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1809 - Fouras (17) - La bataille des brûlots à bord du vaisseau "le Régulus"

jeudi 12 juillet 2007, par Pierre, 9155 visites.

Il ne faisait pas bon être à bord du vaisseau Le Regulus, du 11 au 29 avril 1809, quand une escadre anglaise déterminée est arrivée près de l’Ile d’Aix.
Le capitaine Lucas, qui fut pilotin sur l’Hermione, de 1779 à 1782, puis héros de Trafalgar, raconte les 18 jours d’enfer vécus par l’équipage de son vaisseau le Regulus.

Source : Bibliothèque Municipale de Saintes - Fonds ancien - MS 133

L’amiral James Gambier (1756-1833)
chef de l’escadre anglaise
Le vice-amiral Zacharie Allemand (Port-Louis, 01/05/1762 - Toulon, 02/03/1826)
chef de l’escadre française

Résumé de cet épisode de la guerre navale entre la France et l’Angleterre

Dans la nuit du 11 au 12 avril, ce sont 28 brûlots britanniques qui dérivent vers ses navires avec la marée, précédés par 4 vaisseaux explosifs dont le but est de faire sauter l’estacade et d’ouvrir des chemins pour les brûlots. La panique s’empare des navires français, qui, à l’exception des seuls Foudroyant et Cassard du contre-amiral Gourdon, coupent leurs amarres et vont s’échouer. Le Régulus, commandé par le capitaine de vaisseau Lucas, héros de Trafalgar, dérive sur l’Océan d’Allemand et y met le feu avant d’aller finir au sec ! Seule la frégate Elbe a pu rentrer se mettre à l’abri dans la Charente. Au lever du jour, 8 vaisseaux et 1 frégate sont échoués ; le Foudroyant et le Cassard appareillent tranquillement et vont se mettre à leur tour en sécurité. Le Régulus et l’Océan se remettent à flot, mais s’échouent à nouveau sur les vases de Fouras.

C’est le moment que choisissent les Anglais se précipiter sur les navires les plus exposés à l’ouest : devant l’approche de leurs frégates, le vaisseau Calcutta est abandonné après avoir été incendié ; le Varsovie amène son pavillon ; l’Aquilon se rend et est incendié par les hommes de Gambier. Le Tonnerre, attaqué, est à son tour incendié sur ordre de son commandant. Dans cette même matinée, le reste des navires est dégagé, et mis à l’abri dans la Charente, à l’exception du Régulus et de la frégate Indienne, qui se brise en deux. Lucas, refusant d’abandonner son navire le Regulus, va résister pendant 15 jours aux attaques anglaises, allant jusqu’à faire percer des brèches dans la coque pour pouvoir mettre ses canons en batterie ! Il sera finalement renfloué, et entrera à Rochefort le 29 avril, sous les acclamations de la foule.

Il sera reproché à Gambier de n’avoir pas poussé son avantage ; la victoire anglaise est cependant totale, car l’escadre de Rochefort est anéantie. 4 vaisseaux et 1 frégate ont été incendiés. 7 vaisseaux et 3 autres frégates ont été sauvés, mais sont inutilisables car elles ont dû jeter par dessus bord leur artillerie, ont été gravement endommagé par le feu anglais et ont un gréement en pièces. Si les Anglais peuvent déplorer la perte de 32 tués et blessés, les Français comptent environ 250 tués, 800 blessés et 650 prisonniers !

Source de cet encadré : site La marine dans l’épopée impériale

et sur le capitaine de vaisseau Jean Lucas, voir cette page

Relation des évènements arrivés au vaisseau de S. M. I. et R. le Regulus commandé par le capitaine de vaisseau Lucas [1], l’un des commandant de la Légion d’Honneur, lors de l’attaque par les anglais de l’escadre de S. M. sur la rade de l’Isle d’Aix

Le capitaine Jean Lucas, commandant du Regulus

L’escadre de S. M. I. & R. composée de 12 vaisseaux et de quatre frégates était mouillée sur deux lignes très serrées sous les forts de l’isle d’Aix, ayant auprès d’elle dans la rade des Basques 12 vaisseaux anglais, sept frégates, 9 bricks de guerre, 6 avisos les 40 autres bâtimens dont la majeure partie étoit des brûlots, lorsque le 11 avril de cette année à huit heures du soir avec deux heures de flot, la nuit très obscure et le vent d’O.N.O. grands frais, l’ennemi lança deux globes de compression qui firent sauter notre estacade avec une explosion terrible, une demi-heure après il dirigea sur l’escadre 33 brûlots dans lesquels rien n’avoit été négligé pour rendre sa destruction plus certaine.

Plusieurs de ses brûlots avoient des batteries de canons et de caronnades chargées à boulets et à mitrailles qui tiroient à mesure que le feu y communiqué ; l’un d’eux était un vaisseau de 60 canons comme le Calcutta, il avait des batteries complètes ; il en était de même d’un autre de 28 canons.

Le vaisseau le Régulus fut le premier accroché dans la ligne, un grand brûlot qui lançoit de toutes parts des flammes infernales des fusées incendiaires et des éclats de bombes et grenades, vint tomber sous mon beaupré. Vainement je fis de bonne heure couper mes câbles et mettre le perroquet de fougues sur le mât. Je ne pus l’éviter parce qu’il venait vent arrière sur moy de manière qu’il m’aborda de l’avant. On travailla avec un courage héroïque à s’en débarrasser, mais on ne pouvoit y parvenir ; on le décrochait d’un côté et il s’accrochait de l’autre. Son beaupré et toute ses vergues étoient garnis de grappins à 5 branches en forme d’hameçon et au milieu des branches étaient placées des bombes prêtes à éclater. Des chaînes qui prenoient des vergues de l’arrière à celle de l’avant était garnies de semblables grappins et plusieurs autres traînoient à quelques pieds sous l’eau pour accrocher les câbles.

Le feu prit dans mes focs, dans le beaussoir et dans la partie de l’avant. On l’éloignoit à mesure mais tout cela se passait sous une grêle de boulets, tant de l’artillerie, des brûlots, que de celles de nos vaisseaux qui tiroient pour les couler. Ce ne fut qu’au bout d’une demi-heure que je parvins à m’en débarrasser, mais il me fallut ensuite manoeuvrer pour en éviter d’autres, ce qui me fit tomber ainsy que plusieurs autres de nos vaisseaux sur le banc des Palles au bas de la mer. Le vaisseau ayant déjaugé de 9 pieds se coucha sur le côté d’une manière à faire craindre qu’il ne s’en relevât pas. Les vaisseaux le Varsovie, l’Aquilon, le Tonnerre, le Calcutta et le Jemmappe s’échouèrent aussi sur le même banc. Au flot je pensais que je ne pourrai me retirer de cette situation qu’en employant de grands moyens, les demi-mesures pouvoient me perdre. En 4 heures de temps je parvins à faire jetter l’artillerie à la mer, à la réserve de 12 canons de 36 et 4 de 18 seulement. Je fis vuider tous les plans de la cale, je ne réservai à bord que pour un mois de vivres et je ne conserverais de poudre et de munitions que pour les canons que j’avois conservés.

Je fis élonger des ancres et de fortes touées, et aussitôt que le vaisseau vint à flotter je ma hallais en apareillage lorsque je jugeois y être suffisamment. Je fis couper tous mes amares et mit sous voile le guindant, le grand mât de hune en m’en allant, car le petit mât de hune et le perroquet de fougue qu’on avoit à peine eu le temps de guinder, étoient encore supportés par leurs guindresses, les clefs n’ayant été mises qu’après avoir orienté leur voile ! nous ne tardâmes pas à faire usage du grand hunier ; il étoit temps, car nous étions déjà atteints par les boulets et les bombes d’une partie de l’escadre anglaise, qui avait passé sous les forts d’Oleron pour venir détruire les vaisseaux qui étoient restés échoués sur les Palles. C’est ce qui ne tarda pas à arriver aux vaisseaux l’Aquilon, le Varsovie et le Calcutta qu’ils furent brûlés par l’ennemi.

Le Tonnerre qui étoit crevé se brûla lui même avec son pavillon, le Jemmappe s’en tira aussi heureusement que nous ; ce ne fut que le 12 à 10 heures du matin que le vaisseau ayant un peu redressé je pus commencé à faire travailler et à 2 heures après midi j’étois à l’entrée de la rivière de Rochefort, échoué sur les vases devant Fouras, n’ayant ni câbles, ni ancres, ni grelins et de vaisseau n’ayant point de mal.

L’Océan et le Patriote me parurent échoués à l’entrée de la rivière de Rochefort, le Tourville sur les bancs de l’île Madame, d’où il s’est tiré, le Cassard et le Foudroyant étoient restés au mouillage de l’isle d’Aix.

Une partie de ces vaisseaux et trois de nos frégates donnèrent en rivière, le reste entrera les jours suivants, l’Indienne ayant été jettée à la côte d’où elle n’a pu se retirer malgré tous ses efforts, ayant été défoncée, a été brûlée par les Français avec son pavillon ; le Regulus faute de secours est resté sans aucune ancre échoué sur les vases de Fouras. La grande marée qui avoit lieu les forts vents d’Ouest qui régnoient échouèrent le vaisseau tellement haut il fallut attendre la maline suivante pour le retirer dans cette position. Une flottille composée de deux frégates, deux bombardes, une gouélette qui lança des artifices incendiaires, six bricks de guerre portant du gros calibre des trois brûlots vint se mouiller à portée et demi de canon derrière moy dans une position menaçante qui devoit faire craindre la destruction du Regulus, qui ne pouvoit apporter que le faible reste de son artillerie, et qui d’ailleurs étant échoué ne pouvait s’empêcher de présenter sa poupe à l’ennemi.

Le 13, c’est-à-dire le surlendemain des brûlots, l’Océan et l’Indienne étant échoués près de moy sur les vases, nous fûmes attaqués par une flotille de neuf bâtimens qui vint s’enbosser derrière nous. Cette flottille était composée de 2 bombardes, 6 bricks de guerre portant chacun du gros calibre et une gouélette qui lança avec adresse une espèce d’artifice incendiaire à la congreue armée de deux fortes grenades, nous fûmes canonnés et bombardés pendant six heures et nous ne pouvions riposter qu’avec nos canons de retraite.

Je fis établir dans ma chambre de conseil des plates-formes inclinées sur l’arrière, sur lesquelles je fis monter deux canons de 18 qui joint à ceux de la grande chambre et aux deux de la Sainte-Barbe me fier une batterie de 6 pièces de canon, avec laquelle nous tirâmes dans cette action 450 coups. Quelques bricks furent maltraités par nos trois bâtimens ; nous reçûmes plusieurs boulets qui nous firent peu de mal ; nous eûmes plus à souffrir de trois bombes qui tombèrent à bord : deux éclatèrent en tombant, la troisième de 12 pouces traversa le gaillard derrière, tous les ponts, nous brisa un affût de 36 et éclata dans la cale sans y mettre le feu, mais il y blessa quatre hommes. Dans cette première affaire j’eus un homme tué et 5 blessés.

Mention marginale :

Le 13 au soir la mer monta très haute ; le Regulus flottoit un peu. J’avois espoir à l’aide de mes voiles de me remettre entièrement à flot. J’y serois parvenu et j’y travaillois lorsque je reçus l’ordre de Mr l’Amiral de ne point entrer en rivière et celui de me tenir près de lui pour réunir mon feu à celuy de l’Océan en cas d’une nouvelle attaque de la part de la flotille ennemie que le Regulus a repoussée seul, les 20 et 24 suivans. Le lendemain 14, l’Océan entra en rivière et le Regulus qui n’avoit ni ancre ni grelin resta fortement échoué sur les vases où le jettèrent le vent et la marée.

Le lendemain 14, l’Océan entra en rivière ; nous eûmes encore à soutenir ce jour-là un engagement de trois heures avec la même flottille ; nous eûmes un homme tué et 4 blessés.

Le 16, tous nos vaisseaux et frégates s’étoient avancés en rivière, excepté l’Indienne qui fut brûlée le matin ; alors le Regulus restait le seul fortement échoué sur les vases vis-à-vis de Fouras, à l’embouchure de la rivière de Rochefort, n’étant protégé par aucune batterie de la côte, ne pouvant présenter que la poupe à l’ennemi et ne lui opposer que les 6 canons de retraite. Toute cette journée la flottille anglaise qui me serroit de près fit de grandes dispositions pour m’attaquer, les trois brûlots furent mis en mouvement, plusieurs péniches furent disposées à les remorquer. Le flot et les vents d’ouest pouvoient les porter directement chez moi. Ne doutant pas que l’ennemi n’exécuta son projet vers le soir ou dans la nuit, je fis aussi toutes mes dispositions pour le repousser vivement, le combattre jusqu’à la dernière extrémité et enfin, pour assurer le salut de l’équipage dans le cas désespéré où nous eussions été forcés d’évacuer le vaisseau.

Je fis couvrir entièrement les ponts de bouts de câbles, grélins, aussières, ornis est en général de tous les cordages que j’avais à bord pour amortir les bombes en arrière du recul des pieus de retraite dans toutes les batteries. Je fis faire des rambardes avec toutes les voiles de rechange bien roulées pour arrêter l’enfilade des boulets ; je fis faire une grande quantité de gargousses et débarquer ensuite tout le reste de la poudre en baril qui fut déposé dans un bateau que je fis mouiller à ma proximité entre la terre et le vaisseau, afin d’éviter l’explosion dans le cas où le feu prit à bord. Toutes les pompes furent garnies et il fut mis de l’eau dans tout ce qui put en contenir ; mes embarcations furent armées en guerre pour détourner les brûlots et attaquer les péniches qui auraient pu les conduire. L’équipage entier passa la nuit sous les armes et sous la plus grande surveillance, des chaloupes étoient disposées en avant du vaisseau pour évacuer l’équipage avec ordre et sans confusion, en cas que notre persévérance ne put empêcher le Regulus d’être incendié. Vers le soir le temps devint tellement mauvais que l’ennemi ne put rien entreprendre et il continua de même jusqu’au 20 au matin que le vent diminua et que la mer devint moins grosse. Et le 17 le port m’envoya des ancres, des grelins et des cables. Les mortes marées ne permirent pas d’en faire usage, mais je les fis disposer, je fis élonger derrière moy une touée de cinq cables avec une grosse ancre de vaisseau empôlenée d’une grosse ancre de frégatte et je fis frapper des appareaux dessus.

Le 20, deux bombardes, 4 bricks de 18 canons de gros calibres et la gouëllette qui lança des fusées incendiaires armés de grenades vinrent s’embosser derrière moy, un brick chercha d’abord à connoitre la portée de mes canons pour fixer la position des bombardes, mais comme je ne voulus pas riposter avant que toute l’escadrille ne fut embossée, l’une des bombardes se plaça à ma portée.

M. l’amiral Gambier étoit en personne à bord de la gouëllette qui le tint pendant toute l’action hors de la portée de mes canons. A 2 heures et demie, la bombarde Letua, à bord de laquelle étoit le colonel d’artillerie Congreve avec l’élite des bombardiers anglais tira un coup de canon à poudre. Toute la flotille arbora le pavillon anglais, la gouëllette arbora aussy son pavillon de poupe et le pavillon d’amiral au grand mât. Le feu commença aussitôt et continua sans cesser jusqu’à six heures et demie du soir. Notre riposte fut vive et bien dirigée. Nous tirâmes 400 coups de canon avec nos seuls canons de retraite. Deux bricks furent maltraités. L’un d’eux fut forcé d’appareiller et souffrit beaucoup en mettant sous voile ; la bombarde Letua fut obligée de filer souvent son croupias pour présenter moins de surface à mes boulets ; elle eût sans doute appareillé si elle n’eût pas craint que la marée la jette sur nous.

L’ennemi nous a lancé dans cette action 173 bombes sur lesquelles six sont tombées à bord. Heureusement qu’elles ont toutes éclaté en tombant ; un bateau mouillé près de nous a été coulé à fond par une bombe, toutes nos chaloupes ont beaucoup souffert, nos ponts ont été percés en plusieurs endroits par des éclats de bombes, nos mâts en ont beaucoup reçu, notre poupe a été criblée. plusieurs montants de voute ont été coupés par les boulets de l’ennemi, mais par la précaution que j’avais prise de faire tenir tout le monde dans les batteries et le fond pont, je n’ai eu que 2 hommes de tués et 4 blessés parmi ceux qui servaient les pièces de retraite. Le combat finit à 7 heures & demi du soir ; je m’empressai à faire rétablir de suite les avaries de notre poupe, je fis renforcer les jambettes de voute, clouer des manis de fer pour fixer les bragues et mettre des arc boutans pour soutenir la voute, afin de nous mettre en disposition de soutenir une nouvelle attaque.

Le 23, la division anglaise mouillée derrière moi reçu trois chaloupes canonnières et trois grosses péniches portant chacune une caronnade, deux bricks élongèrent une frégate pour prendre sa batterie ; quelques embarcations vinrent visiter l’isle d’Enette qui me restait à mi portée de canon par la hanche de basbord. Tous ces mouvements me firent présumer que je serois attaqué le lendemain d’une manière vigoureuse, et je fis de mon côté toutes les dispositions que mes moyens me permettoient de faire pour opposer une résistance digne d’un vaisseau de S. M.

Effectivement le lendemain 24 à 7 heures du matin les deux bombardes ennemies vinrent s’embosser derrière le Regulus. Un grand brick de guerre et la gouëlette vinrent s’embosser près de l’isle d’Enette par ma hanche de basbord, de manière à ne pouvoir être atteint ni par mes canons de retraite ni par ceux de côté. Les trois canonnières et les trois péniches se placèrent de la même manière par la hanche de tribord. À 7 heures et demi le feu commença et continua sans cesser jusqu’à 4 heures du soir. J’eus beaucoup à souffrir pendant la première heure : recevant de toutes parts le feu de l’ennemi sans pouvoir riposter. Les bombardes se tenoient hors de la portée de mes canons et ni ceux de retraite ni ceux de côté ne pouvaient pointer assez obliquement pour atteindre les autres bâtimens de la division ennemie. Je fis alors bucher des sabords et couper plusieurs montants de fenêtres, jetter bas toute la galerie et une partie interne du basbord. Enfin je parvins à diriger trois pièces sur les bricks et une sur les canonnières ; deux pièces tiroient à toute volée sur les bombardes. Notre feu devint alors vif et bien nourri et surtout bien dirrigé. L’ennemi souffrit beaucoup de nos boulets ; nous parvimes à faire appareiller les canonnières et les péniches et ne remarquâmes beaucoup d’avaries à bord des bricks. Au commencement de l’action quelques péniches anglaises cherchèrent à débarquer sur l’isle d’Enette pour y établir un canon. Je fis de suite armer une embarcation pour les en chasser ; aussitôt que l’ennemi apperçut mes dispositions il renonça à son projet. Vers le milieu de l’action la commotion répétée des canons de 36 de la Sainte-Barbe fit sauter la barre du second pont, 5 bardages furent enlevés par l’éclat d’un des canons de la grande chambre failli tomber dans la Sainte-Barbe. Cette pièce fut mise hors de service ; peu de temps après une pièce de la Sainte-Barbe fut aussi démontée et la pièce opposée cassa plusieurs roues d’affut. Malgré ces événemens pendant cette action qui dura 8 heures 1/2 le Regulus tira avec ses 6 pièces de retraite 500 coups de canon. Lorsque le combat a cessé il ne nous restait plus que 15 à tirer.

Dans cette dernière affaire les bombardes n’ont pas aussi bien tiré que les autres fois, peu d’éclats de bombes sont tombés à bord, notre grement et notre mâture ont reçu beaucoup de boulets, plusieurs ont été mis dans le corps du vaisseau, mais peu ont traversé. Un second bateau qui étoit amarré sur nous a été coulé à fond ; nos embarcations ont souffert, nous n’avons eu personne de tué mais seulement 6 hommes de blessés. On nous a assuré que le capitaine de l’un des bricks ennemis avoit été tué.

La poupe du Regulus est entièrement détruite, tant par les boulets de l’ennemi que par la commotion de l’effet de 1380 coups de canon que nous avons tirés en retraite dans nos 4 engagemens, mais moyennant les pièces que nous avons rapportées et toutes les réparations que j’y ai fait faire, nos 6 canons de poupe furent encore mis en état de soutenir un nouvel engagement.

Mention marginale (quelques mots semblent manquer) :

C’est dans cette situation critique qu’ayant le presque certitude d’être attaqué la nuit que les brûlots de l’ennemi qui en cas de réussite m’eussent obligé à sauver l’équipage, que j’écrivis à Mr l’Amiral pour lui demander provisoirement l’ordre d’en agir ainsi ainsi qu’il m’avoit bien donné mais d’une manière un peu vague, je lui disois positivement que je prendrois jamais sur moi d’évacuer mon vaisseau bien fortement si je pressois vainement ... d’être le donner, sentant bien la nécessité absolue d’être muni de cette pièce si les circonstances nécessitoient d’en faire usage. J’étois toujours maître de retarder l’exécution de ce consentement et je n’eus pas manqué de le faire, mais il ne m’étoit pas facile de l’obtenir dans l’instant même des évènemens qui me l’eusse rendu indispensable.

Le soir, M. l’amiral à qui j’ai fait demander des munitions de canon, m’en envoya. Il m’envoya aussi 12 bateaux canonniers qui auroient pu m’être d’un grand secours si l’ennemi n’avait pas renoncé au projet de m’attaquer davantage.

Enfin après acharnement de 15 jours, l’ennemi ayant été quatre fois vigoureusement repoussé a dû juger qu’il est moins facile de combattre nos vaisseaux que de les incendier et cette escadrille s’étant convaincue sans doute que le Regulus n’étoit point disposé à lui cedder, nous a dans la nuit du 25 au 26 abandonné le champ de bataille, pour aller rejoindre ses brûlots. Les marées pour lors commencèrent à rapporter, et le port nous ayant envoyé ses secours de toutes espèces, le Regulus à l’aide des soins de M. le capitaine de vaisseau Barbie, chef des mouvemens du port, a été remis à flot et le 29 de ce mois est entré en rivière après avoir échappé aux brûlots, s’être deux fois relevé de la côte et avoir 4 fois repoussé l’ennemi.

Je ne saurais trop me louer de l’état-major, des aspirants et en général du brave équipage du vaisseau le Regulus. Le courage que chacun a déployé dans les périls qui nous ont menacés, la persévérance et le dévouement avec lequel on a supporté 17 jours de veilles et de fatigue sans pouvoir prendre la nuit un seul instant de repos, enfin l’opiniâtreté avec laquelle tous se sont roidis contre les événemens qui se succédoient avec la rapidité, pour conserver à Sa Majesté le vaisseau qui leur est confié, sont dignes des plus grands éloges. Ainsy s’est terminée cette glorieuse expédition de l’ennemi, avec une grande dépense et des moyens horribles de destruction et n’est pas même parvenu à brûler un seul de nos vaisseaux ; et si la rade de l’isle d’Aix eût été moins épineuse, Sa Majesté ne perdoit pas un bâtiment. Chercher à détruire une escadre sans exposer un seul homme, canonner vigoureusement des vaisseaux à la côte qui ne pouvoient pas riposter, tuer des hommes qui se noyoient et attaquer par derrière sans succès et à 4 reprises un vaisseau échoué qui n’avoit presque pas d’artillerie : voilà le triomphe que remporte l’escadre anglaise dont la majeure partie disparut le 30 de ce mois.

À bord du vaisseau le Regulus, en rivière de Rochefort, le 1er may 1809.

Signé Lucas, capitaine de vaisseau


[1(né le 28 avril 1764 à Marennes, décédé le 29 mai 1819) officier de marine français, héros lors de la Bataille de Trafalgar. Il participa également à la Guerre d’indépendance des États-Unis d’Amérique

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