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1793-1815 Batailles navales dans les rades de Rochefort et de l’île d’Aix

dont la célèbre "bataille des brûlots" (1809)

dimanche 25 novembre 2018, par Pierre, 3591 visites.

De 1793 à 1815, la Marine anglaise est en pays conquis dans la zone comprise entre l’embouchure de la Charente, Fouras, l’île d’Aix et Fort Boyard. Un endroit que les marins appellent la rade des Basques. L’épisode le plus marquant est la célèbre bataille des brûlots, en avril 1809, pendant lequel une grande partie de la flotte impériale commandée par l’Amiral Allemand fut mise en cendres et coulée par la Marine anglaise commandée par l’Amiral Mordaunt.
Les archives sur ces épisodes sont abondantes. Nous présentons ici le travail du Lieutenant de vaisseau Aubin, élève à l’Ecole de guerre navale en 1923-1924, riche en détails et cartes.

Source : Les rades de Rochefort pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire - M. le L. V. Aubin - École supérieure de guerre navale (Paris). - 1923-1924 - BNF Gallica

Table des matières

Bibliographie.
Les rades de Rochefort pendant les guerres de la révolution et de l’Empire.
Description très sommaire des rades et des fortifications permanentes.
Les Rades de Rochefort de 1793 à 1799.
Attaqua de la division Melgarejo en rade de l’ile d’Aix.
Les rades de Rochefort de 1799 à l’affaire des brûlots.
Affaire des brûlots de l’île d’Aix.
Le procès de Rochefort.
Les rades de 1809 à 1815.
Conclusions.
Annexes.
Cartes.

 Bibliographie

- Chevalier - Histoire de la Marine Française
- Tronde - Batailles Navales de la France
- Desbrières - Projets et tentatives de débarquements aux Iles Britanniques sous la Révolution et l’Empire.
- Comte Pouget - Vie et campagnes du Vice-Amiral Comte Martin,
- Bouchet - Rochefort.
- Viaud et Fleury - Histoire de la ville et du port de Rochefort
- O’Méara - Napoléon en exil
- J. Silvestre - Les brûlots anglais en rade de l’île d’Aix
- James - Naval history of the Great Britain.
- Archives Nationales - Fonds Bolbert BB6 - Folios – 282, 283, 284, 285.

 Les rades de Rochefort pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire.

Pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, les rades de Rochefort présentèrent l’animation naturelle au débouché d’un port de guerre.

Mais le port de Rochefort, par suite des seuils de la Charente n’était pas accessible à tout moment aux vaisseaux de ligne et même aux frégates. Les vaisseaux étaient obligés de terminer leur armement en rade, Aussi est-ce surtout comme point de concentration ou comme refuge que les rades furent utilisées.

L’histoire de ces rades peut se diviser en cinq périodes :
- 1°)- Une période pas très active s’étend de 1793 à 1799. Le blocus anglais est assez relâché. D’ailleurs les rades sont peu utilisées.
- 2°)- En Mai 1799, les Anglais tentèrent une attaque sur la division espagnole Malgarejo mouillée en rade de l’île d’Aix. Cette attaque fut repoussée sans grosse difficulté.
- 3°)- De 1799 à 1809, une escadre de vaisseaux fut à peu près constamment basée sur Rochefort. Le blocus anglais devint très serré, mais fut rompu à diverses reprises, en particulier par Burgues de Misssiessy, puis par Allemand en 1805, et de nouveau par Allemand en 1808,
- 4°)- En 1809, Allemand nommé en mars au commandement de l’escadre de Rochefort est attaqué le 11 Avril par le Vice-Amiral Lord Gambier. Cette affaire connue sous le nom des brûlots de l’île d’Aix nous coûta 4 vaisseaux et 1 frégate, et mit le reste de l’escadre en un tel état que des vaisseaux français ne reparurent sur rade que deux ans après,
- 5°)- A partir de cette affaire jusqu’à la chute finale de Napoléon, les Anglais installèrent un blocus très rapproché jusqu’à ce que nos vaisseaux reviennent en rade de l’île d’Aix, puis bloquèrent efficacement la division Jacob qui n’appareilla jamais. A plusieurs reprises pendant cette période, nos caboteurs furent attaqués par les embarcations anglaises presqu’à toucher terre et des marins ennemis débarquèrent même. Il ne s’agit guère d’ailleurs que d’escarmouches

C’est cette division en cinq périodes qui a été suivie au cours de cette étude.

 Description très sommaire des rades et des fortifications permanentes

Avant d’entamer l’exposé des faits dont les rades de Rochefort, ont été témoin, il a paru utile de rappeler très succinctement ce que sont ces rades.

la Charente se jette dans l’Océan entre les îles de Ré et d’Oléron. Il en résulte trois passages : Le plus au Nord entre l’île de Ré et la Pallice ; c’est le pertuis Breton. A l’Ouest le pertuis d’Antioche souvre entre les îles de Ré et d’Oléron. Au Sud le passage entre Oléron et la côte est appelé pertuis de Maumusson,

Le pertuis Breton n’est pas accessible à tout moment car le chenal passe sur des fonds de 2 m. 60 au dessous du zéro des cartes.

Le pertuis de Maumusson est obstrué à son entrée sud par une barre dangereuse, variable en direction et en profondeur où il n’y a guère que 1 m.50 au-dessous du zéro.

Au contraire on peut franchir le pertuis d’Antioche en suivant des fonds d’au moins 12 mètres au-dessous du zéro.

Il en résulte que seul le pertuis d’Antioche était toujours accessible aux escadres, tandis que l’on voit utiliser rarement le pertuis Breton pour les frégates et pour ainsi dire jamais le pertuis de Maumusson, sauf par les caboteurs ou par les petits bâtiments.

Entre l’embouchure de la Charente et l’ouvert du pertuis d’Antioche, l’île d’Aix, un banc de sable nommé longe de Boyard et l’île Madame forment une rade intérieure de fond de vase de très bonne tenue ; c’est la rade de l’île d’Aix.

La rade des Trousses est située au sud de la longe de Boyard, à l’ouest de l’île Madame et à l’Est d’Oléron. Elle offre aussi des fonds de 11 à 15 mètres d’excellente tenue.

La rade des Basques a des fonds de même profondeur et de même tenue. Elle s’étend en plein pertuis d’Antioche sur la côte N.E. de l’île d’Oléron. Les escadres anglaises y mouillèrent souvent.

Rochefort situé à 15 milles de l’embouchure de la Charente était à l’époque de la Révolution d’un accès difficile à cause des seuils et en particulier du seuil de Fouras qui était à peu près au zéro des cartes et formait une barre extérieure, une autre barre intérieure étant formée par le seuil de Lupin.

La rive droite se termine peu après Fouras par la pointe de l’Aiguille, prolongée par les roches d’Enet. Cette pointe et ces roches sont entourées au nord et au sud par de larges plages de vases. la rive gauche, après Port-des-Barques, est limitée par l’île Madame prolongée au N.W. par le plateau rocheux des Palles. C’est sur ces roches que s’échouèrent en 1809, d’abord le vaisseau le JEAN-BART ; puis quelques jours après, lors de l’attaque de l’Amiral Gambier, quatre des vaisseaux de l’escadre Allemand,

Il semble que depuis très longtemps les îles de Ré et d’Oléron ont été fortifiées. Mais la portée des pièces ne suffisaient pas à interdire à une flotte le passage du pertuis. De même les fortifications de l’île d’Aix n’avaient pas empêché l’amiral Hawke de s’emparer de l’île en 1757 et de culbuter tous les ouvrages.

Ceux-ci avaient été relevés et le fort Liédot n’existait pas encore, l’île offrait un ensemble de défense assez puissant mais de t rès faible valeur offensive .

Par dépêche ministérielle du 21 Brumaire an II, la construction d’ouvrages fut décidée sur les deux rives de la Charente. L’île Républicaine (île Madame) fut munie d’une redoute, un fort avec épaulements en terre fut construit à la Pointe en face de Port des Barques. Enfin le chateau de Fouras fut armé de quelques pièces de petit calibre et une redoute établie à la pointe de l’Aiguille.

En 1808, Napoléon vint inspecter les travaux de l’île d’Aix et ordonna la construction d’un fortin sur la roche de Boyard, Les travaux commencèrent aussitôt, mais n’étaient pas achevés en Avril 1809, Le premier soin des Anglais fut de les culbuter.

L’affairs des brûlots montra l’insuffisance des fortifications et le Général Sugny qui procéda à une enquête demanda à défaut de Boyard, que la présence des Anglais ne permettait pas d’achever, la construction d’ un fortin sur les Palles et d’un autre à Enet. Ce dernier a été construit par la suite.

 Les rades de Rochefort de 1793 à 1799

Référence : Chevalier T.I - Tronde T.II et III - James T.II

Le 1er Février 1793 la Convention Nationale déclara la guerre à l’Angleterre. Le 7 Mars, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne et les Deux-Siciles entraient dans la 1ère Coalition. la guerre sur mer qui commençait aussitôt devait durer jusqu’en 1814 avec deux ans de trêve après le traité d’Amiens.

La belle flotte des dernières années de Louis XVI, qui comptait 9 escadres de 9 vaisseaux chacune était considérablement réduite. Les quelques vaisseaux restant des 2 escadres qui avant 1789 stationnaient a Rochefort, avaient rallié Brest. Aussi, il semble bien qu’à cette époque, les Anglais n’établirent pas un blocus de Rochefort. Des frégates détachées de l’escadre anglaise de blocus de Brest sous les ordres de l’Amiral Lord Howe, croisaient entre Loire et Gironde, et suffisaient largement pour surveiller un port de guerre où l’on songeait surtout à faire de la politique.

Le triste sort de l’Appilon en est un exemple. Ce vaisseau était un des quatre bâtiments formant la division du contre-amiral Bouvet, qui était parti de Toulon le 16 Septembre 1793, quand l’Amiral Lord Food était entré dans Toulon et s’était emparé sans coup férir de l’escadre de Trogoff. Les Officiers de l’Apollon n’eurent pas un meilleur sort que ceux des autres vaisseaux de Bouvet qui se rendirent à Lorient ou à Brest. Vingt d’entre eux passèrent en jugement, dix furent décapités, les 10 autres furent condamnés à la prison.

Les rades de Rochefort continuent à être abandonnées en 1794. Elles se montrent pourtant un abri sûr. Quand en Mai, Villaret-Joyeuse sort de Brest pour protéger le convoi de Van Stabel, c’est vers le Golfe de Gascogne que se dirige Lord Howe après son départ de Portsmouth, Le 28 Mai, 2 jours avant le combat de Prairial, un petit engagement eut lieu entre l’arrière-garde française et l’avant -garde anglaise que conduisait le Contre-Amiral Pasley. le vaisseau "Le Révolutionnaire" sérieusement avarié se dirigea vers Rochefort. Le lendemain l’Audacieux de la division du Contre-Amiral Nielly le prit en remorque et le fit mouiller en rade de l’ île d’Aix le 4 Juin.

Le blocus anglais continue à n’être pas extrêmement efficace, En février 1795, le brick le Moineau quitte Rochefort pour l’Ile de France où il doit annoncer la prochaine arrivée de la division du Contre-Amiral Sercey. Celui-ci quitte l’île d’Aix en Mars 1796 avec 3 frégàtes et deux corvettes, la Bonne-Citoyenne et la Matine. Dès le lendemain du départ, un coup de vent dispersa les bâtiments de Sercey. Pendant que les frégates se ralliaient et atteignaient Port-Louis sans encombre, les cornettes en avaries essayaient de rentrer à Rochefort. Elles tombèrent sur la croisière anglaise et furent prises.

Une autre division partit de l’île d’Aix dans la même année. Composée de deux vaisseaux de 74 et d’une frégate, sous les ordres du Cdt Thévenard, elle était destinée à porter des troupes, des armes et des munitions à St Domingue. Elle arriva au Cap Français sans avoir rencontré d’ennemis et rentra heureusement à Rochefort à la fin de 1796,

La surveillance anglaise était pourtant devenus plus active. Le 30 août 1796, la frégate l’Andromaque revenant des Mascareignes se dirigeait vers Rochefort. Elle fut chassée et prise par la division du Commodore Sir John Borlase Warren, détachés de l’escadre de l’Amiral Colpoys qui bloquait Brest pour veiller de Groix à la Gironde,

La situation était devenue grave pour l’Angleterre. la Hollande et l’Espagne, qui avaient fait la paix avec la France allaient devenir nos alliées. L’expédition d’Irlande proposée par Hoche commençait à prendre forme et la menace qui pesait sur l’Angleterre lui avait fait prendre des mesures énergiques. L’Al. Colpoys veillait a Brest, l’Al, Duncan au Texel bloquait la flotte de Hollande et l’Al. Jervis a Gibraltar veillait sur Toulon et Cadix.

En rade de l’île d’Aix se trouvait la division du Contre-Amiral Richery qui revenait d’une croisière sur les côtes de l’Amérique du Nord, Richery appareilla le 8 Décembre pour rejoindre à Brest l’escadre de Morard de Galles, Le 11 après être passé presqu’à portée de vue de l’escadre de l’Amiral Colpoys, Richery entra à Brest en chassant les frégates anglaises qui se tenaient à l’entrée du goulet. Il amenait 5 vaisseaux et 3 frégates. Deux seulement des vaisseaux prirent part à l’expédition, les autres étaient en très mauvais état leur réparation eut trop retardé un départ que le Général Hoche ne voulait plus différer.

Deux des bâtiments de. cette malheureuse expédition d’Irlande revinrent à Rochefort. Le 13 Janvier 1797, l’Amiral Morard de Galles, après avoir été plusieurs fois obligé de changer de route pour échapper aux croiseurs anglais, mouilla en rade de l’île d’Aix avec la frégate la Fraternité qui portait son pavillon et sur laquelle se trouvait également Hoche, Il était accompagné du vaisseau la "Révolution". Vaisseau et frégate étaient dans un état lamentable.

Sir J.B, Warren fut relevé pendant quelque temps au milieu de 1797 par la division de Sir Edward Pellew, Le 10 Août, la corvette la Réolaise réussit à forcer le blocus, mais prise en chasse, elle dut se réfugier aux Sables d’Olonne où elle réussit à repousser toutes les attaques anglaises.

Le Commodore Warren reprit son poste ; la frégate la "Charente" réussit à sortir de l’île d’Aix, en Mars 1798, mais prise en chasse aussitôt par un vaisseau et deux frégates, réussit à grand peine à se réfugier en Gironde.

Le 6 Août 1798, le Commandant Savary, chef de division quitta l’île d’Aix et franchit le blocus. Sa division comprenait 3 frégates et 1 corvette et avait à bord 1150 hommes sous les ordres du Général Humbert. Elle fit route sur l’Irlande et le 22 Août débarqua ses troupes dans la baie de Killals. Après avoir pris à bord quelques prisonniers anglais, Savary fit route sur Rochefort où il rentra sans encombre,

Il en repartit le 12 Octobre pour rechercher le vaisseau le "Hoche" portant le guidon du chef de division Bompart, qui escortait en Irlande l’expédition du Général Hardy. Le jour même où Savary quittait Rochefort le Hoche était pris par la division du Commodore Warren.

Savary gagna l’Irlande. Poursuivie par la division du Commodore James Saumarez, la petite division française se disloqua et les 4 bâtiments qui la composaient réussirent à rentrer heureusement et à mouiller en rade de l’île d ’Aix, deux le 6 Novembre, les deux autres les 7 et 9 Novembre 1798.

 1799 - Attaque de la division Melgarejo en rade de l’ile d’Aix.

Références : James T.II p. 268 et suivantes. - Sylvestre p. 9 et suivantes. - Tronde III p. 159 et suivantes. - Pouget p. 116 et suivantes.

En 1799, eut lieu la première attaque des rades de Rochefort par une flotte anglaise. Une division espagnole commandée par l’Amiral Melgarejo et composée de cinq vaisseaux et d’une frégate avait mouillé le 7 Mai en rade de l’île d’Aix. Cette division était envoyée à Brest par nos alliés espagnols pour renforcer une escadre française qui y prenait armement. Cette concentration avait pour objet de créer dans l’Océan une diversion pour attirer sur elle une partie des forces anglaises qui poursuivait en Méditerranée l’escadre combinée du Vice-Amiral Bruix.

Le Vice-Amiral Lord Bridport qui commandait l’escadre anglaise devant Brest reçut à la fin de Mai deux renseignements, Le 1er que l’escadre française de Brest faisait route sur Gibraltar ; le 2° qu’une division espagnole était mouillée à Rochefort. Le 1° Juin , l’Amiral Bridport avec 10 vaisseaux faisait route vers la rade des Basques, Il y arriva le 4 Juin et aperçut l’escadre espagnole qui se retira immédiatement en rade de l’île d’Aix. Le 8 Juin Lord Bridport retournait en Angleterre laissant en surveillance, 6 vaisseaux sous les ordres du Contre-Amiral Hon. G.C. Berkeley.

Quelques jours après arrivaient deux autres vaisseaux et le 1er Juillet, le Contre-Amiral Pole mouillait à son tour sur rade avec un vaisseau et 3 galliottes à bombes.

L’Amiral Berkeley remit le commandement à l’amiral Pole et fit voile pour l’Angleterre avec 3 vaisseaux.

Les mouvements des Anglais ne manquèrent pas d’attirer l’attention des Espagnols qui demandèrent des secours au port de Rochefort. Le Vice-Amiral Martin, Commandant de la Marine à Rochefort depuis 1797, se rendit en personne à bord du vaisseau amiral le " Réal-Carlos". Une batterie flottante de mortiers fut placée entre l’île d’Aîx et la longe de Boyard.

Le 2 Juillet au matin, l’Amiral Pole donna dans le pertuis dfAntioche et pendant que ses vaisseaux mouillaient en rade des Basques, les autres bâtiments s’avancèrent vers l’île d’Aix. La division Melgarejo était mouillée sur une ligne s’étendant de l’lle d’Aix à la pointe Sud de la longe de Boyard. La frégate Boadicca sous les ordres du Captain R.G. Keats conduisait les bâtiments légers anglais qui mouillèrent à l’Ouest de l’île d’Aix vers midi. Aussitôt les batteries de l’île d’Aix, de l’île d’Oleron, le Real Carlos et la batterie flottante ouvrirent le feu. Les galliottes à bombes anglaises, commencèrent à lancer leurs projectiles, Mais, si l’on en croit l’historien anglais James la portée des canons espagnols et des mortiers français était tellement supérieure à celle des pièces anglaises que les galliottes étaient environnée de projectiles ennemis tandis que les leurs tombaient beaucoup trop court. A 15 heures le calme se fit. L’Amiral Melgarejo en profita pour armer ses chaloupes-canonnières. Chaque vaisseau espagnol avait à cette époque une de ces grosses embarcations pouvant porter un canon de 36. Les chaloupes s’avancèrent et ouvrirent le feu sur les Anglais. Ceux-ci profitant de la brise qui se leva vers 16 heures et demie levèrent l’ancre et s’éloignèrent poursuivies par les chaloupes qui cessèrent la chasse à 18 heures.

Il n’y eut aucune perte, de part et d’autre. Les Anglais n’essayèrent cependant pas de renouveler leur attaque et se contentèrent de laisser croiser quelque temps une division devant Rochefort pour empêcher Melgarejo de sortir. la division espagnole appareilla sans difficulté vers la mi-Septembre et cependant ne rallia pas Brest. Soit que ses instructions ne fussent pas bien impératives, soit que réellement, il fut effrayé par un renseignement faux envoyé par un sémaphore. l’Amiral Melgarejo arrivé à la hauteur de l’île de Sein, fit demi tour et rentra au Ferrol

Les moyens employés tant pour l’attaque que pour la défense avaient été assez primitifs, Dix ans plus tard, les Anglais devaient reprendre l’opération contre l’escadre Allemand. On verra comment, désireux d’arriver à un résultat décisif, ils montèrent cette attaque de grand style.

 Les rades de Rochefort de 1799 à l’affaire des brulots.

Références : Tronde T. III - Chevalier T.II - James T. III, IV, V - Desbrières T. III

Le 6 Mai 1799 veille du jour ou Melgarejo mouillait à l’île d’Aix, une petite division française composée de 3 frégates avait appareillé de Rochefort pour attaquer les établissements anglais et portugais de I’Afrique Occidentale et de l’Amérique du Sud. A son retour elle tomba au large de Rochefort le 4 Août 1800 sur un convoi anglais escorté par un vaisseau et quelques frégates. Seule la frégate la Franchise, commandée par Julien de la Gravière réussit à se réfugier en Gironde, puis rentra à Rochefort,

Le blocus rapproché de Rochefort continuait à être tenu par des frégates. Le 5 Mai 1800, l’aviso le Dragon tombait par brume dans 2 frégates anglaises qui s’en emparaient.

En 1801, devant la difficulté de faire arriver les convois à Brest, Bonaparte décide de disloquer l’armée Navale de Villaret-Joyeuse et donna l’ordre aux contre-amiraux Dordelin et Latouche-Tréville de conduire leurs divisions à Rochefort, L’ordre ne put être éxécuté et l’idée de réunir une escadre en rade de l’île d’Aix abandonnée,

Une division de 5 vaisseaux se trouvait à Rochefort. Commandée successivement par le Vice-Amiral Bruix, puis par le Contre-Amiral Decrès, elle devait se rendre à Cadix, y faire sa jonction avec la division française Dumanoir et une division espagnole, puis faire route sur le Cap de Bonne Espérance que les Anglais venaient de prendre à nos alliés hollandais/Bruix, ni Decrès n’appareillèrent beaucoup sans doute à cause de la paix que l’on sentait proche. Les hostilités cessèrent en effet le 1er Octobre 1801 jour de la signature des préliminaires de paix, qui devaient aboutir au traité d’Amiens (25 Mars 1802).

La guerre reprit dès l’année suivante au mois de Mai et Bonaparte poussa aussitôt activement son projet de descente en Angleterre. A Rochefort, le Contre-Amiral Villeneuve fut placé à la tête d’une division composée de trois vaisseaux et de quatre frégates. On voit dans la correspondance de Bonaparte à Ganteaume se faire jour le plan qui devait se réaliser deux ans après et aboutir à Trafalgar.

En 1803, c’était à Rochefort que l’on projetait de faire la concentration. Ganteaume signale à Bonaparte les rades des Trousses et de l’île d’Aix comme propres à abriter en plus de l’escadre de Rochefort, celles de Brest et de Toulon et aussi les escadres espagnoles de Cadix et du Ferrol. Il fait ressortir les qualités de la rade au point de vue de la sécurité du mouillage et la facilité de sortie par un des trois pertuis, situation géographique qui rend singulièrement compliquée la tenue effective d’un blocus.

Pendant la fin de 1803 et toute l’année 1804, la Marine, en dehors des expéditions coloniales, ne s’occupe guère que de la concentration de la flottille dans les ports de la Manche. Cette opération enfin terminée il fallait maintenant éxécuter le plan grandiose de Napoléon. Le Contre’ Amiral Burgues de Missiessy avait remplacé à Rochefort le Vice-Amiral Villeneuve nommé au commandement de l’escadre de Toulon. Trompant la surveillance .de la division du Contre-Amiral Sir Th. Graves qui tenait le blocus de Rochefort avec 5 vaisseaux et 4 frégates, Missiessy quitte Rochefort le 11 Janvier 1805 et va directement aux Antilles, où il reçoit l’ordre de rentrer en France. Après quelques opérations heureuses à la Martinique et à St Domingue, Missiessy arriva à l’île d’Aix le 20 Mai sans avoir rencontré de bâtiments ennemis. Son état de santé le fit remplacer par le chef de division Allemand.

Cependant l’amiral Calder qui commande le blocus du Ferrol concentre ses forces et le 12 Juillet 1805 le contre-amiral Stirling qui a remplacé Sir Graves devant Rochefort, lève le blocus et avec ses 5 vaisseaux, rallie au Cap Finistère le pavillon de Calder, Le chef de division Allemand sort donc librement le 16 juillet avec 5 vaisseaux, 3 frégates et 2 corvettes, Le lendemain, il s’emparait du petit brig anglais le "Ranger". Bien qu’entrevu et suivi quelques heures le 5 Août par la frégate anglaise Aérolus commandée par Lord Fitz-Roy, Allemand n’est pas poursuivi et exécute sa campagne restée connue sous le nom de celle de l’Escadre Invisible. Le 25 Décembre 1805 il rentre en rade de l’île d’Aix, sans être gêné par l’ennemi ramenant 1 vaisseau de 74 canons le Calcutta et 1200 prisonniers. Il avait détruit 1 brig, 1 sloop et 43 navires marchands.

Les frégates anglaises avaient cependant repris leur poste d’observation devant Rochefort puisque le 24 Décembre 1805, veille du retour d’Allemand, la frégate la Libre qui avait quitté Rochefort quelques jours auparavant et y rentrait à la suite d’une voie d’eau importante fut attaquée et prise au large de l’île de Ré par deux frégates anglaises Ces frégates faisait partie de l’escadre du Vice-Amiral Thornborough qui commanda le blocus. Quelques petites opérations contre la du sion du contra-amiral Allemand n’amenèrent aucun résultat. La frégate anglaise Pallas, que commandait Lord Cochrane entra en rade de l’île d ’Aix le 25 Avril et le 12 mai 1806. Après avoir échangé quelques bordées avec des frégates françaises, la Pallas s éloigna.

Le 14 Mai, la Pallas accompagné de la corvette King’sFisher vint de nouveau à l’entrée de la rade. L’amiral Allemand fit appareiller la frégate la Minerve et quelques corvettes. Les deux frégates s’abordèrent, se firent d’assez sérieuses avaries réciproques et se retirèrent chacune de leur coté,

Le Commodore Sir Samuel Hood remplaça I’amiral Thornborough devant Rochefort. Le 14 Juillet, il fit attaquer sur Verdon la corvette César par 12 embarcations. La corvette fut prise, mais les Anglais perdirent 9 tués, 39 blessés, 21 prisonniers et toutes leurs embarcations.

Deux mois plus tard, le 24 Septembre 1806, 1a division légère du Commandant Soleil composée de 5 frégates et 2 brigs appareilla de l’île d’Aix pour porter des troupes à la Martinique, Prise en chasse dans la nuit par l’escadre du Commodore Sir Hood, qui comptait 6 vaisseaux et une corvette la division française fut prise le lendemain à l’exception d’une frégate et des 2 brigs qui atteignirent la Martinique.

Pendant l’année 1807, une division sous les ordres de l’amiral Allemand resta mouillée, inactive en rade de l’ile d’Aix. Le 26 Janvier, Napoléon avait ordonné de concentrer ses escadres à Toulon. Mais étroitement bloqué par les 7 vaisseaux du Commodore Sir Hood, qui remplaça le contre-amiral Sir R.J. Stracham, Allemand ne put quitter Rochefort. D’ailleurs Dordelin à Brest, Tronde à Lorient,et Rosily à Cadix ne purent également sortir et les instructions furent révoquées.

Cependant l’amiral Strackam qui avait mouillé en rade des Basques appareilla le 29 Novembre 1807 pour aller au devant d’un convoi de ravitaillement qui le devait rejoindre à 50 milles au Sud-Ouest de Rochebonne. Par suite de retards et surtout à cause d’une série de coups de vents de N.E, le ravitaillement ne fut terminé que le 18 Janvier 1808. L’Amiral Stracham faisait route sur Rochefort quand le 23 Janvier il rencontra la frégate qu’il avait laissée devant ce port. Il apprit ainsi que le 4 Janvier 1808 le vaisseau la Patriote venant de la Chasapeake avait mouillé en rade de l’île d’Aix et chose plus grave que la division Allemand avait appareillé le 17 Janvier,

Profitant en effet des mêmes vents de Nord-Est, Allemand avait quitté l’île d’Aix avec 6 vaisseaux 1 frégate et 1 corvette. Il chassa la frégate et la corvette anglaises restées en surveillance et fit route sur Gibraltar, Il fut obligé de renvoyer un de ses vaisseaux en avarie à Rochefort passa Gibraltar le 26 Janvier et le 10 février 1808 se rangeait à Toulon sous les ordres du Vice-Amiral Ganteaume.

La frégate et la corvette anglaises avaient pris chasse devant la division Allemand. Elles rencontrèrent un brig anglais le 18 et pendant que la corvette et le brig faisaient voile vers l’Angleterre, où ils arrivaient le 24 Janvier et donnaient l’alarme la frégate rencontrai le 23 Janvier l’Amiral Stracham. Celui-ci n’hésita. pas et fit toute sur Gibraltar ; mais retardé par la tempête il n’y passa, que le 10 Février et mouillait le 21 à Palerme où il renforçait l’escadre du V. A. Thornborough.

On voit là un bel exemple d’initiative intelligent aux différents degrés du commandement, exemple qu’on retrouve d’ailleurs plusieurs à cette époque dans la marine anglaise et qui montre bien l’état d’esprit élevé auquel nos ennemis étaient parvenus et combien les leçons des grands chefs, Hood, Howe et surtout Jervis et Nelson avaient porté leurs fruits.

Le départ de l’escadre Allemand marqua la fin de l’activité des rades de Rocheforts pendant l’année 1808. Une nouvelle division sous les ordres du contre-Amiral L’Hermitte armait au port et se formait en rade de l’île d’Aix. Cette division fut bient6t bloquée par celle du contre-amiral Stopford et n’essaya pas d’appareiller.

 1809 - Affaire des brûlots de l’île d’Aix

Références : Archives Nationales BB4,282,283,284,285. - Tronde Ouvr. Cit. - James Ouvr. Cit - Viaud et Fleury : Histoire de la Ville et du port de Rochefort. - Comte Pouget : Vie et campagnes du V.A.Martin Sylvestre : Histoire des brûlots de l’Ile d’Aix.

a)- la concentration à Rochefort

Vers la fin de cette année 1808, la necessité de ravitailler les quelques îles des Antilles encore en notre possession et en particulier la Guadeloupe et la Martinique devenait pressante. Deux grosses escadres étaient armées à Anvers et à Toulon et retenaient la grosse partie des forces anglaises. Trois divisions à Brest sous Willaumez, à Lorient sous Tronde et à l’île d’Aix sous L’Hermitte parurent propres à l’empereur à assurer ce ravitaillement et il ordonna leur concentration à Rochefort,

L’escadre Willaumez, bien que bloquée par le Vice-Amiral Lord Gambier réussit à appareiller de Brest le 21 Février 1809. Elle fit route sur Lorient comme elle en avait l’ordre mais la division Tronde gênée par le calme et la marée ne put sortir et seules trois frégates sous les ordres de Jurien de la Gravière mirent à la voile le 23 Février pour rejoindre Willaumez à Rochefort, Mais le lendemain en atterrissant sur l’île de Ré elles tombèrent sur la division Stopford qui leur donna la chasse et les obligea à se réfugier aux Sables d’Olonne où elles furent attaquées au mouillage par l’amiral Stopford. Les Anglais durent s’éloigner avec des avaries ; mais une des frégates échouée ne put être relevée et les 2 autres, furent entrées dans le port des Sables, pour être réparées. Elles ne devaient plus en sortir.

Le Commandant Tronde ne put sortir et reçut d’autres instructions et la concentration française fut du même coup achevée,

L’amiral Willaumez ne crut pas devoir repartir aussitôt de l’île d’Aix ainsi que le lui prescrivaient ses instructions De fait, l’état des bâtiments armés à Rochefort était peu brillant. Le vaisseau le Calcutta armé en flûte avait failli chavirer en Novembre 1808 et il avait fallu reprendre entièrement l’arrimage de la cargaison.

De violentes discussions s’élevèrent entre l’amiral Willaumez et le Ct Bergeret, remplaçant l’amiral L’Hermitte que son mauvais état de santé avait obligé à quitter son commandement, D’autre part, le 26 Février, 2 jours après l’arrivée sur rade, le vaisseau "Jean-Bart" commandé par le Capitaine Le Bozec s’échouait sur les roches des Palles et ne pouvait être retiré.

Que ce soit à cause des inexécutions d’ordres ou des dissensions entre les chefs, l’irritation de Napoléon ne tarda pas à se faire sentir et Willaumez et Bergeret furent tous deux relevés de leur commandement et remplacé respectivement par le Vice-Amiral Allemand et le Contre-Amiral de Gourdon. Prévenu à Toulon le 10 mars de sa nomination, Allemand arrivait le 15 à Rochefort, était nommé le 16 vice-amiral et arborait le même jour son pavillon sur l’Océan.

b) - La situation -

L’escadre dont Allemand prenait le commandement se composait de 11 vaisseaux dont 1 armé en flûte et de 4 frégates de 46 canons (Voir annexes), L’ Océan" portait 120 canons, le "Foudroyant" et la "Ville de Varsovie" 80 canons, et tous les autres étaient des vaisseaux de 74 sauf le Calcutta (en flûte) qui n’avait que 54 canons

Dans une lettre qu’il écrit au ministre le 18 Mars Allemand signale que l’ennemi composé de 13 vaisseaux, 6 frégates, 4 corvettes, 1 cutter et 6 transports est mouillé en rade des Basques. A la division Stopford est venu en effet s’ajouter l’escadre de Lord Gambier arrivé le 7 Mars avec 8 vaisseaux.

La situation d’Allemand était délicate. Le Contre-Amiral Willaumez était parti sans lui rendre le service,si l’on en croit du moins la lettre qu’Allemand écrit à Decrès le 10 Avril. Il est bloqué par des forces supérieures. Son escadre composée de bâtiments assez mal armés et surchargés ne peut utiliser à toute heure de la marée que le pertuis d’Antioche ; à la rigueur le pertuis Breton peut être utilisé pendant quelques heures de marée ; celui de Maumusson n’est accessible qu’aux frégates. Avec le plein de vivres et d’artillerie, les bâtiments ne peuvent remonter la Charente et utiliser le port et l’arsenal de Rochefort, qui aurait dû constituer pour l’escadre un abri inviolable.

D’autre part, les Anglais manifestent une grande activité. Le 23 Mars, des embarcations viennent sonder sur l’avant de nos bâtiments. Le 1er Avril, des frégates ennemies se sont approchées de Boyart, ont ouvert le feu sur l’îlot et débarqué quelques hommes. Les dégâts ne sont pas très importants, mais tous les travaux, en fait peu avancés, des fortifications ont été culbutés.

Enfin chose plus grave, on constate l’arrivée de brûlots anglais le 22 Mars. L’ennemi ne cache pas ses intentions d’incendier notre flotte. A midi le 1er Avril il lance des barils de goudron enflammé pour reconnaître le courant. Le 3 Avril de nouveaux brûlots et des transports arrivent d ’Angleterre. D’autres suivent le 8 Avril, d’autres enfin le 10 de telle sorte qu’à cette date, l’amiral Gambier disposait de 11 vaisseaux, 7 frégates, quelques corvettes et canonnières et 43 transports, brûlots ou navires à machine infernale. Parmi ces renforts, la frégate l’Impérieuse, Capitaine Lord Cochrane a apporté le 3 avril, l’autorisation de l’Amirauté d’attaquer l’escadre française par les brûlots.

L’amiral Allemand ne semble pas avoir douté un instant du genre d’attaque qui lui est réservé. Le 18 Mars, il écrit à Decrès qu’il fait mouiller des bouées pour rectifier la position de ses bâtiments et les placer sur 2 lignes endentées de façon à repousser les brûlots.

Il rapproche les lignes de l’île d’Aix et affourche ses bâtiments N.W.- S.E. sur 3 lignes N 1/4 N.W.- S 1/4 S.E. En se rapprochant de l’île d’Aix, Allemand compte que sa droite sera couverte par les fortifications et la garnison de l’île. Il y a là en effet 140 bouches à feu et 2400 hommes que commande le Général Brouard. L’amiral a donné des ordres pour qu’en cas d’attaque 400 matelots y soient également envoyés.

D’autre part, dès le 24 Mars, Allemand a décidé de se couvrir par une estacade et a demandé ce jour même du matériel à Rochefort, Le 31 Mars, il n’a rien reçu et envoie au Préfet Maritime une lettre violente pour presser l’envoi du matériel nécessaire et au Ministre copie de sa lettre au Préfet.

Le 9 Avril l’estacade est terminée, mais il a fallu employer les ancres, aussières, grelins et espars de l’escadre. Allemand a demandé de nouveau à Rochefort du matériel pour établir une deuxième estacade entre la première et l’escadre ; cette estacade ne devait jamais être établie. Il n’a pas non plus satisfaction, pour les batteries flottantes de mortiers que le port ne peut lui fournir.

A bord une série de mesures est venue compléter le système de défense, 73 embarcations de l’escadre sont armés de pièces de 36 ou de pierriers sont répartis en cinq divisions qui a tour de rôle montent la garde à l’estacade. Un système de ronde de Lieutenants de Vaisseau, de Capitaine de Frégate et même de Capitaines de vaisseau fonctionne toute la nuit.

Enfin le 8 Avril, Allemand a donné ordre de caler les mâts d’hune, de les jumeler aux bas-mâts, de déverguer et de ramasser les voiles en soute,, Seules les frégates gardent leur mature. la raison de cet ordre est la crainte de propagation d’incendie, car on avait remarqué que les vergues des brûlots étaient munis de crochets et on voulait leur enlever le plus possible de points d’accrochage.

Toutes ces dispositions étaient prises le 8 Avril, et c’est le 11 que l’attaque de Lord Gembier fut déclenchée. Deux remarques s’imposent :

Tout d’abord, l’Amiral Allemand qui se rend compte depuis son arrivée sur rade du genre d’attaque qui l’attend ne semble pas avoir un instant songé à autre chose qu’à subir cette attaque. A aucun moment il ne songe à réagir ; son rôle est passif. On. a dit qu’en un conseil de guerre, tous les commandants avaient soutenu l’avis du commandant Lucas qui. demandait à attaquer l’ennemi le plus tôt possible et qu’Allemand s’était contenté d’envoyer à Decrès le procès-verbal de la séance en lui demandait ses ordres. Par opposition on voit les Anglais, mouillés en rade des Basques procéder à leurs sondages et à leurs études de courant, à quelques milles de l’ennemi aussi tranquillement que si l’escadre anglaise s’était livrée à ses exercices dans ses propres ports.

Un deuxième point non moins certain est que le système défensif d’Allemand n’est pas installé complètement par suite de l’inertie ou du manque absolu de moyens de l’arsenal de Rochefort. Il y a à cela peut-être des causes matérielles, mais les questions personnelles prédominent certainement. L’amiral Allemand est franchement détesté de tout le monde à cause de la violence de son caractère. Sa correspondance n’est qu’un long réquisitoire contre tout le monde. Ingénieurs, chefs de service de l’arsenal, préfet maritime, tous sont dénoncés au ministre comme incapables et pleins de mauvaise volonté à l’égard de l’amiral commandant à la mer. Le Préfet Maritime était toujours l’amiral Martin qui occupait ce poste depuis 12 ans et avait aidé l’amiral Melgarejo à refouler l’attaque de Juillet 1799. Mais l’amiral Martin était aussi l’ancien commandant de l’escadre de la Méditerranée qui avait bien failli faire traduire en conseil de guerre Allemand, alors commandant du Duquesne pour sa conduite au combat de Noli et entre les deux hommes, les rapports étaient tendus. Aux demandes d’Allemand, Martin répond en approuvant avec condescendance les mesures projetées, rappelant que lui-même en a donné l’ exemple quelque treize ans auparavant au Golfe Juan, mais par ailleurs les ordres qu’il donne ne doivent pas être bien fermes puisque la Direction des Mouvements du Port n’expédie pas à l’escadre le matériel demandé. Ce n’est que sur une nouvelle lettre d’Allemand, dont la copie est envoyée au ministre que Martin met en demeure son directeur du port d’envoyer ce matériel d’estacade. Et quand le 14 Avril arrive la réponse de Pecrès donnant au port l’ordre de fournir le matériel d’estacade, et à l’escadre ordre d’installer cette deuxième estacade, il est trop tard, car l’attaque anglaise a eu lieu trois jours auparavant.

c ) - Attaque du 11 avril -

Dans la journée du 11, les frégates anglaises appareillent et vinrent mouiller en face de notre escadre, puis successivement les brûlots furent conduits à proximité des frégates par les bâtiments légers. Il était évident que l’attaque était imminente. A 17 h 30, Allemand donne à ses frégates liberté de manœuvre pour leur sécurité ; à 18 h. 00 il signale d’envoyer deux divisions d’embarcations à l’estacade, puis à 21 h.3/4 ordre aux vaisseaux de s’en-traverser pour faire feu sur l’ennemi,

Ce dernier ordre était inexécutable par suite de la force du courant et du vent violent de N.W. Il ne reçut d’ailleurs aucun commencement d’exécution. Pour la même raison les embarcations ne purent pour la plus grande partie rejoindre l’estacade et furent entraînées à terre. Le seul résultat fut de priver les vaisseaux d’un personnel assez nombreux et de moyens qui auraient été fort utiles au moment du combat.

Allemand avait également fait prévenir le Général Brouard à l’île d’Aix que l’attaque lui semblait imminente Le Général répondit qu’il était prêt.

A 20 h. 30 les Anglais mouillèrent à l’Ouest de l’estacade quatre bâtiments que jalonnèrent la route des brûlots. Vers 21 h., une forte explosion suivie de deux autres retentit. C’étaient les machines infernales qui avaient croché dans l’estacade et en sautant, ouvrent une brèche par laquelle passent les brûlots qui tombent sur les lignes françaises. Le Régulus est accroché le premier, coupe ses embossures et part en dérive, Le vaisseau amiral l’Océan a presqu’aussitôt le feu à l’avant ; il parvient à déborder le brûlot, éteint le feu et coupe ses embossures pour éviter les autres brûlots. Successivement tous les vaisseaux font à peu près la même manœuvre, 28 brûlots sont lancés dans la nuit. Tous les bâtiments français sauf deux le Foudroyant et le Cassard (restés à leur poste) ont coupé leurs câbles et sont partis à la dérive, la plupart sans moyen de mouillage, puisque leurs ancres sont restées au fond ou ont servi pour établir l’estacade. Quand le jour se fait le 12 avril, tous les bâtiments sont échoués sauf le Cassard et le Foudroyant, mais aucun n’est perdu. Et Allemand écrit à ce moment à Pecrès que l’attaque ennemie à échoué et qu’il espère que bientôt tous les bâtiments seront à flot.

L’Amiral Martin est arrivé dans la nuit de Rochefort avec des allèges, grelins, péniches et les secours s’organisent rapidement.

d)- Attaque du 12 avril -

La situation de I’escadre Allemand est en effet critique, mais tout dépend de la rapidité avec laquelle l’amiral Gambier exploitera le complet désordre dans lequel l’attaque des brûlots a plongé l’adversaire.

Voici quel est le 12 au matin la position de l’escadre française :

Le Foudroyant et le Cassard sont en rade à flot. Aucun des autres vaisseaux n’a pu donner dans la rivière et tandis que la frégate l’Indienne est au sec sur les vases de l’île d’Enette sur la rive droite de la Charente, 9 vaisseaux et 3 frégates sont au plein sur le plateau des Palles.

Ce n’est que vers 11 heures du matin que l’escadre de Lord Gambier appareille de la rade des Basques mais devant la force de la brise, il mouille au nord de l’île d’Aix et fait attaquer les vaisseaux échoués par ses frégates et autres bâtiments légers, soutenus par trois vaisseaux qui d’ailleurs se tinrent assez loin.

Devant cette menace, le Foudroyant et le Cassard mirent à la voile et se dirigèrent vers l’entrée de la Charente. Tous deux s’échouèrent en dedans de l’Océan sur les vases de Fouras,

Car l’Océan, le Régulus, le Tourville, le Jemmapes et le Patriote ont réussi à se tirer du plein dans la matinée, mais ils n’ont quitté les roches des Palles que pour s’échouer sur l’autre rive de la Charente.

Quatre de nos vaisseaux, l’Aquilon, Ville de Varsovie, Calcutta et Tonnerre supportent donc seuls l’attaque ennemie. Conduite par Lord Cochrane sur l’Impérieuse, 2 frégates ouvrent le feu à 14 h. sur le Calcutta, qui ne peut riposter qu’avec ses pièces de chasse. Deux vaisseaux, 4 frégates, des corvettes et bombardes viennent renforcer les Anglais. A 15 h. 15 environ, le Cdt Lafon estimant qu’il ne peut sauver son bâtiment, l’évacue et y met le feu. L’évacuation est précipitée, une trentaine d’hommes reste à bord, et les Anglais s’emparent aussitôt du navire. Ils ne réussirent d’ailleurs pas à éteindre le feu et le Calcutta sauta à la fin de la journée.

Le Tonnerre, crevé, demanda du secours pour évacuer le bâtiment vers 17 h, devant la menace des bâtiments anglais. Il reçut liberté de manœuvre et des canots lui furent envoyés. L’équipage débarqué, le Cdt Clément de la Roncière mit le feu à son vaisseau qui sauta vers 18 h.36

L’Aquilon attaqué peu après le Calcutta, ne pouvait riposter qu’avec ses pièces de retraite. A 16 h.30 après 2 heures de combat, le Cdt Maingon demanda à évacuer. L’amiral lui donna liberté de manœuvre pour la sûreté de son bâtiment. Une grande partie de l’équipage fut évacuée par des canots et vers 17 heures l’Aquilon amena. Le Cdt Maingon fut tué par un boulet dans un canot de l’Impérieuse, avec qui Lord Cochrane était venu amariner sa prise.

Vers 15 h., la Ville de Varsovie est attaquée par deux vaisseaux et deux frégates, auxquels elle ne peut également riposter que par ses pièces de retraite. Par deux fois, le Cdt Cuvilier envoya un officier demander à l’Amiral, s’il ne trouvait pas sa résistance suffisante. Allemand fit répondre de tenir jusqu’à la dernière extrémité et en particulier de mettre les hommes inutiles au tir, ou à l’incendie à l’abri dans la cale. A 15 h.45 le Cdt Cuvilier commença l’évacuation et à 17 heures ne recevant pas de secours la Ville de Varsovie amena son pavillon. le Cdt Cuvilier fut fait prisonnier.

A la nuit les bâtiments anglais s’éloignèrent et rallièrent le gros de leur escadre en rade des Basques, Ne pouvant emmener l’Aquilon et la Ville de Varsovie, les Anglais y mirent le feu dans la nuit. Les deux vaisseaux en flammes au bout de quelques heures se déséchouèrent et partirent en dérive. Le Cdt Lacaille du Tourville, vers 4 heures du matin crut à une nouvelle attaque de brûlots, évacua précipitamment son bâtiment laissant les voiles déferlées. Heureusement quelques hommes endormis étaient restés à bord, Bientôt revinrent des embarcations envoyées en corvée avant l’évacuation. Les aspirants et les hommes de ces canots prirent quelques dispositions de défense et repoussèrent l’ attaque de deux embarcations anglaises venus reconnaître ce vaisseau. Cependant le Cdt Laçaille qui avait essayé de se maintenir auprès de son vaisseau, dérivait jusqu’à Port des Basques où il trouvait le Préfet Maritime qui lui ordonnait de retourner immédiatement à son bord, ce qu’il fit aussitôt.

e)- Attaque du 13 avril -

Le 13 au matin, les Anglais reprirent leurs attaques, mais les bâtiments de l’escadre Allemand étaient maintenant trop en amont dans la Charente pour que les vaisseaux et frégates ennemis puissent prendre part à l’attaque. Celle-ci fut menée par une dizaine de petites canonnières et porta principalement sur le Régulus, l’Océan, le Tourville et la frégate l’Indienne. Les Anglais se placèrent de façon à n’être battus que par les pièces de retraite des vaisseaux. La lutte dura six heures et demi environ et fut arrêtée par suite du mauvais temps.

Dans son rapport au ministre, daté du 14 au matin, Allemand décrit ainsi la situation du 13 au soir. L’Océan, le Régulus, le Foudroyant, le Jemmapes et la frégate l’Indienne sont sur les vases de Fouras et attendent des secours de Rochefort. La position du Régulus est critique, et son Commandant Lucas, l’ancien commandant du Redoutable à Trafalgar, craint de ne pouvoir le sauver. L’Indienne est très exposée également. Par contre 3 vaisseaux le Patriote, le Cassard et le Tourville ainsi que les 3 frégates la Pallas, l’Elbe et l’Hortense ont réussi à se déséchouer et sont en sécurité dans la Charente. Rendant compte de la vigueur de la défense du vaisseau amiral l’Océan, Allemand mentionne qu’avec ses 6 pièces de retraite, ce vaisseau a tiré 1080 coups sur l’ennemi. Il y a là exagération manifeste, puisque le Cdt Lucas a fait le calcul, cela aurait fait un coup par pièces toutes les 2 minutes 10 secondes mais c’est tout de même une indication que le tir a été vigoureux et que les équipages démoralisés la veille, ont été repris en main.

De fait, le Tourville a effectué sous le feu sa manœuvre de déséchouage et a pu entrer en rivière. De même Allemand, qui voit cinq transports, qu’il suppose être des brûlots, parmi la flotte anglaise reconstitue une flottille d’embarcations destinées à détourner une nouvelle attaque de nuit, qui n’eut d’ailleurs pas lieu.

f)- Attaques du 14 et 15 Avril.-

Les Anglais renouvellent le 14 leurs attaques sans beaucoup de résultat. Leurs efforts portent sur le Régulus, le Foudroyant et l’Indienne. la situation du premier et du dernier de ces bâtiments est à peu près désespérée. Allemand dont le vaisseau déséchoué est mouillé à Port des Barques s’est rendu à bord du Régulus et dirige la défense.

Dans la nuit du 14 au 15, l’amiral commande en personne la flottille d ’embarcations qui protège les bâtiments échoués des attaques possibles de l’ennemi,

Le 15 la situation s’améliore un peu. Allemand écrit au ministre : « Le Jemmapes est entré ce matin, le Foudroyant entre, l’Océan entre ». Il ne reste plus échoués que le Régulus et l’Indienne dont la situation empire. Allemand leur envoie des chaînes, des grelins et des allèges.

g)- les dernières attaques -

Le Cdt Proteau de l’Indienne avait fait connaître par écrit à Allemand le 15 la situation où il se trouvait, L’Amiral lui prescrit de faire tout son possible pour sauver sa frégate et lui propose un secours de 100 hommes de l’Océan. « Le lendemain, dit Allemand, il incendia sa frégate qui à ce qu’il m’assure avait crevé, persuadé sans doute que l’ennemi s’en emparerait, Je crois qu’il y a mis un peu de précipitation, ce qui rendrait sa conduite blâmable ».

Il ne reste plus que le Régulus toujours échoué à Fouras. Il semble bien que le brave Lucas, depuis quatre jours sur la brèche, ait eu un moment de faiblesse. Il demande à abandonner son vaisseau et à l’incendier. Allemand le lui interdit formellement et lui envoie du matériel de secours, Les travaux reprennent, troublés le 20, 24 et 28 avril par les attaques des canonnières anglaises. Mais Lucas s’est ressaisi ; il a installé à l’arrière des pièces supplémentaires et avec l’aide de la flottille, des canots d’escadre il repousse toutes les attaques.

le 29 Avril, le Régulus, enfin sauvé, flotte et entre en rivière.

Le même jour l’Amiral Gambier mettait à la voile pour l’Angleterre laissant devant Rochefort 4 vaisseaux, 1 frégate et quelques corvettes, pour tenir le blocus.

L’amiral Allemand de son côté, avait remonté ses bâtiments en Charente et barré l’estuaire de la rivière par une estacade.

h)- les résultats -

En somme, lord Gambier avait détruit quatre vaisseaux et 1 frégate. C’était à n’en pas douter un désastre pour nous, car les 7 vaisseaux et les 3 frégates qui avaient réussi à lui échapper étaient hors de service pour plusieurs mois. Et cependant la déception fut vive en Angleterre. Les moyens extrêmement puissants avec laquelle l’attaque avait été montée et la présence du colonel Congrève inventeur de fusées incendiaires et de machines infernales avaient donné à penser que la destruction entière de l’escadre française était certaine. Lord Cochrane qui était en même temps que commandant de l’Impérieuse, membre du Parlement, se livra à de si violentes critiques contre son chef, que l’amiral Gambier demanda un conseil d’enquête qui lui fut accordé. L’historien anglais James, qui d’ailleurs se montre très hostile à l’amiral Gambier dit que la conduite du procès ne fut pas très régulière et que l’on négligea d’entendre les témoins hostiles à l’amiral. L’accusation était la suivante : Attendu que d’après les livres de bord et les carnets de signaux du Caledonia, de l’Impérieuse et des autres bâtiments employés dans cette affaire, il appert que le dit amiral Lord Gambier, le 12 du dit mois d’Avril, alors que les navires ennemis étaient à la côte et qu’on avait fait le signal qu’ils pouvaient être détruits, négligea ou tarda, pendant un temps considérable, de prendre les mesures nécessaires pour les détruire.

Lord Gambier fut acquitté très honorablement. Mais tandis que Lord Cochrane était fait Chevalier de l’ordre du Bain, des remerciements étaient envoyés à l’amiral Gambier par la Chambre des Communes, mais après une longue discussion et une opposition assez forte.

 Le procès de Rochefort

L’escadre française avait été sévèrement éprouvée. En dehors des 4 vaisseaux et de la frégate incendiés, nous avions à enregistrer de grosses pertes en personnel et matériel. Il ne m’a pas été possible de retrouver l’état exact des tués et des blessés ; il semble cependant que les nombres sont d’environ 200 à 300 tués et 700 à 800 blessés. Par ailleurs les Anglais annoncèrent 650 prisonniers. L’affaire nous coûtait donc de 1500 à 1800 hommes hors de combat.

Par ailleurs, et sans parler des bateaux incendiés entièrement perdus, les bâtiments rescapés avaient, pour se déséchouer jeté par dessus bord une grosse partie de leur matériel et en particulier de leur artillerie. Sur les 708 canons ou caronades que portaient les vaisseaux et frégates avant le combat. 385 pièces, plus de la moitié, avaient été jetées à la mer. Les boulets avaient eu le même sort que les canons ; les poudres avaient été en partie noyées. Les bâtiments n’avaient plus d’ancres, de grelins. Leur mature avait été très abîmée, les coques déliées. Pratiquement. l’escadre Allemand ne comptait plus pour six mois au moins.

Il est naturel que dès le début, le ministre ait cherché à établir les responsabilités du désastre. Napoléon est mis au courant par un premier rapport de Decrès daté du 25 Avril. Mais à ce moment , le ministre n’a pas eu en main les documents nécessaires et il demande des précisions à Allemand. Il veut dit-il un report détaillé vaisseau par vaisseau et même homme par homme, Le caractère de ce rapport ajoute-t-il doit être l’impartialité mais avant tout l’intérêt et la dignité du service.

Allemand répondit le 12 Mai par un long rapport dont l’on trouvera la copie en annexe et par un rapport secret sur la conduite de ses commandants. Après avoir apprécié d’une façon détaillée le rôle de ceux qui ont perdu leurs bâtiments, il juge en quelques mots la conduite des autres. Les éloges vont aux Commandants Faure du Cassard, Henry du Foudroyant et à son capitaine de pavillon le Cdt Lisillour de l’Océan. L’amiral ne blâme que Lucas qui a par deux fois demandé à brûler son bâtiment et qui n’y a renoncé que sur l’interdiction formelle d’Allemand. Il garde évidemment une violente rancune à Lucas de sa conduite, car le 12 Juin, le bruit ayant couru de la promotion du commandant du Régulus au grade de contre-amiral, Allemand envoie au ministre une lettre violente do protestation se terminant par ces mots « C’est par moi et malgré Monsieur Lucas que l’empereur possède encore le Régulus ».

En possession des rapports d’Allemand et des journaux de bord. Decrès fait le 24 Mai son rapport a l’Empereur et lui transmet sans annotation le rapport d’Allemand sur les commandants.

Le 2 Juin, Napoléon signait à Ebersdorff un décret ordonnant la nomination d’un conseil de guerre chargé de juger les Capitaines de Vaisseau, Lafon du Calcutta, Clément la Roncière du Tonnerre, Lacaille du Tourville, et Proteau de l’Indienne.

On a beaucoup écrit sur ce conseil de guerre, sur sa composition, la façon dont furent menés l’instruction et les débats et le jugement qu’il a rendu. Cent ans après, les passions n’étaient pas encore calmées, car l’histoire des brûlots anglais en rade de l’île d’Aix, publiée en 1912 par M. Silvestre est beaucoup plus une plaidoirie pour Lafon et Lacaille et un réquisitoire contre Allemand qu’un exposé impartial des faits. Il est assez curieux de constater que M. Silvestre après beaucoup d’autres auteurs, comme Pouget, Viaud et Fleury accusent Decrès d’avoir fait disparaître les archives de l’affaire des brûlots et du procès, quoique Tronde signale les avoir consultées. Cette lecture des archives est pourtant précieuse, car elle semble bien laver Decrès des accusations portées contre lui.

Le ministre a nommé le Contre-Amiral Bedout président et le Contre-Amiral L’Hermitte Commissaire rapporteur. Celui-ci, dès la première inspection du dossier découvre qu’il va être amené à requérir la peine de mort contre Lafon et Lacaille et en prévient le ministre. Si celui-ci avait vraiment voulu pour une raison personnelle la mort des prévenus, il n’aurait eu qu’à ne rien faire. Au lieu de cela, le 30 Juin, Decrès écrit au ministre de la Justice, Régnier, pour lui soumettre le cas et lui annoncer qu’il écrit à l’Empereur pour solliciter sa clémence, en cas de condamnation capitale, mais qu’il n’est pas sûr de ne pas empiéter sur les attributions du Grand Juge à qui il demande d’intervenir si l’affaire est de son ressort. Et en effet, ce jour-là, il écrit à Napoléon « .... Le Contre-Amiral L’Hernitte prévoit que ses conclusions iront à la mort contre Lafon et Lacaille, d’après les textes de la loi. Mais il lui semble devoir appeler la clémence de Votre Majesté, en égard aux circonstances extraordinaires... » Et toujours le même jour, il écrit à L’Hermitte « J’approuve la lenteur, qui me paraît indispensable, vu l’importance de l’affaire..... »

Le 19 Juillet, une lettre secrète au Vice-Amiral Martin Préfet Maritime confirme la conduite de Decres : « On ne peut surseoir au jugement du conseil de guerre qu’avec l’autorisation de Sa Majesté. J’ai demandé à Sa Majesté des instructions à ce sujet ... le Contre-Amiral L’Hermitte devra donc convoquer le conseil seulement quand, je lui aurai donné la date..... »

Je n’ai pu trouver la réponse de Napoléon, mais on peut facilement voir ce qu’elle a été par la lettre que Decrès écrit le 16 Août à L’Hermitte Je ne me crois pas en droit de suspendre plus longtemps la procédure. Donc conformez vous au devoir. Cette lettre est secrète et ne doit être communiquée qu’au Préfet Maritime et au Contre-Amiral Bedout ... » Cette lettre ne devait pas trouver L’Hermitte à Rochefort, car il était en route sur Paris où il arrive le 20 Août. Il demande par lettre un rendez-vous à Decrès, qui refuse de le recevoir et lui envoie l’ordre de rallier sans délai son poste. C’est à mon avis la meilleure justification du rôle de Decrès.

La première séance du conseil eut lieu le 31 Août et les débats furent clos le 3 Septembre. Le jugement acquitte Clément la Roncière et condamne Proteau à trois mois d’arrêts simples pour avoir mis avec trop de précipitation le feu à sa frégate étant par ailleurs déchargé de la perte de l’Indienne. La Caille est convaincu d’avoir abandonné son vaisseau sous le feu de l’ennemi, mais étant donné qu’il est retourné à son bord et a finalement sauvé le Tourville, est condamné à 2 ans de prison, à être rayé des cadres et dégradé de la Légion d’Honneur. Enfin Lafon reconnu coupable d’avoir sous le feu abandonné son vaisseau dont l’ennemi s’est emparé est condamné à mort.

Lafon fut fusillé le 9 Septembre conformément à la loi.

On a parlé de pression sur les membres du conseil et de rancunes personnelles. Rien dans les documents officiels ne semble étayer des accusations aussi graves.

Conclusion -

S’il parait normal que les commandants qui ont perdu leurs bâtiments aient été traduits en conseil de guerre, il est surprenant de voir les conséquences de cette triste affaire pour l’amiral Allemand. Trois mois après le désastre, Allemand est nommé au Commandement en Chef de l’Escadre de la Méditerranée, la plus importante de toutes nos flottes à ce moment. Il fut dans la suite créé comte de l’empire et grand-croix de la Légion d’Honneur, alors que son adversaire Lord Gambier était traduit en conseil d’enquête peur n’avoir pas obtenu une victoire assez complète.

On ne s’explique pas bien les raisons de ces faveurs, car il est certain que Napoléon s’est intéressé de près à cette affaire des brûlots. L’Empereur en dehors des rapports des ministres avait reçu le rapport d’Allemand. On a dit que c’est sur son ordre que le Cdt Lucas avait annoté ce rapport ; je n’ai pu retrouver cet ordre, mais la pièce existe aux Archives sous la cote Fonds Colbert BB4, tome 282 page 54 - Le rapport d’Allemand est suivi des notes de Lucas qui ont provoqué elles-mêmes des remarques d’un personnage qui n’indique pas sa qualité, mais qui est témoin oculaire de l’affaire à laquelle il a assisté sur le Foudroyant ; il est probable qu’il s’agit de l’amiral Gourdon.

Les reproches de Lucas sont nombreux, très exactement 27, et d’ordre très divers. On peut les grouper ainsi :

1° - Mauvais mouillage de l’escadre : Les lignes étaient trop serrées, un brûlot qui manquait la première ligne accrochait surement la seconde. De plus au lieu d’orienter les bâtiments NW. SE il eut fallu les placer NE. SW, normalement au courant. Enfin étant donné le plan de mouillage, les vaisseaux se masquaient réciproquement.

2° - Mauvaises dispositions d’Allemand : Les 73 embarcations prises sur les vaisseaux causaient par leur absence une grosse gêne pour le service du bord et ne pouvaient rendre aucun service à l’estacade étant trop lourdement armées. Pourquoi avoir fait dévergué ? Les bâtiments auraient pu appareiller et revenir après avoir viré de bord passer au vent des brûlots. Des rondes de commandant alors que le combat est imminent, sont une faute, car les commandants doivent être à leur bord pour le combat. Enfin Lucas ne voit pas à quoi auraient pu servir les bombardes réclamées avec insistance par Allemand.

3° - Accusations d’impéritie et de lâcheté - Le branlebas de combat ne fut pas ordonné. Si les 4 vaisseaux ont été perdus le 12, c’est qu’Allemand n’a pas donné l’ordre au Cassard et au Foudroyant de les protéger. Le Régulus, l’Océan et le Jemmapes auraient pu se joindre aux deux précédents et repousser l’attaque anglaise.

Enfin les équipages ont été démoralisés par l’attitude de leur Amiral qui le 12 au soir a appelé à bord de l’Océan toutes les embarcations de l’escadre pour sauver ses propres effets, Lucas ajoute même qu’Allemand était surtout inquiet d’avoir égaré ses diamants.

L’auteur des remarques sur les notes de Lucas, reprend point point ces critiques. Il concède que l’embossage était défavorable, mais moins mauvais toutefois que le désordre qui existait avant l’arrivée d’Allemand, et que sauf en rade des Trousses, tous les mouillages se valaient ; celui pris près de l’île d’Aix, n’était ni pire ni meilleur qu’un autre.

De même que Lucas, il trouve qu’Allemand en surchargeant les embarcations les a rendu inutilisables. Par contre, il approuve l’Amiral d’avoir fait déverguer, car la navigation par gros temps la nuit était impossible et la preuve en est que tous les bâtiments qui avaient gardé leur voilure se sont échoués comme les autres.

Il proteste énergiquement contre l’accusation de lâcheté portée sur Allemand, et dit qu’il est faux qu’Allemand ait fait appeler les embarcations pour son service. Ce qui est exact, c’est qu’un aspirant a été désigné pour mettre le feu à l’Océan, si il fallait l’évacuer, Il admet par contre que le branle-bas de combat ne fut pas ordonné, évidemment parce qu’Allemand avait signalé à tous les capitaines au début de l’attaque liberté de manœuvre pour la sécurité de leur bâtiment, Et enfin il est d’avis que la plus grosse faute d’Allemand est, comme le reproche Lucas, d’avoir abandonné ses vaisseaux échoués dans I’après-midi du 12 Avril sans les faire secourir par les autres vaisseaux,

Plus tard Lord Cochrane déclarait de son côté que si l’estacade avait été mouillée en angle de chasse, le sommet de l’Angle au NW, l’attaque aurait probablement échoué.

Il reste maintenant à essayer de comparer les défauts et les qualités de la conduite d’Allemand dans cette affaire. Son plus grand tort me semble son altitude passive ; il a subi le combat sans jamais songé a réagir. Certaines de ses dispositions de combat sont critiquables, aucune n’est mauvaise et il a du employer beaucoup d’énergie et d ’activité pour les réaliser par ses propres moyens devant la carence du port de Rochefort. Pendant le combat, il s’est montré inférieur à sa tache, s’occupant surtout de son propre vaisseau, beaucoup plus que de son escadre. Mais à aucun moment, il ne s’est montré lâche comme on l’en a accusé ni même n’a cessé de donner des ordres, ou plus exactement de répondre aux demandes posées par ses commandants. Il n’a pas abdiqué ses fonctions de chef, mais en a peu usé. A partir du 13, il s’est repris et c’est certainement grâce à lui que deux vaisseaux au moins le Régulus et le Tourville ont échappé au désastre.

En résumé, il apparaît que l’Amiral Allemand s’est plutôt montré inférieur à sa tache sur le champ de bataille et l’on peut s’étonner que l’Empereur ne s’en soit pas rendu compte très rapidement, rien que sur la vue des rapports que l’on sait lui avoir été communiqués. Peut être a-t-il tenu compte des brillants services d’Allemand dans les années précédentes. Quoi qu’il en soit, l’opinion de Napoléon quelques années plus tard à Sainte Hélène, ils s’exprimait ainsi sur l’Affaire des brûlots : « Je crois que la conséquence du signal fait par Allemand aux navires de faire tout leur possible pour se sauver, fut que frappés de panique, ils coupèrent leurs câbles. la terreur des brûlots était si grande qu’ils jetèrent aussitôt leur poudre par-dessus bord, si bien qu’ils n’auraient pu combattre. L’amiral français fut un imbécile, mais le vôtre fut tout aussi mauvais, Je vous assure que si Lord Cochrane avait été soutenu, il aurait pris chaque navire. Ils n’auraient pas du être effrayés par les brûlots, mais la crainte leur fit perdre tout sentiment et ils ne surent plus comment agir pour se défendre (O’Méara Napoléon en exil T.II p.292)

 Les rades de 1809 à 1815

Références : Tronde Ouv. Cit. - James ouv. Cit. - Viaud et Fleury Ouv, cit. - Chevalier Ouv. cit.

Les débris de l’escadre française après l’affaire des brûlots étaient remontés à Rochefort, Ils s’y réparèrent et revinrent mouiller en Charente à l’embouchure de la rivière. leur rôle était surtout de protéger les chasse-marées et autres petits bâtiments qui assuraient le ravitaillement des îles et le cabotage côtier contre les incursions des Anglais. Ceux-ci n’avaient laissé en rade des Basques qu’un vaisseau le Christian VII, 3 frégates, la Seine, l’Unicorn, l’Armide et quelques brigs et corvettes, sous le commandement de Sir J.S. Yorke.

Il y eut de nombreux engagements entre les embarcations anglaises et nos petits convoyeurs. En 1810, deux attaques heureuses des Anglais ont lieu le 10 et 20 Janvier. Le 13 Février, eut lieu entre Fouras et Chatelaillon un engagement entre chaloupes. Les Français réussirent à dégager deux caboteurs pris quelques heures avant, mais une chaloupe française fut prise. Elle était commandée par l’aspirant Potestas, qui fut blessé et s’était si brillamment conduit que Sir Yorke le fit remettre en liberté avec 5 matelots à son choix et lui fit rendre les honneurs. L’aspirant Potestas fut décoré à l’âge de 17 ans.

Le 12 Avril, le brig français Laurel fut pris par la frégate l’Unicorn.

Au mois de Décembre de la même année, profitant d’une relève, les Anglais mirent à terre les compagnies de débarquement de deux vaisseaux et d’une frégate. Les hommes mirent pied à terre sans grande opposition du coté de la Pointe du Ché, bouleversèrent les défenses, enclouèrent quelques pièces et se retirèrent le 28 Décembre après avoir passé plus d’un jour à terre.

L’un des résultats de l’attaque de Lord Gambier avait été en effet de montrer l’insuffisance des fortifications de la rade de l’île d’Aix. Le Général Sugny après son inspection proposait de reprendre la construction de Boyard, ce qui était impossible avec les Anglais en rade des Basques et également demandait la construction de deux fortins, l’un sur les Palles, l’autre à Enette.

Avec le Vergeroux, le Fort de la Pointe, Fouras, le fort de l’Aiguille et les batteries de l’île d’Aix, la défense de la Charente et de la rade de l’île d’Aix était parfaitement assurée.

C’étaient ces travaux que les Anglais avaient essayé de troubler. Mais l’attaque n’a pas du être aussi considérable que le dit James, car nul auteur français n’en fait mention,

Les bâtiments cependant armaient lentement à Rochefort et en Août 1811, deux vaisseaux et une corvette formant la division du Capitaine de Vaisseau Jacob vinrent mouiller en rade de l’île d’Aix. Les Anglais renforcèrent aussitôt leur blocus et nous opposèrent 3 vaisseaux, trois frégates et quelques corvettes. Le 27 Décembre un petit convoi sorti de la Rochelle fut chassé par 5 embarcations anglaises et se réfugia dans l’anse de Chatelaillon. Le Commandant Jacob les laissa s’engager et quand il les jugea bien compromises, il fit appareiller trois canonnières, sous les ordres du Lieutenant de Vaisseau Duré et quatre embarcations commandées par l’enseigne de vaisseau Constantin. Dès que ce mouvement fut-aperçu les Anglais firent avancer un vaisseau, une frégate.et un brig. Mais avant que le vaisseau et la frégate fussent arrivés à portée, renseigne Constantin s’emparait d’une embarcation, en faisait chavirer une autre, pendant que les trois dernières s’échouaient. Le brig anglais seul avait rejoint mais était contenu par le feu des canonnières.

Ce fut la dernière opération. En 1812, le Commandant Jacob avait sur rade 5 vaisseaux, 2 frégates et 1 corvette, tandis que 3 autres frégates étaient bloquées en Gironde Napoléon décida d’envoyer cette division à Brest, où il voulait concentrer toutes ces forces de l’Océan, mais Jacob ne put forcer le blocus.

Peu à peu, d’ailleurs les vaisseaux furent plus ou moins désarmés et leurs équipages envoyés combattre à terre. En 1814, Jacob.fit remonter ses bâtiments en Charente pour prendre part à la défense de Rochefort, D’autres vaisseaux et frégates furent envoyés en Gironde.

Ce fut à Rochefort qu’eut lieu le dernier épisode des guerres de l’Empire. Le 3 Juillet 1815 Napoléon arrivait à Rochefort et le 8 se rendit à Fouras pour embarquer sur la frégate la Saale qui avec la Méduse devait le conduire en Amérique. On sait comment le Commandant Maitland, du Bellerophon refusa le passage à deux frégates et comment le 15 Juillet, l’Empereur pour ne pas être arrêté, alla remettre son sort aux mains des Anglais.

 Conclusions.

De l’étude des faits dont les rades de Rochefort ont été témoins de 1793 à 1815, il semble que l’on puisse tirer deux catégories d’enseignements, la première se rapporte aux rades elles-mêmes, la seconde, au caractère des hommes qui y ont combattu.

On a vu que le port de Rochefort était dès cette époque inaccessible pratiquement aux vaisseaux de ligne, puisqu’ils ne pouvaient remonter la Charente qu’à marée haute et en répartissant les poids à bord de façon à ramener à zéro la différence des tirants d’eau - Quoique des travaux aient été exécutés en Charente, la situation s’est modifiée au détriment de Rochefort . Il ne peut plus être question de ce port que pour des éléments légers et encore, comme base de réparation. C’est d’ailleurs ce que montre l’expérience de la dernière guerre. Les patrouilles de Gascogne siégeaient à La Rochelle et les escadrilles avaient leurs bases à La Pallice. Rochefort était un centre de constructions neuves et de réparations. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’il a parfaitement rempli ce rôle en 1914, tandis que sous l’Empire, il s’était montré défaillant par suite du manque d’approvisionnements qui était du reste commun à tous les ports de guerre,

La question qui se pose est donc de savoir s’il y a un avantage quelconque à avoir une base d’arrière dans la Charente. Pour y répondre, il faut voir ce que cette base peut desservir. Ce sont évidemment, comme l’indique la carte, les éléments qui sont basés sur les rades de Rochefort. En résumé, Rochefort n’a pas d’intérêt en soi et ne prend d’importance qu’autant que les rades situées à l’embouchure de la Charente sont jugées utiles ou non en cas de conflit maritime.

Or, ces rades, et en particulier l’île d’Aix ont joué un rôle de premier ordre, non seulement sous la Révolution et l’Empire, mais aussi sous l’Ancien Régime et surtout dans la dernière guerre.

Les raisons de cette faveur sont faciles à comprendre. Les rades de Rochefort offrent un bon mouillage à des flottes, aussi nombreuses qu’on peut les imaginer. Avec leurs trois pertuis, mieux connus et mieux balisés aujourd’hui qu’autrefois, elles rendent difficile un blocus serré et de fait, les tentatives heureuses de forcement sont très nombreuses pour Rochefort, alors qu’elles sont rares pour Brest et Lorient.

Ces rades, par le Sud touchent à la Gironde et permettent le cabotage de Bordeaux à La Rochelle quelque pressant que soit l’ennemi - Et si, dans le Nord, la situation est moins favorable, la présence d’une route intérieure de Bordeaux au pertuis breton diminue cependant de moitié la route dangereuse entre Gironde et Loire.

On sait que pendent la dernière guerre, les rades de Rochefort ont joué un rôle capital pour les convois. Elles formaient en réalité une grande gare où affluaient les convois de Saint-Jean de 1uz , de Brest ou d’Amérique et d’où repartaient des convois en sens inverse. Elles ont du à leur position géographique , à mi-distance entre Brest et la frontière espagnole, un rôle égal à celui de Brest et très supérieur à Quiberon, qui n’était guère qu’une relâche.

La rade de l’île d’Aix a toujours servi dans les guerres contre l’Angleterre de point de formation d’escadres ou de divisions destinées à dégager la pression qu’exerçait l’ennemi sur Brest.

Une force stationnée en rade de Rochefort devait forcément être surveillée de près, car elle pouvait devenir le centre d’une concentration (comme Napoléon y songea), ou au contraire aller opérer sur les communications de l’ennemi, comme le fit Allemand en 1805. La position de Rochefort prenait une importance spéciale, quand l’ Espagne était notre alliée, ce qui fut si souvent le cas ; les forces ennemies se trouvaient alors très en dedans de la ligne Brest- Le Ferrol et à égale distance de ces deux places.

Un des plus gros avantages des rades de Rochefort est actuellement leur éloignement des bases ennemies, Quelque soit l’adversaire envisagé, dans les conditions actuelles de la technique, les rades de Rochefort sont à l’abri de toute incursion aérienne partie de ses bases. Evidemment, elles sont comme tous les points sous la menace d’attaques d’avions amenés à portée par des bâtiments, mais c’est là un risque très limité. Il semble que Rochefort est le seul de nos ports offrant cette particularité. Cet éloignement d’ailleurs des bases ennemies présente un avantage évident en ce qui concerne les attaques des bâtiments de surface ennemis. Le rayon d’action des éléments légers est toujours faible et l’obligation de perdre un temps précieux en allées et venues diminue considérablement leur rendement.

Mais tout cela ne vaut que si les rades de Rochefort offrent aux navires de guerre et de commerce un abri vraiment sûr. Or, sans remonter à la prise de l’île d’Aix par Hawke pendant la guerre de Sept Ans, on vient de voir que pendant les guerres de l’Empire, ces rades furent attaquées à plusieurs reprises par les Anglais et qu’en 1809, nous y subîmes un désastre - On ne peut guère se fier a ce point de vue aux leçons de l’histoire, car les moyens d’attaque et de défense ne sont plus comparables à ce qu’ils étaient il y a un siècle.

On peut être certain qu’on ne verrait plus actuellement une escadre ennemie mouillée en rade des Basques et y préparer tranquillement son attaque . Il faudrait tout d’abord que l’ennemi s’emparât de l’île d’Oléron, car autrement sa situation serait intenable, tant que nous pourrions maintenir dans cette île un peu d’artillerie.

Les rades sont faciles à protéger contre les attaques de sous-marins. Les passes à barrer ou à miner ne sont pas bien larges et sont faciles à surveiller - Les attaques aériennes, comme on le disait plus haut, ne sont guère à craindre. Un bombardement est impossible à cause de la protection des îles qui obligent l’ennemi à se tenir trop loin. II ne reste guère que les opérations combinées, les engins dirigés et les petites embarcations dites Marine d’assaut qui semblent à craindre pour les rades . Ce sont là des dangers communs à tous les ports.

En résumé, dans l’état actuel des Marines, les rades de Rochefort présentent, avec un mouillage sûr, une série d’avantages considérables résultant de la configuration du terrain et de la position géographique. Elles forment donc une base de premier ordre, qui serait sans doute la meilleure de nos positions, si à l’arrière se trouvait un arsenal capable d’entretenir cette base, mais qui, malheureusement est incapable de recevoir des unités autres que des bâtiments légers.

Après avoir examiné rapidement les enseignements découlants de l’étude des rades, il reste à voir en quelques mots ceux que l’on peut tirer du caractère des personnages qui ont pris part aux différentes actions

De l’attaque de l’escadre Melgarejo on ne peut tirer que des conclusions négatives, c’est une attaque montée avec des moyens modestes pas poussée bien à fond. Elle échoue justement parce qu’elle n’a pas été montée avec des moyens suffisants, peut-être parce qu’on a sous-estimé l’adversaire, et que , d’autre part, celui-ci a réagi. Les Anglais auront compris leur faute quand , dix ans après , ils reprendront l’attaque qui cette fois réussira.

Les forcements de blocus de Missiessy en 1805 et d’Allemand en 1805 et 1808 sont des pages glorieuses dans nos fastes maritimes à l’époque qui fut celle de nos grandes défaites sur mer. S’ils n’ont pas abouti à des résultats importants, la faute n’en peut être attribuée à ces chefs. La croisière de l’escadre Missiesy aux Antilles, celle de l’escadre invisible, montrent ce dont une force, même modeste, bien entraînée et bien dans la main de son chef, est capable, malgré un ennemi plus nombreux . De même si Ganteaume ne sut profiter de l’appoint que lui apportait Allemand en 1808, ce n’est pas à celui-ci qu’on peut le reprocher.

Il est plus intéressant de rechercher les enseignements que l’on peut retirer de l’attaque des brûlots en rade de l’île d’Aix en 1809. On connait les faits. Du coté anglais, l’attaque a réussi, parce qu’on a profité des leçons de l’échec de 1799. Alors que l’Amiral Pole n’avait que de faibles moyens, l’Amiral Gambier se voit attribuer des forces considérables, la préparation est faite minutieusement, les conditions locales (vent et courant) sont étudiées longtemps et soigneusement et l’attaque n’est déclenchée que quand toutes les circonstances sont favorables. On a vu le succès de cette opération Par contre, l’exploitation du premier succès a été médiocre . Il semble bien que Lord Gambier n’a pas osé s’engager à fond quand tous les vaisseaux français étaient à sa merci, et par là, a laissé passer le moment favorable pour anéantir complètement l’adversaire - L’initiative de ses lieutenants, en particulier de Lord Cochrane ne réussit qu’à obtenir un très gros succès, là où il y aurait pu avoir destruction complète de l’ennemi.

Cette passivité sur le champ de bataille est un phénomène très rare dans la Marine anglaise à cette époque, alors que malheureusement, ce fut a peu près la règle chez nous - Ce fut en particulier le cas de l’Amiral Allemand. On a vu que toutes les mesures prises par le chef de l’escadre française sont purement défensives. Il voit se préparer l’attaque de l’adversaire, devine sa pensée dès le début et ne songe pas à troubler ses préparatifs. Il se prépare à subir l’attaque, il ne songe pas à l’empêcher. Il est pourtant probable qu’une attaque des Anglais, dont Lord Gambier ne songe même pas avoir envisagé l’idée, n’aurait pu avoir pour nos armes, un résultat plus néfaste que celui qu’Allemand subit en se maintenant sur la défensive.

On peut affirmer aussi que les Français eussent causé quelque dommage aux Anglais tandis que ceux-ci ne subirent dans leur attaque que des partes insignifiantes.

Deux autres causes, dont j’ai longuement parlé, ont influé sur notre défaite. La première est le manque d’approvisionnements du port de Rochefort. La deuxième est le manque d’entente entre nos chefs. De la première , il n’y a rien à dire ; il est certain que la valeur des hommes ne peut suppléer que dans une très faible part au matériel et d’ailleurs nos équipages étaient assez médiocrement entraînés à ce moment et leur valeur morale était inférieure à celle des Anglais - Bien plus grave est la mésentente entre les chefs ; quand tous les efforts ne concourent pas au même but , il y a bien des chances pour que ce soit l’adversaire qui en profite ; c’est ce qui s’est produit à l’île d’Aix.

En résumé, de cette étude, il ressort que le manque de moyens, le mépris de l’adversaire, le manque de préparation, la passivité et la mésentente entre les chefs ont, comme toujours, conduit à la défaite ou ont empêché l’exploitation du succès. Au contraire, l’entraînement, la préparation minutieuse, l’action d’un chef énergique, l’initiative et l’emploi complet de tous ses moyens sur le champ de bataille ont conduit au succès ceux qui ont su travailler et préparer la victoire.

 Annexes

I - Attaque par l’escadre anglaise Pole de la division espagnole Melgarejo en rade de l’ile d’Aix (2 juillet 1799)

1)- Après le départ de la division du Contre-Amiral Bekerley les forces anglaises sous le commandement du Contre-Amiral Pole comprenaient
- 6 vaisseaux : Royal-George de 100 canons, Sans-Pareil de 80 canons et Vénérable, Renown, Ajan et Tobuste de 74 canons.
- 4 Frégates : Boadicea, Unicorn, Uranic, San Fivrenzo.
- 1 Corvette : Sylph.
- 3 Galliottes à bombes : Sulphur, Vulcano, Explosion

(James : N.H.II 268 et suivantes)

2)- Extrait d’une lettre de l’Al. Melgarejo au Vice-Amiral Martin (22 Juillet 1799)

Mon très cher Général, je vous dois mille remerciements pour les nouvelles que vous avez eu la bonté de m’envoyer ; je crois, comme vous, que la réception du 2 Juillet ne tentera pas Master Pool et réprimera en lui tout mouvement de convoitise, mais il sera très à propos de nous mettre sur le pied de la défensive la plus respectable, pour réprimer sa fougue, en cas qu’il osât faire quelque tentative.

(Pouget Ouvr. cit. P. 118)

II - Affaire des brûlots de l’île d’Aix

l)- Composition de l’escadre Allemand.

Vaisseaux :

Océan 120 canons Foudroyant 80 can. Ville de Varsovie 80 " Tourville 74 "
Tonnerre 74 " Cassard 74 " Aquilon 74 " Patriote 74 "
Régulus 74 " Jemmapes 74 " Calcutta (en flute) 54 canons

Frégates

Indienne 46 canons Hortense 46 can. Elbe 46 " Pallas 46 "

(Silvestre Ouvr, cit.. p. 29)

2)- Composition de l’escadre anglaise de Lord Gambier

Vaisseaux :

Caledonia 120 can, Coesar 80 can. Gibraltar 80 can. Hero 74 "
Donegal 74 " Resolution 74 " Thesens 74 " Valiant 74 "
Illustrions 74 " Bellona 74 can. Revenge 74 "

Frégates :

Impérieuse 48 can. Indefatigable 46 c. Aigle 46 " Emerald 42 "
Thricorn 40 " Pallas 40 " Mediator (en flûte) 31 canons

et plus de 50 bâtiments légers transports ou brûlots

(Silvestre p. 26)

3 - Rapport du Vice-Amiral Allemand à Sa Majesté Impériale et Royale.

Sire,

Le 10 Mars, à 6 heures du matin, je reçus de votre ministre de la Marine, l’ordre que Votre Majesté me faisait donner de quitter Toulon et de me rendre, sous le plus bref délai, prendre le commandement de votre escadre mouillée en rade de l’île d’Aix.

A une heure, j’étais en poste ; je courus jour et nuit et j’arrivai le 15 à Rochefort. Le 16, je reçus le brevet de Vice-Amiral dont Votre Majesté daigna m’honorer et le 17 je pris le commandement de votre escadre et arborai mon pavillon. Ce même jour, treize vaisseaux, six frégates, cinq corvettes et six bâtiments de transport ennemis mouillaient dans la rade des Basques.

Le 21, je plaçai votre escadre sur deux lignes d’embossage, endentées, très serrées entre elles, et près de l’île d’Aix, mes frégates à l’avant-garde.

Le 22, l’ennemi reçut de nouveaux bâtiments. Il n’était pas présumable, Sire, que cette escadre, qui était partie des ports d’Angleterre pour courir après celle de Votre Majesté, eut des besoins qui nécessitassent l’envoi d’autant de bâtiments. Je conjecturai que l’ennemi rassemblait des troupes pour attaquer l’île d ’Aix et des brûlots pour incendier votre escadre. Je pris donc des dispositions de défense. J’en donnai avis à votre Ministre ; je lui fis part de mes projets et de la demande que je faisais au port d’ancres, de grelins et de bois flottants, pour former une estacade à quatre cent toises au dehors de ma première ligne, afin d’arrêter ou au moins de diminuer l’effet des catamarans et des machines infernales,qui, sans eux, eussent fait leur explosion sur quelques-uns de vos vaisseaux, et, pour aussi les détourner je m’occupai à créer une flottille de soixante-treize embarcations.

Les onze chaloupes des vaisseaux devaient porter chacune un canon et caronade de trente-six et quatre pierriers.

Dix neuf grands canots armaient chacun une caronade de trente-six et 4 pierriers ; les quarante trois autres montaient chacun quatre espingoles. Je fis mes demandes de matières au port ; le 31, je les renouvelai avec instances ; je demandai deux bombardes qu’on ne put me fournir.

Le 1° Avril, j’employai ce qui me restait d’ancres et de grelins dans l’escadre à former une estacade de trois cent toises de longueur ; je destinai quatre cent dix-neuf hommes de garnison de l’escadre pour renforcer celle de l’île d’Aix et j ’invitai Monsieur le Préfet du cinquième arrondissement maritime d’y envoyer cinquante canonniers,

Le 3, il m’arriva du bois et des ferrures pour l’installation en guerre de ma flottille ; je fis mettre la main à l’oeuvre et la plus grande activité régna bientôt à tous les bords, L’ennemi reçut une augmentation de brûlots et de transports.

Le 5, j’augmentai les rondes de nuit de deux lieutenants d’une de capitaines de frégate, d’une de capitaines de vaisseau, et d’une de majors.

Le 8, mon estacade était terminée. Je comptai soixante bâtiments ennemis au mouillage ; je donnai l’ordre de déverguer les voiles inutiles, de caler les mâts de hune, de retirer les gréements et ramasser dans la cale, ce qui pourrait accroître l’incendie ou offrir des points d’accrochage aux brûlots.

Je plaçai notre armée dans une seconde position plus directe aux courants, pour qu’elle présentât moins de force à leur envoi.

Ma flottille était organisée en cinq divisions ; tous ceux qui y étaient employés avaient reçu des instructions par écrit sur la manière dont ils devaient agir dans tous les cas supportables ; les capitaines avaient des ordres sur la manière de s’embosser en raison des différents vents et courants.

Votre ministre était informé de toutes ces mesures ; je ne pouvais rien de plus : votre armée était dans une position formidable pour tirer de quelque côté que l’ ennemi se présentât avec un feu bien nourri et bien concentré.

Nous sommes tous convaincus, Sire que dans cette superbe position, vingt-cinq vaisseaux n’auraient pas réussi à forcer notre armée.

Le 10, je reçus quatre ancres-à-jet du port ; l’ennemi réunissait soixante-douze bâtiments. Il avait envoyé précédemment au courant des barils de goudron enflammés pour connaître leur direction sur l’escadre de Votre Majesté.

Le 11, les vents au NW grand frais, des frégates ennemies s’approchèrent à environ quinze cent toises dans le lit du vent, dans le centre de votre escadre. Je donnai l’ordre aux 4° et 5° divisions de ma flottille d’aller à l’estacade.

A six heures du soir, j’envoyai prévenir le général de brigade Bronard, commandant l’île d’Aix, que d’après les manoeuvres de l’ennemi je présumais qu’il entreprendrait une attaque dans la nuit. Je l’engageai à être en mesure, Tous les bâtiments de Votre Majesté furent établis en branle-bas de combat.

A neuf heures, la nuit très obscure, les frégates ennemis mirent les feux, tirèrent quelques coups de canon, et parurent servir de jalons à la direction de leurs brûlots ; je donnai l’ordre au reste de ma flottille d’aller les détourner. Peu après une machine infernale fit explosion à l’estacade, lançant des grenades et des fusées incendiaires dans diverses directions. La détonation fut très forte. Un instant après, trente-trois gros bâtiments de transport, frégates et vaisseau de ligne parurent sous toutes voiles, enflammés dans toutes leurs parties, forçant l’estacade, se dirigeant vers nos vaisseaux, faisant feu de toute leur artillerie, lançant des grenades, des fusées incendiaires, des boulets et tous les projectiles imaginables. Rien, Sire, ne pouvait arrêter ces masses, conduites par un vent très fort, Nous faisions sur elles un feu bien soutenu, mais sans succès apparent. Votre vaisseau, le Régulus, fut accroché par son avant, ses focs furent en un instant dévorés par les flammes, le feu gagnait,, le capitaine ne pouvait entreprendre de se dégager qu’en coupant son câble ; il se fit abattre sur l’Océan, qui avait deux brûlots enflammés en travers sous son beaupré. Je coupai aussi mon câble ; les autres se trouvèrent aussi dans la même position et firent la même manoeuvre. Nous n’avions pas d’ennemis à combattre, Sire, mais une destruction générale et incendiaire à éviter. Je venais d’éviter un vaisseau ou une frégate tout en feu, je ne pus réussir contre un grand transport : il m’accrocha par l’arrière, on parvint à le dégager ; il me reprit par le travers et fut encore éloigné ; il s’accrocha au. bossoir, les flammes sillonnaient à gros flocons le long de votre vaisseau l’Océan ; il n’ y avait de salut pour personne, la consternation était générale ; il m’était difficile de me faire entendre.

Je me portai sur l’avant, suivi de M.M. Pesron, Capitaine de frégate, et Gaspard Dupuije mes adjudants et par le capitaine de frégate Lissilour. J’appelai à mon aide les braves de l’Océan, rien que des braves. Ce mot si puissant sur l’esprit des Français fut entendu, il ranima le courage : on coupait ; la chaleur ne permettait guère d’approcher. Enfin, Sire, des braves se dévouèrent, deux perdirent la vie dans les flammes, d’autres furent grièvement blessés par des brûlures, d’autres tombèrent à la mer et périrent ; mais votre vaisseau l’Océan fut encore une fois sauvé. Le jeune enseigne de Vaisseau Allary vint dans un canot du Tonnerre, crocher audacieusement ce brûlot ; il contribua à nous aider et sauva une vingtaine d’hommes de ceux tombés à la mer par dessus la civadière.

Chacun, dans l’armée y s’occupait à parer son vaisseau et son équipage d’un incendie certain ; la mer était en feu. Au jour, j’eus la satisfaction ue compter tous mes vaisseaux et mes frégates ; mais ils étaient échoués sur les vases.

L’escadre ennemie mit sous voiles et manoeuvra pour entrer ; quel dut être l’étonnement des Anglais en nous voyant tous préservés d’une destruction qu’ils regardaient comme évident et devait leur avoir coûté énormément, même dans l’emploi des brûlots qui étaient tous doublés en cuivre. C’est par stupéfaction sans doute que l’amiral Gambier n’osa pas entrer pour nous canonner. S’il avait profité de cette circonstance, Votre Majesté perdait son escadre qui, échouée, ne pouvait présenter que quelques canons de I’arrière au feu du travers de l’ennemi. Ce ne fut que vers les trois heures après-midi qu’il envoya deux vaisseaux, quelques frégates et bombardes. Ceux à qui il restait des ancres en élongèrent sous leur feu et trois frégates et sept de nos vaisseaux parvinrent à se mettre à flot : le Calcutta, l’Aquilon, le Varsovie et le Tonnerre ne purent y réussir, les trois premiers furent forcés d’amener après avoir soutenu deux heures de combat, ne pouvant que risposter rarement de deux canons de retraite ; le dernier était crevé : il évacua sen équipage et se brûla lui même. Je fis sauver beaucoup de monde de leurs bords, et le 12, l’ennemi les incendia.

Le 13, les sept vaisseaux et quatre frégates restant étaient échoués plus en-dedans ; il n’y avait pas d’eau pour aller plus loin ; votre vaisseau l’Océan était le plus au large. L’ennemi eut la hardiesse de placer dans mon arrière six canonnières, deux bombardes, une goélette et un cutter, lançant des fusées incendiaires. L’action commença à dix heures du matin ; je ripostai de mes six canons de retraite avec un tel succès ou là quatre et demie, l’ennemi lâcha pied et se retira ; je perdis quelques hommes, mais je dus faire du mal à l’ennemi. Dans ces six heures et demie mes six pièces ont tiré mille quarante coups, la majeure partie portant : il est vrai, Sire, qu’elles étaient servies par des hommes de choix.

Le 14, je fis élonger l’ancre qui me restait pour entrer l’Océan ; il n’y avait pas à compter sur la réussite en raison de son éloignement de la rivière et de son grand tirant d’eau ; mes manoeuvres ont été couronnées de succès. Je suis entré au Port-des-Barques en lui conservant la moitié de sa batterie de douze et toutes celles de trente-six et de vingt-quatre.

L’ennemi envoya les mêmes forces que la veille canonner et bombarder les bâtiments restant en dehors ; je me rendais à leurs bords dans l’action ; je donnai des ordres partout, Je rassemblai les canots armés qui me restaient et je fus bivouaquer toute la nuit entre l’ennemi et les vaisseaux de Votre Majesté pour crocher ou éloigner moi-même les brûlots qu’on leur enverrait : il ventait horriblement, la pluie tombait par torrents. A minuit, l’ennemi mit des feux, tira quelques coups de canon. J’étais résolu à périr ou à sauver le reste de votre escadre ; je n’avais d’autres moyens à employer que de m’opposer moi-même aux brûlots avec mes canots, A une heure du matin, les vents passèrent au S.W. et l’ennemi s’en tint à ses dispositions.

Ma bonne constitution ne put résister au dernier coup de fatigue morale et physique ; je revins à mon bord avec une fièvre violente qui n’a cédé qu’au repos que j’ai été forcé de prendre. Le 15, les vaisseaux le Cassard, le Tourville, le Jemmapes entrèrent en rivière, il ne restait que le Foudroyant et le Régulus dehors. Je me rendis à bord du premier ; il fut mis à flot ; je le quittai lorsqu’il fut à la voile, faisant route pour entrer en rivière. J’allai à bord du Régulus, et j’eus le chagrin de voir, un moment après, le pilote du Foudroyant l’échouer encore hors du chenal, cependant assez en dedans pour être protégé par les batteries de l’île Madame,

Le 17, j’entrepris de faire flotter le Régulus à l’aide de bâtiments placés le long de son bord ; je ne pus y parvenir ; la mer ne monta pas assez et il a fallu la marée de pleine lune.

Le 20, deux bombardes, quatre canonnières et une corvette lançant des fusées incendiaires, se placèrent derrière ce vaisseau ; le pavillon de l’amiral Gambier était arboré sur une goelette, il n’a pas voulu sans doute se donner le honteux plaisir de lancer lui-même quelques fusées, en se tenant plus honteusement encore hors de la portée de canon, dans cinq heures de bombardement Le Régulus a peu souffert. A sept heures et demie l’amiral a fait route pour rejoindre son escadre.

Daignez, Sire, me rendre la justice de compter sur mon zèle pour votre service ; croyez que votre personne n’aurait empêché ce qui est arrivé à votre escadre. Il est étonnant même qu’avec aussi considérables de destruction, elle n’ait pas été la proie des flammes. J’ose espérer,Sire, que votre Majesté me fournira l’occasion de me venger un jour d’ une conduite aussi lâche de la part de ses ennemis, qui, hors de l’atteinte de notre feu, envisageaient d ’un oeil barbare l’horreur de notre destruction que, certes, ils ont cru bien certaine.

Je serai peut être asses heureux, un jour, de les attaquer plus honorablement ; je prie Votre Majesté de me permettre de leur faire subir le même supplice. Ce serait user de représailles en les laissant à leurs bords et en y mettant le feu,

J’ai fourni des hommes et des munitions aux forts qui défendent l’entrée de la rivière. Je la ferme par une estacade en cables et en chaînes pour qu’elle ne soit pas forcée. Ce serait se faire illusion que de croire que l’ennemi, à qui il reste autant de moyens, s’ en tienne à l’horrible action qu’il vient de commettre.

Si les mesures que votre ministre vient d’ordonner sont promptement éxécutées, sous deux mois Votre Majesté aura en rade une escadre de sept à huit vaisseaux, trois frégates, sans que l’on puisse craindre un pareil évènement pour l’avenir.

Allemand

(Archives Nationales Fonds Colbert BB4 Tome 282 p. 54)

4 - Extrait du Rapport du 12 Mai 1809 d’Allemand à Decres sur la cenduite àe ses capitaines.

Le Capitaine de Frégate Cuvillier de la "Ville de Varsovie" échoua dans la nuit du 11, flotta ensuite, appareilla dans l’obscurité et porta son vaisseau sur les Palles, d’où il ne put se retirer. Le lendemain attaqué, il m’envoya deux fois un officier demander si je ne trouvais pas sa résistance suffisante, Je lui fis dire de tenir jusqu’à la dernière extrémité et de mettre les hommes inutiles à l’abri dans la cale. Peu de temps après il amena son pavillon. Le plus ou moins d’hommes qu’il a perdu peut justifier ou rendre sa conduite blamable. Il est prisonnier.

Le Capitaine de Vaisseau Lafon, Commandant le "Calcutta" fit la même manoeuvre que la "Ville de Varsovie" Il lui arriva le même inconvénient ; il a évacué son vaisseau, l’ennemi s’en est emparé aussitôt. S’il avait éprouvê une grande perte d’hommes, cela rendrait sa conduite excusable, car je crois que son bâtiment n’était pas crevé.

Le Capitaine de Vaisseau La Caille,Commandant le "Tourville" crut apercevoir des brûlots lancés sur l’escadre dans la nuit du 12 su 13 ; il dit dans son rapport qu’il évacua son bâtiment avec l’intention de venir le reprendre s’il était préservé de l’incendie. J’ai eu l’honneur de vous envoyer le rapport ou procès-verbal de chaque capitaine. Je pense, Monseigneur que cet officier a bien besoin d’indulgence. Si Votre Excellence veut bien lui en accorder en égard à son grand âge, et à ses anciens services, il sentira sans doute tout ce qu’il vous doit. Il doit être remplacé dans son commandement.

Le Capitaine de Vaisseau Maingon, Commandant le vaisseau l’Aquilon, s’est trouvé dans la même situation que le Varsovie et le Calcutta. Il a fait la même manœuvre Il me demanda par signal à abandonner son bâtiment. Je lui répondis par celui de Liberté de manoeuvre pour la sûreté de son vaisseau. Je ne savais pas quelle pouvait être la perte en hommes qu’il avait éprouvée, elle a été, je crois, peu considérable. Il a amené son pavillon, une demi-heure après mon signal et a été amariné par l’ennemi et tué dans un canot près du capitaine anglais Cochrane en revenant prendre ses effets à bord de l’Aquilon.

Le Capitaine de Vaisseau, Commandant le Tonnerre fit la même manoeuvre que la Ville de Varsovie, le Calcutta et l’Aquilon. Son va isseau échoué sur les Palles creva. Il l’incendia et y mit le feu.

Le Capitaine de Vaisseau Proteau, Commandant la frégate l’Indienne échoua très haut entre Enette et Fouras ; il me fit connaître par écrit la mauvaise situation où il se trouvait ; je lui répondis de tout faire pour corserver sa frégate à Sa Majesté ; je lui offris un secours de cent hommes de l’Océan, J’ai eu l’honneur de vous adresser sa lettre et la mienne. Le lendemain, il incendia sa frégate qui à ce qu’il m’ asure avait crevé, persuadé sans doute que l’ennemi s’en emparerait. Je crois qu’il a mis un peu trop de précipitation ce qui rendrait sa conduite blâmable.

.............

Allemand

Ce rapport a été transmis directement par le ministre à Napoléon et la copie conforme est signée Decrès,

(Archives Nationales Fonds Colbert BB4, 282, cote 77)

5 - Extrait du cahier de signaux de l’Etat-Major de l’Amiral Allemand

11 Avril 1809.

Amiral à Tous

1)- 5 h 1/2 soir - L’Amiral laisse liberté de manoeuvre à chaque capitaine pour la sûreté de son vaisseau.
2)- 6 h. soir - Envoyer la 2ème division à l’estacade
3)- 6 h. soir - Envoyer la 4ème division à l’estacade
4)- 9 H ;3/4 soir -. S’entraverser pour faire feu sur l’ennemi.

12 Avril 1809
1)- Calcutta à Amiral - 5 h, du matin - Le bâtiment s’est échoué sur un fond dur.
2)- Amiral à Cassard - 5 h.l/4 - Liberté de manoeuvre
3)- Amiral à Foudroyant d°
4)- Amiral à Tous - Envoyer un officier des vaisseaux à l’ordre.
5)- Cassard à Amiral - 12 h. 1/2 Le pilote croit pouvoir entrer le vaisseau dans le port qui est à l’Est.
6)- Foudroyant à Amiral - 12 h.1/2 - Même signal
7)- Amiral à Cassard à Foudroyant - 1 h, soir - Liberté de manoeuvre
8)- Aquilon à Amiral - 2 h. - Le bâtiment est échoué sur un fond dur,
9)- Calcutta à Amiral - 2 h.- le bâtiment est échoué sur un fond dur,
10)- Aquilon à Amiral - 2 h 1/2 - Demande chaloupes, ancres et grelins pour remettre le bâtiment à flot,
11)- Amiral à Foudroyant, Jemmapes, Régulus, Patriote 3 h.- Envoyer les embarcations à l’aviron au bâtiment dont on met le numéro (Aquilon)
12 ) - Tonnerre à Amiral - 3 h, - le bâtiment est échoué sur un fond dur,
13)- Aquilon à Amiral - 4 h, -On demande à abandonner le vaisseau et des secours pour sauver l’équipage.
14)- Amiral à Aquilon - 4 h.- Liberté de manoeuvre
15)- Tonnerre à Amiral - 5 h. - On demande à abandonner le vaisseau.
16)- Amiral à Cassard, Régulus - 5 h, 1/2 - Envoyer promptement les embarcations à rames au vaisseau dont on met le numéro (Tonnerre).
17)- Amiral à Tourville - 8 h. - Demander la chaloupe du Tourville pour l’Océan.
18)- Amiral à Jemmapes - 3 h. - Demander la chaloupe du Jemmapes pour l’Océan

Signé : Pesron, Capitaine de Frégate

(Archives Nationales, Fonds Colbert BB4, 285 sans cote)

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