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De la ville de Saintes, par Armand Méchain (1671)

jeudi 7 mai 2020, par Pierre, 413 visites.

L’histoire de la ville de Saintes, racontée par Armand Méchain en 1671, couvre une période allant de l’époque romaine à 1652. Vaste programme... La période la plus développée est celle des invasions sarrasines en Guyenne, du VIIIème au Xème s.

Nous nous sommes attachés à indiquer les sources utilisées par l’auteur, en les regroupant dans un encadré en tête de page. Aujourd’hui, un grand nombre de ces documents sont numérisés, et accessibles dans leur version ancienne.

Ces sources sont d’un niveau inégal, certaines étant plus proches de la légende que de l’histoire. On en trouvera un exemple dans la mention du roi Nabuchodonosor, roi de Babylone de 1125 environ à 1104 av. J.-C. rattaché par A. Méchain à l’histoire de la ville de Bourges.

Malgré ces quelques faiblesses, les écrits d’Armand Méchain restent un riche source d’informations sur l’histoire ancienne des provinces de Saintonge, Aunis, Angoumois et Poitou.

DE LA VILLE DE SAINTES.

Sources bibliographiques citées par l’auteur

Auteur Dates Titre Div En ligne
Adémar de Chabannes 988 ?-1034 Chronique En ligne sur BNF Gallica
Aimoyn Xème s. De gestis Francorum Liv 1 chap 4 le bénédictin Aimoin est entré chez les bénédictins de l’abbaye de Fleury vers 980. Ses "Historiae Francorum" constituent l’une des plus anciennes compilation importantes des sources de l’histoire de France, composées avant 1004. L’oeuvre évoque l’histoire des francs depuis les origines jusqu’en 654. ‎Publié en 1322 En ligne sur archiv.org
Ammien Marcellin (c)330-(c)395 Res gestae Voir sur Wikipedia
Ausone (Decimus Magnus Ausonius) 309-394 Epitres Voir sur Wikipedia
Besly 1572-1644 Histoire des comtes de Poictou et ducs de Guyenne, contenant ce qui s’est passé de plus mémorable en France depuis l’an 811 jusques au roy Louis le Jeune ... Ensemble divers traictez historiques Vie de Guillaume V dit le Gras En ligne sur BNF Gallica
Davity Pierre 1573-1635 Les états, empires et principautez du monde (1619)
Grégoire de Tours 538-594 Histoire des Francs Liv 4 chap 26 En ligne sur BNF Gallica
Grégoire de Tours 538-594 Livre des Confesseurs
Hildericus (Huldrich) Mutius 1496 ?-1571 Germanie Liv 11 - De Germanorum prima origine, moribus,institutis et rebus gestis (Bâle 1510)
Ptolémée Claude (c)100-(c)168
Strabon 60 av JC-20 ap
Tacite 56-120 Annales Liv 6 Traduction en ligne sur Roma Quadrata
Vinet Elie 1509-1587 L’antiquité de Saintes et de Barbezieux (1561) En ligne sur archiv.org

SAINTES est la Ville Capitale de la Province de Saintonge : Ausone en son Epistre II l’appelle Santoni , du nom des Habitans du païs ; & Tacite la nom­me de la mesme sorte au Livre 6. de ses Annales, Tractique font in casum eundem lulius Africanus è Santonie Gallica Civitate. Strabon & Ptolomée l’appellent Mediolanum ; Et parce que la Ville de Mehun sur Yevre portoit anciennement le mesme nom, & qu’il estoit à propos de marquer de la différence entre ces deux Villes , on appelloit particulièrement la Ville de Saintes, Mediolanum Santonum, ou Mediolanum Santonus ; non pas en commettant un solecisme, comme j’ay desja dit cy-dessus, mais parce que les Villes principales & capitales des Provinces ne se contentants pas de leur nom ancien, prenoient aussi une appellation plus Noble des peuples qui les habitoient, comme on disoit, Lutetia Parisius, Paris, Augusta Vindelicus, Ausbourg, Colonia Graviscus, Montalte en Toscane. Grégoire de Tours au Livre 4. de son Histoire chap. 26. la nomme Urbs Santonica, & Aimoyn l’appelle simplement Santona , Lib. 1. De Gestis Francorum Cap. 4. Certainement Ammian Marcellin dit que de son temps , elle estoit une des plus Nobles & meilleures Villes de Guyenne ; mais je peux dire avec vérité, qu’elle a esté autresfois une des plus belles & plus puissantes Villes de l’Europe , ornée de Temples magnifiques, d’Aqueducs,. d’Amphithéâtres, & de Bastiments publics & particuliers d’une excellente & admirable structure ; & sur tout pleine d’un peuple Illustre & Généreux, qui s’est merveilleusement signalé par la gloire de ses Victoires & de ses Conquestes. Cette grande & celebre Ville de Milan , qui est encore à present une des plus Belles & plus Nobles Villes de l’Italie, est, au rapport de Strabon, une ancienne Colonie des Saintongeois, & sur tout des premiers Habitants de Saintes, qui la bâtirent & la nommèrent du nom de leur patrie : & il suffit d’en dire ce mot en passant, pour faire voir l’excellence de l’Ancienne Ville de Saintes, & de la Vertu de ses Habitans. Elle est à present petite, mais fort aggreable, & lavée du beau Fleuve de Cbarante. Elle est aussi ornée d’un Pont d’une ancienne structure, sur lequel un Arc fort élevé, où sont gravées des Inscriptions en Lettre Romaine, que le temps, qui consume toutes choses, n’a pas absolument effacées : Car on y lit encore ces mots, SACERDOS ROMAE ET AVGVSTO. Et plus haut, CÆSARI NEP. D. IVLII PONT. AVG. Ce qui a fait croire à plusieurs que cet Arc avoit esté basty du temps de Tybere, qui se disoit Neveu de Jules Cesar. On y treuve bien aussi quelques autres Lettres , mais dont il est impossible de tirer aucune intelligence, parce qu’elles sont fort rongées de vieillesse. Sur ce mesme Pont est assise la Tour de Montrouble d’un Ouvrage Romain, & bastie, au rapport de Davity, de pierres semblables à celles des Arènes de Nismes : Et de cette Tour là releve une bonne partie des Fiefs & Seigneuries de Saintonge.

2. On voit encore à present hors de la Ville de Saintes les ruines de quelques Aqueducs & Canaux de Fontaines, tirant vers Sainct Jean d’Angely, ensemble les restes d’un Amphithéâtre, avec la place où étoit le Cirque, prés de l’Eglise de Sainct Eutrope, & plusieurs autres vestiges, qui marquent bien la grandeur & la magnificence de cette superbe Ville. Mais ce qui la rendoit encore plus considerable, c’estoit le Temple du Capitole, basty dans l’enceinte d’un fort & ancien Chasteau, que Charles Comte d’Alençon , frère du Roy Philippes de Valois fit abbattre, après l’avoir pris sur les Anglois l’An 1329. suivant qu’il est rapporté par Du-Tillet. Aimar de Chabanois parle en son Histoire du Capitole de Saintes, & Besly en fait aussi mention en la Vie de Guillaume cinquième dit Le Gras, Comte de Poictou & Duc de Guyenne ; où il dit en propres termes, Que Fouques Nerre, dit le Palmier, Comte d’Anjou & de Saintes estant d’une humeur fort ambitieuse & entreprenante, avoit dessein de s’emparer du Comté du Maine ; mais qu’il ne l’osoit entreprendre à main armée contre Herbert surnomé Esveille-chien, fils de Hugues & pere d’un autre Hugues Comte du Païs, Il s’advisa donc d’y coudre de la peau de Renard & proposa de sous-inféoder Saintes à Herbert, & pour cet effect luy assigna jour en la Ville de Saintes, où le Manceau & sa femme allèrent à la bonne foy. Mais Herbert n’ût pas plutôt mis le pied dans le Capitole [car le Chasteau de Saintes s’appelloit ainsi] que l’Angevin se saisit de luy en trahison le premier Dimanche de Caresme de l’an 1031. Hildegarde femme de Fouques, non moins lâche & desloyale que luy, pensoit surprendre la Comtesse du Maine devant quelle sçut des nouvelles de la prison de son mary, mais l’embûche éventée elle se sauva. Certainement il n’est pas possible de s’imaginer, combien ce Temple du Capitole de Saintes étoit superbe & magnifique, & bien qu’il ait esté absolument destruit il y a déjà plus de trois siecles, neantmoins la gloire n’a pas esté tout à fait ensevelie, & on a veu encore de nos jours des Monuments illustres de sa magnificence & de sa beauté dans la découvertc de ses ruines.Et de vray, le sieur de Perne Gouverneur de la Ville de Saintes, ayant en l’Année 1609. receu commandement du Roy Henry 4. d’y faire dresser quelques Bastions, fit ruïner une vieille Tour à l’entrée de la Citadelle, pour en avoir les matériaux ; Et ayant fait bêcher au fonds de la Tour & aux environs , il s’y treuva grande quantité de pierres en un monceau : dont les unes temoignoient avoir servi à quelque grand Edifice, comme pourroit estre un Temple ; & les autres sembloient estre du débris de quelques Monuments & Sepulchres. On y treuva plusieurs pièces de grandes Colomnes canelées & rudentées, garnies de leurs bases, chapitcaux, architraves, frises, corniches, & moulures de bonne grâce & juste proportion ; Ensemble d’autres structures representans quelque forme d’Autels à l’antique, avec diverses figures & inscriptions, dont les vues avoient la ressemblance des Prestres Flamines dédiés à Jupiter Capitolin, qui sacrifioient avec des instruments de Religion, comme Pateres, Sympules , Litues, Disques, & autres de cette nature. Ce qui est dautant plus remarquable, qu’il n’y avoir gueres que trois autres Villes en France, ausquelles il fût permis d’avoir des Capitoles, sçavoir Autun, Nismes &Toulouse.

3. Sainct Eutrope,l’on dit avoir esté fils de Xerxes Roy de Perse, du temps de l’Empereur Auguste Cesar, ayant receu sa Mission de St. Clement, dressa la Ville de Saintes au plan de la Religion Chrétienne, & en fut le premier Evesque durant l’Empire de Domitien, environ l’an 95. de nôtre Seigneur, apres que Sainct Denis Areopagite, St, Rustique, S. Eleuthere furent envoyez dans le païs des Gaules par S. Pierre, pour y prescher & annoncer l’Evangile. Nos Saintongeois font un très-grand estat de Sainct Eutrope, parce qu’il a souffert le Martyre, & qu’il a esté canonisé à cause de la pureté de ses mœurs & des beaux Exemples de sa Vie & ils ont aussi en singuliere vénération trois autres de leurs Evesques, sçavoir, Sainct Vivien, Sainct Trojan & Sainct Palais ; mais ils ne sçavent presque rien de leurs Vies, ny mesmes en quel temps ils ont esté. Ils addressent encore leurs prieres à Sainct Martin, lequel n’a véritablement esté ny Evesque ny Martyr, mais qui a esté Abbé & Confesseur & Disciple du grand Sainct Martin de Tours, qui mourut environ l’an 400. de nôtre Seigneur Iesvs-Christ, suivant le rapport de Grégoire de Tours au Livre des Confesseurs. L’Eglise Cathédrale de Saintes est dédiée au Prince dcs Apostres, bastie superbement par Charlemagne, puis réparée & presque entièrement rebastie avec la Maison Episcopale, par Pierre de Confolant, qui fut sacré le vingt- huictiéme Evesque de Saintes l’an 1117. avec Guillaume Evesque de Poictiers, comme il se voit dans la Chronique de Maillezais. Dans le sîeclc precedent, ceux de la Religion prétendue Reformée ruinèrent cette Eglise, par une espece de fureur, qui ne peut treuver d’appuy ny de fondement dans la raison, & ne laissèrent que la Tour du Clocher en son entier, qui paroît d’une tres-belle & admirable structure. Outre l’Eglise cathédrale, il y a plusieurs Eglises Parrochiales, & divers Convents de Religieux & Religieuses ; mais sur tout il y a l’Eglise St. Eutrope, que St. Pallais dixiéme Evesque de Saintes fit bâtir a l’honneur de ce grand Sainct, au mesmc lieu où il avoit rencontré son Corps. Il y a aussi l’Abbaye de Nostre-Dame hors les murs de la Ville, qui fut fondée par Geoffroy Martel, Comte d’Anjou & de Saintes, & par la Comtesse Agnez sa femme l’an 1047. Abbaye fort considerable par les beaux Droicts qui luy appartiennent, mais merveilleusement Illustre par la Grande Naissance & la saincte Vie de ses Abbesses & de ses Religieuses, & particulièrement par Madame de Saintes , qui est aujourd’huy ; laquelle, bien que descenduë de la Royale Maison de Foix, qui a donné quatre Reynes en mesme temps aux quatre plus grands Royaumes de la Chrestienté, a neantmoins surpassé toute la gloire & la splendeur de sa Naissancc, par le nombre & la qualité des Vertus qu’elle possede, avec tant d’éclat & de pureté, qu’il ne se peut rien ajouter à la grandeur & à l’excellence de son mérite.

4. Il est parlé de l’Evesque & du Chapitre de Saintes dans le Chap. Transmissae 33. Extra de Verborum signif. & il est aussi fait mention des Chanoines du mesme lieu dans le Chap.12. Extra de Prœbendis : Et il semble que Dieu a versé de tout temps une bénédiction particuliere sur le Clergé de la Ville de Saintes. Car il y a eu grand nombre d’Evesques tout à fait extraordinaires en Vertus, en Lumières & en Connoissances, comme je diray cy-aprés ; Et on y a aussi remarqué des Chanoines excellents en Doctrine & en bonnes mœurs, qui ont respandu dans tout le Royaume la gloire de leur mérite & de leur capacité : Et on peut dire que le Chapitre des Chanoines de Saintes est une source féconde, d’où découlent incessamment des torrents de Lumière & de Doctrine, & où les successeurs font profession de surpasser leurs devanciers. Mais le plus grand Tresor, que possede à present la Ville de Saintes, consiste dans la Personne de Messire Lovys de Bassompierre son Evesque, qui l’a tirée du penchant de sa ruine en l’An 1652. qui l’a traictée avec la mesme tendresse que les peres font leurs enfans, & qui respandant les effects de sa bonté plus loin, garantit toute la Province de Saintonge du feu qui l’alloit dévorer, par les suittes funestes de la guerre civile, ayant par l’adresse & la vigueur de son esprit, obligé le Comte d’Oignon de remettre Broüage entre les mains du Roy. Action certainement héroïque, & qui meriteroit un Volume à part, pour estre dignement traictée. Ce grand Prélat est d’une tres-haute & très-illustre Naissance, car il est fils de Messire François de Bassompierre Mareschal de France & Colonel des Suisses,& d’une Dame de la Maison d’Entragues. II est allié des meilleures Maisons de France & de Lorraine , & porte pour Armes d’Argent au Chevron de trois pièces de gueules.

5. Outre le siege de l’Evesché , la Ville de Saintes est aussi honorée d’un beau Siège Presidial, remply d’un bon nombre d’Officiers, qui rendent la Justice au nom du Roy, avec beaucoup d’honneur, d’experience & d’intégrité,

6. J’ay dit que la Ville de Saintes estoit anciennement fort puissantc & considerable, & l’une des meilleures Villes de l’Europe, mais qu’à present elle est petite, & qu’elle a perdu ce grand éclat de gloire, de puissance & de majesté, qui la rendoit si belle & si vénérable. La cause de ce changement & de cette grande diminution,vient des divers maux qu’elle a soufferts, & des grandes desolations qui l’ont accablée en divers temps & à diverses occasions. Car en premier lieu, l’Armée de Clovis fit de grands desordres, & causa d’estranges ruines dans les païs de Saintonge & d’Angoumois, après que ce vaillant Monarque eut vaincu les Vvisigots en Bataille rangée & tué leur Roy Alaric de sa propre main, à Civaux près de Cbavigné en Poictou. La Ville de Saintes souffrit beaucoup dans cette surprenante conjoncture ; car elle fut forcée de changer de Maistre, de plier sous le joug du victorieux, & de recevoir à diverses fois ses grandes & nombreuses Troupes dans l’enceinte de ses murailles. En second lieu, les Sarrasins qui s’estoient rendus Maistres des Espagnes, par la défaite de Roderic dernier Roy des Vvisigots, ayans passé les Monts Pyrénées pour s’établir en Aquitaine, & s’étans mesmes répandus sur les bords de la Rivière de Loyre, laisserent des marques funestes de leur barbarie & de leur cruauté dans tous les endroits de leur partage, & dans ce miserable accablement la Ville de Saintes ne fut pas plus épargnée que les autres. Encore si cette grande inondation de peuples Barbares ne fût arrivée qu’une seule fois, la face de la Terre n’ût pas esté si desolée, les Villes n’eussent pas esté rendues si désertes, & toutes choses n’eussent pas esté réduites au desespoir : mais comme les maladies sont ordinairement plus dangereuses dans la récidive, que dans leurs premiers accès, aussi le second voyage que firent les Sarrasins en Aquitaine fut un redoublement de maux, dont la grandeur ne se peut facilement exprimer. Surquoy il est remarquable, qu’Abderame Gouverneur des Espagnes, sous Ulith Empereur des Mahometans, touché d’un desir de gloire, & s’estant imaginé que les Provinces des Gaules, qui avoient esté autresfois de la domination des Vvisigots> estoient comme des dépendances des Victoires & des Conquestes que les Sarrasins avoient obtenues sur eux dans les Espagnes, envoya une Armée considérable sous la conduite de Mufa, pour s’emparer de la Gothie ou Septimanie, que nous nommons maintenant le Languedoc3& de l’Aquitaine. Musa prit la Ville de Narbonne de vive force, & assiegea celle de Toulouse, mais Eude fils de Loup Duc d’Aquitaine, vînt au secours des assiegés, donna la Bataille à Musa & le tua sur la place. Abderame fut irrité de cette perte, mais il n’en fut pas étonné : car il mit incontinent après une puissante Armée sur pied, & vint rencontrer Eude auprès de la Ville d’Arles où il le vainquît. Eude s’enfuît à Bourdeaux, où il ramassa quelques Troupes, mais Abderame le vainquît encore I’an 725. de nôtre Seigneur : Et en suitte il poussa son Armée jusques à la Riviere de Loyre. Ce Torrent se respandit avec tant de violence, qu’Eude se treuva trop foible pour luy resister, & fut obligé de proposer des conditions de paix, qui furent acceptées par Abderame ; mais au reste les Villes de Saintes & de Bourdeaux, presque toutes les autres du païs d’Aquitaine furent réduites dans une extrême desolation. Eude qui ne pouvoit vivre en repos, qui ne craignoit plus rien du côté d’Abderame , & qui voyoit que Charles-Martel étoit occupé au-delà du Rhein cotre les Saxons, qui s’êtoient rebellés, leva une puissante Armée, & entra dans les Terres de Theodoric Roy de France, où il exerça toutes sortes d’hostilités. Aussi-tôt que Charles-Martel eut appris cette nouvelle, il quitta le païs de Saxe, passa le Rhein, & vînt combattre Eude proche de la Rivière de Loire, où il le vainquît l’an 728. de nôtre Seigneur. Eude se retira en Gascogne, & comme il estoie tres-sensiblement touché de sa défaite, & que d’ailleurs il n’estoit pas assés fort pour marcher à la vengeance & faire teste à Charles-Martel, il implora le secours d’Abderame contre les françois. Jamais prière ne fut plus aggreable que celle-là ; Abderame promit à Eude de l’assister de toutes ses forces, & mit en peu de temps sur pied une grande & puissante Armée, composée de Quatre cens mille Familles, qu’il avoit fait passer d’Affrique & de Mauritanie dans les Espagnes. Avec ces puissantes & nombreuses Troupes, il passe les Monts Pyrénées, assiege Toulouse & la prend par le moyen des Juifs, qui trahirent les Chrêtiens. Et comme son dessein estoit de s’engager bien avant dans le Païs ennemy, il laissa une bonne garnison à Toulouse, & bastit des Forts sur les lieux de son passage, afin que sa retraite fut plus commode & plus assurée. Surtout il bastit la Ville de Castel-Sarrasin à huict lieues de Toulouse sur la Riviere de Tarn. Cette Ville est veritablement sitüée en un lieu bas, mais de forte défense ; & son nom marque bien assés qui ont estés les premiers fondateurs, sans qu’il soit besoin de s’enquérir plus diligemment de son origine.

L’intention d’Abderame n’êtoit pas de secourir Eude, & de le maintenir contre Charles-Martel, mais d’establir l’Empire des Mahometans en Aquitaine, Dans cette pensée il traicta la Villc de Bourdeaux avec la dernière inhumanité, il abbatit ses murailles & ses belles Tours , il combla ce beau Canal, qui estoit au milieu de la Ville, & qui servoit de Havre aux Navires, il renversa ses Temples & ses Amphithéatres ; en un mot, il la ruina & la brûla presque toute, & fit un cercüeil de sa gloire & de sa magnificence. La Ville de Saintes ne fut gueres mieux traictée, & cette nouvelle desolation jointe à tant d’autres qu’elle avoit souffertes la mit dans un pitoyable estat. Eude connut bien qu’il avoir mal fait d’avoir attiré Abderame dans son propre païs, & d’avoir mis de si mauvais ouvriers en besogne. Il s’en repentît & fit fa paix avec Charles-Martel, auquel il rendit de très-bons offices lors de la Bataillc de Tours. Abderame fut vaincu , & Trois cens soixante & dix mille Sarrasins furent passés au fil de l’espée, sans épargner ny sexe ny âge, au mois d’Octobre sept cens trente, en un lieu appellé la Chapelle Sainct Martin le Bel, & en Latin Sanctus Martinus de Bello. Ce qui resta de cette grande défaite se retira comme il put du côte de Toulouse, dont une partie s’établit dans la Gascogne & le Béarn & l’autre erra miserablement par la France, retenant toujours quelques marques de la Religion Mahometane, & on dit mesmes que ces Vagabonds, qu’on nomme à present Bohémiens, en sont descendus. Eude ne vêquit pas long-tcms après la Bataille de Tours, car il mourut l’An 731. & laissa trois Enfans, sçavoir Gaifer, Hunaut, Aznar. Cettui-cy ne se mesla point du tout des affaires d’Aquitaine, mais se retira de bonne heure en Espagne. & fit paroître tant de courage & de valeur contre les Sarrasins, qu’il se rendit Comte d’Arragon. Les Histoires d’Espagnc parlent de luy avec beaucoup d’honneur, mais celles de France n’en ont pas fait mention, parce qu’il ne repassa pas les Pyrenées3 & ne s’engagea pas dans les interests de sa Famille pour le regard de l’Aquitaine. Or bien qu’il y eut eu quelque espece de Réconciliation entre Eude & Charles-Martel, neantmoins aussi-tôt que Charles sçut qu Eude estoit mort, il quitta précipitamment la Ville de Lyon ou il estoit, & vînt à grandes journées dans la Province de Saintonge avec son Armée, s’empara de la Ville de Saintes & du Chasteau de Blaye, ensemble du Périgord, & du païs d’entre-deux-Mers, & se saisit mesme de la Ville de Bourdeaux. Gaifer & Hunaud se voyants surpris, & ne le treuvants pas assés forts pour resister à un si redoutable ennemy, firent paix avec Charles-Martel l’an 733. mais ils conserverent de vifs ressentiments au fonds de leurs coeurs pour les faire éclorre à la première occasion. En effet aussi-tôt qu’ils sçûrcnt qu’il avoit passé le Rhein, & qu’il estoit occupé a la guerre contre les Saxons, ils levèrent de grandes & nombreuses Troupes, s’accagerent les païs d’Auyergne, de Forests & de Dauphiné, mais ils furent vaincus & repoussés par Charles-Martel, ce qui les obligea de recourir aux Maures & Sarrasins d’Espagne, mais avec peu de succés, car Athin qui estoit venu à leur secours avec une puissante Armée fut vaincu, & Amorre son Lieutenant fut tué sur la place l’An 737. de nôtre Seigneur. Ce fut lors que Charles-Martel destruisit les Villes d’Agde, Nismes, Béziers, Arles & Avignon, & ruina ces Antiquités Romaines qui leur servoient d’ornement. De manière qu’on peut dire, que si la France fut un Théâtre glorieux, où Martel déploya la grandeur de son courage, ce fut aussi un funeste & miserable Sepulchre, où il ensevelit une infinité de Villes qu’il avoit desolées. En troisiéme lieu, les grandes Guerres que Pepin le Brief fils de Charles-Martel eut contre Gaifer & Hunaut, redoublèrent les miseres & calamités du païs de Saintonge, & particulièrement de la Ville de Saintes. Il seroit trop long de raconter les divers voyages que fit Pépin dans les Provinces de Berry, Poictou, Saintonge, Périgord, Limousin & Agenois, avec de grandes & puissantes Armées, pour mettre l’Aquitaine sous son obeïssance, & ranger Gaifer & Hunaut à leur devoir ; Et il me suffira de dire, que Pépin assiègea & prit la Ville de Saintes l’an 768. où il trouva la mère, la sœur & les niepces de Gaifer ; que ces Dames s’estants treuvées à Sainct Jean d’Angely, lors qu’elles apprirent que Pépin venoit en Saintonge, s’estoient retirées en la Ville de Saintes, pour y estre en plus grande seureté, qu’en leur Chasteau de Saint Jean d’Angely, qui estoit le Palais & le Siège des \Roys & Ducs d’Aquitaine. Qu’aprés la prise de la Ville de Saintes, Pépin poussant son Armée & ses Conquestes plus avant, se saisit d’une autre sœur de Gaifer, qui luy fut livrée & mise entre mains par un Seigneur nommé Eronnic ; qu’il fit pendre un nommé Ramestang oncle de Gaifer, parce qu’il luy avoit souvent donné sa parole & qu’il l’avoit toûjours violée ; & que toutes ces grandes Guerres, ces diverses Conquestes, & ces estranges révolutions n’avoient pû arriver sans une extrême ruine & desolation de la Ville de Saintes. Mais la plus grande calamité, que la Ville de Saintes ait jamais soufferte, luy fut causée par les Pirates Normans, qui la brûlèrent & la destruisirent entièrement l’an de grâce 850. comme j’ay desja remarqué cy-dessus. Ces Corsaires, qui venoient de Norvège & de Dannemarc, prirent la hardiesse de courir la Mer Mediteranée dés le temps de Charlemagne, & d’approcher du Port d’une Ville où se treuva cét Empereur, à l’heure mesme qu’il estoit à Table & prenoit son repas. Quelques-uns les prirent d’abord pour des Marchands Juifs, les autres pour des Affriquains, & les autres encore pour des Anglois : Mais Charlemagne ayant attentivement consîderé leur Equipage, & reconnu que leurs Vaisseaux estoient fort légers, jugea bien que le fret n’estoit pas de Marchandise, mais d’armes & d’ennemis, & commanda incontinent à ceux de sa Cour & aux gens de guerre, qui estoient auprès de sa Personne, de monter sur des Navires pour les attraper. Les Normans qui apperçûrent qu’on se disposoit à les combattre, & qui apprirent que Charlemagne estoit là, n’oserent pas hazarder la Bataille contre un Monarque si redoutable, dont la réputation jettoit de la crainte & de l’étonnement dans les cœurs de tous les ennemis , & crûrent qu’il estoit plus à propos de se sauver à la fuite, que de se défendre. On tient que Charlemagne s’appuyant lors sur une fenestre, & se recueillant intimement en soy-mesme, marqua une grande affliction, & versa des larmes en abondance, & qu’en suitte se tournant vers ses plus confidents & plus familiers amis, il leur dit, Ne croyez-pas que j’apprehende la valeur de ces Barbares , ny que leur Nation me puisse nuire : Certainement il me déplaist de ce qu’ils ont esté si hardis, que d’aborder à cette Coste durant ma vie & en ma presence, mais l’affliction qui regne au fonds de mon cœur, vient principalement de la prévoyance & du presentiment intérieur que j’ay, que ces Pirates causeront un jour beaucoup de maux & de traverses à ma posterité, & apporteront d’estranges ruines & désolations à la France.

Le presage de cc grand Prince ne fut pas sans execution ; car l’An 8zo. de nôtre Seigneur, les Normans avec une Flotte de treize Navires se mirent à courir la Coste de Flandres, d’où estants repoussés, ils s’avancèrent vers l’embouchure de la Riviere de Seine, mais la fortune ne leur ayant pas esté plus favorable, ils prindrent la route du bas Poictou, descendirent en l’Ille de Bouin, qu’ils pillèrent, & se retirèrent en leur païs chargés de butin. Au mois de Juin 833. ils vindrent encore aborder à la Coste de Poictou, descendirent en l’Ille d’Hiere, qu’on nomme à present Noirmousticr, la pillèrent entièrement & brûlèrent le Monastere de S.’Philibert, qui avoit esté premièrement institué sous Dagobert & Ansouant Evesque de Poictiers, & en suitte magnifiquement basty & richement doté par Charlemagne. Depuis ce temps là, ces Corsaires continuèrent incessamment leurs courses & leurs pillages par toute la France, mais sur tout ils firent sentir les cruels effets de leur avarice & de leur inhumanité l’an 850. de nôtre Seigneur, car ils descendirent une seconde fois en l’ille d’Hiere ou Noirmoustier, & la brûlèrent : Ils embraserent aussi le Monastere ou Prieuré Conventuel, qui estoit en l’Ille d\Aix prés de la Rochelle, & n’epargnerent non plus les Illes de Ré ny d’Oleron ; Ils ensevelirent, comme j’ay desja dit, la Ville de Saintes sous ses cendres, & saccagerent Angoulesme, Bourdeaux, Limoges, Poictiers, Tours, Beauvais, Noyon, Orléans, Bourges & Clermont en Auvergne : Paris mesme souffrit beaucoup de la fureur de ces Barbares, & Charles le Chauve ne put garantir la Ville Capitale de son Royaume, que par composition & à force d’argent. C’cst ce que dit Hildericus Mutius au Livre Onzième de sa Germanie ; Northmani, dit-il, intelligentes frustatim divisum Imperium per discordes fratres Aquitaniam vastant & Hieram Insulam, moxque longius progressi in Gallias, Burdegalam, SANTONAS, Lutetiam, Turontam, Noviomagum, Aurelianosy Pictavos miseris modis afftixerunt : Le Docte Vinet fait cette observation, Que les Normans conserverent l’Eglise Cathédrale de Saintes, & la garantirent de la rigueur de l’embrasement. D’où vient, dit-il, quils n’eurent pas les Tresors de cette Eglise, qu’on avoit enterrés dans le Chapitre ; non plus que celuy de Sainct Macou, qui fut caché sous un Autel ; ny celuy de Sainct Vivien, qui fut jetté dans un Puits que les ennemis ne sçurent trouver. Enfin, comme toutes les choses du monde ont leur commencement, leur progrès, & leur perfection, elles ont aussi leur décadence & leur fin ; La Ville de Saintes a eu sa naissance sous les premiers Roys des Gaules, & le lustre de sa grandeur & de sa puissance a principalement éclatté du temps d’Ambigat, qui tenoit le Siège de son Empire dans la Ville de Bourges, du temps de Nabuchodonosor Roy des Babiloniens & de Tarquin le Vieil Roy de Rome. Sa gloire a continué long-temps aprés, mais elle n’a pas esté du tout si vive ny si éclattante du temps des Romains ; elle a receu des disgraces sous Clovis, mais elle a receu d’estranges atteintes & de Funestes défaillances sous Charles-Martel & Pépin le Brief ; & par un dernier mal-heur,elle a esté tout à fait esteinte & destruite par les Normans. De manière que la Ville de Saintes, que nous voyons aujourd’huy, est plûtôt une nouvelle Ville , que cet ancien Milan de Saintonge qui a esté si considérable, & dont les Historiçns ont parlé avec tant d’estime & d’honneur.

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