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1859 - Mémoire pour la conservation du château d’Angoulême

vendredi 22 juin 2012, par Jean-Claude, Pierre, 1100 visites.

La construction de l’actuel hôtel de ville d’Angoulême sur l’emplacement de l’ancien château des Valois, est l’occasion d’une violente polémique entre M. Dabadie, architecte chargé des travaux, et les membres de la Société d’Archéologie et d’Histoire de Charente (SAHC). Le débat éternel entre les urbanistes et les archéoloques. Le Dr. Gigon, dans un discours enflammé, est dans le rôle du défenseur des vieux murs, en bien mauvais état, mais riches d’histoire.

Source : Bulletin de la Société Archéologique et Historique de la Charente - Année 1859 - Angoulême - 1860 - Bibliothèque privée.

Au sujet du château d’Angoulême, voir : 1844 - Description du château d’Angoulême par l’abbé Jean-Hippolyte Michon

L’ancien donjon du château d’Angoulême
Dessin de Jean-Claude Chambrelent (2009)

Mémoire pour la conservation du château d’Angoulême

Lu à la Société d’Archéologie, séance du 1er avril 1859

Réponse à M. P. Abadie fils, architecte diocésain.

Messieurs,

J’ai lu avec la plus scrupuleuse attention le mémoire inséré dans le numéro du Charentais des 28 et 29 mars dernier, par M. P. Abadie, et j’avoue que je ne puis en rien tomber d’accord avec M. l’architecte diocésain sur les questions archéologiques qui y sont traitées. Je viens vous demander la permission de présenter quelques observations à ce sujet.

Vous comprendrez sans doute que mon intention n’est pas de répondre à la première partie de cet écrit, qui n’est, à vrai dire, qu’une virulente philippique dirigée contre les archéologues et les sociétés d’archéologie. M. Abadie est mécontent ; on l’a contrarié, cela est évident : il voulait démolir immédiatement le château ; la société d’archéologie, qui a pour mission de veiller à la conservation des monuments historiques du pays, a émis un vœu en faveur de cet édifice. Inde irae.

Laissons passer la colère, cette mauvaise conseillère ; laissons de coté surtout ces dures expressions d’ignorance, d’outrecuidance, qui ne peuvent qu’envenimer le débat au lieu de l’éclairer. Aussi bien suis-je convaincu que les archéologues et les sociétés d’archéologie n’ont pas besoin d’être défendus : les services qu’ils ont rendus a l’art les défendent assez. N’est-ce pas a leur intervention, à leurs incessantes réclamations que nous devons d’avoir vu cesser les dégradations commises sur les monuments anciens, et si une génération de jeunes architectes s’est élevée, qui sait comprendre et imiter le moyen âge, n’est-ce pas a l’incitation de ces mêmes archéologues, dont on cherche aujourd’hui à ridiculiser le respect pour des monuments qu’avant eux tout le monde regardait avec dédain , même les architectes ?

Tachons donc de reprendre , avec l’urbanité de formes et la modération d’expressions qui sont dans nos habitudes , l’étude sérieuse de la question soulevée par M. l’architecte.
M. Paul Abadie a fort maltraité notre pauvre vieux château. Ce n’est plus le séjour de la Marguerite des Marguerites, ce n’est plus qu’un ignoble bouge, exhalant une odeur de marmitons, de palefreniers et de soudards. (Je demande pardon à l’assemblée de cette réminiscence si pleine de bon goût.) J’ai été, cependant, profondément étonné de ce changement d’opinion : M. l’architecte n’avait pas toujours professé un tel mépris, a l’époque où il prenait l’engagement de restaurer, de conserver ce vieux manoir, ainsi que les plans et devis présentés alors a la commission municipale en font foi. On devait même, à la place du contre-fort en démolition, construire une tourelle faisant pendant a la tourelle encorbellée , et l’on avait écrit sur la porte située entre les deux tourelles, ces mots pacifiques et conservateurs : Etat civil [1].

Ce qui se passe aujourd’hui me fait donc regretter profondément qu’à cette époque on n’ait pas dit toute la vérité à la commission municipale. Si, en effet, en présentant les plans a cette assemblée, on eût dit : Nous ne pouvons conserver aucune partie du vieux château ; cet édifice n’a aucune valeur artistique ou historique ; il faut tout détruire ; si, au lieu de présenter un devis de 500,000 fr., on l’eut porté a sa véritable valeur, qui, certainement, est bien au-dessus de ce chiffre, la commission municipale eût délibéré en connaissance de cause, tandis qu’en réalité, elle ne connaît plus la voie dans laquelle elle est engagée.

Si l’on eût agi ainsi, je puis presque affirmer que , lorsqu’on aurait vu au bout d’une délibération le château complètement démoli, les finances de la commune compromises, on aurait reculé, on aurait eu recours a un plan moins grandiose , mais beaucoup moins destructeur.

Je n’ai donc pas ajouté, encore une fois, une grande importance aux paroles malsonnantes échappées , par mégarde sans doute , à la plume qui a fait de si beaux plans et de si beaux dessins. Cependant j’en comprends parfaitement le but et la portée.

M. Abadie sait, comme tout le monde. aujourd’hui , que le gouvernement n’a consenti a l’abandon du château a la ville d’Angoulême qu’à la condition expresse d’en respecter le caractère monumental et historique ; c’est même en s’appuyant sur cette base positive que la société d’archéologie a pu demander de suspendre la démolition de l’édifice : eh bien ! si l’on pouvait démontrer que ce château n’a ni caractère monumental, ni caractère historique, il est évident qu’on parviendrait, par une voie détournée, au but que l’on poursuit.

Alors, examinons la question à ce point de vue plus circonscrit. Vous ne vous attendez pas, sans doute, messieurs , à ce que j’entre dans des détails techniques sur la structure et les appareils divers de ce vieux manoir, et que je vienne croiser sur ce terrain ma faible plume avec l’équerre et le puissant crayon qui ont tracé l’église de Saint-Martial. Heureusement je n’en ai pas besoin ; le caractère menu/mental de l’édifice a été reconnu et admis par M. le ministre de l’intérieur, puisqu’il a imposé l’obligation de le respecter. Dès lors la question change complètement de face et se réduit à ces termes : la délibération de la commission municipale du 9 février et le nouveau dessin de M. l’architecte respectent-ils le caractère monumental du château ?

Eh bien ! je fais ici appel a tous les hommes de bonne foi : peut-on soutenir une pareille opinion ? Il suffit de jeter les yeux sur le plan ci-joint (M. le docteur Gigon présente un plan à la société) pour se convaincre qu’il n’en est rien. Le château existe aujourd’hui entier, tel qu’il a été figuré sur ce plan, moins le pavillon d’Epernon, démoli récemment ; aujourd’hui il s’agit de démolir tout le reste, sauf la tour du télégraphe et celle de Valois.

Un bâtiment neuf, pour la construction duquel est déjà votée une somme considérable (70,000 fr. je crois), se reliera plus ou moins harmoniquement avec le reste de l’hôtel de ville, enfermant ces tours dans l’enceinte de ses murailles. Tout le corps de logis disparaît, et avec lui cette tourelle encorbellée si svelte, si gracieuse, que tout le monde admire. Dès lors il ne subsiste absolument rien extérieurement de l’antique manoir des Lusignan et des Valois. Il ne reste plus que deux pauvres vieilles tours disparates et honteuses, dont le sommet crénelé dominera pourtant encore le bâtiment neuf, et qui, dans cet état, privées du corps de logis qui les relie, n’auront plus aucune raison d’être. Cela sera-t-il beau ? Je ne le crois pas ; mais ce que je sais au sûr, c’est que cela détruit tout le monument.

Aussi, je ne crains pas de le proclamer : nous marchons à la destruction complète de notre vieux château. Après avoir, hier, promis de tout conserver, on a commencé par détruire le pavillon d’Epernon et la porte dite Sarrazine [2] ; aujourd’hui, c’est tout le corps du château ; demain, ce seront les tours, qui, n’étant plus liées à rien, paraîtront tellement étranges dans leur isolement, qu’on demandera et qu’on obtiendra facilement leur destruction définitive.

Mais ce n’est pas seulement le caractère monumental de l’édifice que vous allez détruire ; je puis le dire encore , vous détruisez tout a fait le cachet pittoresque et artistique de notre cité.
Lorsque le voyageur s’approche d’Angoulême par l’un des plateaux élevés qui nous environnent, soit par Sainte-Barbe [3], soit par la Trésorière [4], soit surtout par la cote des Blanchettes [5] , ce qui saisit de prime-abord la vue, c’est l’aspect grandiose de ces tours majestueuses, de ce pignon élancé et dentelé, qui attend en vain le toit qui aurait au le compléter. Nul ne peut nier l’effet magique de ce coup d’œil. Eh bien ! quand on aura habillé ces tours d’une chemise blanche, que le pignon aura disparu complètement, vous aurez porté un coup funeste à cet aspect grave et original de notre cité , que vante partout le touriste étranger, et que nous autres, vieux Angoumoisins, nous aimons avec une passion toute filiale.

Je sais bien que l’on ne manquera pas de raisons plus ou moins plausibles a nous opposer : la cour du château est trop étroite, la tour encorbellée fait une saillie trop considérable ; une erreur de deux mètres a été commise par le dessinateur sur le plan de la ville. Cela peut être vrai ; mais au moment où le plan de l’hôtel de ville a été fait, tout cela était connu ou aurait du l’être. Cependant on avait promis de conserver, et ce n’est certes pas une erreur de deux mètres qui, aujourd’hui, peut tout changer. D’ailleurs, s’il y a eu erreur sur le dessin, modifiez vos plans, changez vos murs : le vieux château ne peut être victime d’une erreur de dessinateur ; il a droit de préséance, et si , pour rajuster quelques murs, il faut sacrifier ou recommencer quelque chose, c’est a vous à céder le pas. Vous êtes très jeunes, si jeunes, que vous n’êtes pas encore nés. Vous pouvez refaire ce que vous avez fait déjà ; vous n’avez pas pris place dans l’histoire, tandis que ce vieux monument a un passé qui commande le respect à tous.

Je crois en avoir dit assez pour prouver que la mutilation qu’on veut faire subir au château, détruit complètement le caractère monumental de cet édifice ; c’est une première atteinte portée aux conditions imposées par le conseil général et par le ministre de l’intérieur. Il nous reste à examiner si l’on respecte mieux le caractère historique.

M. l’architecte, pour prouver que l’on peut détruire ce corps de logis sans inconvénient, a voulu le dépouiller de tout prestige, de tout caractère historique. Jamais cette partie n’a été habitée par les maîtres ; ce n’était la qu’ un dépôt de vivres et de munitions ; ce n’était même que le refuge de la valetaille, et ce n’est pas là surtout que se trouve cette grande salle des banquets et des fêtes dont il est parlé dans Corlieu. Mais la aussi commence une grave difficulté. Si ce n’est là, où est-elle placée, cette grande salle ? On peut voir, dans l’écrit auquel nous répondons, combien l’embarras a été grand ; car on a été obligé de la placer tantôt dans l’arsenal, tantôt dans un terrain proche de la banque actuelle, tantôt, d’après un plan de M. Castaigne, dans le lieu où était la maison du gouverneur ou du sous-gouverneur ; enfin, partout où l’on voudra, pourvu que ce ne soit pas dans ce corps de logis détesté, que l’on veut démolir. Je ne suivrai pas cette dissertation au milieu de tous ces méandres tortueux de l’hypothèse où s’égare le raisonnement. M. l’architecte a fait son thème , je vais faire le mien à mon tour, et je tacherai surtout d’être clair, ce qui, à mes yeux, est le premier mérite en pareille matière. Revoyons donc un peu nos vieux auteurs.

L’annaliste Corlieu nous apprend que la comtesse Jeanne, veuve de Hugues de Lusignan, seigneur de Fougière et comte d’Angoulême, restaura le vieux château et commença l’œuvre magnifique de la grande salle qui encore se voit audit chasteau.

Leur fils, Hugues-le-Brun, succéda a son père en 1282 et mourut en 1303 ; c’est lui qui « se mit a bastir la grande tour du chasteau d’Engoulesme et paracheva la salle encommencée par sa mère, qui sont deux merveilleusement beaux édifices [6]. »
Ainsi il est constant, d’après ce récit de Corlieu, que, en 1282, il y avait un vieux château à Angoulême, qui fut réparé en même temps que l’on construisait la grande salle et la grande tour.
Maintenant on se demande où était ce vieux château ; M. Abadie en voit les restes et dans le pied de la tour encorbellée, et dans la vieille tourelle située au bout du pavillon d’Epernon, récemment démoli.

C’est là une hypothèse qui repose sur une base bien fragile : tout un vieux château retrouvé dans le pied d’une tourelle. Je ne puis être de cet avis, et je dirai plus tard à quel système d’édifice se rattache cette tourelle ; quant au mur roman, construit de débris d’édifices romains, que M. Abadie compare à ceux de la cathédrale de Périgueux, c’était simplement un mur d’enceinte pour la ville, sur lequel plus tard on avait élevé d’autres constructions ; il se continuait toujours avec le même caractère de structure , avec le même appareil, avec les mêmes débris, jusqu’au rempart placé au bout de la promenade actuelle du Parc, en suivant la ligne du parapet supérieur de cette promenade. Desbrandes, qui l’avait vu démolir en 1790, l’avait constaté et décrit. Ce mur, d’après Corlieu, d’accord en cela avec M. P. Abadie , avait été bâti, vers 900 , par Aldoin , deuxième comte héréditaire d’Angoumois : « Il se print a la rebastir et relever les murailles d’icelle (la ville)..... et la rendit si forte que ce fut delors le propugnacle et seur refuge de tous les peuples de par de ça. » (P. 14 , édition Michon.) Il est à présumer qu’à cette époque reculée, une grande partie des murs de notre cité étaient construits en semblable appareil ; on en voit du moins de nombreuses traces tout le long et à la base de notre rempart du Nord [7].

Ce qu’il y a de sûr et même de très sur, c’est que, antérieurement a la grande tour et à la grande salle, il existait un château : c’est celui dit de la Reine , qui était placé, d’après les plans et d’après les historiens, très près du château actuel, sur l’emplacement de la rue de Plaisance a peu près ; il était, ai-je dit, beaucoup plus ancien que les constructions actuelles, et cela se prouve facilement , puisqu’il avait été habité par Isabelle de Taillefer, bisaïeule de Hugues-le-Brun qui bâtit la grande tour ; elle y faisait même sa résidence ordinaire, par conséquent vers 1217, et c’est de là que lui venait son nom de château de la reine, car Isabelle était reine d’Angleterre et comtesse d’Angoulême. Les auteurs anciens disent même que c’est dans ce château qu’elle composait ses maléfices [8] et enchantements, car elle était fort véhémentement soupçonnée de sorcellerie, notre turbulente comtesse-reine. Il parait que ce château avait une certaine importance, puisque l’historien Etienne de Lusignan le qualifie ainsi : « Donjon fort à merveille, que nul homme vivant n’eust tenté d’emporter d’un coup de main, tant estaient haultes, solides, les trois tours rondes qui le flanquaient. » Ainsi , au commencement du XIIIe siècle, il y avait, au sûr, un château en cet endroit, qui, a la fin de ce même siècle, c’est-a-dire au temps de Hugues-le-Brun, devait avoir besoin de réparations.

Quant au château actuel, non-seulement il n’existait pas, mais le terrain sur lequel il est bâti n’appartenait même pas a nos comtes ; M. Michon a retrouvé aux archives de l’empire une charte de 1228, qui constate un échange entre le comte Hugues et Isabelle, sa femme, d’une part, et le doyen du chapitre de Saint-Pierre, d’autre part, pour l’acquisition d’un terrain, afin d’y construire le château neuf d’Angoulême. Mais les malheurs des guerres, les intrigues incessantes dans lesquelles Isabelle et son mari furent engagés, l’épuisement probable de leurs finances les empêchèrent de mettre ce projet de constructions à exécution, et ce n’est que vers 1282 qu’elles furent commencées. Donc , il semble ressortir assez clairement de tout ceci que le vieux château, c’était le château de la reine , aujourd’hui détruit ; le château neuf, c’est le château actuel, qui, étant beaucoup plus considérable que le premier, avait fini par l’effacer et le reléguer sur un plan d’importance secondaire.
Maintenant , où devons-nous placer cette fameuse salle qui faisait 1’admiration de nos aïeux ? C’est ce que nous allons examiner. Remarquons d’abord que Corlieu dit qu’on la voyait encore de son temps audit château. Or, il existe un plan , une vue, un. vrai pourtraict de la ville d’Engoulesme, de 1575, contemporain , par conséquent, de Corlieu. Ce plan fut inséré dans la Cosmographie universelle de Belleforest (p. 183, 184), et cet auteur nous apprend qu’il le tenait de Corlieu lui-même ; il a donc un caractère très authentique.

De plus, il est antérieur de douze ans a l’arrivée du duc d’Epernon. Par conséquent, le château n’avait pas subi les démolitions que l’on suppose avoir été faites par celui-ci, toujours sans preuves. Ce plan ou pourtraict n’a probablement pas la rigueur d’un plan topographique moderne ; mais il a la bonhomie de représenter avec fidélité tout ce qui existait de son temps au château.
Or, que voyons-nous dans ce plan ? Trois choses : le château actuel avec ses grosses tours ; un peu en arrière et au midi le château de la reine, et un peu à l’est, l’arsenal ; puis le vaste parc et les fortifications, et puis plus rien.

Où pouvons-nous placer la grande salle, ce merveilleusement bel édifice ? Est-ce dans l’arsenal ? Je ne le pense pas ; un arsenal est un lieu de dépôt, un magasin d’armes et de munitions, un atelier pour fabriquer et réparer les armes, et à l’époque éloignée des Lusignan, où les hommes de guerre étaient bardés de fer , il en fallait certainement de très vastes. Croit-on que c’est au milieu de tout cet attirail de guerre qu’on ira placer une salle destinée aux fêtes et aux plaisirs, loin des cuisines et des autres servitudes, ainsi que je le prouverai ? Cela me parait tout à fait improbable. D’ailleurs on n’a aucune idée sur la fondation de cet arsenal : est-il antérieur ? est-il postérieur à la grande tour ? On n’en sait rien au juste ; mais il doit être postérieur, car on n’a du songer à un arsenal que lorsque le château, qui a été bâti successivement, eut pris assez d’importance pour devenir une place de guerre. D’un autre coté , l’arsenal existait encore en 1791, ainsi que le prouve un plan très curieux que j’ai copié aux archives départementales et que j’ai l’honneur de vous présenter , et, a cette époque, on ne trouve rien qui ressemble a la grande salle de Corlieu ; ainsi, tout ce que nous savons s’accorde à repousser cette idée.

Est-ce dans le château de la reine ? Mais cela est impossible, puisque ce château était beaucoup plus ancien que la grande salle , et que nous voyons la comtesse Jeanne exécuter simultanément et distinctement la réparation de l’un, la construction de l’autre. Ce n’est donc pas encore là que se trouve l’objet cherché.

Eh bien ! cherchons encore ailleurs, puisque absolument on ne veut pas que ce soit dans le château actuel. On a dit que, sur un plan appartenant à M. Castaigne, il existe une construction ayant servi de logement au gouverneur ou au sous-gouverneur (on ne sait pas bien lequel), et c’est la, dit-on, probablement que se trouve cette introuvable grande salle. J’ai vu et consulté, moi aussi, ce plan, qui ne remonte pas au delà de 1791, puisque la rue de l’Arsenal actuelle y est tracée. Eh bien ! il existe en effet une aile qui ne figure pas sur le plan de 1575 ; mais il faut dire que cette aile, qui avoisinait la tour de Valois, était a peine achevée au moment de la révolution. Elle avait été bâtie par M. de Chauveron, le dernier gouverneur d’Angoulême, qui avait avancé les frais de la construction ; aussi, après avoir cessé d’être gouverneur, il fit une réclamation près du gouvernement pour se faire rembourser ses avances ; et il résulte d’un procès-verbal d’estimation, à la date du 21 janvier 1792, qui existe aux archives départementales, que la somme avancée par lui fut estimée à 12,600 livres, non compris les glaces ; ainsi c’était une construction toute récente, et le fait seul de ne pas figurer sur le plan de 1575 en est une preuve manifeste. C’est donc là, moins qu’ailleurs, qu’il faut demander cette grande salle.

Enfin, et par impossibilité de la pouvoir trouver ailleurs , il faut bien la placer dans le corps de logis actuel. Nous allons examiner et discuter les objections qu’on a faites contre cette opinion.
M. Abadie a prétendu que ce corps de logis faisait partie des communs du château, par conséquent qu’il renfermait les cuisines , les écuries ; qu’il servait de logement aux marmitons, aux palefreniers, aux soudards. Je n’ai jamais pensé que cet argument fut sérieux sous la plume de notre estimable adversaire ; on a voulu faire une phrase à effet, qui jetât du ridicule sur ce pauvre vieil édifice que l’on bafoue en le menant à sa ruine ; mais, si l’on eut sérieusement pensé cela, on eût au moins dû étayer cette opinion de quelque preuve, ce qu’on s’est gardé de faire, par la raison toute simple qu’il n’y en a pas.

Et d’abord, les cuisines n’étaient pas dans ce corps de logis ; elles étaient en dehors et tout près : c’est Girard, le secrétaire et l’historiographe du duc d’Epernon, qui se charge de nous renseigner à cet égard. Lorsqu’il raconte la prétendue conjuration du maire François Normand, il dit, p. 88 [9], que les habitants s’étaient rendus maîtres des cuisines et des offices [10], aussi bien que d’un puits situés à l’arrière-cour. Et alors le duc et les siens, qui occupaient le corps du château, restèrent barricadés deux jours et une nuit : mourants de faim et de soif, et se seraient infailliblement rendus , si les habitants, qui ignoraient cet état de choses, eussent persévéré un peu plus longtemps.

Si les cuisines ne se trouvaient pas dans ce logis, la salle ou les salles, c’est-a-dire les appartements d’honneur et de réception, y étaient ; c’est encore Girard qui dit cela et même à plusieurs reprises. Le maire trouva, dans la salle, quelques domestiques du duc... Trois de ses compagnons passent sans donner ombrage au travers de la salle...

Un autre narrateur dit, en parlant du maire, « qu’il était entré par la grande porte, monté dans la salle, en laquelle passant il salua le sieur des Couplières, etc. [11]. »

Mais ce n’est pas seulement la salle qui se trouve dans cette partie du château, c’est l’habitation tout entière , ce sont les chambres de tous les gouverneurs et de leurs épouses, ainsi qu’on va le voir.
Parmi les nombreux documents que j’ai consultés sur la prétendue conspiration de François Normand, j’en ai trouvé un surtout d’un très haut intérêt, qui m’a été communiqué par M. Castaigne ; mais pourtant je le connaissais déjà depuis longtemps, pour l’avoir vu dans la bibliothèque de feu M. Alexis Callaud. C’est une brochure intitulée : Discours véritable de la malheureuse conspiration et attentat contre la personne de Monseigneur le duc d’Espernon, etc., imprimée a Angoulême par Olivier de Minières , 1588, 43 pages in-18.

Cet écrit a été fait par un témoin oculaire ; je soupçonne même très fort qu’il est de l’abbé d’Elbène, qui se trouvait dans la chambre du duc au moment de l’évènement. Avant d’entrer en narration, l’auteur donne quelques détails sur le château et dit : « Il se logea (le duc d’Epernon) dans le chasteau que l’on appelle la maison du roy, dans lequel il trouva M. de Tagens, son cousin , logé comme tous les gouverneurs avoyent accoutusmé jadis, et mesme feu M. de Ruffec ; chasteau où il n’y a ni fossez ni autres fortifications que des grosses tours de pierre, fort anciennes, mais assez logeables pour la quantité de chambres dont il avait besoing. Ayant mené avec soy MM d’Espernon, sa femme, comme aussi y étoit logée Mme de Tagens, sa cousine. »

Et ici, il ne peut y avoir d’équivoque ; ce château du roi, par opposition au château de la reine, ces grosses tours de pierre fort anciennes ne peuvent s’appliquer qu’au château actuel. D’abord ce ne pouvait être le pavillon d’Epernon, aujourd’hui démoli ; il n’existait même pas [12], ainsi que je le prouverai. Ce n’était pas le château de la reine, notre auteur dit le contraire , et, d’un autre coté, Girard nous explique que les habitants favorables au maire, s’étant emparés d’une maison appelée le château de la reine, laquelle n’était séparée du château que par une petite cour, tiraient incessamment et n’incommodaient pas peu le duc.

Quant à l’arsenal, il était tellement éloigné, tous ces renseignements s’y appliquent si mal, qu’on ne peut même y songer. Ainsi, quoique M. l’architecte ait pu dire, « très haut et très rude duc d’Espernon, pair, admiral et colonel-général de France, lieutenant-général du roy ès pays d’Anjou. Touraine , Poictou, Angoulmois et Xaintonge, » logeait dans ce vieux château du roi aux grosses tours de pierre, en compagnie de très noble, très courageuse et très excellente [13] dame Marguerite, princesse de Foix et de Candalle, sa femme ; et avec lui, son cousin et son lieutenant M. de Tagens, ainsi que sa femme ; et ce château, dit un témoin oculaire. était assez logeable.

Et avant eux tous les gouverneurs en avaient fait autant, même M. Volvire de Ruffec ; et cela continua après, puisque Vigier de la Pile , vers 1755, nous apprend que le château est le séjour ordinaire d’un lieutenant de roi et d’autres officiers. Et s’il en était ainsi dès 1572 , c’était encore bien mieux au temps de Jean-le-Bon, de Charles d’0rléans, son fils, de François ler, où le monument neuf offrait infiniment plus d’agrément et de commodités.

En présence de tous ces faits historiques substitués a des inventions, on voit ce que devient l’historiette grivoise des marmitons, des palefreniers et des soudards.

Je sais très bien qu’on pourra créer, si l’on veut, un autre château aux grosses tours, à n’importe quel endroit , qui aura été démoli à n’importe quelle époque ; avec des hypothèses gratuites on peut tout faire, des grosses tours aussi bien que des grandes salles. Mais je porte le défi à qui que ce soit, de fournir ici une preuve historique ou graphique de l’existence d’un autre édifice auquel se rapportent les descriptions et les évènements précédents.

Je dirai même plus, c’était cette partie seulement qu’on appelait le château, sans autre désignation ; cela ressort de la lecture de tous les textes : il logea dans le château qu’on appelle la maison du roi (l’abbé d’Elbène).

Le château de la reine n’était séparé du chasteau ou le duc était attaqué que par une petite cour. (Girard, p. 87, loc. cit.)

« Monsieur d’Epernon voulant faire boire les gentilshommes qui étaient avec lui, il se trouva qu’il n’y avait en tout le chasteau que quatre bouteilles de vin, qui avaient, ce matin même, été apportées pour son déjeuner. » (Archives de Cimber et Danjou, loc. cit., p. 39.) On se rappelle que les habitants étaient maîtres des cuisines et offices, et que le duc était cerné dans le château actuel.
« Plusieurs autres (habitants) se refroidirent, ayant veu jetter, par une fenestre du chasteau, le corps du maire. » (Récit d’un auteur anonyme , aux initiales N. D. A.) [14]. On pourrait faire cent autres citations semblables.

Aussi, lorsque Corlieu, contemporain de ces évènements, dit que la grande salle se voit audit chasteau, cela ne peut s’entendre que de la partie encore existante. C’est donc là, jusqu’à preuve contraire, qu’a été de tout temps la partie la plus importante de notre château ; c’est la qu’on trouve la salle et la grande salle, qu’on a feint de ne savoir où placer.

Il est une autre question que M. l’architecte n’a pas abordée et qui me semble pourtant assez intéressante pour être examinée. Jean Duport, sieur des Roziers, historiographe du bon comte Jean, dit que ce comte fit faire une belle salle en son château d’Angoulême (p. 61) [15] ; c’est même à l’occasion de cette salle, qu’il écrivait à l’abbé de La Couronne cette lettre rapportée par Duport, dans laquelle il le prie de vouloir bien l’aider à faire transporter les bois nécessaires a sa construction, de telle sorte que ce n’est plus une seule, mais deux salles que l’on doit retrouver ici, et, en effet, on les y retrouve encore tout entières ; et il me semble qu’il est facile d’expliquer d’une façon assez plausible la présence de ces deux salles dans le même bâtiment.

M. Abadie a remarqué avec justesse que le pied de la tourelle encorbellée et l’ancienne tourelle démolie, près du pavillon d’Epernon, étaient d’une construction beaucoup plus ancienne que la partie du bâtiment élevé par le comte Jean ; seulement il n’a pas été tout à fait juste en disant que ce fait était resté jusqu’ici inaperçu. M. Michon , dans la Statistique monumentale, avait déjà fort bien remarqué que le pied de la tourelle encorbellée, la chapelle située à l’ouest et le bas du mur du corps de logis, jusqu’au premier étage, paraissaient beaucoup plus anciens que les étages supérieurs de ce corps de logis, qui sont du XVe siècle. Je dois même dire, pour corroborer ces observations, que, depuis quelques jours, j’ai remarqué dans la muraille de cette partie inférieure de l’édifice , une fenêtre bouchée, à plein cintre, appartenant à un style plus ancien et construite probablement au XIIIe siècle ; alors il nous semble assez légitime de tirer l’explication suivante des faits qui précèdent.
Hugues-le-Brun, au XIIIe siècle, bâtit la tour et la grande salle qui la touche, et, par grande salle, je pense qu’on doit entendre tout le corps de logis ; une salle seule n’eût pas exigé plus de onze ans pour sa construction, temps jugé non suffisant par Corlieu pour bastir chose de telle estofe. Mais, plus tard, ce corps de logis est dégradé par le temps et par les hommes, et surtout par l’occupation des Anglais, qui jamais n’y firent que mal, d’après notre annaliste ; puis viennent trente-deux ans de captivité de notre comte en Angleterre, pendant lesquels tout est abandonné à l’aventure ; si bien que le bon comte Jean, à son retour des prisons d’Angleterre, est obligé de restaurer, de refaire son manoir héréditaire, et c’est à cette occasion qu’il rebâtit, sur une partie du mur primitif, le corps de logis actuel, tout en conservant l’ancienne construction jusqu’au premier étage, afin de respecter la salle de Hugues-le-Brun, qui s’y trouve.

Et alors, nous retrouvons nos deux salles : celle des Lusignan au rez-de-chaussée, comme le pense aussi M. Michon, celle de Jean-le-Bon au premier étage ; l’une et l’autre existent encore aujourd’hui, mais tellement dégradées, tellement mutilées, tellement déshonorées par les usages immondes auxquels on les a condamnées, qu’on n’y voit plus aucune trace de cette splendeur princière qui a fait l’admiration de nos bons aïeux, peu difficiles, au reste, en pareille matière.

De tout ce qui précède, il résulte toujours pour nous la preuve que c’est dans ce corps de logis et non ailleurs qu’on doit placer la grande salle de nos comtes, salle des banquets et des fêtes, où se sont passés tour a tour, pendant des siècles successifs, tous les évènements qui intéressent le pays ; c’est la qu’a régné et s’est éteinte la race des Lusignan, illustrée par les rois de Jérusalem, après avoir rendu, par testament, au roi de France cette province, que l’usurpation et la violence avaient arrachée à la faiblesse de Charles-le-Chauve.

C’est là que s’établit le roi Philippe-le-Bel lorsqu’il vint succéder à nos comtes.

C’est la que séjourna le prince à la noire armure, le sombre vainqueur de Poitiers , « ayant cheveux roux et la barbe, les yeux sanglans et estincellans , » l’homme hautain par excellence ; ces voûtes ont retenti de cris d’allégresse lorsqu’en l’an mil trois cent soixante et deux, son fils Edouard y naquit, et qu’une fête splendide y attira quarante chevaliers et quarante damoiselles de tous pays, fête à laquelle assiste Pierre de Lusignan , roi de Chypre , venu en France pour solliciter les chrétiens de secourir la terre sainte.

Ces salles aussi ont vu Pierre-le-Cruel, le roi ou plutôt le tigre de Castille, implorer le secours du prince Noir contre son frère Henri de Transtamare, qui l’avait détrôné avec l’aide de Duguesclin ; triste secours qui lui fut accordé, et qui, hélas ! n’aboutit qu’au fratricide.

De la partit Jean Chandos pour aller à cette chevauchée qui fut la dernière, lorsqu’il succomba au pont de Lussac , en Poitou, sous les vaillants coups de lance d’un chevalier français ; de là aussi fut chassée la garnison anglaise, lorsque nos aïeux, tous Français de cœur, secouèrent le joug de l’étranger et ouvrirent leurs portes à un roi national, sage et reconnaissant [16].

Enfin, vous rappellerai-je, messieurs, que ce logis , réparé par ses soins, a servi d’habitation au fils de Valentine de Milan, à ce bon et noble comte Jean, les délices de nos pères, l’un des premiers moralistes français, frère de cet autre Charles d’0rléaus, poète qui charmait les longues heures de vingt-cinq ans de captivité sur le sol étranger, en préludant à ces chants naïfs et gracieux qui, plus tard, ont illustré Melin de Saint-Gelais et Marrot. Vous dirai-je, ce que vous savez mieux que moi, que dans ces vastes salles, si dégradées, si méprisées aujourd’hui, s’est écoulée l’enfance du vainqueur de Marignan, du père des lettres françaises, et de la douce et gracieuse reine de Navarre, la Marguerite des Marguerites ; et pour clore cette série des grands souvenirs qui se rattachent à cet édifice , sur lequel est aujourd’hui suspendu le marteau des démolisseurs, je vous dirai de suite, parce que je pense pouvoir le prouver : c’est la que s’est passé l’évènement le plus retentissant de notre histoire municipale, à savoir la mort du maire François Normand, tué en 1588, en voulant arrêter le duc d’Epernon, d’après l’ordre du roi.

Depuis peu de jours, messieurs, que ces questions sont revenues à l’étude, j’ai voulu revoir cet évènement sur le théâtre même de l’action ; j’ai évoqué ce drame lugubre qui coûta la vie à grand nombre de nos citoyens, parmi lesquels « tel ayant esté tué estait chargé de cinq à six enfants » [17] dit un chroniqueur contemporain ; j’ai retrouvé dans notre vieux château, dans le corps de logis actuellement menacé, et la chambre et le cabinet de d’Epernon, et les restes de ce petit degré conduisant à une chambre de la tour principale, dans laquelle se réfugièrent le maire et ses adhérents, et d’où ils ne descendirent pour se rendre à leurs ennemis qu’après deux jours passés sans vivres, lorsque, mourant de faim, tous étaient blessés, enfumés dans leur étroit réduit, et qu’enfin le courageux Normand [18], cet homme d’esprit et de main, suivant le témoignage non suspect de Girard, prêt à rendre le dernier soupir, n’avait plus de voix pour les encourager à la résistance.

Et si, passant du grave au doux, nous voulons rappeler d’autres souvenirs moins sombres, nous retrouvons encore ici une des figures les plus délicates et les plus originales du XVIIe siècle. Là, en effet, est venue clore sa carrière poétique la belle Julie d’Angennes, la reine des précieuses, la divinité de l’hôtel de Rambouillet, lorsqu’elle devint l’épouse du marquis de Montausier, gouverneur d’Angoumois. C’est dans ce lieu , en compagnie de notre célèbre Balzac, qu’elle faisait entendre a nos gentilshommes campagnards émerveillés, ce beau langage si poli, si châtié, dont elle avait puisé le goût et l’habitude dans le commerce des beaux esprits du temps : de Voiture, de Ségrais et même du grand Corneille, qui, de ses héroïques mains, n’avait pas dédaigné d’attacher quelques fleurs poétiques à la Guirlande de Julie [19].

Voilà , Messieurs, les souvenirs qui planent autour de ce vieil édifice ; voila les histoires racontées par ce livre de pierre , pour ceux qui savent y lire.

J’arrête ici cette énumération que j’aurais pu facilement rendre plus étendue ; mais j’espère que les souvenirs que j’ai évoqués sont assez palpitants dans l’histoire, pour préserver ces nobles reliques de la destruction qui les menace.

Quant à vous , messieurs , malgré les sarcasmes, vous continuerez à protéger de vos vœux et de vos protestations désintéressées ces vénérables témoins du passé, pour lesquels quelques personnes professent un si profond mépris. Le vent de la destruction n’a déjà que trop soufflé sur notre pays, dont il a renversé tant de beaux édifices. Il est temps de s’arrêter. La magnifique basilique de La Couronne est tombée, au commencement de ce siècle (1806), sous les coups d’une délibération du conseil municipal.

Celle de Saint-Amant-de-Boixe, non moins belle, n’est plus qu’une masure qui s’écroulera avant peu, frappée des injures du temps et de l’indifférence publique.

Le chateau de Barbezieux et sa chapelle à la légende de la Madone d’or, sont démolis : les débris en ont été vendus comme un vil moellon.

Le château de Cognac, illustré par Louise de Savoie et sa cour, par la naissance de François 1er, par les poésies des deux Saint-Gelais, n’a plus de nom, plus d’écho : c’est un magasin de futailles. Les délicieuses sculptures de sa chapelle ont été effacées par un marteau profane, les débris se sont dispersés sous les pieds des démolisseurs ; le sanctuaire du vrai Dieu est devenu l’un des parvis du temple de Plutus.

Bouteville, la royale demeure de Bouteville, ne présente aux yeux que quelques pans de murailles désolées.

Saint-Germain-sur-Vienne, Blanzac, Aubeterre, Marthon, Montignac, n’existent guère que dans les souvenirs de quelques vieillards. Le château d’Angoulême, avec son histoire, nous restait encore, et le voilà qui s’écroule !

Cependant nos souvenirs historiques du moyen âge sont là tout entiers ; il ne suffit pas de lire les récits des chroniqueurs, il faut aussi voir les lieux témoins des évènements.

Aussi nous ne devons pas désespérer ; M. le ministre d’état [NDLR Prosper Mérimée], protecteur des monuments historiques de France, M. le préfet de la Charente, s’intéresseront a ce château, et, prenant en considération les observations précédentes, les vœux que vous avez émis et les conditions imposées par l’acte de donation faite à la ville, ils inviteront l’administration municipale a faire exécuter le plan de restauration et de conservation qui d’abord avait été adopté.

Dr. Gigon, membre de la Société archéologique, ancien membre du conseil municipal d’Angoulême [20].

Après la lecture de ce travail , la société d’archéologie a décidé, dans sa séance du 1°‘ avril 1859, qu’elle l’adoptait comme étant l’expression de son opinion, et elle a renouvelé le vœu qu’elle avait émis déjà, dans la séance du 4 mars dernier, en faveur de la conservation des restes du château d’Angoulême. Une expédition de cette résolution sera adressée à M. le préfet de la Charente et à S. Exc. le ministre d’état, protecteur des monuments historiques.


[1L’hôtel de ville se construit actuellement sur l’emplacement d’une partie de l’ancien château.

[2Ceci ne s’applique pas à M. Abadie

[3Route de Saintes

[4Route de Montmoreau

[5Route de Périgueux

[6Cette admiration, peut-être un peu trop naive de Corlieu, est une des causes principales de l’incertitude qui a régné sur cette grande salle.

[7Corlieu, en 1575, écrivait ces mots : « Ressentent aussi leur antiquité les murailles de la première ville (celles d’Aldoin). depuis ce chastellet jusquau chasteau, lesquelles sont restées en quelques endroits, malgré le temps et les désastres advenus a la pauvre ville, faites de grands quartiers de pierre de quatre à cinq pieds de longueur et larges à l’advenant, entassées l’une sur l’autre sans mortier, comme celles que nous voyons, basties du temps des anciens Romains, a Sainctes et à Perigueuz ; et si s’est encore, cette année, descouvert une marque de plus grande antiquité en ces murailles, qu’ayant été ouvertes , on a trouvé l’intérieur d’icelles fait et massonné de pièces d’autres pierres qui, auparavent, avaient servy à autres édifices, comme colonnes, frises et soubassements, qui monstre que jadis lesdites murailles furent faites des ruines de quelques temples, etc. » A la lecture de ces lignes , nous croyons encore assister a la démolition du mur qui bornait notre château a l’ouest du pavillon d’Epernon, démolition faite l’année dernière. Plusieurs débris gallo-romains de ce mur, colonnes, frises et soubassements, ont été conservés a notre musée archéologique. .

M. Castaigne avait déjà publié des observations dans ce sens sur ces vieilles murailles.

[8La Chronique de Saint-Denis, t. IV, p. 270 (édition Paulin-Paris), parle des poisons préparés par Ysabelle de Taillefer contre le roi, et Robert Gagnin répète le même fait en ces termes : Mater angli regis, uxor comitis Marchiani, postquam Ludovicum videt superiorem atque potentiorem bello esse, veneno regem intercipere tentavit. (Compendium, lib. VII, f° 60, 1500.)

[9Hist. de la vie du duc d’Epernon , divisée en trois parties. Paris, chez Auguste Courbe. 1655 , in-f°.

[10Ces cuisines et offices figurent encore sur le plan de 1790 ; c’était alors la cantine de la garnison qui occupait le château. Dans cette même cour des cuisines et des puits se trouvaient les autres servitudes ou communs du château.

[11Archives curieuses de France, de Cimber et Danjou, p. 35, 1ère série, t. XII

[12Le duc d’Epernon fut nommé gouverneur d’Angoumois et de Saintonge, en remplacement de son cousin de Bellegarde, mortellement blessé a la bataille de Coutras. Cette bataille avait eu lieu le 20 octobre 1587 ; les lettres de nomination d’Epernon ne purent être expédiées qu’a la fin du mois de novembre suivant. Or, l’évènement qui amena la mort du maire François Normand se passa le 10 août 1588. huit mois après cette nomination. Pendant tout ce temps, d’Epernon ne vint même pas à Angoulême, d’après le récit de Girard ; il est donc évident qu’il ne pût bâtir ce pavillon ; aussi le narrateur que nous avons cité plus haut ne parle que du château aux grosses tours de pierre, fort anciennes. Ce ne put être que longtemps après qu’on le bâtit, ce pavillon, probablement en même temps que les fortifications nouvelles.

[13Le jour de l’insurrection, Mme d’Epernon étant sortie pour aller a la messe au couvent des Jacobins, elle fut arrêtée par les habitants ; deux de ses serviteurs furent mortellement blessés à ses cotés, leur sang jaillit sur ses vêtements. « Ils (les habitants) menacèrent la duchesse, si elle ne persuadait au duc. son mary, de se rendre, de la faire servir de gabion devant la place où ils la conduisirent.... Mais, sans s’esmouvoir de toutes ces menaces , elle répartit... que si le duc, son mary, avait besoin d’estre fortifié dans la résolution de se bien deffendre, elle demanderait elle-mesme de luy estre présentée pour le luy persuader. »

Elle mourut de douleur au château d’Angoulême, en 1593, en apprenant que son mari avait été blessé d’un coup de canon au siége d’Aix. « Ainsi mourut cette jeune et. vertueuse dame, en la vingt-sixième année de son âge, après avoir tesmoigné une indifférence pour la vie digne de son courage, et une résignation à la mort digne de sa piété. » (Girard. loc. cit., p. 90 et 149.)

[14Discours véritable de ce qui s’est passé dans la ville d’Angoulême, entre les habitants et le duc d’Epernon, daté du 14 août 1588, 12 p. in-18, a Paris, chez la veuve Roffet ; il fait partie de la bibliothèque de M. Castaigne ; il est moins complet que celui que j’attribue à l’abbé d’Elbène, pourtant il renferme quelques particularités qui ne se trouvent nulle part ailleurs.

[15Edition de M. Castaigne, imprimée à Angoulême, chez Lefraise, 1852.

[16Charles V

[17Narrateur aux initiales N. D. A.

[18François Normand de Puygrelier, septième aïeul de M. Normand de La Tranchade, le dernier maire d’Angoulême.

[19« Dix-neuf poètes prêtèrent leurs voix à vingt-neuf fleurs. Le grand Corneille lui-même se chargea du lis, de l’hyacinthe, de la grenade. » (Jacques Demogeot, Tableau de la littérature française au XVIIe siècle, p. 217. 1859.)

[20Elu au mois de juin 1846, démissionnaire le 5 mars 1859.

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