Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

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1542 - Entrée du Roi François 1er à la Rochelle, pour mater la révolte de la gabelle

samedi 26 juin 2010, par Pierre, 1978 visites.

Ce récit, par un habitant de la Rochelle, est riche de détails et de commentaires. On vit avec lui la tension qui règne dans la ville, grandissante avec la lente approche du Roi. Celui qui publiait ce récit en 1629 dans le "Discours au Roy sur la naissance, ancien estat, progres & accroissement de la Ville de La Rochelle" prenait la précaution d’expliquer "Ce discours a esté tiré des Archives de la ville, je le donne, sans changer aucune chose aux termes : s’il y a quelque mescompte, je n’y aporte rien du mien". Nous faisons aujourd’hui comme lui : ce texte a été respecté intégralement dans sa forme.

Un document très intéressant, avec des passages de grande qualité descriptive, comme cette traversée de la ville par le Roi François 1er à cheval, sa rencontre avec un groupe d’enfants, ou le banquet final, où le roi danse. Un document qui tendrait également à confirmer une hypothèse : le Protestantisme naissant a trouvé un terreau favorable dans les révoltes populaires du temps.

Source : Discours au Roy sur la naissance, ancien estat, progres & accroissement de la Ville de La Rochelle - Paris - 1629 - Google Books

Table du contenu en ce discours.


- [ Introduction ]

- Origine de la Rochelle, son accroissement & anciens Seigneurs qui l’ont possedee.

- Privileges accordez à la ville de la Rochelle par les Rois d Angleterre

- De l’establissement des Maires, Eschevins & Pairs de la Rochelle - Solennité aux funérailles des Maires - Sous quelles règles & loix a été conduite la Commune de la Rochelle en son commencement

- Temps a considerer en la concession des Privileges faite à la Rochelle.

- Privileges accordez aux Rochelois par Louys VIII. Roy de France, lors de la réduction de ladite ville en son obeyssance l’an 1224. & confirmation de ses successeurs jusques a l’an 1372


- Du Traité de Bretigny fait l’an 1360. portant delaissement de la Rochelle aux Anglois, exécuté en 1361

- La Guyenne confisquée sur l’Anglois l’an 1370. La Rochelle reconquise par force sur les Anglois l’an 1372. Privileges accordez à la Rochelle par le Roy Charles V. l’an 1372


- Traité de Surgeres avec les Nobles de Poitou & Xaintonge

- Renouvellement des Privileges par le Roy Louys XI. l’an 1461

- Réfutation du Manifeste de la Rochelle en ce qu’il porte, que le Roy Louys XI. se mit à genoux devant le Maire

- Règne du Roy François, sous lequel les Privileges furent diversement blessez. Le Roy entre en armes dans la ville. Les despouille de tous privilèges, puis les restablit.

- Revocation des Privileges de la Rochelle à cause de l’assemblée tenue en l’an 1620. avec le restablissement d’iceux.

Entrée du Roy François en la ville de la Rochelle, non touchée par les Historiens ; portant privation & restablissement des Privileges.

Ce discours a esté tiré des Archives de la ville, je le donne, sans changer aucune chose aux termes : s’il y a quelque mescompte, je n’y aporte rien du mien,

Au commencement du mois d’Aoust 1542. la guerre fut déclarée ouverte envers le Roy nostre souverain Seigneur & Empereur, Roy des Espagnes. Lors le pays de ce Gouvernement estoit garny de gendarmes : & furent envoyees Lettres de par le Roy és Eschevins. Pendant ces parlemens, aprocherent trois ou quatre cens hommes de pied, qu’avoit ia assemblez Monsieur le Gouverneur, Maire & Capitaine de ladite ville de la Rochelle, Seigneur de Iarnac. Les susdits gens de guerre entrerent en ladite ville de la Rochelle enseigne deployee le 26. iour d’Aoust audit an 1542. & furent logez à S. Nicolas.

Item : & tantost apres commencerent quelques paroles & divisions entre lesdits avanturiers & les Bourgeois de ladite ville, pour raison de ce que lesdits avanturiers portoient de iour & de nuict par la ville, picques, harquebuses, avecques fers, & autres bastons invasibles, qui est contre les droits, statuts & privileges de ladite ville de la Rochelle. Quoy voyans les Bourgeois d’icelle, se seroient retirez par devers ledit sieur de Iarnac, Lieutenant General pour le Roy nostre Sire en ladite ville & Gouvernement, pour par luy leur estre fait inhibitions & defenses de non plus porter tels bastons : à laquelle Requeste n’auroit iceluy sieur de Iarnac voulu entendre. Au moyen de quoy, se seroient lesdits avanturiers eslevez contre ceux de 1a ville, voire plus fort que iamais : de sorte qu’ils n’auroient craint d’aller assaillir les Bourgeois iusques en la ruë de la Poissonnerie & carrefour des petits Bancs ; qui causoit aux habitans de ladite ville grande suspicion de trahison pour ce, en faveur de l’Empereur, contr’eux ; parce que lors le Roy estoit és limites & extremes parties de son Royaume, pour la tuition & augmentation d’iceluy, vers la ville de Parpignen.

Item : Et pour l’autre approbation de ladite trahison, survient, Que le trentième iour d’Aoust audit an 1542. environ huict à neuf heures du soir, apres que ceux de la ville eurent fermé les portes, & venoient pour rendre les clefs desdites portes à Monsieur le Maire, sieur de Iarnac ; estans les Portiers de la porte sainct Nicolas avec les clefs de ladite porte, rencontrèrent en une rue la plus grande part desdits avanturiers, tous en equipage de guerre, à enseigne déployée : lesquels tous furieusement s’adressèrent ausdits Portiers, en blasphémant le nom de Dieu, & disant, Qu’à present ils auroient les clefs de la ville, & qu’ils ne les porteroient chez ledit Maire.

Item : Quoy voyans lesdits Portiers Rochelois, craignans quelque surprise, & qu’ils ne sont tenus bailler les clefs qu’au Roy, ou à son hoir masle, & Maire de ladite ville, apres lesdites paroles dites d’une part & d’autre, commencerent a frapper de chacun coste. Et lors fut ouy un bruit par la ville, qu’on vouloit oster les clefs aux Portiers. Et mesmement la contre-clef, qui de tout temps & par droit, appartient aux Bourgeois. A quoy survindrent plusieurs des habitans de la ville, contre lesdits avanturiers, voire en armes,pour empescher que telle chose tant pernicieuse ne se fit. Semblablement les susdits avanturiers s’arresterent en troupe ensemble & mirent les mains aux armes, cuidans mettre fin à leur malheureuse entreprise : & lors se commenca une meslee telle, qu’on n’en scauroit avoir veu de plus subtile & cruelle ; en sorte que d’une part & d’autre y eut grand nombre de blessez. En fin, les aventuriers ne pouvoient plus soustenir le faix, ne resister. Ce voyans aucuns desdits avanturiers, se sauverent es maisons d’aucuns Bourgeois de ladite ville, & les autres furent mis prisonniers. Ne cessoit pourtant ladite Commune de chercher ceux-là qui s’estoient retirez es maisons bourgeoises, pour iceux rendre Iustice. Et en fut plusieurs trouvez & menez prisonniers ; entre lesquels estoit specialement le Porte-enseigne desdits avanturiers : lequel apres avoir esté trouvé en une maison de ladite ville, fut pris & conduit, au logis dudit sieur de Iarnac, Lieutenant susdit, requerant ladite Commune punition d’iceluy estre faite, pour raison de la trahison ia cogneue en luy, & en ses adherans : & furent sur ce faites bonnes & veritables informations contre lesdits avanturiers.

La nuict passa en cettuy trouble, iusques au lendemain matin, qu’encor nestoit la colere du peuple (pour la iuste douleur) esteinte. Et enuiron les huict heures, quelque petit nombre de populaire se mit en armes, demandant iustice au Gouverneur, parce qu’il avoit en sa maison ledit Porte-enseigne ; lequel fit response, Qu’ils avoient les prisonniers, & qu’ils en fissent la punition. Puis commanda au sous-Maire, qu’il fit mettre les prisonniers a l’Eschevinage, Ledit Gouverneur se persuada quelque doute desdits habitans, & eut.pour son asseurance & pour sa garde a l’entour de son logis cinquante Harquebusiers de ladite ville : Puis tost, fit ledit Gouverneur faire informations, lesquelles il envoya au Roy. Et les susdits habitans de ce advertis, deputerent aucuns sages personnages de leur Republique pour aller au pays de Languedoc vers le Roy : lesquels apres avoir esté ouys du Roy, & qu’il cogneut le bon vouloir desdits habitans, & leur bonne vigilance, d’eux & une bonne vingilance d’eux & de leurs ayeuls, declara qu’il estoit bien certain, que lesdits habitans luy garderoient bien seurement & loyaument sa ville : Que pour ladite garde, il s’attendoit du tout ausdits habitans, ne voulant pour lors y estre mis aucuns gens de guerre : & de ce envoya ledit sieur ses Lettres patentes, qui sur furent receues en ladite ville le unzieme iour d’Octobre mil cinq cens quarante deux. Et estoient lesdits Deputez, Yves du Lion, Escuyer, sieur de Ioussat : Arnauld Dommisson, Escuyer , sieur de Moussedune : & Claude Guy, Escuyer, sieur de ::::::: :.

Item : Audit temps vindrent des Commissaires en ladite ville de la Rochelle, pour lever pour le Roy nostre Sire des emprunts particuliers sur les habitans d’icelle, estans l’un desdits Commissaires Monsieur Dynton Lieutenant General pour le Roy nostre Sire en la Seneschaussee de Poictou.

Item : quelque temps apres le Roy estant en la ville d’Angoulesme, desirant bien entendre la cause & source de ladite emotion, manda une lettre ausdits Rochelois, sur le dos de laquelle estoit escrit, A nos tres-chers, & bien amez les Eschevins, Conseillers, Pairs, manans & habitans de nostre bonne ville de la Rochelle, Signees lesdites lettres, Francois, & Bayard. Leur mandant par icelles a ce qu’ils eussent a envoyer vers luy aucuns deputez des plus croyables pour sçavoir & entendre les differens qu’on disoit estre entre le Seigneur de Iarnac Gouverneur, & les habitans de la Rochelle ; lesquels obeissans au mandement du Roy, deputerent d’entreux huict notables personnages, qui furent nobles hommes, Estienne Noyau, Lieutenant Particulier pour le Roy en ladite ville : Sire Guillaume Guy, sieur de la Bataille, & le premier Eschevin du Notable ancien College, sire Iacques du Lyon, éleu pour le Roy audit Gouvernement de la Rochelle, & Eschevin d’icelle, Maistre Iean Rochelle Licentié és Droicts, sieur de Sainct Mathurin : Nostre Maistre Michel Texier, Arnault Damusson, sieur Dive, & Iacques Boulanger, sieur du Fourneau, tous de l’ancien College.

Suivant laquelle declaration, partirent iceux Seigneurs pour aller à Angoulesme vers le Roy. Tost apres nous receusmes lettres desdits deleguez par lesquelles nous escrivoient que nuls hommes estoient pour nous à ladite Cour. Et que de present le tout estoit converty en mal contre nous, & que le tout estoit d’avoir espoir en Dieu. Et ce trezieme de Decembre audit an, partie des susdits deleguez arriverent en la Rochelle, lesquels declarerent que l’intention du Roy estoit de destruire la Rochelle. Et le lendemain, qui fut le quatriesme iour dudit mois, Monsieur le Sous Maire fit sonner la cloche de la Maison de ville pour faire congregation, & pour la multitude du peuple il fut contraint retirer ledit peuple aux Augustins, où illec assemblez, fut fait remonstrance de la calamité de la pauvre ville, & que pour faire nostre paix il convenoit se retirer vers nostre Dieu, & en ieusnes & amendement de vie, luy presenter nos oraisons,afin que son bon plaisir fût, convertir la faveur du Prince vers ces pauvres Rochelois. Ce fait furent faites processions, ieusnes & oraisons à Dieu nostre Souverain Seigneur pour obtenir de luy secours en si grande necessité, vous advisant que depuis la Marie de Sire Robert de Mont-miral, qui fut l’an mil cent quatre vingts dix-neuf, iusques à present, la Rochelle ne fut en tel deconfort & servitude, que ce mois de Decembre mil cinq cens quarante deux.

Item. le dix-neufiesme iour dudit mois de Decembre mil cinq cens quarante deux, lesdits Rochelois en grande devotion firent leurs Pasques, & à mesme iour arriva un Huissier qui adiourna à comparoir pardevant le Roy en leurs personnes, Olivier Lequen. lors Sous-Maire, & Capitaine de ladite ville, Maistre Iean de Cherbu, Maistre lean Grenot, Maistre Estienne Noyau, Maistre Iean Rochelle, Claude Guy, Yvon du Lyon, & plusieurs autres, Francois Cochon, & Maistre lean l’Evesque & generalement tous lesdits habitans de ladite ville.

En ces travaux, ennuis & peine,
Nous Rochelois constituez,
Afin d’estre restituez,
Crians à Dieu, par champs & plaints,
Disans, ô bonté souveraine,
Regarde-nous icy languissans :
Et par ta bonté nous rameine,
Aux ans Saturnins florissans.

Item, le seiziesme iour de Decembre, mil cinq cens quarante deux, arriverent en cette pauvre ville deux Huissiers de Xaictonge, lesquels adiournerent tous les habitans de ladite Rochelle a estre & comparoir devant le Roy dedans six iours, dont nous fûmes ebahis : & peu auparavant ledit iour & an arriverent aussi en ladite Rochelle six Canonniers du Roy, ausquels fut delivré toute l’Artillerie de ladite ville avec toute la munition, & en mirent une partie au carrefour de Mont-conseil, & ne sçavions qu’on en vouloit faire. Dequoy nous fumes tout etonnez, que ne sçavions que penser, & sans la grâce de Dieu nous fussions tombez en desespoir. Lesdits Canonniers avoient pour Capitaine Monsieur de Bois-Breton.

Item, & tost apres, arriva en ladite ville Messire Charles Chabot, Seigneur de Iarnac, Gouverneur Maire & Capitaine de ladite ville, & Lieutenant pour le Roy en ladite ville, en l’absence du Roy de Navarre, accompagné de 60. hommes d’armes, tous à cheval, & armez de lance au poinct, & masse, avec enseigne, & guidon deployez & trompetes. Entrerent aussi quant & quant en ladite ville deux à trois cens hommes de pied, enseigne deployée ; tellement que par là, sembloit à voir ledit sieur de Iarnac Gouverneur estre victorieux sur les pauvres Rochelois. Et luy arrivé en ladite ville avec telle force, furent les pauvres Rochelois constituez en telle crainte, qu’ils ne sçavoient autre chere faire,sinon plorer & lamenter en invoquant à leur ayde le Seigneur Dieu, & n’est possible de narrer la douleur en quoy estoient pour lors lesdits Rochelois. Helas ! pauvre ville, recognois donc maintenant d’où te vient ce mal. C’est pour avoir délaissé ton Dieu, pour suivre tes plaisirs & delices, en quoy as versé trop long temps au detriment grand de la Republique. Retourne donc, maintenant à secours vers le Seigneur ton Dieu, qui te delivrera de toutes tribulations. Or peut-on dire maintenant de la pauvre Republique Rocheloise, qui n’a secours d’aucuns en la terre, qu’elle est faite comme escrit Ieremie : Quasi vidua plorans, ploravit in nocte, & lacrymae eius in maxillis eius : non est qui consoletur eam, in omnibus charis eius : omnes persecutores eius apprehenderunt eam inter angustias, ipsa enim Rupella oppressa est amaritudine.

Item, Le dixiesme iour dudit rnois de Decembre audit an, fut fait un Edict de par le Roy, & Monsieur le Gouverneur susdit, sieur de Iarnac : Que tous les manans & habitans de ladite ville de la Rochelle eussent à porter en la petite tour de la Chaine, tous & chacun leurs bastons & armes, voire iusques aux dagues & cousteaux. Pour par ledit sieur Gouverneur avoir de tout ce, voire tout seul la garde. Ce qui fut fait incontinent par lesdits Rochelois, comme vrays obeissans au Roy nostre Souverain Seigneur ; n’estimans toutesfois veu ledit Edict tomber en moindre inconvenient qu’avoient fait les habitans de Gand, quelque petit temps auparavant envers l’Empereur Charles V. leur souverain Seigneur, & fut porté par les susdits Rochelois tel nombre d’armes, & de toutes sortes qu’on remplit trois tours des plus grosses de ladite ville. La veille de Noel, Matines ne furent dites à la minuict, comme de tous temps on a accoutumé, mais au matin, & ce par expresses deffences dudit Gouverneur. Lesdits soixante hommes d’armes qui estoient de la compagnie de Monsieur le Marquis de Rotelin, coururent la lance à l’anneau à. la place du Chasteau, où illec leur fut fait une carriere couverte de sable : Ensemble leur fut faite une potence pour pendre l’anneau. Ce fait, ces susdits Rochelois se retirerent vers les susdits hommes d’armes & leur offrirent bailler chacun mois quarante pipes de vin & tant de bois & chandelles qu’ils pourroient user, & plusieurs autres gratieusetez. Lesdits habitans de la Rocbelle, n’ayans aucuns bastons, faisoient chacun en son ordre, & en personne le guet sur les murailles de ladite ville, & lesdits hommes d’armes faisoient la Regarde. Lesdits habitans aussi pareillement en leur ordre gardoient les portes, ioints avec ces susdits hommes de guerre.

Le Roy estant lors à Aulnay, estans a sa suite aucuns des plus notables personnages Rochelois, & ausquels fut fait commandement de par le Roy de ne s’absenter de la Cour, ny se retirer aucunement en la Rochelle, que premierement le Roy n’y fut arrivé. Et cependant furent envoyez Commissaires de par le Roy en laditte Rochelle, pour faire nouvelles informations, & proceder à la faction des procez de ceux qu’on pretendoit estre delinquans.

Lors estoient en la Rochelle deux bons Docteurs gens de bien, & craignans Dieu, bons Precheurs Evangeliques, & en toute verité enseignant la voye de salut : lesquels voyans les peuples Rechelois ainsi troublez, les vindrent consoler en cette maniere : O nos amis, Ne sçavez-vous pas que le cœur du Roy est en la main de Dieu, & s’enclinera là où il luy plaira ? Ne vous desolez point tant, mais regardez en vos consciences les pechez qu’avez commis envers Dieu, & de ce luy demander misericorde. Amendez vostre vie, & faites penitence de vos pechez, un chacun se retire de sa voye mauvaise & se retire à son Seigneur, & il luy fera misericorde, car il est abondant à pardonner. Donc faites paix avec nostre Dieu, & facilement il convertira le cœur du Prince, à nous donner la sienne. Et lesdits Rochelois ainsi bien admonestez prindrent courage, crièrent mercy à Dieu, firent ieusnes, aumosnes, oraisons & processions publiques, afin de prier Dieu d’avoir pitié d’eux & leur faire misericorde : de laquelle conversion sentirent l’ayde de Dieu leur venir selon leur foy, comme vous verrez cy-aprez.

Depuis ne fut faite chose aucune és affaires des Rochelois, mais bien on vacqua aux charges imposées aux habitans des Isles. Et estant le Roy à Chisé, donna un arrest, par lequel il declara tous les marais salans, à luy confisquez : Et pour leurs personnes ordonna qu’ils comparoistront : C’est à sçavoir tous les nobles & principaux de la Commune en leurs personnes, & le reste de la Commune par Procureur pardevant le Roy nostre sire, en la ville de la Rochelle, le dernier iour de Decembre 1542.

Le Roy partit de Chisé pour venir à Aguré, & d’Aguré vient coucher à la Iarrie en Aulnis.

Le lendemain après disner qui fut le Samedy, commença à approcher de la Rochelle, le train du Roy, & lors le Clergé estoit préparé pour aller au devant. Les Seigneurs & habitans & de ladite ville, voulans faire ce à quoy sont tenus, se retirèrent vers ledit sieur Gouverneur pour sçavoir de Iuy comme ils se mettroient en ordre pour aller au devant de leur Prince. Lequel leur fit response, Que le Roy avoit commandé qu’on n’allast au devant de luy, ne le Clergé, ny ceux de la ville, que l’artillerie ne sonnât, & que les cloches ne sonnassent, iaçoit que le boulevart de la porte de Congnes fust merveilleusement bien garny d’artillerie. Ledit sieur Gouverneur fit tenir à la porte de Congnes des deux costez du passage deux cens adventuriers en armes, que par cy-devant avoit faits venir en ladite ville.

Cependant vlndrent passer les pauvres prisonniers des Isles, liez & enferrez, montez sur chevaux & conduits par des Archers du Roy, au Chasteau de ladite ville, puis entra Monsieur le Reverendissime Cardinal de Tournon.

Et tost après entra en ladite ville par ladite porte de Congnes, le Roy nostre Prince & Seigneur, qui avoit à ses deux costez les Ducs de Vendosme & le Comte de Sainct Pol, puis entrèrent les Reverendissimes Cardinaux de Lorraine, & Ferrare, Monsieur de Montelon, Garde des Seaux, le Chancelier d’Alençon le General Bureau. Puis tost après entra Monsieur d’Orleans fils du Roy, accompagné de plusieurs Gentils-hommes, & tous ensemble conduirent le Roy en son logis qu’on nomme le logis de Vré, près l’Eglise de sainct Berthelemy, lequel estoit richement paré, & garny de riches tapisseries. Estimez en quelles fâcheries estoient les Rochelois d’avoir esté privez de faire l’honneur à leur Roy qu’ils avoient accoutumé de toute antiquité faire.

Le Dimanche suivant dernier iour du mois de Décembre, le Roy sortit de son logis accompagné des Princes & Cardinaux susdits, & vint ouyr la Messe en l’Eglise de sainct Berthelemy. Et environ les quatre heures du soir sortit de sondit logis à cheval, accompagné des susdits Princes & Cardinaux. Mais auparavant nous fumes faire la reverence à Monsieur d’Orléans, lequel nous receut ioyeusement, nous promettant faveur vers le Roy son père, & passa ledit Roy sous la tour du gros orloge pour voir le Havre. Estant arrivé à la tour de la Chaîne, mit pied à terre, puis monta sur une batterie ou plate forme, bien belle & ample, laquelle deffend & bat du costé de la mer, que lon nomme la plate-forme de la Chaine. De ce lieu marcha le long de la muraille, & passa par la tour du Garrot, & vint à la porte des deux Moulins, & d’icelle à la platte-forme de la verdure, là où il fut par l’espace de deux heures ou environ : voulant monter a cheval pour s’en retourner à son logis, rencontra une compagnie de petits enfans illec l’attendans, lesqucls commencetent a crier à haute voix. Vive le Roy : lequel Seigneur monstra en sa face que de ce il estoit ioyeux,& ce fait se retira en sondit logis.

Celuy soir vint une voix, que le Roy mandoit ausdits Rochelois, que le iour suivant il vouloit souper avec eux, dont ils furent grandement ébahis, ne pouvans interpreter ces paroles.

Ledit iourde Dimanche au matin, fut tenu conseil par Monsieur le Reverendissime Cardinal de Tournon, Monsieur de Montelon, & Monsieur le Chancelier d’Alençon, où furent appellez les Rochelois : Et plaida contr’eux le Procureur General du Roy dudit privé Conseil ; Auquel fut sagement répondu, par Sire Olivier Lequeux, Escuyer, Sieur de la Tourse, sous-Maire & Capitaine de ladite ville. Deux heures apres ledit Plaidoyé le Conseil envoya vers lesdits Rochelois Monsieur Raymond, son Advocat General : Et fut sonnée la cloche de la ville, & illec tous assemblez, ledit Sieur Raymond Advocat General, leur declara la volonté du Roy, leur conseillant que pour les reparations de la ville ils payassent quelque somme d’argent. Et tost se departit ledit sieur de la Maison de I’Escheuinage, lieu accoutumé pour tenir le Conseil des affaires de ladite ville, pour aller vers le Roy : Et cependant le sous-Maire & Eschevins tindrent Conseil ensemble de leurs affaires. Incontinent & peu de temps apres, retourna ledit Sieur Raymond Advocat susdit, en la maison de ladite ville, pour sçavoir ce que lesdits Maire & Eschevins avoient résolu : lesquels ils luy firent responce qu’ils avoient conclu par le Conseiller pour les reparations de ladite ville, la somme de quarante mille livres tournois. Ce qui fut accepté par ledit sieur Raymond ;

Item, le Lundy premier iour de Ianvier audit an, environ une heure apres midy sortit le Roy de sa chambre, & par une Gallerie entra en un théatre qu’il avoit commandé estre preparé pour prononcer arrest sur les cas imposez aux habitans des Isles, lequel theatre estoit fort richement paré : & lors s’y assit ledit Sieur , en une chaire fort riche. Et estoit a son costé dextre haut & puissant Prince Monsieur le Duc d’Orleans son fils, Monsieur de Vendosme, Monsieur de Sainct Paul, & autres Princes. Du costé senestre, estoient les Reverendissimes Cardinaux de Lorraine, Ferrare & Tournon. Aux pieds du Roy estoit en une chaire basse Monsieur de Montelon Garde des Seaux dudit Sieur : derriere la chaire du Roy estoit Monsieur le Chancelier d’Alencon, Monsieur Raymond, Advocat General du Roy, Monsieur le General Bourbier Bayard, autres du Conseil, lesquels estoient debout ; Lors par le commandement du Roy, approcha un Advocat, avec le Procureur des Isles, lequel pour les habitans des Isles fit en bon langage & elegant une supplication devant ledit Sieur. Apres laquelle supplication s’aprocha Maistre Estienne Noyau, Lieutenant particulier, & Assesseur en ladite ville & Gouvernement de la Rochelle, lequel commença a voix haute parler au Roy, disant ce qui s’ensuit. Sire, si oncques iournée fut lamentable, & piteuse, malheureuse & fatale, certes sur tous les autres c’est celle en laquelle vos tres-humbles & obéissans subjets de vostre pauvre ville de la Rochelie se seroient tant mepris & oubliez que d’estre tornbez en vostre indignation, & courroux, & avoir perdu vostre bonne grace, s’il ne vous plaist de vostre accoutumee clemence & bonté, icelle nous restituer, & pour laquelle nous vous supplions ainsi que le Prophete Royal David, le Souverain Dieu pour nostre offence : & vous demandons vostre grande misericorde, selon la multitude de Vos misérations, a nully iusques a present denié : O à la mienne volonté, Sire, que n’eussions tant commisenuer vostre sacrée & tres-Chrestienne Majesté, que d’estre presentement venus en ce spectacle : & non pourtant demeurons alienez de pareille dévotion, service & obeissance envers vous Sire, que nos predecesseurs & nous avons par cy-devant tousiours esté : Mais par trop plus grande faveur,vous supplions ne nous imputer, ce que casuellement, & non par mauvais vouloir aurions commis : & qu’il vous plaise nous restituer vostre bonne grace, pour la restitution de laquelle, nous, les nostres, & qui descendront d’eux, dirons immortelles loüanges.

Item, & ce dit, le Roy auroit pris le propos tant envers ceux des Isles, que de la Rochelle,& en larmoyant, dit aux Rochelois à haute voix : Qu’il ne luy souviendroit iamaits du fait, admonestant les soldats, qu’il ne leur en souvint aussi. Et qu’il vouloit que leurs clefs, Artilleries, armes & bastons, dont auparavant ils auoient esté privez leur fussent rendus : disant telles paroles, qu’il se confioit totalement en eux pour la tuition & garde de sa ville de la Rochelle. Et commanda au Gouverneur, illec present, disant, Iarnac, rendez-leur les clefs. & faites vuider tous les Gendarmes. estans en cette ville : Car en eux entièrement me fie. Et croyez que le propos du Roy fut tellement enrichy, qu’il n’est homme qui le sceût tant bien reciter comme bien fut proposé par ledit sieur.

De tel arrest furent les Rochelois, ensemble ceux des Isles fort ioyeux : & lors fut ouye une grande & douce armonie de Chansons en Musique, chantées par aucuns Chantres estans au Clocher de l’Eglise de S. Berthelemy. Puis commencèrent à sonner les cloches de ladite Eglise S. Berthelemy, qu’il faisoit bon ouyr, & à ce son branlèrent toutes les autres cloches de ladite ville, & firent un merveilleux bruit, que depuis le Samedy precedent n’avoient esté ouyes. Bref toutes ioyes commencèrent à régner en ladite ville, & furent lesdits Rochelois remercier Dieu en ladite Eglise S. Berthelemy. Et ledit iour sur les cinq heures du soir approchant le temps de souper, furent faits feux de joye, non seulement par les Carrefours, mais aussi, de deux en deux maisons : tellement qu’il n’estoit besoin de torches, ou autres lumières, pour se voir conduire par les rues : Car tant y avoit de feux allumez, qu’il sembloit estre un autre iour. Et à celle mesme heure, commencerent à iouer les grosses pieces d’artillerie, lors estant en la place du Chasteau : & fut fait un tel bruit qu’il sembloit estre un tonnerre, avec coruscations : Pendant lequel temps,trente des plus apparens de la ville, vestus fort richement, vindrent au logis du Roy, & le conduirent, portant chacun une torche en leur poing, à la salle S. Michel lieu preparé par lesdits Rochelois, pour le recevoir en leur festin. Le Roy accompagné des Princes susdits, voulut le tout estre conduit par lesdits Rochelois. Les assistans audit festin furent moult esbahis, voir en si peu de temps, si magnifique & si ample appareil ; & pouvoit-on facilement iuger que les Rochelois n’avoient oublié la forme de leurs banquets anciens en ladite salle : laquelle estoit tendue de riches tapisseries, & y estoient grands flambeaux. Il y avoit vingt & six des Seigneurs anciens du College de ladite Rochelle portant des servietes, vestus de cazaques de veloux violet & noir, lesquels faisoit bon voir. L’un d’iceux, qui est noble homme, Iean Clerhault, dernier Maire de ladite Rochelle, vers la fin du souper, par une esperdue & non accoutumee ioye ; & comme ravy, prit un bassin, & teste decouverte se vint presenter au Roy : l’Escuyer le voulant empecher, se voulut mettre au devant de luy : Ce que le Roy apperceut, qui commanda approcher lesdits Sieurs Rochelois,& mesme ne voulut ledit sieur de ce qui luy estoit presenté aucun essay estre fait par sondit Escnyer : disant,qu’il se fioit bien aux sieurs Rochelois :& lors prit ledit Sieur, des choses a luy ainsi presentees, & qui estoient dans le susdit bassin, qui estoient confitures, de toufes diverses & plus singulieres sortes, qu’on pourroit iamais voir : de toutes lesquelles. prit ledit Sieur Roy, & mangea auec grande ioye, qui fut chose admirable. Apres que ledit Seigneur en eut pris à son plaisir, ledit sieur Rochelois presenta ausi ledit bassin aux Princes & Dames, illec estans, voire avec le son des trompetes & haubois, ayans en Pannonçons les armoiries du Roy, de Monsieur le Dauphin d’Orléans, Vandosme, Sainct Paul,& celles de la Rochelle qu’il faisoit bon voir.

Le souppé finy qui fut de grande magnificence, furent les tables baissées, & lors commencèrent les haubois à sonner, & le Roy se mit à baller : & pareillement Monsieur d’Orleans, Vendosme, S. Pol, de Boisy, & autres des Seigneurs de la Rochelle, tenant chacun une Dame par la main : & vous promets que ce fut chose honorable & merveilleuse, que de voir un Roy souper avec ses sujets. Rochelois, bons François. Les dances finies,le Roy se retire en son logïs, accompagné, comme avoit esté devant le soupper en grande ioye.

Le iour suivant 19. iour de Ianvier, les principaux de la ville allerent au logis du Roy luy rendre graces : Et estans entrez audit logis, & montez les degrez, rencontrèrent le Roy : Et lors, Noble homme M. Estienne Noyau Licentié ez Droits, Lieutenant Particulier susdit, dit, pour les habitans de ladite ville ce qui s’ensuit, ou paroles semblables : Sire, la seconde. Resonnante, prompte,& asseurée prolation de Demade Orateur Grec, & tous propos de bien dire, ne seroit suffisante à vous rendre graces pour tel honneur & bien à nous le iour d’hier conféré. Lors le Roy dit, Ie suis fort mari de ce qui vous est advenu : toutesfois ie pense avoir gaigné vos cœurs,& vous asseure, foy de Gentilhomme,que vous avez le moyen : & si vous avez bien fait par cy-devant, faites encore mieux. Ie m’en vay d’un costé de mon Royaume, pour le defendre, defendez cetui-cy, come i’ay en vous ma parfaite fiance. Et si vous avez vouloir pour l’utilité de la ville, de me demander quelque chose ; demandez-le moy,& ie le vous octroyerai.

Les paroles dites par le Roy, lesdits Seigneurs Rochelois eurent grand faute qu’ils ne demandèrent, qui est sur toutes choses nécessaire à la ville,qui est la reduction & réintégration du tout excellent, & tant illustre College ancien, qui estoit de cent Senateurs. Eschevins & Pairs. Car c’estoit le Chef qui a gouverné en paix tout ce temps passé, tous les membres du corps : & ce Chef osté, comme pourroient estre entretenus en vie les membres qui ne dependent que de luy ? Et neantmoins estans abusez au lieu de sagement respondre & requérir ladite chose au Roy, comme la plus nécessaire qu’il eussent peu demander, pour toute response à tant fructueuse parole, s’arresterent à crier, Vive le Roy, sans autre parole, qui causa grand pleurs en la Rochelle : Car par là le Roy cogneut la timidité & perdition d’esprit des pauvres Rochelois.

Puis saillit le Roy de son logis, & vint ouyr la Messe à S. Barthelemy :& icelle ouye,fut disner en la maison de M. Mathurin Tarquais Advocat, sieur des Fontaines, laquelle maison est ioignant ladite Eglise. Puis monta à cheval accompagné de Messieurs les Ducs d’Orleans, Vandosme & S. Pol : les Reverendissimes Cardinaux de Lorraine, Ferrare, & plusieurs autres Seigneurs & Gentilshommes, & passa par la place du Château où estoient encore vingt grosses pièces d’artillerie qu’il regarde à grand ioye, disant : Tout cela est à eux ; & lors derechef lesdits Seigneurs de la Rochelle luy fîrent la reverence, ausquels le Roy porta bon visage. En ce temps on tenoit le Conseil Privé en la Chancellerie, laquelle y demeura après le Roy un iour entier.

Le 9. iour de Mars 1542. arriva un poste du Roy, lequel aporta lettres expresses de par le Roy nostre Sire, & de par le Roy de Navarre son Lieutenant en Guyenne,ville & gouvernement de la Rochelle - à tous du Royaume de France, d’arrester les corps & biens des Anglois : Et par mesmes letres estoit commandé de faire defences à tous Navires de non sortir en la mer.

Le 18. de Mars audit an furent receues letres patentes du Roy, pour cotiser les pauvres Rochelois en la somme de 18. mil neuf cens livres tournois.

Le Roy François estant decedé l’an 1547. les habitans de la Rochelle poursuivent le restablissement de leur Mairie annale, qui leur fut accordée l’an 1548. comme il a esté cy-dessus représenté.

Messages

  • Je crois qu’il faut cesser de juger tout évènement historique de La Rochelle sous le prisme du protestantisme naissant : tout d’abord, parce que l’Etat royal ne s’est pas clairement engagé contre le protestantisme (qui revêt l’habit d’une réforme à cette époque, et non d’une fracture de "protestation"), et enfin parce que les révoltes contre la gabelle n’ont pas forcément été suivies d’une adhésion à la réforme calviniste. Quand on parle de La Rochelle, on croit avoir tout dit en ayant mentionné protestantisme et traite... C’est un peu court, non ?

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