Histoire Passion - Saintonge Aunis Angoumois

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Le jeu de paume en Saintonge, Aunis et Angoumois, du Moyen-âge au siècle des Lumières

Histoire et anecdotes

samedi 10 mars 2012, par Razine, 2945 visites.

Après la Cour, la folie du jeu de paume gagne la Province et se répand dans toutes les couches de la société.

Pendant plusieurs siècles, ce jeu va passionner hommes et femmes de la noblesse de même que le petit peuple. Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans les documents d’archives de notre région mention de nombreuses salles jusque dans les petites localités. Cette passion bien française conduisait parfois à des excès. Règlements de police et procès donnent un aperçu de l’ampleur du phénomène.

Sources :

- Archives départementales
- Bulletin de la société des archives historiques de Saintonge et d’Aunis - 1882 et Tome XXV p 78, 353 p 78
- Cognac des origines à 1789 par M. P. Martin-Civat
- Règlement de Police + commentaires de L. Thiou - 1919 - SAHC
- Les jeux au royaume de France du 13ème au XVIème siècle - Paris - Fayard 1990
- Paris historique N° 67 - 2ème semestre 1993, « Jeu de Paume parisiens », ISSN 0764-454
- La magnifique histoire du Jeu de Paume par Albert de Luze - 1933 - éditions Delmas
- Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles. AA. Monteil Tome3 W. Coquebert éditeur et cie 1842 p 4 à 7 Books Google
- Manuscrit.com Paris Justice et criminalité aux 14e et 15e siècle - Chris Lesvenn
- AHSA XXIV p 57 et 441
- Jouer autrefois : essai sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle) par Elisabeth Belmas
- Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France Books Google p 615 par Pierre Adolphe Chéruel

SOMMAIRE

- 1 - Historique du jeu

  • 1.1 - Pratique du Jeu de Paume : l’ancêtre du tennis
  • 1.2 - Les expressions du Jeu de Paume
  • 1.3 - le Jeu de Paume dans l’histoire
  • 1.4 - Des salles à La Rochelle, Saint Jean d’Angély, Cognac, Saintes et Angoulême
    les multiples utilisations des salles de jeux de paume
    • 1.4.1 - A La Rochelle
    • 1.4.2 - A Saint-Jean d’Angély
    • 1.4.3 - A Saintes - Où se trouvait le jeu de paume à Saintes ?
    • 1.4.4 - A Cognac
    • 1.4.5 - A Angoulême
    • 1.4.6 - Le Jeu de Paume un enjeu économique
  • 1.5 - Pour la paix publique et le salut des âmes : La justice réglemente la paume :
    • 1.5.1 - Mœurs et coutumes
    • 1.5.2 - Anecdotes : En Saintonge on ne badine pas avec l’honneur, où la passion du jeu l’emporte sur la raison 

I – Historique du jeu

 1.1 - La pratique du jeu : l’ancêtre du tennis

Initialement jouée à mains nues puis avec un gant de cuir (pratique généralisée pour se faire moins mal), ou un battoir, la paume s’est transformée en jeu de raquettes vers le milieu du 15ème siècle. Le jeu consistait à renvoyer une balle « éteuf ou esteuf », au-dessus d’un filet à la manière du tennis.

Jeu individuel, ou en double (courte paume) la partie pouvait se faire à 3 ou 4 partenaires (longue paume). Le comptage des points est encore utilisé au tennis de nos jours. La longue paume se jouait au départ en plein air dans les rues ou les chemins de campagne et pour la courte paume sur des terrains couverts, dès le 14ème siècle. En se popularisant la paume donna lieu à la construction de salles situées souvent à côtés de cabarets d’où l’appellation également de « tripots ». Le mot de tripot désignera donc aussi bien la salle de jeu de paume.

Très tôt, des paris parfois truqués se développeront sur les parties. Ces pratiques et l’installation d’autres jeux que la paume lorsqu’elle tombera en désuétude lui donneront mauvaise réputation. Aussi au cours du XVIIe siècle le terme "tripot" deviendra t-il péjoratif. 

Les salles de jeu de paume étaient généralement plus longues que larges et le toit soutenu par des poutres. La longueur de la salle pouvait s’expliquer par le fait qu’à l’origine la paume était pratiquée dans les rues, les fossés des châteaux également. Les murs du fond (mur de grille) étaient pleins et les murs latéraux allant au deux tiers de la hauteur du bâtiment peints en noir, le reste ouvert. La surface du jeu appelée carreau comportait des « lignes de chasse » numérotées au sol avec équivalence sur les murs. Pour l’anecdote ces murs étaient peints avec du sang et de la bile de bœuf additionnée de noir de fumée et d’urine pour la fixation des pigments naturels. Afin d’éclairer le jeu, il existait une galerie de passage dont une partie avec des sièges pour les spectateurs.

Note : Chasse la chasse est l’endroit, marqué d’un trait, où la balle est arrêtée par un joueur ou sort des limites du jeu.

 1.2 - Les expressions du jeu de paume

Le jeu de paume a laissé bon nombre d’expression dans la langue française encore usitées de nos jours :
- « épater la galerie » qui se disait d’un joueur particulièrement brillant sur un coup. La salle de jeu était généralement bordée d’une galerie où se plaçaient les spectateurs.
- « qui va à la chasse perd sa place » lorsque les joueurs changent de côté de terrain et que le serveur perd sa place favorable
- « rester sur le carreau »
- « jeu de main, jeu de vilain », etc…

Dans la plupart des cas, on a oublié l’origine de ces expressions et leur sens parfois altéré, mais leur passage dans le langage courant témoigne de l’extraordinaire popularité passée de ce jeu.

 1.3 - Le jeu de Paume dans l’histoire

Le jeu de paume est un des jeux les plus anciens mentionnés en France. Il existait dès le moyen âge et selon certains historiens, les ecclésiastiques s’adonnaient à la paume dans les cloîtres, au XIe et XIIe siècles. Cette version a des contradicteurs. A l’origine le jeu de paume semble avoir été réservé à la noblesse et la haute bourgeoisie non pas tant parce que des édits royaux s’appliquant probablement à la longue paume, l’avaient interdit au peuple mais parce que la complication des règles était suffisante pour exiger de ses adeptes une certaine culture que n’avait pas l’immense majorité du petit peuple à cette époque.

Prisé par les évêques et les prêtres, le jeu de paume devint aussi celui des rois et des nobles. Presque tous les rois de France l’ont pratiqué avec ardeur comme Henri IV et François 1er.

Deux d’entre eux y ont même laissé leur vie : Louis le Hutin en 1316 ayant pris un refroidissement mortel à la suite d’une partie et Charles VIII s’étant cogné la tête à une porte basse du château d’Amboise la veille des Rameaux 1498 alors qu’il menait la Reine Anne de Bretagne voir jouer une partie de paume dans les fossés du château.

Aux siècles suivants, le jeu se démocratisa dans toutes les couches de la société devenant au XVe et au XVIe. siècle, le jeu le plus populaire qui ait jamais existé. Cette affirmation résulte de nombreux documents.

A la fin du XVIe siècle, il y avait, d’après François Grégori d’Ierni qui accompagnait à Paris le légat du pape, « 250 Jeux à Paris très beau et très bien installés », pour une population de 300.000 habitants. Nous en avons trouvé 40 à Orléans. 47 en Poitou, 9 à Blois, 8 à Angers, 15 en Saintonge, 20 à Bordeaux, 9 à Dijon et au moins un dans toutes les petites villes de France ».

Dallington, maître d’école enrichi qui séjourna en France, écrivait en 1601, dans The Views of France : « On joue davantage à la paume, en France, que dans tout le reste de la chrétienté. Le pays est semé de jeux de paume ; ils sont plus nombreux même que les églises ; les Français naissent « une raquette à la main. Les femmes jouent, les enfants jouent ; les artisans jouent aussi, nonobstant toute ordonnance à ce contraire, et perdent en un jour le gain d’une semaine ».

Pour donner enfin à ses compatriotes une idée saisissante du nombre incroyable des joueurs, il déclare qu’il y a plus de joueurs de paume en France que d’ivrognes en Angleterre.

 1.4 – Les jeux de paume en Province

Les multiples utilisations des salles de jeux de paume

1.4.1 - A La Rochelle

5 Novembre 1628. — Bassompierre raconte dans ses mémoires que, ce jour-là, il fit une partie de paume avec Louis XIII, qui fut pris, en jouant, d’un accès de goutte. Ce dût être au grand jeu de paulme, situé dans la rue Gargouillaud, presque en face du logement du roi, et qui avait une seconde entrée dans la rue Dompierre. Ce jeu, si propre à développer les forces et à entretenir la souplesse du corps, était alors en si grand honneur chez nos pères, que l’on ne comptait pas moins de huit établissements à la Rochelle : l’un, qui paraît être le plus ancien, qu’on appelait le petit jeu de paulme, dans la rue Chef-de-Ville ; un autre dans la rue Saint-Jean, vis-à-vis l’église, et dans lequel se cacha le capitaine Chesnet, lors de sa tentative de 1562 (Voir 8 février) ; le jeu de paume des Marais, dans la rue St-Léonard ; celui des Grolles, sur l’emplacement de la vieille monnaie, près de la cour des Grolles (V. 8 août) ; celui des Fraignées, dans la rue du moulin de la Verdière, aujourd’hui impasse du Verseau ; celui de la Moulinette, près la fontaine de Navarre ; celui de la Petite-Rive, dans la grande rue Saint-Nicolas ; enfin le jeu de paume de Gargouillaud. (Titres divers.)

Source : Ephémérides historiques de La Rochelle - J. B. E. Jourdan - La Rochelle - 1861

1.4.2 - A Saint-Jean d’Angély

Il existait donc des salles de jeux de paume dans toutes les localités de grande ou moyenne importance. Beaucoup disparurent sans jamais laisser de trace, seul parfois un nom de rue permet de les évoquer. C’est le cas à Saint Jean d’Angély, non loin de l’abbaye et proche de la rue Jélu. Les registres de l’échevinage de Saint Jean d’Angély nous fournissent des documents prouvant que le jeu de paume était pratiqué dans cette ville dès le début du 15e siècle.
En 1586, un document indique qu’une salle fut bâtie à la place d’une grange et vergers de l’abbaye acquis dans des conditions très raisonnables. Un autre relate que la salle de jeu de paume fut utilisée par la suite comme magasin à grains et fourrages sans doute lorsque la mode du jeu de paume passa. En effet, au XVIIe siècle les jeux se diversifièrent cédant la place au billard, aux échecs et jeux de cartes. Petit à petit, les salles de jeux de paume perdirent leur destination en se transformant en maison de jeux. C’est la naissance d’un autre modèle culturel.

1.4.3 - A Saintes

Les salles de jeu de paume perdant peu à peu leur destination première, il est fait mention dans les archives départementales de Saintonge de cette pratique. On relève dans un autre texte : « Souvent on se contente d’aménager pour la venue d’une troupe ambulante les salles de jeux de paume par exemple à Saintes et à La Rochelle. Toujours à Saintes, un dénommé Comminge, charcutier de son état, aurait aménagé « une salle parallélogramme fermé de murailles dont les fenêtres pour tout autre usage furent bouchées et où l’on dresse un théâtre, un orchestre ; un parterre et deux étages de galeries angulaires peuvent recevoir les spectateurs ».

Ces salles quadrangulaires offrant un espace libre et couvert eurent une influence considérable sur le développement physique de la population car la paume était un jeu nécessitant une résistance physique intense mais ce qui était imprévu par la suite c’est qu’elles contribuèrent à répandre le goût pour l’art dramatique puisque ces édifices servirent de salles de spectacle.

Les salles de jeu de paume répondirent encore à d’autres usages. A La Rochelle au XVIe siècle, l’église réformée faute de lieux de culte utilisa, l’église Saint Barthélémy, Sainte Marguerite, le réfectoire des Augustins et l’ancien Jeu de Paume pour leurs pratiques religieuses.

Sous Louis XIV qui n’aimait pas la paume, celle-ci n’était guère plus pratiquée que par les militaires comme Turenne et Condé. L’habit de cour se prêtait peu à ce genre d’exercice, aussi la noblesse préféra déserter les salles de paume pour les jeux de salon, mais le peuple continua à fréquenter les tripots pour s’adonner aux jeux d’adresse ou de hasard. Il faut encore mentionner que les salles de jeu de Paume servirent aussi comme lieux de réunions politiques. Les archives départementales de Charente Maritime révèlent qu’en 1643, des assemblées séditieuses furent tenues à Saintes dans un jeu de paume du faubourg.

Est-il nécessaire de rappeler qu’à Versailles à la révolution le jeu de paume est entré par la grande porte de l’histoire. Ce jeu est à jamais associé au Serment du Jeu de Paume qui allait bientôt sonner le glas de la monarchie.

Où était le jeu de Paume à Saintes ?

En 1580 une délibération du corps de ville relative à la construction d’un palais de justice fait état que « le minage qui se tenoit dans ladite halle sera transporté ailleurs et aussi la boucherie sera transporté au lieu du jeu de paulme, vulgairement Fongiroux en la dicte ville ».

L’emplacement du jeu de paume a dû changer de place suivant les temps. On pense également qu’il a pu exister plusieurs jeux de paume dans cette ville à une même époque.

Par testament du 5 octobre 1610, retenu par Journauld, notaire royal, demoiselle Jeanne Dusault, institue son mari légataire universel à la charge de payer une somme de 500 livres tournois à Etienne Dupoursoy, son filleul demeurant en la ville de Saintes. Etienne Soulet, pour se libérer envers Dupoursoy lui a cédé et transporté « une maison couverte de tuiles, lui appartenant appelée la Grend-Estable suituée paroisse Saint-Michel, confrontant d’ung costé aux mazureaux du jeu de paulme appelé de (Fouqueville, Fougeril ?, d’autre costé à la maison de Jehanne Testaud, vefve, d’ung bout aux murailles de ladite ville, et d’aultre bout à la ruhette par laquelle on va dudit jeu de paulme au port appelé le port des bûches » Acte de Robert, notaire du 25 février 1612.

C’est à l’extrémité de la rue des Iles, dans la rue de l’Anguille, à gauche, c’est-à-dire au côté opposé aux récollets qu’il faut chercher le jeu de paume. Il en existait un autre à la Berthonnière, dans une maison voisine de l’hôtel de la Croix-Blanche.

Un acte notarié du 10 mars 1612 passé devant le notaire Robert par Marthe Gentils, veuve de Jean Rousset, épouse en seconde noces de Benoist de Villard transmet par voie de succession à ses filles parmi les immeubles « d’une maison : où la testataire fait sa continuelle résidence, avec le jeu de paulme y contigu, bastiment, jardins et mothes estant de ses dépendances le tout joignant, situé au bourg de Saint-Eutrope… »

En 1629, il était situé près de la Grand’rue. Le 1er décembre Pierre de Chemeraud, conseiller en l’élection, afferme de Marie Sorcellière, veuve de Jehan Joguet, armurier, un apand qui est derrière le logis d’icelle, près le jeu de Paume. Pour aller et venir, il passera par le courroir qui va de la Grand’rue audit apand et pourra aussi entrer et sortir par le portal dudit jeu de paume où ladite Sorcellière a le droit de passage…ladite location faite au prix de 13 livres 10 sols (Limouzin, notaire)

Le 7 novembre 1621, un maîstre paumier à Saintes : Jérôme Pradelle fait marché pour faire et parfaire, avant un mois le pavé du jeu de paulme du sieur de Saint-Lauc, en la ville de Xaintes et raccomoder les fantes qui sont dans le parpin à raison de 81 livres , somme que le dit Pradelle sera tenu de payer. Le domicile des témoins donne à penser que le jeu de paume était alors à Saint-Eutrope.

Vers 1675, le jeu de paume se trouvait sur la rue Neuve devenue rue du Collège où se trouve la chapelle de cet établissement. Au style du bâtiment on peut reconnaître qu’il n’a pas été construit pour un édifice sacré. Remplaçant la première chapelle construite par les Jésuites au 17éme siècle, le bâtiment qui s’élève avec son grand portail, ainsi que la chapelle qui lui fait face sur la rue Chapsal, sont des constructions issues de transformations menées après le départ des religieux en 1762. La nouvelle chapelle construite à l’emplacement de l’ancien jeu de paume, fut édifiée en 1782 tout comme le portail qui lui fait face.
C’est Louis XVI qui par un édit autorisa le collège à acquérir le reste d’un jeu de paume pour y construire sa chapelle.

1.4.4 - A Cognac

A Cognac, le jeu de paume très fréquenté au 17e siècle était situé rue Magdeleine, vers l’école Saint-Joseph. C’est dans cette salle que jouaient vraisemblablement les troupes ambulantes de comédiens. L’expression « enfants de la balle » viendrait de là.

1er janvier 1515 - François 1er, au jeu de paume à Cognac, apprend qu’il est devenu roi de France.


Le Comte d’Angoulême étoit Grand Maître de la maison de Louis XII. Il jouoit à la paume à Coignac, lorsque Boissy vint en poste lui apprendre la mort du Roi. Il entra dans le jeu de paume & fléchissant le genou, dit au Comte d’Angoulême : je vous salue Roi de France. Le Roi lui répondit : levez-vous M. le Grand-Maître.

Le Mercure de France, juillet 1773, rubrique "Anecdotes"

1.4.5 - A Angoulême

Aux Archives Départementales de Charente :
- 1651 - Cession par Jean Touret, maître "paulmier" et Jeanne Fouret, sa femme, à Guillaume Touret, aussi maître "paulmier", leur fils, du jeu de paume qui leur avait été cédé le 24 juillet 1644 par Jeanne Aymard, veuve de Jean Gandobert, sieur de Chenaud, moyennant la rente annuelle de 187 livres amortissable par 3.750 livres (acte de Maître Amelin, notaire royal à Angoulême, du 23 avril 1651 - AD16 cote E2008)
- 1756 - Bail à ferme, pour sept années et à raison de 210 livres l’une, par François Vallier, procureur en la sénéchaussée d’Angoumois, syndic et trésorier des pauvres de l’Hôtel-Dieu-Notre-Dame-des-anges de la ville d’Angoulême, à Cybard Lescallier, marchand, et à Rose Jeudy, sa femme, d’un jeu de paume, avec maison, jardin et écurie, appartenant auxdits pauvres et situé en la ville d’Angoulême, joignant d’un côté audit Hôtel-Dieu, d’autre côté et par derrière au jardin des PP. Cordeliers, et par devant à la rue qui va du couvent des PP. Minimes, à main droite. (Acte de Caillaud, notaire royal à Angoulême, du 4 juin 1756 - AD16 cote E1767)

1.4.6 - Le jeu de paume, un enjeu économique

Il faut dire que les jeux de toute nature généraient des subsides aux abbayes ou à l’Etat. En son temps, les jésuites qui tenaient le collège de Saintes étaient seigneurs du jeu de paume et affermaient le jeu. Tout joueur payait un droit.

Le 5 mars 1763, les bénédictins de Saint Jean d’Angély, qui succédaient aux jésuites, prirent possession du jeu de paume dépendant dudit collège, par accommodement fait le 13 novembre 1650 entre les jésuites et le paumier. L’état des lieux faisait mention d’une brasserie, salle de billard qui avaient probablement succédé à la pratique du jeu de paume (on revient à la notion de tripot).

Par divers écrits, on connaît les noms de certains paumiers qui se sont succédé aux jeux de paume de Saintes :

- En 1748, c’était Pierre Le Dru,
- En 1756, Jean Bouillon et Jean Moisnard, cordonnier, Catherine Négrier, sa femme,
- Marie le Dru, héritiers de Pierre le Dru qui paient 600 livres pour le transport de leur droit, sur le jeu de paume et la succession de feu Pierre le Dru, en faveur du collège.

 1-5 Pour la paix publique et le salut des âmes, la justice réglemente la paume

1.5.1 Mœurs et coutumes

Une ordonnance de 1394 prohiba le jeu de paume ainsi que le jeux de dés et de hasard comme ruineux aux familles.

Le 16ème siècle fut l’âge d’or du jeu de paume. Les règles de la paume subsistèrent longtemps par la seule tradition orale jusqu’à la création d’un texte fondateur : La première Ordonnance du royal et honorable jeu de paume en 24 articles due à Forbet qui date de 1592. Elle s’achevait par le proverbe « Bon pied, bon oeil ».

En 1610, les paumiers se constituèrent en corporations encadrant désormais la fabrication des « éteufs » (balles) et des raquettes. Certains paumiers peu scrupuleux n’hésitaient pas à bourrer les éteufs de pierres pour faire des économies provoquant ainsi des accidents mortels comme celui du frère de Montaigne. Il s’agissait donc de réglementer la corporation.

Le jeu excitait et absorbait les esprits à tel point que des lois répressives étaient jugées utiles par le roi, vexatoires par ses sujets. Même les religieux se laissaient entraîner. En 1485, déjà le concile de Sens leur avait interdit, de jouer à la paume, surtout « en chemise et en public ».
Une ordonnance remontant à 1592 montre à quel point la folie du jeu s’empare des esprits au détriment d’une attitude honorable : « le jeu de la paume, lequel n’a guère d’autre inconvénient que de tellement exciter les joueurs qu’ils s’emportent parfois en jurons effroyables. C’est un grand tort ; au jeu comme à la guerre il faut se posséder. — « Messieurs qui désirez vous ébattre et jouer à la paume, faut jouer, afin de récréer le corps et délecter les esprits, sans jurer ni blasphémer le nom de Dieu. Avant de jouer, convient tourner la raquette pour savoir » à qui le service. Dans les cas douteux, consulter les marqueux, mais de préférence le public, constitué en tribunal arbitral, toujours formé alors de gens compétents, car à cette époque tout le monde jouait.

En 1652 en Angoumois, un extrait d’un règlement de police de 1652, modifié en 1724 démontre que cet état d’esprit n’était pas l’apanage des parisiens :

Art 1 - Deffences sont faites à tous cabarettiers, hostelliers, cuysiniers et pâtissiers de donner à boire et à manger les jours de dimanches et festes solemnisés en l’Eglise, pendant les heures de grandes messes, prédications et vespres ; et à tous les habitants de la ville et faux-bourgs d’y aller boire et manger ausdites heures à peine contre les contrevenans de vingt livres d’amande. Et sous mesmes peines est inhibé aux maistres de paulme, et a ceux qui tiennent jeux de boulles et de quilles de permettre qu’on joue dans leurs jeux pendant la grande messe es jours de dimanches et ferles, et vespres,. les jours de Noël, Pasques, Feste-Dieu et la Tousaincts. Et sur les mesmes peines sont deffendus tous berlans], jeux de billard, et autres jeux d’hasard et de desbauche en tout temps.

L’église et la loi surveillent donc de près les joueurs et ne cessent de leur imposer des limites car elles y voient une activité dangereuse, la première pour le salut des âmes et la seconde pour la tranquillité publique.

Des concours publics avec prix — des « championnats » — étaient organisés. Les joueurs devaient prendre divers engagements préliminaires, proportionnés à l’importance de ces pacifiques batailles ; le plus difficile à observer étant de ne pas jurer ; aussi les infractions étaient-elles punies d’amende : « Toutes personnes qui désirent jouer audit prix y seront honnêtement reçues, à la charge de ne jurer ni blasphémer le nom de Dieu, sous peine, pour chacune fois, de cinq sols d’amende. »

En Saintonge, on ne badine pas avec l’honneur

Les disputes entre joueurs conduisaient parfois à des procès comme celui intenté par Jehan Rizo à Philippe Chauveau à la suite d’une partie de jeu de paume qui avait mal tournée : Philippe Chauveau avait déclaré à Jehan Rizo : « qu’il jouait comme un bourreau et un chien ». L’affaire portée devant le maire de Saint Jean d’Angély, ce dernier avait débouté le plaignant estimant qu’il n’y avait pas injure, lequel Rizo fit appel de la décision. Ce qui prouve qu’on ne badinait pas avec l’honneur d’un joueur.

Où la passion du jeu : l’emporte sur la raison 

On trouve dans un livre de 1842 sur l’histoire des pauvres une anecdote au sujet d’une escroquerie deux mendiants qui pourrait se révéler cocasse si les conséquences n’en avaient pas été aussi sévères pour les auteurs. En voici un extrait mais tout d’abord celle d’une ordonnance du Prévôt de Paris, du 22 janvier 1397 qui illustre bien les coutumes et mœurs de l’époque. Elle constate que « plusieurs gens de métier et autres du petit peuple quittent leur ouvrage et leurs familles pendant les jours ouvrables pour aller jouer à la paume, à la boule » et à une variété d’autres jeux, gaspillant ainsi leur temps et leurs biens. Il leur est enjoint de ne s’y plus livrer que le dimanche ; défense de jouer pendant les jours ouvrables, à peine de prison et d’amende arbitraire, dont les dénonciateurs auront le quart.

On encourageait donc la délation et l’histoire des personnages qui vont suivre en est probablement la résultante. L’histoire, celle d’un cordonnier qui ayant tout perdu se retrouve à la rue et donc mendiant se passe en Bourgogne puis en Saintonge :

« J’avais été maître cordonnier, honorablement établi dans le plus beau quartier de la ville ; j’avais été marguillier de ma confrérie ; car j’ai toujours aimé la gloire. Je ne pouvais endurer dans mon nouvel état ; et mon opprobre me devint à la longue si insupportable que je vendis tous mes instruments et m’en allai au plus vite loin des yeux de ceux qui m’avaient vu jusques alors………

A peine je fus en voyage que je rencontrai un homme dune conversation gaië, animée, spirituelle, qui, au don de faire l’aveugle, joignait le don encore plus précieux de faire le cul-de-jate. Nous nous liâmes bientôt d’une grande âmitié ; nous fîmes bourse commune…. Nous achetâmes un petit chariot à quatre roues, sur lequel il sauta légèrement. Il devait souffrir et gémir ; moi je devais le traîner…….Le lendemain je m’attelai ; et, comme je ne pouvais encore me décider à incliner mon front pour solliciter la charité publique, mon camarade cloua sur le devant du chariot son grand gobelet d’étain : Vous verrez, me dit-il, que notre tasse remplira souvent notre bouteille, ce qui ne manqua pas d’arriver…….

À chaque bourg, à chaque petite ville il y a toujours un pauvre qui a la vogue ; partout où nous allions, mon camarade l’avait. Dans une petite ville de la Saintonge, où il faisait l’aveugle, un autre aveugle l’aperçut et le reconnut : aussitôt, excité par la jalousie, sans avertissement, sans menaces, sans autre préalable, il le fit dénoncer au vicebailli. Un bel après-dîné, mon camarade étant à chanter, à sauter, à jouer, dans un jeu de paume, se trouva tout à coup entouré par les sergens de la ville. Il n’est pas déconcerté, il n’hésite pas un moment : Messire, dit-il, en allant droit au vicebailli, n’est-ce pas aujourd’hui saint Isidore ? eh bien c’est mon patron ; tous les ans, je jeûne les trois vigiles de sa fête ; tous les ans il m’accorde, pour ce jour, la guérison de tous mes maux. Je me réjouis en son honneur. Demandez à tous ceux qui me connaissent depuis mon bas âge, car je suis aveugle et estropié de naissance, demandez-leur si j’ai plus d’un jour de bon dans l’année ? O vous , pour qui c’est continuellement fête de saint Isidore, respectez la faveur qu’il fait si visiblement à un malheureux qu’il protège : respectez, honorez saint Isidore ! Mon camarade invoquait mon attestation, et, certes, je la lui donnais de bien bon cœur ; je sentais que mon sort était lié au sien ; mais rien ne nous servit ; il nous fallut prendre le chemin de la prison…….

Vous en conviendrez, messeigneurs, s’il s’était agi d’un simple bourgeois, les lois et les coutumes auraient prescrit des enquêtes ; et, certes, si l’on nous eût aussi admis à la preuve, nous aurions trouvé des témoins ; du moins de ceux dont se contente la justice dans certaines provinces, je veux dire des témoins de crédence, qui croient avoir à peu près entendu, à peu près vu. Nous n’étions pas très loin de la Normandie, nous étions assez près de la Gascogne ; mais, point du tout ; on nous appliqua les dispositions de l’ordonnance ; nous fûmes considérés comme mendians , errans et vagabonds ; en quelques heures, notre procès nous fut fait et parfait. Mon camarade fut condamné aux galères 7 ans ; et moi je devais recevoir dix coups de fouet, après quoi je serais tenu de vider le pays dans trois jours : Je ne le trouve pas bien coupable, disait, en parlant de moi, le vice-bailli ; mais j’ai cru plus prudent de lui faire donner, à tout hasard , ces dix coups de fouet ; s’il ne les a pas mérités ici, sûrement il les a mérités ailleurs…….

Cependant je me désolais : Moi ! disais-je, ancien maître cordonnier ; moi ancien marguillier de ma confrérie, je serai publiquement fouetté par la main de l’exécuteur de la justice. Je criais, je me désespérais : Vous pouvez en appeler, me dit le greffier, mais hâtez-vous. Aussitôt dit, aussitôt fait. Alors le vice-bailli, irrité de ma mauvaise volonté à l’égard de sa sentence, empêcha que mon procès fût envoyé au juge supérieur…..

Depuis long-temps je languissais dans la prison, et mon ennui devint si fort, que je proposai au vice-bailli de renoncer à mon appel et de recevoir les dix coups de fouet, s’il voulait me faire mettre en liberté ; mais il ne voulut y consentir qu’à la condition de dix fois dix. Cent coups de fouet à recevoir, sans intervalle ni répit, me paraissaient trop rudes pour mes épaules. Je me décidai à prendre patience. Ne sachant à quoi employer mon temps, je me mis à rapiécer les souliers de mes camarades, ceux du geôlier, ensuite ceux de la geôlière. On me fournit du cuir ; je fis des souliers neufs ; je travaillai, moitié pour mon compte, moitié pour celui du geôlier. Enfin je gagnai si bien sa confiance, qu’il me permettait d’aller moi-même, en ville, acheter le cuir ; je lui avais persuadé que, toutes les fois qu’il l’achetait lui-même, il se laissait tromper. Un soir qu’à l’ordinaire j’étais sorti assez tard, afin de n’être pas reconnu, la nuit devint si obscure que je ne pus jamais retrouver la porte de la prison ; je gagnai les champs…...J’allai du côté d’Angoulême ; à mon arrivée dans cette ville il ne me restait qu’un peu de monnaie. Je me résolus à coucher dehors, à ne manger que du pain, à ne boire que de l’eau.

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