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Histoire du château de Merpins (16) par Paul de Lacroix (1906)

mardi 9 octobre 2007, par Pierre, 4215 visites.

François Ier, grand marcheur dans sa jeunesse, disait volontiers à ses courtisans que la plus belle lieue de France était celle de Cognac à Merpins.

Paul de Lacroix guide nos pas sur les traces d’une histoire plusieurs fois millénaire.

Source : Les anciens châteaux des environs de Cognac - Paul de Lacroix, bibliothécaire de la ville de Cognac - 1906

Vieux pont à Merpins (Vieux-Bourg)
Photo : P. Collenot - 2004

Le Château de Merpins

La ville de Merpins, de fondation romaine, était située au confluent du Né et de la Charente : c’est le Condate de l’itinéraire d’Antonin et de la Table Théodosienne. On ne sait quel rôle joua cette cité sous les dominateurs du monde.

Placée sur un embranchement de la voie romaine de Périgueux à Saintes dont la construction est due à Agrippa, la localité de Merpins dut être une station importante aux temps des conquérants. Son admirable situation, dit M. Marvaud, sur une colline formant un promontoire très élevé, permettait de surveiller une grande étendue de pays, de correspondre avec les camps de Salles et un peu plus loin avec celui de Sainte-Sévère. Les conditions nécessaires pour s’y défendre contre toute surprise y étaient réunies. C’était une véritable forteresse, comme on en construisit surtout sous les empereurs, pourvue de tout ce qui exigeait la sûreté d’une grande agglomération d’hommes. Un fossé large et profond divers retranchements de fortes murailles, n’étaient pas les seuls moyens de détente employés par les maîtres de la Gaule. Ceux qui y tenaient garnison étaient encore protégés au niveau de l’oppidum par un camp dont les lignes, quoique en partie nivelées aujourd’hui, indiquent encore une enceinte longue de plus de 200 mètres.

« Au moyen âge, pour plus de sûreté, les populations se réfugiaient souvent près des châteaux forts. De même, durant la domination romaine, quand ils étaient menacée par des tribus voisines révoltées, les gallo-romains durent souvent se rapprocher des lieux où campaient les légions romaines ; aussi trouve t-on dans le voisinage de Merpins, des vestiges d’habitation remontant à une haute antiquité.

Comment le Condate des romains a-t-il pris ensuite le nom actuel de Merpins ? On peut dire que Marpen, nom celtique signifiant pointe de terre dominant un cours d’eau, donne la topographie exacte de cette localité. De Marpen on a fait Marpisium, dans le latin du moyen-âge, et puis Merpins.

Une tradition veut que Charlemagne ait fait construire un château-fort à Merpins. Cet empereur, pressentant, en effet, l’invasion des peuples du Nord, ordonna, en 810 aux comtes, d’élever des forteresses et des tours sur les points où ces pirates pouvaient pénétrer dans l’intérieur des terres, et notamment à l’embouchure des rivières. Les fondements d’une tour qu’on remarque sur un des côtés de la place appartiennent visiblement au moyen-âge.

Que ce soit Charlemagne ou les comtes d’Angoulême, il n’est pas moins vrai que le château de Merpins couvrait, par ses constructions, toute la pointe avancée de la colline, ayant au nord et à l’est de larges et profondes douves taillées dans le rocher.

Merpins, comme châtellenie du comté d’Angoulême, sous les Taillefer et les Lusignan, fut, jusqu’à la fin du moyen-âge, un des châteaux-forts remarquables de l’Angoumois. Après la bataille de Taillebourg, livrée le 21 juillet 1242, Saint-Louis en exigea la remise en ses mains pour une durée de quatre années en garantie de la paix signée le 3 août 1242 par Isabelle Taillefer, comtesse d’Angoulême, et Hugues X de Lusignan, son mari.

Quelques historiens disent que Guy de Lusignan, petit-fils des précédents, perdit le comté d’Angoulême, qui fut confisqué sur lui par Philippe-le-Bel, parce que ce comte avait livré Merpins aux Anglais.

Il est certain que les Anglais s’en emparèrent et le gardèrent longtemps. En 1335, le roi Edouard III d’Angleterre donna les châtellenies de Cognac et de Merpins à Jean de Grailly, captal de Buch, pour en jouir toute sa vie. Mais ce capitaine, étant continuellement à la guerre, laissa aux Anglais le soin de mettre garnison dans le château et de l’entretenir. Aussi ceux-ci dépensèrent-ils pour cet objet, durant une période de six ans, la somme de 1455 livres tour nois.

La bataille perdue le lundi 10 septembre 1356, par le roi Jean, près de Maupertuis en Poitou, bataille connue sous le nom de bataille de Poitiers, avait amené le 8 mai 1360, le traité de Brétigny, près de Chartres, entre Charles, fils du roi Jean, régent du royaume pendant la captivité de son père, et le roi d’Angleterre, Edouard III.

Par ce traité, le roi Jean avait renoncé à toute souveraineté sur la Guyenne, sur l’Angoumois, sur la Saintonge et sur le Périgord, remis aux Anglais en 1361.

Charles monta sur le trône de France en’1364, sous le nom de Charles V.

Dès 1369, une révolte éclata en Guyenne à cause des impôts excessifs qu’y percevaient les Anglais.

Des seigneurs appelèrent au Parlement de Paris contre le roi d’Angleterre. Charles V y fit citer Edouard III, comme vassal de la couronne de France ; le monarque anglais ne comparut point, et les terres qu’il possédait en France furent confisquées ; alors la guerre recommença avec acharnement.

En 1374, la ville et les forts de La Rochelle se rendirent aux Français.

« En l’année suivante (1375), dit Christine de Pisan la ville et le chastel de Cognac se rendirent au connétable. »

Ce connétable devait être Bertrand Duguesclin, né vers 1290, mort en 1380.

Mais les Anglais tenaient encore beaucoup de forteresses en Angoumois, telles que Bourg, Bouteville, Châteauneuf et Merpins ; on résolut de les en chasser.

Le 5 décembre 1376, Louis de Sancerre, maréchal de France, dans une lettre adressée au Sénéchal d’Angoulême (ville qui, depuis quatre ans, avait chassé la garnison anglaise), ordonna qu’il fut fait une levée d’argent pour compléter l’expulsion des ennemis.

Cette lettre, restée à la Chambre des Comptes du duché d’Angoulême, est actuellement aux Archives nationales, à Paris, (série P., 1403).

Elle commence ainsi :
« Loys de Sancerre, mareschal de France, au Séneschal d’Angoulesme ou à son lieu tenant, salut : Comme plus grans pertubacion et autres maux que les Angloys ennemis du Roy, nostre seigneur, qui tiennent plusieurs forts ès pays de Saintonge et Engoulmois, font et donnent de jour en jour aux dits païs, les prélats, nobles, et les gens des bonnes villes et aultres des dits païs, sont venus par devers nous et nous ont supplié que, à la malice et malvaise entreprise de ces ennemis, nous voulussions, etc., etc. »

Il ressort de cette lettre, qu’il est inutile de publier en entier, que le motif de la guerre pour la majorité des habitants était qu’ils désiraient vivre en tranquillité et en paix.

On conçoit la situation des habitants des campagnes, dont les récoltes étaient journellement enlevées ou détruites par les excursions des garnisons anglaises qui occupaient les châteaux-forts.

Ce furent les prélats et les nobles pour leurs hommes, et les gens des bonnes villes, pour eux et les autres du pays, qui octroyèrent une levée de deux francs d’or sur chaque feu des diverses parties de l’Angoumois, pour commencer la guerre.

Ces mots de deux francs d’or exigent une explication.

On nommait franc à cheval ou franc d’or une pièce de monnaie frappée sous Charles V, et valant vingt sous, qui représentent vingt et un francs aux taux actuel, mais équivaudraient d’ailleurs à une somme au moins sextuple, eu égard à l’augmentation du taux de l’argent, au moins 250 francs.

Une première levée, appelée louage, fut faite en 1376 par Guillaume Dexmier, receveur général des finances du comté d’Angoulême ; le second fouage eut lieu dans les années suivantes

L’état des recettes de Guillaume Dexmier, pour les deux fouages dont il s’agit, s’élèverait à 2.524 fr. d’or.

Suivant la supputation ci-dessus, le franc d’or vaudrait 21 francs au taux actuel, les 2,524 francs d’or feraient 53,024 francs, le sextuple donnerait 318,144 francs.

Comme on le voit, cet impôt était très élevé, il fut réparti sur plusieurs annéss.

Les populations de l’Angoumois le supportèrent vaillamment, tant il est vrai que le patriotisme est le meilleur acheminement vers la liberté.

Corlieu, dans son Recueil en forme d’Histoire de ce qui se trouve par écrit des anciens comtes d’Angoulême, dit qu’après le retour de cette ville aux Français, il y avait encore plusieurs châteaux-forts de la région qui étaient tenus par les Anglais. « Quoi voyant, le roy Charles bailla les comtés d’Engoumois et de Saintonge au duc de Berry, son frère, qui les tint quelques années, faisant continuelle guerre aux ennemis ; et entr’autres fut par luy recouverte la ville de Cognac, et y entra le duc le premier jour de juin 1375 ; et, l’an en suivant 1376, il obtint lettres pour imposer sur chascun feu du comté deux francs d’or, le fort portant le faible, afin de subvenir aux frais de cette guerre et print les châteaux de Chasteauneuf-sur Charente et Merpins, qui est un fort château près Cognac, qu’on dit avoir été basti par Charlemagne ; j’ai lu que le roy fut présent au siège de Chasteauneuf. »

La lettre du maréchal de Sancerre et les comptes de Guillaume Dexmier prouvent que Corlieu était instruit, au moins en ce qui concerne l’impôt des deux francs d’or et les sièges de Châteauneuf et de Merpins.

On remarque dans Corlieu, à l’occasion de l’impôt des deux francs d’or, cette expression « le fort portant le faible ». Ce sont les propres termes de la lettre du maréchal de Sancerre du 5 décembre 1376. Corlieu, évidemment, avait eu cette lettre sous les yeux.

Le siège de Merpins n’a dû être entrepris que vers la fin du siège de Châteauneuf, qui, comme le dit Corlieu, dura quatre ans.

Il semble, d’après le compte de Dexmier, que sa dépense fut prise sur la premier fouage pour ce qui a trait à Châteauneuf, ce qui fait supposer que cette ville n’a pu être conquise qu’après 1376 ; le premier fouage n’a été autorisé ou du moins réclamé par Louis de Sancerre que le 5 décembre de cette année.

Probablement, alors le siège était commencé ; peut-être l’a-t-on commencé peu de temps après l’attaque de Cognac, qui fut enlevé aux Anglais en 1375. Il a pu être terminé en 1376-1378, ou ce qui est plus probable en 1379.

L’ordre des sièges, suivant Corlieu, serait celui-ci : Cognac, Châteauneuf, Merpins.

Le maréchal de Sancerre se trouvait au siège de Châteauneuf, de Vibrac et de Merpins : !e compte de Guillaume Dexmier en fait foi.

Dans ce compte, on voit qu’il fut payé 23 francs d’or pour quatre pipes de vin envoyées devant Châteauneuf pour ravitailler les soldats français. Deux autres pipes, envoyées un peu plus tard, coûtèrent douze francs d’or.

Le Maréchal, après avoir pris la ville de Châteauneuf et le château de Vibrac, qui en est proche, a dû de sa personne se rendre devant Merpins.

Le siège de Merpins doit ainsi remonter à 1379. Le compte de Dexmier établit que les Français étaient devant Merpins le 29 du mois d’août et le 5 septembre, sans indiquer l’année.

Dexmier paya sur l’ordre du Maréchal : à Robinet le Baveux, sénéchal d’Angoulême, 10 francs d’or ; à Collinet le Baveux, lieutenant du Sénéchal, 3 francs 15 sous ; à un écuyer de Monsieur le Maréchal, appelé Tranchelion, 10 francs d’or ; à Guillaume Darrier, 3 francs 15 sous.

Pour six quintaux de chanvre, envoyés au siège de Merpins, il fut payé 20 francs d’or ; pour une poulie de cuivre, envoyée par Corvillaud à Monseigneur le Maréchal au siège de Merpins, pour l’engin de guerre, six francs.

Que pouvait être cet engin ? Pendant longtemps on a cru que c’était un canon.

Les registres de la Chambre des Comptes, prétend-on, font mention de la poudre à canon en 1338.

On attribue l’invention de la poudre à un allemand, Berthold Schewart, parce qu’en 1380, il en enseigna l’usage aux Vénitiens dans une guerre contre les Génois. Pierre Maxin, dans ses leçons diverses, raconte que les Maures, assièges en 1343, par le roi de Castille, Alphonse XI, tirèrent certaines matières de fer qui produisaient un bruit semblable au tonnerre. Roger Bacon, dans ses écrits, a le premier rappelé la composition de la poudre.

L’application de la poudre à la guerre est venue plus tard.

L’engin ou machine de guerre employé au siège de Merpins n’était certainement pas un canon : d’abord parce qu’à cette époque, en 1379, si on avait idée des canons, cette idée n’était point vulgarisée ; et, d’un autre côté, le mot engin, écrit dans le compte de G. Dexmier, fait supposer qu’il s’agissait ici d’une machine ordinaire de guerre, comme on en avait toujours eu précédemment.

Mais quelle était cette machine ?

On en connaissait trois en usage :
- La balute, servant à lancer des traits d’une grande longueur et très lourds, même des balles ou des boulets de plomb.
- La catapulte lançait à la fois des pierres et des traits. C’était une machine dont l’invention remontait à la plus haute antiquité ; les Grecs en firent usage à l’époque de Philippe, roi de Syracuse.
- Le bélier était une grosse poutre ferrée par le bout en forme de tête de bélier et destinée à battre les murailles ; on y employait des poulies pour faciliter le mouvement des cordages. Nous sommes portés à croire que l’engin du siège de Merpins était un bélier ; en premier lieu, on y employait une poulie ; en second lieu, on dit l’engin, il n’y avait donc qu’un engin au siège, et on ne pouvait se dispenser d’un bélier pour battre la muraille.

Combien de temps dura le siège de Merpins ?

Les documents que nous connaissons sont muets sur ce chapitre. Après que les Anglais eurent évacué la ville, ils se réfugièrent dans le château.

Il fallut employer les machines de guerre et battre ces vieux murs, dont le ciment a encore de nos jours la dureté de la pierre, tandis que l’ennemi lançait sur les assiégeants une multitude de traits et de projectiles.

Après bien des efforts le château fut pris ; et la garnison, faite prisonnière, dût, il est probable, être conduite à La Rochelle. La forteresse fut démantelée.

Pendant le siège, la ville de Merpins, voisine du château, construite sur un promontoire dont la vue s’étendait au loin, devint un amas de ruines.

Le roi Charles V nomma le maréchal de Sancerre gouverneur de Cognac et de Châteauneuf.

Quarante-deux ans plus tard, le 1er mars 1421, les officiers du duc d’Orléans, agissant pour le comte d’Angoulême, son frère, alors en Angleterre comme otage du traité de Bourges, firent publier à son de trompe à Cognac et dans les localités environnantes, que l’on allait procéder à l’adjudication de la vieille ville de Merpins, autrement appelée le Barry, « posée et assise devant le chastel, avec son fonds et sol, ainsi qu’elle est environnée de rocs et de masureaux, franz et ruinés, et de trois journels de terre... »

Le même jour, le sieur Jean Popin se rendit adjudicataire du Barry et de ses dépendances, et, plus tard, les mit en culture.

Merpins avait perdu sa qualité de ville ; avec son château démantelé, ce ne fut plus désormais qu’une annexe de Cognac et faisant partie du comté d’Angoulême.

Pendant les guerres du seizième siècle, Merpins fut considéré comme point stratégique important que protestants et catholiques occupèrent tour à tour.

Au commencement de 1577, dit La Popelinière, les protestants, voyant que la guerre allait éclater de nouveau, ne furent paresseux à surprendre places et hommes, pour les tenir. Ils s’emparèrent de Pons, Royan, Brouage, Merpins et Marans. Mais, au mois d’avril, Mayenne, chef’ des catholiques, reprend la campagne avec toutes ses forces réunies et de l’artillerie de fort calibre. Merpins lui ouvre ses portes sans résistance ; Bouteville en fait autant.

Lors du siège de Cognac par les Frondeurs, ayant à leur tête le prince de Condé, en novembre 1651, M. de Jarzé, un de leurs officiers, reçut un jour à dîner, dans son logis près de Merpins, MM. de Tarente et de La Rochefoucauld, qui venaient s’entretenir avec lui de la résistance opiniâtre de Cognac.

Le 10 janvier suivant, le comte d’Harcourt, qui avait forcé Condé à lever le siège de Cognac et venait s’emparer de La Rochelle, séjourna dans la ville qu’il avait délivrée le 15 novembre précédent. La étant, il envoya M. de Bougy, maréchal-de-camp, se saisir du passage de Merpins, pour de ce lieu tomber sur la cavalerie du prince de Condé, qui se croyait en sûreté à Rouffiac, et qu’il défit.

Après le dix-septième siècle, Merpins ne joua plus aucun rôle militaire.

C’est dans le territoire de Merpins qu’était située l’abbaye de La Frenade de l’ordre de Citeaux, fondée par Ithier, seigneur de Cognac, en 1148, et dont les bâtiments furent ruinés dans les guerres du seizième siècle.

La route départementale de Cognac à Pons, traverse le territoire de Merpins, la plupart du temps elle est établie sur un coteau élevé, dominant la vallée de la Charente, et offre au voyageur une quantité de paysages des plus variés. François Ier, grand marcheur dans sa jeunesse, disait volontiers à ses courtisans : Que la plus belle lieue de France était celle de Cognac à Merpins.

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