre il convient dans ce moment de suivre le cours de cette singulière rivière.

Les sources de la Touvre sont divisées en deux parties remarquables, le Dormant & le Bouillant. Le Dormant est le bassin le plus rapproche du pied du coteau ; il a environ vingt toises de longueur sur dix de largeur ; il est si profond que le repos de cet amas d’eau pénètre l’âme d’une certaine terreur. Le Bouillant en est séparé par une digue naturelle composée de rochers terminés en dos d’âne, couvert d’eau à un pied de profondeur : cette digue paroît retenir l’eau du Dormant de manière qu’elle peut le franchir pour se jeter dans le Bouillant. Ce second bassin a environ quinze toises en tous sens ; il est terminé à l’aval par une masse de rochers coupés aplomb & contournés en portion de cercle d’environ cinq toises de longueur. L’eau souterraine venant heurter ces rochers avec une vitesse considérable, forme des bouillonnemens singulièrement variés que l’on apperçoit à la surface de ce bassin ; ils augmentent en raison de l’abondance des eaux : d’où il suit que lors des crues des rivières qui alimentent la Touvre, le jet s’élève jusqu’à un pied de hauteur.

L’eau épanchée de ce large bassin coule sur une largeur à peu près uniforme jusqu’à la forge de Ruelle ; elle se subdivise ensuite jusqu’au village du Gond en différens bras ou canaux qui forment des îles plus ou moins grandes & se jette de là dans la Charente en faisant avec elle un angle de cinquante huit degrés. Le lit de la Touvre est fort plat ; il est en outre traversé par une quantité considérable de digues de moulins & de pêcheries qui retiennent les eaux de manière que la hauteur des bords est ordinairement d’un pied ou dix huit pouces tout au plus. Cette circonstance jointe à sa froideur & à la crudité des eaux est cause que les prairies qui bordent la vallée de cette rivière sont marécageuses : on ne les affranchit & on ne les soutient en cet état qu’à force de dépense. Les îles & les endroits trop bas pour en former des prairies sûres servent à y établir des oseraies dont le produit équivaut à peu près à celui d une pareille superficie de prés de bonne qualité.

La Touvre eu couverte en été d une quantité considérable de plantes dont les principales sont le cresson, la berle, les joncs & les glaïeuls ; elles commencent à croître au printems. Les premières gelées les dessèchent ; le courant pour lors les entraîne & ne forme plus qu’une belle nappe d’eau. On peut bâtir sur les bords de la Touvre avec la plus grande solidité : on rencontre d’abord dans la fouille un gravier calcaire mêlé de quelques cailloux roulés ; ensuite un gros sable tapé & enfin le rocher plat A six pieds réduits de profondeur au dessous du lit de cette rivière les eaux qu’elle roule ne sont pas aussi pures qu’on pourroit le désirer ; elles sont chargées de matières calcaires infiniment divisées qui forment en peu de tems des incrustations considérables sur les différens corps qu’on y dépose.

La fraîcheur que la Touvre communique aux eaux de la Charente est sensible à une grande distance au dessous de leur confluence : les unes sont fraîches dans le même canal pendant les mois de juillet août &c tandis que celles qui répondent au courant de la Charente sont presque tièdes.

Les poissons naturels de la Touvre sont la truite l’anguille, l’écrevisse & les loches. Quoique toutes ces espèces soient excellentes elles sont néanmoins plus grosses & passent pour être de meilleure qualité en remontant depuis la forge de Ruelle jusqu’au gouffre qu’en descendant au Pontouvre & à la Charente. L’on trouve quelquefois du brochet dans les sources de la Touvre ; l’on ne trouve au contraire des écrevisses que vis à vis le bourg de Magnac à cinq cents toises environ de distance des sources.

Les écrevisses de la Touvre sont si abondantes qu’outre celles qu’on débite aux environs d Angoulême, on en transporte encore à Bordeaux. Les truites de la Touvre sont de différentes espèces il y en a de rousses, de noires & de piquées de rouge ; ces dernières sont les meilleures. Ces truites sont plus estimées après le mois de novembre ; celles de la Charente au contraire sont recherchées en hiver. Ces variations proviennent incontestablement de la qualité & de la température des eaux de ces deux rivières car elles ont fraîches dans l’une pendant qu’elles sont presque tièdes dans l’autre.

L’anguille de la Touvre est très bonne en tout tems & d une qualité supérieure à celle de la Charente.

Les loches de la Touvre sont excellentes mais assez rares ; on ne peut en pêcher que pendant le mois de février, tems auquel elles se promènent pour frayer. Outre le plaisir de la pêche cette rivière procure encore celui de la chasse pendant plus de six mois de l’année : elle est pour lors couverte de jodelles, de râles & de poules d’eau & pendant l hiver de quantité d’oiseaux passagers tels que les canes & canards sauvages.

Les poules d’eau ne font point leurs nids sur la Touvre ; elles y descendent en hiver des étangs éloignés. On y trouve en tout tems des râles & des jodelles : ce dernier oiseau y fait deux à trois couvées composées de quinze à dix huit-œufs. La prodigieuse quantité d’élèves qu’elles font occasionne des chasses agréables qui en détruisent beaucoup pendant les mois de septembre & d’octobre.

Lorsque la Touvre vient à être dégagée par les premières gelées des herbes qui la couvrent, les jodelles qui ont échappé aux chasseurs désertent pour se retirer ailleurs : il n’en reste qu’un petit nombre.

On voit toute l’année des plongeons sur la Touvre : ils font sur les herbes naissantes quatre à cinq œufs qu’ils couvent souvent dans l’eau ; nombre dans les endroits qui sont le moins еxроsés au courant de l’eau ; elles servent à repeupler la rivière l’année suivante avec quelques autres qui descendent au printems des étangs voisins. Lorsque les nids sont construits dans les jeunes plantes que la belle saison reproduit, une petite crue d eau peut les entraîner & les submerger : alors il ya moins de jodelles l’automne suivant, mais lorsque ces nids réussissent, la rivière fourmille de ces oiseaux aquatiques qui plongent & qui nagent comme les mères, qui les conduisent lorsqu’ils sont nés.

On trouve dans la Touvre de petits insectes aquatiques qui s’attachent sur tous les corps qu’ils rencontrent : on les nomme des écrouelles. On prétend qu’on a été éloigné d’établir sur la Touvre des papeteries, parce que l’eau de cette rivière, chargée de ces insectes, auroit infecté les papiers qu’on auroit travaillés avec elle. Cet inconvénient a écarté les fabricans de papier d’Angoulême de leurs papeteries, qui sont établies sur des rivières fort éloignées de la ville ; ce qui souvent interrompt leur surveillance.

Il n’y a que la paroisse de Magnac dans laquelle on élève beaucoup d’oies sur la Touvre : on les lâche le matin ; elles se dispersent pêle-mêle sur le gouffre, mais elles reviennent vers le soir & se rendent à leurs retraites. On les dépouille trois fois l’année, & on ne leur laisse à chaque fois que les ailes, les nageoires & le duvet, qui forment la production suivante

Nous revenons à ce qui concerne la source de la Touvre & nous remarquons d’abord qu’elle est le résultat de la transposition de plusieurs rivières par des conduits souterrains Ces conduits doivent être fort nombreux, à en juger par le grand nombre d’entonnoirs où s’engouffrent successivement les eaux de la Tardouère & du Bandiat le long de leurs cours ; ils doivent aboutir à des réservoirs immenses, vu la grande quantité d’eau qu’ils versent dans la source de la Touvre & le peu d’augmentation qu’elle éprouve à la suite de pluies abondantes & soutenues pendant long-tems. Outre cela, il faut que ces eaux aient de grands espaces pour se reposer, attendu qu’elles ne sont pas sujètes à se troubler ou à sortir chargées de vases & de limon au débouché de la source même après les pluies.

Il paroit que l’arrondissement concave du bord escarpé de la Charente s’est prolongé fort avant dans les terres & s est étendu vers la partie de la contrée, au milieu de laquelle s’est creusé le vallon de la Touvre. On en voit les bords & les limites dans la suite des caps terrestres qui dominent la vallée depuis Angoulême jusqu’au-delà de Wle & même jusque Chez-Grelat.

Le vallon de la Touvre & son approfondissement ne doivent dater que d’un tems bien postérieur à l’approfondissement des vallées du Bandiat & de la Tardouère, car il est nécessaire que la nature ait suivi cet ordre dans ces opérations. La source de la Touvre étant le produit des entonnoirs qui, au fond ou à côté des vallées du Bandiat & de la Tardouère, absorbent la plus grande partie des eaux de ces deux rivières, & même la totalité dans l’état ordinaire des choses. Il a fallu que toutes ces circonstances aient concouru à rassembler la masse des eaux que fournit la Touvre, à mesure qu’elles se rendent dans les réservoirs souterrains dépendans de cette source : il est nécessaire d’ailleurs qu’elles se soient portées au dehors avec assez d abondance pour agir contre l’extrémité des canaux souterrains à l’endroit du débouché commun & qu’elles aient éboulé les voûtes de ces canaux & creusé ainsi, par une suite de ces éboulemens, la partie supérieure de la vallée de la Touvre. Il paroit donc que cette partie est due au travail des eaux, lesquelles le prolongent & le continuent peut-être encore de nos jours.

Je connois beaucoup de sources qui sont dans le même cas que la Touvre ; car comme ces sources & leurs débouchés sont assujettis à un certain niveau, à une certaine profondeur, les vallées au fond desquelles ces sources s épanchent n’ont pu être approfondies par les eaux courantes superficielles qui n’auroient pu produire dans les premiers tems une excavation suffisante pour servir au débouché total des eaux de la source : il a donc fallu que ces eaux des sources y travaillassent comme sources.

Il ya beaucoup de ces sources abondantes qui sont restées couvertes & dont les conduits souterrains n’ont pas été entamés de manière à former, par l’éboulement de leurs voûtes, des vallées assez étendues & qui leur soient particulières ; mais ayant continué ainsi à couler pendant un long trajet, elles n’ont paru au dehors que dans des vallées profondes, creusées par des eaux courantes bien différentes des leurs, c’est a dire par des rivières considérables, dans le lit desquelles ces sources débouchent. J’ai déjà cité ces circonstances, qui ont lieu dans la source alimentée par la perte des eaux du haut Vezère & qui ont leur débouché dans la vallée de la rivière de l’Ille en Périgord.

Si le vallon de la Touvre, ou du moins une très grande partie de ce vallon a succédé à quelques uns des conduits souterrains de cette source, dont les voûtes se sont éboulées ou s éboulent peut être encore chaque jour, on a eu tort d’annoncer comme un phénomène très singulier l’éboulement de quelque portion de terrain qui fit paroître une nouvelle source en 1751, lors du tremblement de terre de Lisbonne. Les efforts continuels que fait la masse d’eau immense qui sort par l’ouverture de la source & qui sort à gros bouillons, sont bien plus propres à ébouler les environs de cette source qu’un tremblement de terre, dont on n’a ressenti qu’un foible retentissement en France.

Messages

  • " La Touvre, qui se vient joindre à la Charente, près d’Engoulesme, n’est ny fontaine ny riviere ny abysme, ny vivier, mais elle est tout cela. Elle a deux lieuës de long, elle est aussy enflée a son origine, qu’à son emboucheure, elle ne se prevaut iamais des eaux de la pluye, estant esgale en toutes les saisons de l’année, comme les fontaines vives, que iamais ne changent leurs bassins, elle n’a point de fond en source, & ses flots font en quelques endroit[s] des moulinets semblables aux Syrtes de la mer d’Afrique, enfin elle est comme un reservoir, où il est defendu à tous les particuliers de pescher sans le congé du Prince, & on disoit autrefois d’elle, qu’elle estoit pavée de truites, lardée d’anguilles, bordée d’escrevisses, & couverte de cygnes." (Louis Coulon, Le fidèle conducteur pour les voyages de France..., 1654

    "On voit à deux lieuës d’Angoulesme une fontaine qui sort d’un abîme, qui n’augmente ni diminuë jamais. Une Reine de France étant en ce païs-là voulant penetrer d’où pouvoit venir cette source, elle y fit descendre un homme condamné à la mort, qui rapporta n’avoir vû que des rochers affreux & des poissons monstrueux qui l’auroient englouti si on ne l’avoit retiré promptement." (Claude Jordan, Voyages historiques de l’Europe..., 1693.

    "On dit qu’il y eut autrefois une Reine de France, qui fit mettre un homme condamné à la mort dans une cage avec des flambeaux (?!), pour voir d’où pouvoit venir cette fontaine, lequel rapporta apres en avoir esté tiré, qu’il n’avoit rien veu que des rochers affreux & des poissons monstrueux, & dit que si on ne l’avoit pas bien tost sorty du lieu où il estoit, il y seroit mort de froid & de peur. On croit que cette source n’est autre chose que le ruisseau qui se perd dans la forest de Braconne. Une de ses proprietez c’est qu’elle ne grossit ny ne diminuë iamais, & qu’elle porte les plus belles truites du monde, & en plus grande quantité : Pour moy ie puis dire que je n’en ay iamais mangé de si bonnes que chez Monsieur de Fissac, lequel en a toûjours une belle provison dans son reservoir." (Ferdinand-Savinien d’Alquié, Les délices de la France..., 1670)

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