Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

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Les Etats-Généraux de Blois (1576-1577) racontés par Pierre de l’Estoile (1546-1611)

jeudi 20 juillet 2023, par Pierre, 271 visites.

Pierre de L’Estoile, né à Paris en 1546 et mort le 8 octobre 1611, est un mémorialiste et un collectionneur. Il a écrit sous le titre de "Mémoires-Journaux", une collection d’articles qui couvrent les règnes les règnes d’Henri III et Henri IV (1574-1611). On y trouve une description minutieuse des évènements, des sonnets, des pamphlets, des affiches, etc.. Ces documents constituent une source unique pour l’étude historique des guerres de religion.

Cette collection est accessible en ligne : Google Livres. Cette page est tirée du Tome I. (Edition 1875)

Pierre de l’Estoile ne prend parti pour aucun des belligérants (Henri III avec la Ligue, et Henri de Navarre). Il ne juge pas : libre au lecteur de se faire une opinion. Cependant, il se montre plutôt critique envers la Ligue, et ne manque pas de dénoncer les excès et le cynisme du Roi (mignons, dépenses somptuaires de la Cour, etc.).

Nous avons retenu ici la partie de cette chronique commençant avec l’arrivée du Roi Henri III à Blois, début novembre 1576 et se terminant au départ du Roi après clôture des Etats-Généraux en mars 1577.

Le récit se termine sur un coup de théâtre : Le Roi "fist, le vendredi 20e mars, publier à son de trompe, à Paris, qu’il ne feroit response aux Cahiers et articles desdits Estats, jusques à ce que les troubles fussent composés et les guerres appaisées : qui estoient deux choses toutes contraires."

Ce n’est qu’en janvier 1580 qu’il tint efin sa promesse, pressé par la déconfiture financière du Royaume.

 Année 1576

Nov. 1676

Le lundi 5e novembre, le Roy et la Roine sa femme, de Paris vinrent coucher à Olinville, où le mercredi 7e, à deux heures après midi, Mr le Duc vinst en poste, peu accompagné, trouver le Roy son frère, et se firent à l’arrivée fort grandes caresses.
Le vendredi 9e, ledit seingneur Duc vinst à Paris, aussi en poste, et alla descendre aux Augustins, où il tinst sur fonds de baptesme le fils de M. de Nevers, en grande magnificence, puis alla soupper et coucher au Louvre, où son logis estoit appresté. Et le dimanche 1 Ie, s’en retourna aveq la Roine de Navarre, sa seur bien aimée, retrouver le Roy à Olinville, dont ils partirent ensemble le mardi 13e, et le jeudi 15e arrivèrent à Orléans, où le Roy fist son entrée. De là passèrent à Blois tenir les Estats, qui y avoient esté convoqués au 25e de novembre.
De ceste entrevue du Roy et de Mr son frère, et de leur tant soudaine et inespérée réconciliation, partout fut grand l’esbahissement, principalement entre les Hugue- 20 nos et Catholiques leurs associés, auxquels, depuis la Saint-Berthélemi, il ne faloit pas grand chose pour les mettre en alarme et en desfiance. De fait, ils commencèrent à penser à leurs affaires, et ne fut bruit que de guerre et d’armes entre eux, aussitost qu’ils en eurent receu les nouvelles. Et ce qui plus leur augmenta le soubçon, fust l’advis qu’ils eurent qu’en mesme temps Domp Jean d’Austria, avec quatre chevaux de poste, et sous le passeport d’un Portugais, estoit passé par Paris, où, avec l’ambassadeur d’Hespagne, il avoit séjourné et demeuré caché deux jours, et que de là il tiroit à Luxembourg, où il devoit voir et parler au duc de Guise.
Sur ce bruit, courust, à Paris, le sonnet suivant, qui me fust baillé au Palais, la veuille Saint-Martin :

SONNET.

Je crains que l’Alemant triumphe de la France,
Ou qu’il ne soit chez nous par l’Espagnol desfait ;
Je crains, dedans Paris, quelque voie de fait ;
Je crains du roy Philippe encore une alliance ;
Je crains, si la victoire est tousjours en balance,
Que ce ne soit, hélas ! entre nous jamais fait ;
Et si l’un des partis est vaincu tout à fait,
Je crains que la victoire apporte une insolence ;
Je crains un prompt assault, je redoute un long siège ;
Je crains qu’en ces Estats plusieurs soient pris au piège ;
Brief, de nos beaux projets, de grands hasards je crains ;
Mais quand du temps passé les discours je rameine
Et que du temps présent la fureur [nous] entraine,
Je crains, je crains surtout la Maison des Lorrains !

Nouvelles à Paris, du sac d’Anvers. — Le samedi 10e novembre, arrivèrent à Paris les tristes et piteuses nouvelles du sac de la ville d’Anvers ; et comme le dimanche 4e de ce mois, sur le midi, les Espagnols estoient sortis en furie de la citadelle, et avoient chargé les pauvres habitans d’Anvers, et desfait trois mil Alemans qu’ils y avoient fait entrer, nonobstant le secours des gens du pays que le comte d’Egmont y avoit envoies ; et comme les Espagnols estans demeurés les maistres de ceste belle ville, avoient bruslé la maison des Ostrelins, leur Hostel de Ville, et bien huict cens maisons de bourgeois, tué, massacré, et saccagé et bruslé pour trois ou quatre millions de marchandises qu’ils n’avoient peu emporter. Dura le saq et le massacre environ quinze jours, durant lesquel son faisoit compte de sept à huict mil personnes de morts, de tous aages, sexes et qualités ; car l’Espagnol victorieux est ordinairement insolent, et si cruel et peu respectueux, qu’il n’espargne rien pour se venger de son ennemi. Grande et pitoiable fut la désolation de ceste ville d’Anvers, qui estoit auparavant (comme chacun sçait) l’une des plus belles, riches et magnifiques villes du monde.

Estats vendus à Paris. — En ce mois, Mr de Thoré vendist son bailliage du Palais dix huict mil francs à messire René Baillet, seingneur de Tresme, fils de deffunct président Baillet ; et le seingneur de Meru, la capi­tainerie de la Bastille de Paris, à Testu, Chevalier du Guet, plus propre, ainsi qu’on disoit, pour le gouverne­ment d’une bouteille que d’une telle place.

Décembre.

Harangues du Roy et du Chancelier. — Le jeudi 13e de décembre, le Roy, estant à Blois, ouvrist les Estats, et y fist la première séance en laquelle Sa Majesté harangua disertement et bien à propos. Au contraire, le chan­celier de Biragues, après lui, harangua longuement, lourdement et mal à propos, dont fust fait et semé le suivant quatrain :

Tels sont les faits des hommes que les dits :
Le Roy dit bien, car il est débonnaire ;
Son Chancelier fait bien, tout au contraire :
Car il dit mal et fait encore pis.

Meurtre du seingneur de Saint Sulpice, dans la basse cour du château de Blois. — Le jeudi 20e décembre, le fils aisné du seingneur de Saint Sulpice fust tué, en la basse court du chasteau de Blois, par le vicomte de Tours, frère de Madame de Sauves, femme de Fizes, secrétaire d’estat, pour querelle particulière, occasionnée de ce que ledit Saint-Sulpice avoit reproché audit vicomte qu’il n’estoit pas gentilhomme. Le mort fust regretté, et en fist le Roy démonstration de grand malcontentement, parce que le seingneur de Saint-Sulpice, père du mort, avoit esté gouverneur de Mr le duc d’Alençon, frère du Roy, estant des anciens chevaliers de l’Ordre et conseilliers du Conseil privé, et respecté et aimé du Roy et de la Roine sa mère, comme ancien courtizan.

Prise du Saint-Esprit par les Catholiques. — Ce jour, vinrent nouvelles à Paris, comme le capitaine de Luins, maistre de camp du mareschal Dampville, et ès mains et garde duquel ledit mareschal avoit, dès l’an 1675, mis la ville du Pont-Saint-Esprit, en Dauphiné, pour la garder à la dévocion de ici et des Huguenos et Catholiques leurs associés, l’avoit rendue et remise en l’obéissance du Roy, et mis dehors ceux du parti contraire, aiant failli à se saisir de la personne du seingneur de Thoré, lors y estant, lequel se sauva de vistesse.

Belle rencontre. — Sur ceste prise du S.-Esprit par les Catholiques, et de la Charité par les Huguenos, qui étoient aussi peu touchés du S.-Esprit que les autres de la Charité, furent faits et divulgués les vers suivants :

Pour mieux recommencer une fureur tragique,
Le soldat Huguenot a pris La Charité,
Vers nous peu charitable, et le fin Catholique
De dans le Saint-Esprit brusquement s’est jetté.
Que prirons-nous à Dieu pour vivre en seureté ?
Que puisse au Huguenot le Saint-Esprit se rendre,
Et que la Charité au Roy se laisse prendre.

Déc. 1676

Le Roy veult la paix. — Sur la fin de ce mois, le Roy, aiant entendu, sous main, que les Estats se résolvoient, tous trois d’un accord, de demander l’abolition de l’exercice de la nouvelle religion, pourveu que cela se fist avec toute douceur et sans rentrer, s’il estoit possible, en guerre, envoia de Blois le secrétaire Viart avec Masparrot, maistre des requestes, vers le Roy de Navarre et mareschal Dampville, pour traicter avec eux et leur faire relascher beaucoup de choses à eux accordées par l’édit de pacification ; entre autres les Chambres Mi-Parties, sans toutefois leur oster totalement l’exercice de leur religion, que Sa Majesté estoit contente de leur laisser en certains lieux, et la liberté de conscience partout. A quoi, du commencement, ils prestèrent fort l’oreille, et en estoient comme d’accord ; mais la nouvelle de la prise du Pont-Saint-Esprit et de la Rochelle et Aigues- Morte, faillies en mesme temps, remist tout en trouble, et aussi la longueur dont on usa : car qui ne prend telles gens au mot, comme les femmes, il y a après jour d’advis.

Mort de Nancey. — En ce mois, mourust le seingneur de Nancey, capitaine des gardes, et fut sondit estat donné par le Roy à M. de Clermont d’Antragues.

 Année 1577

Janvier.

Déclaration du Roy aux Estats, le 1er de l’an 1577. — Noblesse. Clergé. Le peuple. — Le mardi premier de l’an, le Roy déclara aux députés des Estats assemblés à Blois, que, suivant leur advis et requeste, il n’entendoit et ne vouloit qu’en tout son Roiaume il y eust exercice de religion autre que de la Catholique, Apostolique et Rommaine, et qu’il révoquoit ce qu’au contraire il auroit accordé, par le dernier édit de pacification, comme par force et contrainte.

De quoi advertis, le Roy de Navarre, [le] prince de Condé, et mareschal Dampville, chefs des Huguenos et Catholiques associés, et aussi que le Roy avoit juré et signé la Sainte Ligue, dès le 12e de décembre dernier, font leurs préparatifs de munitions et d’hommes pour la guerre, qu’ils disent ouverte, fortifient la ville de la Charité, montent à cheval, battent la campagne et prennent villes et chasteaux de toutes parts, et font tous actes d’hostilité comme en guerre ouverte, dont le Roy, la Roine et les trois Estats demeurent tout estonnés. Là dessus, la Noblesse (comme c’est l’ordinaire) fait ferme pour son Roy, sans avoir esgard à autre chose qu’à la manutention de l’estat de la couronne ; le Clergé, intéressé en la cause de la religion, favorise ce changement et secrettement affectionne le parti de ceux de Lorraine, qui est la Ligue, voire contre le Roy mesme et son Estat, au cas qu’il y aille du leur. Le Peuple, qui de soi-mesme n’a mouvement que celui que lèvent des grands lui fait prendre, s’esmeust où le premier vent le pousse, et ordinairement contre son utilité manifeste

Obsèques de l’empereur Maximilian. — Le mercredi 9e janvier, les obsèques et funérailles du deffunct Maximilian d’Austriche, Empereur, beau-père du feu Roy Charles IXe, furent faites en l’église de Paris, aveq grande magnificence et cérémonies en tels cas accoustumées. Frère Henri Godefroi, Parisien, religieux de Saint- Denis, docteur en théologie, fist et prononça l’oraison funèbre, telle qu’elle est imprimée.

Le samedi 12e janvier, on recommença à Paris la garde des portes, par commandement du Roy.

Impunité de meurtres qui se commettent publiquement à la veue et à la barbe du Roy. — Le dimanche 13e janvier, le bruit de la guerre, la débordée licence des armées et le peu ou point de militaire discipline et de justice que lors y avoit en France, donnèrent la hardiesse à un soldat, de tuer, sur les degrés du chasteau de Blois, le Roy y estant, un brave capitaine gascon, nommé la Braigne, nepveu du capitaine Puigaillard, et encores le moien de se sauver et évader sans punition.

Seconde séance des Estats. Depinac. Senescé. Versoris. — Le jeudi 17e janvier, fut faite à Blois la seconde séance des Estats, et ouït le Roy les propositions et harangues, c’est à sçavoir de messire Louis Depinac, archevesque de Lion, député du Clergé de France, du baron de Senescé, député de la Noblesse, et de maistre Pierre Versoris, advocat au Parlement de Paris, député du Tiers-Estat. Les deux premiers dirent bien et au contentement de chacun. Versoris fut long et ennuieus, et pour le dire en un mot, ne dit rien qui vaille et mescontenta grands et petits, combien qu’il fust exercé à bien dire, estant un des premiers et mieux nommés avocas plaidans ordinairement au barreau du Parlement de Paris. Tous conclurent à ce qu’il pleust au Roy ne permettre en son roiaume autre exercice de religion que celle de la Catho­lique, Apostolique et Rommaine.

Offres du Clergé, de la Noblesse, et du Tiers-Estat. — Le Clergé et la Noblesse, avec toute douceur et modération, supplièrent très-humblement Sa Majesté, qu’il traittast si gracieusement ceux de la nouvelle opinion, qu’ils n’eussent point d’occasion de recommencer la guerre. Et néantmoins, au cas qu’il y falust rentrer, le Clergé offrist soudoier à ses dépens cinq mille hommes de pied et douze cens chevaux. La Noblesse offrit ses forces et son service en armes. Versoris, pour le Tiers- Estat, avec son compagnon le président l’Huillier, offrirent le corps et les biens, trippes et boiaux jusques à la dernière goutte du sang et jusques à la dernière maille du bien, principalement Versoris, lequel comme pensionnaire, principal conseil et factionnaire de la maison de Guise, corna la guerre contre les Huguenos plus hault et plus ouvertement et scandaleusement qu’aucun des députés des autres Estats : dont il fust désavoué et blasmé, principalement des Huguenos, lesquels, à leur manière accoustumée, sans respect de prince ni supérieurs, deschirèrent par leurs escrits tous ceux qu’ils tenoient pour autheurs et conseillers de la guerre, et par conséquent de leur malheur, aiguisans en ce temps leurs plumes, qui coupoient aussi bien que leurs espées, mais ne faisoient pas du tout tant de mal. Entre une quantité qui furent semés en ce mois, les suivans sont tumbés entre mes mains.

I. SONNET CRUEL ET MEDISANT.

Despinac, Bauffremont et le porc Versoris,
Moine, noble, vilain, enfrocqué, pilleur, herre,
Forceant Christ, la Noblesse et le Peuple à la guerre,
Renouvellent l’erreur, les meurtres et les cris.

Le Néron de la France, et Guise, et Médicis,
Tiran outrecuidé, peste de nostre terre,
Cruel, ambitieux, salle putain qui serre
L’or, l’honneur et le bien, dont nous sommes nourris ;

Leur ont presté la force, et le bras, et l’esprit,
Tirannique, homicide, yssu de l’Antéchrist.
Mais ô Christ ! ô Noblesse ! ô Peuple misérable !

Pren le feu, pren le fer et pren la pierre en main,
Fouldroie, tue, assomme, ards, massacre et accable
Le tiran, l’arrogant et la salle putain,
Le caffard, le meurtrier et le herre exécrable !

II. SONNET VÉRITABLE.

Cependant qu’aux Estats l’Huillier et Versoris
Devisent à loisir des malheurs de la France
En leur zèle ignorant, et que chacun d’eux pense
Le reste des François aussi gras que Paris,

Et que nos saints prélats ne sonnent à hauts cris,
Pour bien se reformer, que feu, fureur et lances ;
Que le prodigue Do gabelle les finances,
Et que les bons François sont tenus en mespris :

Nous voions cest Estat tumber en précipice,
Sans ordre, sans moien, sans foy, loy, ne justice,
[L’Eglise, le Bourgeois, le Noble en désarroi :]

Nous faisons, par nos mains et par ces beaux ministres,
Ce que n’ont peu Anglois, ne Hespagnols, ne Reistres,
Ou le Roy sans subjets ou les subjets sans Roy.

III SONNET PLAISANT.

Quand on veit Versoris, ce gros porc vénérable,
Si gras et boursouflé, chacun à haute voix
Cria qu’on avait fait en lui fort mauvais choix,
Pour monstrer la pitié du peuple misérable.

Lors sa harangue fut si fort désagréable,
Il réussit si beffle et fut là tant de fois
Recongneu pour badault, sans sçavoir et sans loix,
Qu’onques le Tiers-Estat ne fut si misérable.

Les lettres qu’on a veu que sa femme a escrit
A de Mesmes,font foy quelle eut beaucoup mieux dit ;
Car elle est éloquente et si habile femme,

Que Seurre et du Tillet ont dit, en maints bons lieux,
Et pour le bien sçavoir (toutefois, sans diffame),
Que si elle dit bien, elle fait encor mieux..

IV DU PRÉSIDENT L’HUILLIER, SON COMPAGNON.

Je le conneus au ruban du bonnet,
A sa calothe et à sa barbe rase,
Au gros anneau qui lui sert de sonnet,
A son baudrier qui le tient en ecstase.
« Ha ! dy-je lors, voici le Jan in caze,
Dont tant on parle ! » Et moi, de m’en aller
Droit à sa femme et bragues avaller,
Car je pensai qu’aiant connu le maistre,
Je pourrois bien la maistresse connoistre.

V

Pour exciter le Roy aux armes,
L’Eglise a présenté ses larmes,
Et la Noblesse, de cœur franc,
Lui a fait offre de son sang.
Versoris, en ce beau combat,
Et l’Huilier, pour le Tiers-Estat,
Ont offert trippes et boiaux :
Ne sont-ce pas de beaux joiaux !

VI

Oravit multum, rectèque Ecclesia, Miles Ense brevis dictis conveniente fuit : Versoris gentem, ut cum nomine verteret omnem, Versantem mentem versaque verba tulit.

VII

Il a oré ! — Et qui ? — Ce mignon Versoris,
Procureur général des badaux de Paris.
Comment a-il oré ? D’une si bonne grâce,
Qu’il a outrepassé la montagne d’Horace,
En accouchant d’un ver avec une souris.

VIII

Tous les fols sont en grande deffiance
De ce qu’on dit que le Roy a promis
De Sibillot l’estat en survivance,
Et le vacant, au pourceau Versoris.

IX

L’orage qui poursuit ta ruine à outrance,
Pauvre peuple françois ! te fait paix demander ;
Mais Paris n’en veult point !,.. Hélas ! en tel danger,
Fault-il, pour un Paris, hasarder une France ?

X

Ou la guerre ou la paix les Estats produiront :
Si la paix, en quel lieu recouvrera la France
Gens propres et moiens qui donnent asseurance
Aux trompés, tant de fois telle qu’ils requerront ?

Posons donc que la guerre ils nous ramèneront :
Il vauldroit mieux ailleurs emploier sa finance,
Que ragasser ceux-là, lesquels, à toute outrance,
N’ont que trop fait sentir qu’ils se revangeront.

Encores le hazard aux batailles peult estre,
Que demeurer vainqueurs tels s’ausent le promettre,
D’avoir compté sans l’hoste auxquels il desplaira,

Et semble que jadis prognostiqua Pétrarque
De ce malheureux temps la signalée marque,
Disant : Pace non trovo, et non ho da far Guerra.

XI

Vous, qui taschez, par l’arrest des Estats,
Rompre la paix, ne pouvez-vous comprendre
Qu’en ce faisant, la France se va fendre,
Et la verrez voller tout en esclats ?

XII

Le peu de bien, jadis, dont jouissoit le peuple,
Plus riche le rendait, qu’en l’abondance il n’est :
Car en émundant l’arbre, il produit son rejet ;
Mais arrachant le tout, à grand peine il repeuple.

Les prélats, pour le Roy, ont vendu leur domaine ;
Les nobles, pour le Roy, ont leur sang respandu ;
Le peuple, pour le Roy, a le sien despendu :
Ainsi joue chacun en la farce mondaine.
Mais, pour le comble à tous d’un extreme désastre,
Il faut tout despouiller, au sortir du théâtre.

XIII

Estre tousjours flatteur, ne faire que mentir,
Se moquer de chacun, monstrer en son langage
N’avouer ce qu’on dit, et, changeant son visage,
A ce que le Roy veult, soudain y consentir ;

D’avoir fait quelque bien soudain se repentir,
Et fuir la vertu, ainsi qu’un grand orage ;
Estre scavant à faire aux putains un message,
Et parmi les logis en
Mortdieus retentir,

Passer outre Venus, perdre ce qu’on labeure,
Doubler Ganimedès, renverser la nature,
Aux pauvres affligés faire tousjours le sourd,

N’avoir ne foy ne loy, et pour plaire à un Prince,
Trahir tous ses amis, son Dieu et sa province :
Voila, mon cher Strossi, comme on vit à la Court.

XIV

Promettre monts et vaulx, et ne tenir sa foy,
N’avoir soin de sçavoir en quoi l’honneur consiste,
Faire un bordeau publiq, n’estre qu’un athéiste,
Et, selon son humeur, se forger une loy ;

Voller un magistrat qui aura bien dequoi,
Estre bon maquereau, bouffon et sodomiste,
Mesdire d’un chascun, tuer à l’improviste,
Et n’avoir de raison, si non quil plaist au Roy ;

Retirer près de soi quelque diseur de fable,
Déchasser du Conseil un homme véritable,
Ou par quelque poison lui estouffer le cœur ;

Ravir une héritière en sa plus grande enfance,
Afin de la garder pour quelque massacreur :
C’est aujourd’hui l’estat de ceste Court de France.

XV

Se plonger en son sang, soi-mesme se desfaire ;
Se desfier de tous, jamais ne s’asseurer ;
Avoir la guerre au cœur, les Estats publier,
Se résouldre soudain en un meschant affaire ;

D’une vaine grandeur sa mine contrefaire ;
D’une umbre de vertu se faire révérer ;
D’un parler retenu chacun désespérer ;
Voir le parti plus seur, et suivre le contraire ;

Se mettre entre les bras d’un Conseil estranger ;
Les meurs, l’ordre, les loix, les serviteurs changer ;
Ensevelir son mal au profond d’une dance ;

Mespriser follement ceux de sa nation,
Et perdre, en moins d’un mois, sa réputation :
C’est, à mon grand regret, l’estat de nostre France.

XVI

Le serviteur monte en l’estat du maistre,
Le villain prend du noble l’arrogance,
Le noble, bas de race et de puissance,
Tasche au haut reng du grand seingneur se mettre ;

Le grand seingneur autant se veult permettre
Comme le Roy, cherchant l’obéissance
Egalle à lui, et le Roy l’excellence
Ause des Dieux souverains se promettre ;

Le serf commande, et la femme conseille ;
Le villain chasse, et le noble est doré ;
Le grand seingneur au hault Roy s’appareille ;

Le hault Roy est des Estats adoré...
Puisqu’ainsi est, temps est que Dieu sesveille
Et tienne Estats, pour se voir honoré.

XVII

Misérable est la France et sa condition ;
Misérables sont ceux que son giron enserre,
Par l’aspect furieux d’une cruelle guerre,
Sans y voir nul espoir de composition ;

Pour y voir un Conseil d’estrange nation,
Qui fait courir fortune en commune desserre,
Lequel aime trop mieux voir le reste par terre,
Que pour le bien publiq faire aucune action.

Le pis est que j’y voy beaucoup de gens de bien
Qui congnoissent ce mal, mais ils n’y peuvent rien,
Et ne laissent pourtant d’estre communs en perte.

Si le peuple françois avait un peu de cœur,
De lui destourneroit, par armes, ce malheur,
Car leur grand’tirannie est toute descouverte.

XVIII

Dessus la plume et corrompus pilliers,
Justice dort ; son espée est brisée :
Droit, Equité, ses deux enfans très chers,
Sont trop petits. Parquoi est peu prisée.

Publiés en Janvier 1577.

Voyage de M. de Montpensier vers le Roy de Navarre. - Le lundi 21e janvier, M. de Montpensier partist de la Cour, par commandement du Roy, pour aller trouver le Roy de Navarre et [le] prince de Condé, qui estant fraischement sorti de la Rochelle, de laquelle il s’estoit fait bourgeois, courroit le pays de Poictou, et y faisoit la guerre à bon escient. Le jour de devant, qui estoit le dimanche 20e, Mirambeau, gentilhomme huguenot, se retira de la Cour et laissa son adieu par escrit, crainte de pis. Bruit estoit à la Cour que M. de Montpensier alloit en partie vers le Roy de Navarre, pour lui parler (c’est-à-dire l’endormir, si on pouvoit) du mariage de sa seur avec M. le Duc, frère du Roy.

Placard de Paris. — Le mardi 22e janvier, fust attaché à Paris, contre les portes de l’Hostel de Ville, l’escrit suivant, imprimé en fort petite lettre, duquel je pris moi-mesme la copie telle que s’ensuit :

PLACCARD DE PARIS.

Messieurs, c’est chose certaine, que le pauvre peuple aime mieux un jour de paix que dix ans de guerre. Si la guerre s’allume davantage, la justice et la police seront renversées, le commerce et le labourage cesseront ; mais il y a des gens qui ne peuvent et ne sçavent vivre qu’en trouble et division. La Royne a tant travaillé pour nous accorder, elle a tant fait d’allées et de venues, s’il lui plaist, elle fera valoir son action. Nous l’en prions tous, si mieux n’aimons que les Estrangers nous accordent à nos despens.

La paix affermit un Estat, la guerre estrangère l’esbranle, la civile le ruine du tout. C’est trop fait des fous. Bienheureux celui, ce dit-on, qui devient sage aux despens d’autrui. Nous le devrions estre aux nostres. Nous avons le navire pour devise, si la guerre se renouvelle, nous sommes plus près du naufrage qu’il ne semble.

A Blois, le Tiers-Estat s’est excusé des frais de la guerre sur son impuissance et sur l’impossibilité. Il a supplié le Roy de le maintenir en paix, sans laquelle telle Assemblée seroit infructueuse, comme le Roy mesme l’a recongneu par sa harangue et proposition. Ne faisons ici une action contraire, qui soit pour attirer sur nous un juste desdain et haine universelle. Ne nous desmentons point, mais pensons à bon escient quel gouffre c’est que la guerre. Que quand on tirera d’ici les trois cens mil francs et d’ailleurs deux millions (ce qui ne se pourra faire, sans danger de souslèvement), à peine basteront-ils (ainsi que les finances sont aujourdh’ui mesnagées) pour battre une place ou deux. Je ne veux mettre en compte ce qu’on doit aux Estrangers, mais bien dirai-je qu’il n’est expédient d’accroistre telles obligations, qui montent desjà si haut. Et ne sçai si les Estrangers, par le renouvellement de nos troubles, voians le peu de moiens qu’on aurait de leur satisfaire, se saisiraient point d’une des parties du roiaume, comme Cæsar dit qu’il en advinst aux Séquanois.

Au reste, ce n’est aujourdh’ui de Paris, ce qu’on crie. Les bourses y sont espuisées, on ne reçoit rien des champs, les gages des officiers sont arrestés, les rentes de céans mal paiées, en danger de ne l’estre plus, si la guerre continue. Chacun s’endebte, et mesmes y a plusieurs si avant enfondrés des debtes des années passées, que je ne sçai si jamais ils s’en pourront tirer. Toutes choses enchérissent et sont desjà si chères, qu’à peine pouvons-nous nourrir nos femmes et nos enfans. Pour dix qui vivent grassement ici, il y en a dix mil qui ont disette, et moi le premier. Et toutefois on nous dit : Donnez ou prestez (car c’est tout un) trois cens mil francs. Quelle somme en ce temps ! C’est chose impossible. C’est bien loin de nous rendre ce qu’avons presté et nous paier ce qu’on doibt, dont nous avons si grand besoin. Mais quoi ! on nous paiera de la response ordinaire, en haussant les espaules : C’est la guerre, laquelle ne conviendroit pas mal à ceux qui l’ont demandée et qui la demandent, mais aux autres. Il me semble que telle response est de volleurs et pippeurs.

Que si le Roy a tant donné, par le passé, qu’il faut aujour-d’hui qu’on lui en donne, qu’il s’adresse à ceux qui ont son argent et qui ont si bien mousché ses finances. Qu’il répète ce qui a esté par importunité ou mal ou trop donné. Ce ne sera chose nouvelle, car il s’est fait autrefois en moindre nécessité, et ceste proposition est bien digne des Estats, car elle réussit au bien et soulagement de tout le peuple, et le Roy mesme y a un notable intérest.

Somme, Messieurs, mesurons les moiens de nous et de nos concitoiens, aions esgard au temps, et si nous aimons le salut de nostre patrie, la conservation de nostre bonne ville, si nous affectons la paix et le repos, qui est tout le bien de nostre vie, gardons- nous de rallumer le feu qui nous bruslera, soubs quelque saint prétexte que ce soit, comme de la Religion, qui nous est aisé de maintenir, sans rentrer (comme on nous veult faire accroire) à la guerre. Unissons-nous seulement comme bons bourgeois et concitoiens Catholiques, assemblons-nous et nous mettons en devoir d’estaindre et estouffer toute semence de division et de sédition. »

Affiché le 22 janvier 1577.

Usuriers recherchés. Beauvais. — Sur la fin de ce mois de janvier, on fist recherche des usuriers à Paris, suivant les édits et commissions du Roy, qui délégua certain nombre de Présidens et Conseillers de la Cour, pour faire et parfaire leur procès ; et furent leurs amandes et confiscations données aux seingneurs de Guise et de Lanssac, lesquels en firent faire diligente et continuelle poursuitte. Un nommé de Beauvais, jadis commissaire de Chastelet et lors greffier des généraux de la justice des présentations de la cour de Parlement et du bailliage de Meaux, fust le premier recherché et emprisonné pour ce fait. La cause de lui faire faire son procès fut qu’il estoit venu de bas lieu, tenoit neantmoins pour cinquante mil francs d’offices, et estoit estimé riche de deux ou trois cens mil francs, avoit fait peu ou point d’amis, et avoit tousjours esté fort superbe.

Aimar et Bodin. — En mesme temps, Aimar, president de Bordeaux, et Bodin, advocat de Laon, députés pour le Tiers-Estat de leurs villes et provinces, aux assemblées particulières du Tiers-Estat, parlèrent hautement et pertinemment pour l’entretenement de la paix, contre Versoris et ses adhérens.

Febvrier.

La Ligue. — Parti. — Le vendredi premier febvrier, les quarteniers et dixeniers de la ville de Paris alloient par les maisons des bourgeois porter la Ligue et faire signer les articles d’icelle. M. le Premier président de Thou la signa avec restriction et modification, comme aussi firent quelques autres Présidens et Conseillers.

Les autres la rejettèrent tout à plat et la refusèrent, la pluspart du peuple aussi, et la meilleure ne la voulust signer, non plus qu’ès villes de Picardie et de Champagne, où ils ne la voulurent recevoir, congnoissans bien que tout cela ne tendoit qu’à tyrannizer et espuiser l’argent des bourses, et estoit la cause pour laquelle le Roy, qui n’ignoroit le fonds de la menée, y consentoit, pensant en tirer de l’argent et se fondant sur le peu de moien qu’avoit lors la Maison de Lorraine de remuer, et lui aussi, assés mal à propos toutefois, comme il a paru du depuis, un Roy ne devant jamais endurer autre parti que le sien en son roiaume, pource que c’est le plus beau parti du monde que d’estre Roy.

Le lundi 4e febvrier, arrivèrent les nouvelles à Paris de la ville de Loudun, prise et pillée par les trouppes du prince de Condé, et de plusieurs autres places surprises par les Huguenos en Lionnois, Auvergne et Poictou.

Humières en Picardie pour la Ligue. — Le vendredi 15e febvrier, le seingneur de Humières, accompagné de deux ou trois cens chevaux et d’un bon nombre de gentilshommes picards, partizans de la Ligue, entrèrent en la ville d’Amiens, en intention de forcer les habitans à condescendre à signer la Ligue. Mais, voians le peuple mutiné et armé pour repousser la force par la force se retirèrent aveq leur courte honte, sans rien faire.

Et depuis, les députés d’Amiens envoiés vers le Roy à Blois, ouïs en leurs remonstrances, rapportèrent exemption de jurer et signer la Sainte-Ligue moiennant la somme de six mil livres, qu’ils promirent paier au Roy, lequel, en ce faisant, leur accorda ce qu’ils voulurent, car Sa Majesté ne demandoit que tels et semblables refus pour avoir de l’argent.

Les Gelosi. — En ce mois, la compagnie des comédians italiens surnommés I Gelosi, que le Roy avoit fait venir de Venise, exprès pour se donner du passe-temps, et desquels il avoit paié la ransson, aians esté pris et dévalizés par les Huguenos, environ les festes de Noël précédent, commencèrent à jouer leurs comœdies dans la salle des Estats à Blois, et leur permist le Roy de prendre demi teston de tous ceux qui les viendroient voir jouer.
Sur lequel subject, et le lieu où le Roy les faisoit jouer, furent divulgués à la Cour les vers suivants :

DE COMITIIS BLESANIS.
Henricus populum Blesiis Rex coavocat. Ille
Ex oris mimos evocat Italicis.
Mensibus alternis, uno tamen ille theatro,
Orat mox populus, postmodo mimus agit.
Si non exorat populus, quid dicitur. Acta est Gallica nunc Blesis fabula ab Italicis.

Huittain huguenot. — Le vendredi 22e febvrier, l’artillerie partist de Paris, pour aller au siège de La Charité, où M. le Duc devoit marcher en personne pour la battre et prendre : de quoi advertis, les Huguenos se résolvent d’y tenir bon et se bien deffendre ; et faisans, comme l’on dit, bonne mine en mauvais jeu, se moquoient de ceux qui les alloient assiéger : tellement qu’ils publièrent les vers suivants, rencontrans sur ce nom de Charité :

Où allez-vous, hélas ! picoreux insensés,
Cherchans de Charité la proie et la ruine,
Qui, soubs umbre de Foy, abbattre la pensez ?
Ell’ ne reposa oncq dedans vostre poictrine :
En vain vous emploiez le blocus et la mine,
Le Canon ne peult rien contre la Vérité.
Plustot vous destruira la Peste ou la Famine :
Car jamais sans la Foy n’aurez la Charité.

Accoustrement du Roy efféminé. — Le dimanche 24e febvrier, jour Saint-Matthias, le Roy receut advis que les Huguenos avoient fait une Contre-Ligue en laquelle estoient entrés le Roy de Suède et Dannemark, les Alemans, les Suisses protestans et la Roine d’Angleterre, ce qui refroidist beaucoup de gens d’entrer en ladite Ligue et de la signer. Ce pendant le Roy faisoit jouxtes, tournois, ballets et force masquarades, où il se trouvoit ordinairement habillé en femme, ouvroit son pourpoint et descouvroit sa gorge, y portant un collier de perles et trois collets de toile, deux à fraize et un renversé, ainsi que lors les portoient les dames de sa Cour ; et estoit bruit que, sans le décès de messire Nicolas de Lorraine, comte de Vaudemont, son beau-père, peu auparavant advenu, il eust despendu, au carneval, en jeux et mascarades, cent ou deux cens mil francs. Tant estoit le luxe enraciné au cœur de ce prince !

Sornette contre le président Saint-Mesmin, qui n’avoit de l’esprit que pour sa provision, encores pas. — Sur la fin de ce mois, les députés des Estats furent licentiés par le Roy, qui retinst leurs Cahiers pour y respondre par escrit, par l’advis de son Conseil. Il eschappa lors au président Saint-Mesmin, compagnon de Versoris, de dire tout hault, en pleine salle des Estats : « Qu’ils seroient « bien fessés à leur retour à Paris. » A quoi ung meschant Normant, qui estoit là, respondit tout hault : « Qu’ils n’en auroient guères, car ils feroient beau cul. » Ledit Saint-Mesmin et Versoris avoient pour adjoint avec eux ung nommé Prévost, des quatre notaires de la Cour, honneste homme et docte, mais de mesme taille et corpulance qu’eux : dont, par quolibet, ils furent surnommés les trois Bedons.

Vers semés à Blois, assez grossiers, mais véritables. — En ce temps, furent trouvés, à la porte de la salle du Conseil à Blois, les vers suivants adressans au Roy :

Je ne suis Huguenot, et ne le vouldrois estre ;
J’aimerais mieux (j’en jure) estre encores à naistre.
La secte m’en desplaist, le nom m’est odieux
Plus que la peste et plus que mal contagieux.
Je vouldroy de bon cœur (je le dis sans faintise),
Que n’eussions qu’une Loy et qu’une seule Église :
Car la division engendre le discord,
Renverse l’union, et n’aime point l’accord.
Mais, puisque le despit, puisque l’outrecuidance,
Qui possède les cœurs de la pluspart de France,
Fait que, depuis seize ans, sans raison ne propos,
Nous ri avons sceu trouver aucun lieu de repos
(Tant sommes avveuglés d’une sotte ignorance,
Qui remect, tantost haut, tantost bas, la balance).
Maintenant suis d’advis qu’ostions l’affection
Qui, sans jugement, vient de nostre passion :
Passion malheureuse, et qui nous ronge et mine,
Qui procure nos maux, nostre perte et ruine,
Qui fait de tous nos biens enrichir l’Estranger,
Qui nous pousse au hasard, au péril, au danger,
Qui triomfe de nous, qui nous corne la guerre,
Pour bannir nos François de la Françoise terre,
O François aveuglés ! ne voyez-vous pas bien
Que vostre los acquis, vostre honneur, vostre bien,
Se diminue à veue, et vostre renommée
Se perd avec le vent, ainsi qu’une fumée ?
Pour une opinion, ô malheureux François !
Vous renversez l’Estat, la Couronne et les Loix.
François ! ta nation, qui souloit par victoire,
Par faits chevaleureux, éterniser sa gloire,
Vaincre ses ennemis et leur donner la loy,
Prend les armes, par eux, maintenant contre toy,
Contre tes propres fils, contre ta nourriture,
Au hasard du péril d’une desconfiture !
Est-ce Religion ? O vous, Religieux,
Qui vous convie à faire actes prodigieux,
Desrobber, massacrer et exercer tout vice,
Ne faire cas de Dieu, de Roy ne de justice ?
Je vous supply, François, desbandez-vous les yeux
Et suivez la vertu de vos premiers ayeulx !
Soyez amis ensemble et faites alliance
Entre vous, contre tous les ennemis de France !
Or, ne permettez plus qu’on triomphe de vous,
Comme par le passé ! Les plus sauvages loups,
Les tigres plus cruels, ne les bestes sauvages,
Ne ces petis oiseaux, enfermés dans leurs cages,
Ne font un tel désordre, ains d’un commun accord
S’aiment heureusement, sans se faire aucun tort.
Les bestes sans raison, plus sages que ne sommes,
Monstrent le droit chemin à nous, malheureux hommes !
O que je suis marri, quand ces resveurs je voy,
Qui veulent discourir de l’Estat et du Roy,
Qui n’ont ne jugement, ne sens, ne pourvoiance,
Et font des entendus aux affaires de France !
Ils cornent tous la guerre et ! abolition
De l’Edit de la paix pour la Religion,
Sans bailler les moiens, à vous nostre bon Prince,
D’assembler une armée en aucune province.
Ils promettent assez, mais quand ce vient au point
De bailler de l’argent, il ne s’en trouve point ;
Ils n’ont rien que du vent et certaine arrogance,
Un desdain, un mespris, et une outrecuidance.
Ils n’ont aucun souci de vostre accroissement,
Mais qu’ils facent leur cas particulièrement.
J’adresse ma parole à vous maintenant, Sire,
Que j’honore sur tous, et qu’heureux je désire
Trop plus cent mille fois que la pluspart de ceux
Qui vous baisent les mains, et ne font que pour eux.
Vous les congnoissés bien, ou les devez congnoistre :
A leur port, à leur geste assez se font paroistre.
Croiez les gens de bien, ceux qui fardés ne sont,
Qui portent la vertu emprainte sur le front,
Aux cœurs desquels n’a lieu la damnable avarice,
Fuians l’ambition, ennemis de tout vice,
Qui singulièrement désirent la grandeur
De vostre Majesté, vostre gloire et honneur,
Et le bien et proufit de toute vostre terre.
L’unique paix vault mieux que la meilleure guerre.
Imprimez dans le cœur cest escrit précieux,
Prononcé, longtemps a, de la bouche des Dieux,
Et y ajoustez foy plustost qu’à l’ignorance
Qui veult perdre l’Estat et Couronne de France

1577, en febvrier.

MARS.

Le vendredi premier jour de mars, le Roy estant à Blois, assembla jusques au nombre de 23 hommes de son privé Conseil, avec la Roine sa mère, pour leur faire entendre ce que M. le duc de Montpensier avoit rapporté, revenant de Guienne, c’est à sçavoir que les pauvres gens des champs, à centaines, se venoient par les chemins prosterner et jetter à genoux devant lui, le supplians très humblement, si le Roy vouloit continuer la guerre, qu’il lui pleust leur faire couper la gorge, sans tant les faire languir ; et fut, par les dix-neuf, conclud à l’entretènement ou renouvellement d’un édit de pacification retrenché. A quoy le Roy presta fort l’oreille, et la Roine sa mère fist lors semblant d’y vouloir entendre.
L’ambassadeur du duc Kazimir y estoit, qui demandoit trois millions, qui estoient deus à son maistre : ce qui y frappa un grand coup, et fut cause que M. de Biron fut depesché de Leurs Majestés par devers le Roy de Navarre et les autres, pour parler d’accord.

Au commencement de ce mois, on ne parloit quasi plus à Paris de signer la Ligue, chacun en estant desgousté, les uns en mesdisans ouvertement, et les autres s’en moquans : ce que voians le Roy et la Roine, tournèrent leur phantaisie à tirer argent du peuple par autre moien. Sur quoi fut fait le huittain suivant, qui courust partout, duquel on faisoit aucteur N. Rappin :

Un compagnon, qui devoit de l’argent,
Fut adjourné pour acquitter sa debte :
« Je suis ligué, ce dist-il au sergent :
De rien paier, de la Ligue est le texte.
Cela seroit une bonne recepte
Pour nostre Roy, respondit l’officier :
Car, se mettant de la Ligue, ainsi faitte,
Il seroit quitte aussi, sans rien paier. »

N. R.

Il courust aussi, en ce temps, un gentil discours inti­tulé : Réadvis et abjuration d’un gentilhomme qui a signé la Ligue, et se fist voir longtemps escrit à la main, puis fust imprimé, comme il en estoit bien digne, car il descouvroit naïvement l’artifice, imposture et vanité de ladite Ligue. *

Le mardi 12e mars, se fist Assemblée en l’Hostel-de-Ville à Paris, pour adviser quelle response on feroit au Roy, demandant trois cens mil francs à Paris, en don gratuit.

En ce mois, le Roy fist, par ses lettres patentes pour ce décernées, injonction et mandement aux villes de son roiaume de lui fournir la somme de douze cens mil livres pour faire les frais de la guerre, à laquelle avoit esté conclud par les Estats. Et néantmoins, fist, le vendredi 20e mars, publier à son de trompe, à Paris, qu’il ne feroit response aux Cahiers et articles desdits Estats, jusques à ce que les troubles fussent composés et les guerres appaisées : qui estoient deux choses toutes contraires.

 Année 1580

Janv. 1580

L’édit des Estats de Blois. — Le lundi 25e janvier fust publié en la Cour de Parlement de Paris l’édit fait, et arresté après longue délibération de la Cour, sur les cahiers des Estats tenus à Blois, en l’an 1577, auquel y a beaucoup de belles et bonnes ordonnances : lesquelles, s’il plaisoit à Dieu et au Roy qu’elles fussent bien observées, tous les Estats et peuple de France en seroient grandement soulagés et satisfaits. Mais est à craindre qu’on en die, comme de l’édit des Estats d’Orléans et de toutes autres bonnes ordonnances faites en France :
« Après trois jours, non vallables. »

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