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1789 - Brie-sous-Matha (17) : cahier de doléances de la paroisse St Pierre

dimanche 6 août 2006, par Pierre, 1926 visites.

A Brie-sous-Matha, le cahier de doléances a un vrai goût de terroir. C’est la moindre des choses, dans un village où la viticulture est très présente.

Un cahier équilibré, qui va à l’essentiel sans périphrases, et sans doute plus riche que la moyenne des documents de ce type.

Le site internet de cette petite commune contient d’autres documents d’archives qui ne manquent pas d’intérêt.

Le texte du cahier est suivi d’un commentaire tiré du livre de Jacques Roux « La Révolution Française à St-Jean-d’Angély - 1789-1799 « 


Source : AD 17

 CAHIER CONTENANT LE VŒU DE LA COMMUNE DE LA PAROISSE DE SAINT PIERRE DE BRIE SOUS MATHA LE 14 MARS 1789

Cayer contenant les doléances, les plaintes et les très respectueuses remontrances de la commune de Brie légalement assemblée aujourd’huy quatorze mars 1789 en vertu des ordres a été notifié par Mr le lieutenant général de St Jean d’Angély en l’absence de Mr le Bailli, déclare

- 1.que son amour, son zèle et sa fidélité pour sa majesté sont sans bornes et que tous ses vœux et ses désirs se portent à la gloire de son règne et à la prospérité de son royaume
- 2.que son attachement aux loix constitutions de la monarchie est inviolable
- 3.que ces mêmes loix assurent au Roi la couronne et garantissent à ses sujets la propriétté de leurs biens
- 4.que cette propriétté ne seroit plus dans leurs mains qu’à titre vain et illusoire si le produit pouvoit être absorbé par les impôts
- 5.cependant que, depuis quelques années on s’apperçoit qu’il s’est élevé graduellement une disproportion si frappante entre les subsides [1] et les moyens de les payer, que tous les sujets de cette contrée gémissent sous le poids des impôts de toute espèce.
- 6.que l’étendue de ces impôts, qui ne porte presque uniquement que sur nous, a produit des effets si désastreux dans la campagne qu’ils l’ont rendue presque déserte, et remplis les villes de mendians
- 7.que la cause de cette désertion préjudiciable et qui porte un coup si funeste à l’agriculture, ne dérive que de la surcharge des impositions, fruit de l’arbitraire injuste qui se porte dans la répartition et la perception des finances.
- 8.que toute notre province gémit sous la tiranie des commis et bureaux si multipliés que la meilleure partie de nos fruits et possessions a de la peine à les solder
- 9.que les entraves que chaque jour les employés aux aides, tailles [2] et autres nous suggérait arrestent tout espèce de débouché pour nos vins
- 10.que le débouché seroit le Poitou, mais par une contradiction manifeste le droit de Charante qui a été supprimé par eau subsiste encore par terre
- 11.que souvent ces mêmes employés, par de prétendues fraudes en ont imposés à la bonne foi du particulier, et par des arangements captieux leurs ont soustiré des sommes conséquantes, qui n’ont jamais reverties qu’à leur profit
- 12.que ces différents dols joint au prix énorme que prend cette taille sur chaque tonneau de vin est la cause que le Poitou a planté en vignes des terres uniques à la production des blés, qui ne leur rapportent que de très mauvais vins, et que nous sommes obligés d’ensemencer en grains un terrain qui ne serait propre qu’à la vigne
- 13.que les embuches que nous tendent les aides en la remise des certificats de décharge des ventes d’eau-de-vie étant devenues au négossiant comme au particulier une charge effrayante et un piège inévitable, vont anéantir cette branche si utile de commerce si on ne fait cesser les vexations inouïes et trop souvent réhitérées des commis
- 14.que quelques uns dans le nombre ont porté l’impunité et le dol jusqu’à vouloir tretter à prix d’argent avec des négosiants pour les dispencer de cette remise
- 15.qu’un autre impôt aussi désastreux vient depuis trois ans s’élever encore sur nous : la corvée pour la confection des grands chemins ayant été changée dans une prestation en argent est devenue pour nous tout à fait acablante par la manière illusoire, injuste et illégalle que les adjudications sont faites
- 16.qu’aucun sindic [3] ni habitans des paroisses n’ont pas parvenu, lors des criées, à faire leurs offres au rabais, arrivant toujours trop tôt ou trop tard
- 17.que cette manière d’opérer à l’insu du public surveillant caractérise la fraude des personnes employés à ces opérations, aux fins de se conserver par ce moyen illicite, tout à la fois l’administration l’antière (au lieu du rabais) et les deniers, dont la rentrée n’a jamais été employée entièrement à la confection des chemins, mais bien à remplir la cupidité des conducteurs [4], dans le nombre desquels il y en a qui depuis quatre à cinq ans ont acquis pour plus de cinq cent mille francs de biens, et dont les pères n’étaient que des mendians
- 18.que cette monopole ne s’est point faite pour les inférieurs, sans que les supérieurs n’y ayent participés de sommes bien plus considérables
- 19.qu’enfin les impôts de tous les genres sont tombés d’une manière et d’une rapidité étonnante sur nous, tandis que les aumosnes, les indemnités qu’il a plu à sa majesté d’accorder à son peuple dans les années de disettes, ainsi que les fons destinés aux hateliers de charité ne sont presque jamais parvenus jusqu’à nous
- 20.que cette masse énorme de subsides, dont la moitié n’entre pas dans le trésor royal, s’accumule depuis longtems par l’abus des enregistrements que les commissaires départis obtiennent, refusant toujours de faire droit sur les requêtes et qui ne soutiennent que leur protégés par eux taxés d’office
- 21.que jamais ils n’ont donné leurs consentement à tant d’impôts ni à la manière de les percevoir
- 22.que pour mettre fin à nos misères et nous préserver du désespoir, ils se jettent aux pieds du père de la patrie leur bon roi, pour obtenir de sa justice la jouissance de leurs biens conformément aux loix du royaume ; en fidèles sujets ils demandent
- 23.qu’il soit établi un ordre constant et invariable pour réprimer les abus d’une partie du gouvernement et de l’exécution de la constitution
- 24.que pour cet effet le retour périodique des états généraux seroit déterminé
- 25.que chaque province ait ses états particuliers, que les subsides à imposer soit les même sur les trois ordres et également répartis sur tous les citoyens sans distinction de privilèges à raison seulement de leurs propriéttés
- 26.qu’aucunes parties de ces propriéttés ne puissent être à l’avenir enlevées sous le nom d’impôt, s’ils n’ont etés préalablement consantis par les états généraux du royaume, composés de députés librement élus par tous les cantons, sans aucune exception, et nomément chargés de leurs pouvoirs
- 27.que toutes loix ne pouront être mises à la venir à exécution sans qu’au préalable elles n’ayent été consenties pas la nation
- 28.que tout citoyen ne puisse être détenu ou emprisonné qu’en vertu des loix du royaume [5]
- 29.que le tiers état aura non seulement égalité de représentants aux deux premiers ordres, mais encore qu’ils soient reçu par tête et non par ordre [6]
- 30.que les charges de magistrature cesseront d’être vénalles et que le mérite reconnu aura seul le droit d’y prétendre
- 31.que pour aléger le fardeau énorme des procédures, dont le droit se perd dans le dédale de la chicanne, qu’il soit opéré à la rédaction d’un code civil et criminel d’une manière si précise et si claire qu’il soit facile à tout citoyen d’y connaître ses droits et ses devoirs
- 32.qu’enfin pour faire cesser les maux de la France toutes dettes et aides soient supprimées dans l’intérieur du royaume et le commerce libre
- 33.les droits de contrôle, d’intimation et du centième denier modérés et le droit de francs fiefs suprimés [7]
- 34.l’entière supression des jurés priseurs
- 35.considérant que les dixmes [8] ne sont qu’une aumone consentie par la charité des fidèles en faveur de leurs curés, étant passées par une coutume abusive entre des mains étrangères, et devenues de la part de certains curés décimateurs un sujet de discution et un germe à procès avec leurs paroissiens sur la manière de leur perception, demande que le droit soit réduit à une congrue [9] honnête
- 36.que par une conséquence juste, tous les curés, moines, abés, chapelins, chanoines et autres, de l’un et l’autre sexe soient taxés [10] à mille livres par an et les vicaires des curés à cinq cent livres aussi par an et le surplus reverti à aléger les dettes de l’état
- 37.qu’il soit élu un patriarche en France qui nous relève des exigences de Rome [11]
- 38.que suivant les intentions du roi, les ministres et autres préposés au manimant des deniers publics soient à la venir responsables de l’emploi de toutes les sommes levées sur le peuple
- 39.et qu’enfin il plaise à sa majesté de permettre à ses procureurs généraux, comme à ses procureurs et substituts, il soit fait, à leur réquisition, une exacte recherche des différentes dilapidations et vols des deniers de l’état, et ceux qui seront atins et convaincus de cette indigne manœuvre punis selon la rigueur des loix, leurs biens vendus, et les deniers en provenant employés à aléger les dettes de l’état

Présidant l’assemblée : Feniou [12]

Greffier commis : Besson

Signataires : une trentaine (patronymes Bastard, Besson, Bijon, Brunet, Cherpantier, Dugas, Durand, Gautier, Gestreau, Gros, Joffrion, Marchand, Matignon, Noir, Planay, Roy, Savarit, etc.)


 Commentaire sur le cahier de doléances de Brie-sous-Matha

(extrait du livre « La Révolution Française à St-Jean-d’Angély - 1789-1799 « Jacques Roux - Editions Projet Edition - Poitiers 1988)

Nous sommes ici dans une petite paroisse de 200 feux dont l’économie est tournée vers la vigne et le commerce des eaux-de-vie, par conséquent sensible aux entraves du commerce intérieur. Dix articles transcrivent les lamentations des habitants à l’égard des impôts trop lourds : « l’étendue de ces impôts a produit des effets si désastreux dans les campagnes qu’ils les ont rendues presque désertes. » (art. 6) Bien sûr on réclame l’égalité devant l’impôt, mais on accuse surtout les commis et la façon dont il est perçu. Le quart de ce cahier concerne les charges royales trop lourdes et inadaptées, les aides, les traites et en particulier le droit de Charente qui pénalise les eaux-de-vie et les rend trop chères dans le Poitou. Les conséquences économiques s’avèrent néfastes autant pour cette région que pour le Poitou. Les Poitevins doivent cultiver la vigne sur un sol qui ne s’y prête pas et les Saintongeais du blé avec un rendement médiocre à cause de la mévente des eaux-de-vie.

La corvée est aussi critiquée. Cette « corvée pour confection des grands chemins » est d’autant plus mal vue qu’elle est changée en une prestation en argent. Un arrêt du conseil du 6 novembre 1786 ordonne à titre d’essai cette conversion pendant trois ans.

La prestation pécuniaire ne peut excéder : 1/6e de la taille. Démunis de liquidités, les paysans contestent plus facilement les redevances monétaires, plus dures à supporter, que les jours de travail. Ici, plus que cet impôt, c’est la fraude qui l’entoure au moment des adjudications, qui révolte les habitants.

Les revendications des articles 33 et 34 impliquent des personnes plus aisées, des bourgeois (des négociants), des propriétaires terriens (vignobles) qui ont des revenus suffisants pour acquérir des biens nobles d’où leur demande de suppression des « droits de contrôle, d’insinuations et de centième denier modéré et du droit de franc-fief » (art. 33) et des « jurés- priseurs ». (art. 34) Le franc-fief est un droit acquitté par tout roturier détenteur d’un bien noble en compensation de l’abrègement ou diminution que subissait par là ce fief. Cette redevance correspond à une année de revenus payable à chaque transaction. La noblesse est hostile à ce droit parce qu’il nuit à la vente des terres ; le Tiers État le considère comme une charge et une humiliation.

Les droits de contrôle visent le contrôle c’est-à-dire l’enregistrement des actes des notaires et des exploits d’huissiers qui doivent être exécutés sous quinzaine. Les registres ne sont communiqués qu’aux parties y ayant intérêt. " L’insinuation s’applique aux actes translatifs de propriété ; ces registres sont publics. Contrôle et centième denier (lequel est le droit perçu à raison de l’insinuation) correspondent actuellement aux droits d’enregistrement.

Quant aux jurés-priseurs, leur présence est nécessaire pour les inventaires et les ventes de meubles. Ils sont très impopulaires car ils détournent une grande part des successions.

Deux articles concernent le clergé, et en particulier la dîme. Là encore, sans remettre en cause cette redevance, on réclame une plus juste perception et une plus équitable utilisation des sommes récoltées. Le curé devant se contenter d’une « congrue honnête ».

Il semble qu’elle soit perçue par des laïcs « des mains étrangères »). Au nom de l’égalité devant l’impôt, les plus riches du clergé doivent être taxés.

Dans d’autres paroisses, on réclame la suppression de la dîme, par exemple, à Villeneuve la Comtesse, la Croix-Comtesse et Vergné : « Que la dîme que Messieurs les curés perçoivent sur les paroisses soit ôtée comme étant très nuisible aux cultivateurs, et qui occasionne des procès sans nombre entre le curé et les paroissiens. »

Le cahier de Brie débouche aussi sur des thèmes plus « politiques » : il réclame une constitution (art. 23), la périodicité des États Généraux (art. 24), l’égalité devant l’impôt (art. 25), « répartis sur tous les citoyens sans distinction de privilèges à raison seulement de leurs propriétés », la notion de mérite pour accéder aux charges de magistrature (art. 30), le refus de l’arbitraire en matière d’incarcération (art. 28).

L’article 31 préfigure une décision de la Convention du 22 août 1793 où Cambacérès, rapporteur du comité de législation pose les principes d’un code civil et d’un code criminel : « (qu’) il soit opéré la rédaction d’un code civil et criminel d’une matière si précise et si claire qu’il soit facile à tout citoyen d’y connaître ses droits et ses devoirs. » La rédaction de cet article montre le rôle primordial exercé par les magistrats de la sénéchaussée, surtout les avocats à Saint-Jean- d’Angély et dans sa région.

Finalement dans ce cahier la part des revendications seigneuriales est faible. C’est un cahier modéré qui reflète les aspirations de la bourgeoisie soucieuse d’une bonne gestion liée à ses affaires plutôt que de grands bouleversements.


[1Impôts

[2impôt royal de la taille, basé sur les revenus

[3syndic de communauté : l’ancêtre du maire

[4conducteurs de travaux

[5Revendication contre les lettres de cachet, qui permettaient des emprisonnements sans jugement

[6Deux des principaux débats à la veille des Etats Généraux : le nombre de sièges accordé par le Roi au Tiers-état, et le mode de scrutin, par tête ou par ordre

[7autres types d’impôts

[8impôt de la dîme, ecclésiastique à l’origine, mais généralement récupéré par les seigneurs (dîmes inféodées) et les gros curés « décimateurs » = percepteurs de la dîme

[9La portion congrue, rémunération des curés financée par la dîme

[10taxation signifie ici fixation d’un revenu maximum

[11référence au gallicanisme qui prônait l’indépendance de l’Eglise de France vis à vis de Rome - Une telle demande est relativement rare dans les cahiers des paroisses

[12Notaire à Thors

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